samedi, 21 août 2021
Décalage
C'est l'été et j'ai envie d'hiver. J'écoute du piano et j'ai soif de violon. Le temps est sec et je songe à la pluie. Tout le monde rit et mon cœur voudrait pleurer. J'attends, mais je ne sais ce que j'attends. Il est midi mais je voudrais le soir. Je voudrais le soir, mais je pense aux aurores. Un chien passe ; je n'ai plus de chien. Des images défilent, paysages inaccessibles. Le mur me parle, par son grand silence. Une eau coule, dans un appartement de l'immeuble. La lumière semble belle, mais elle obscurcit mon regard. J'ai trop chaud, mais je me blottis dans un chandail. Je t'aime, mais je suis partie hier. Je chante pour des enfants, mais je ne connais pas d'enfant. C'est l'hiver d'un vieux rêve en plein cœur de l'été.
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lundi, 10 juin 2013
Mélancolie
Gothique, soror dolorosa, tes frères-amants en longues robes rouges, bleues, beiges, te suivent, alertes, tandis que parmi nous tu choisis ta victime bien-aimée. Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? Le cou tourné vers le côté vivant du monde, nous te fuyons comme la peste.
Je n'ai pas besoin de ta froideur, je n'ai pas envie du désespoir que tu déverses aux veilles des anniversaires. Va t'en chanter tes romantiques déprimes au milieu des arbres morts.
Tu ressembles à la soeur des aurores ternes, celle qui marche en tenant sur son bras le drap des nuits amères. Je te fuis sans cesse, tu me poursuis de tes assiduités. Tu voudrais que j'entre dans ta danse et m'emporter sur tes rives désolées. Tu m'y enseignerais le goût des baisers aux salives noires, des caresses glacées, des dialogues sans résolution. J'y laisserais ma peau et mes rêves déjà chagrins.
«Lâche-moi, car l'aurore est levée».
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mercredi, 22 mai 2013
Dunkerque, des années après
Moi, je me souviens de Manuel à Ostende et de longues marches sur les plages du Nord, mais c'est de Dunkerque que Laure m'a envoyé deux photos cette semaine.
Elles parlent d'une autre marche, d'une autre personne de ma jeunesse, sur une autre plage du Nord.
Comme le temps passe et comme la désespérance est fascinante, qui nous prend aux veilles des anniversaires. Les visages partis ou quittés se dressent face à vous au détour d'une impasse d'Insomniapolis.
Des visages du lycée Buffon, perdus dans la décennie de la vingtaine ; des projets morts un soir d'hiver où tout était trop lourd. Des voix aimées qui tintent parfois dans le vacarme quotidien d'un trajet de métro ; des mains qu'on avait senti contre nos hanches. Et le vent ?
Le vent du Nord souffle toujours plus tristement sur les joies passagères, mais il offre, avec la tristesse, la mélancolie qui la pare d'une teinte miraculeuse.
Edith
Lire, sur AlmaSoror, Une jeunesse dunkerquoise
(photos Laure Tesson)
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mercredi, 30 mars 2011
Le désillusionné
Photo de Sara
Lorsque mourut Abderrahman III, qui détint le pouvoir en Espagne pendant un demi-siècle (Xème siècle) et construisit l'admirable palais d'Az-Zahra, on trouva parmi ses papiers, une note portant ses mots : "Cinquante ans se sont écoulés depuis que je suis Calife. Trésors, honneurs, plaisirs, j'ai joui de tout, j'ai tout épuisé. Les rois mes rivaux m'estiment, me redoutent et m'envient. Tout ce que les hommes désirent m'a été accordé par le ciel. Dans ce long espace d'apparente félicité, j'ai calculé le nombre de jours où je me suis trouvé heureux : ce nombre se monte à quatorze. Mortels, appréciez par là, la grandeur, le monde et la vie..."
Cité par J Benoist-Méchin, dans sa biographie d'Ibn Séoud
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mercredi, 02 septembre 2009
Sonnet sans titre
Gange par Sara
Assis sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixés vers terre, et l'âme mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.
L'espoir qui me remet du jour au lendemain,
Essaie à gagner temps sur ma peine obstinée,
Et me venant promettre une autre destinée,
Me fait monter plus haut qu'un empereur romain.
Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
Qu'en mon premier état il me convient descendre
Et passer mes ennuis à redire souvent :
Non, je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac à vivre d'espérance,
Car l'un n'est que fumée, et l'autre n'est que vent.
Marc-Antoine de Saint-Amant
XVIIème siècle
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