mardi, 20 juillet 2010
l'art blogal
ensablement des cousines, par Sara
(un billet d'Edith et Katharina, né d'une conversation téléphonique)
Le support de l'art blogal ? C'est le blog, c'est à dire l'interface sur la toile où l'on pilote son blog, créée ses billets, ajoute ses images, ajuste sa mise en page... Cette interface peut être basique ou bien, si le blogueur possède quelques connaissances informatiques, personnalisée. Dès lors les jeux de typographie, l'habillage du blog, deviennent réellement beaux.
L'art blogal suit les évolutions des interfaces blogales et est donc techniquement très tributaire, mais cela n'est pas le plus important, parce que c'est un art d'expression, et que la technique ne sera jamais qu'un outil, un moyen pour cette expression.
Le plus important en art blogal, c'est le contenu. Mais pas seulement le fond du contenu : l'ambiance, l'atmosphère visuelle, textuelle, culturelle que dégage un blog revêt une immense importance.
Le blog est souvent une oeuvre multimédia, qui utilise des vidéos, des images, du son et de la musique, liée à d'autres oeuvres multimédia (des sites et des blogs) par des liens. Cette oeuvre blogale multimédia, liée à d'autres oeuvres blogales, peut être intellectuelle, scientifique, artistique, littéraire, ou bien mixte.
L'art blogal au fond renoue avec diverses traditions, comme la tradition de l'art épistolaire, dont madame de Sévigné est l'héraute, la tradition de la relation de voyage et du journal de bord (Alexandre de Humbold et tous les grands voyageurs et missionnaires), les mémoires (Saint-Simon, Chateaubriand), les chroniques, le carnet de recherche (Léonard de Vinci).
Pour l'instant, l'art blogal est libre et gratuit. Libre, car il n'y a pas de diplôme en art blogal, et que cet art blogal n'est pas reconnu comme un art ; gratuit, pour l'artiste comme pour le spectateur. Création d'un blog et accès aux blogs sont à la portée de tous.
Enfin, l'art blogal est vampire. Toute la difficulté de cet art est qu'il faut nourrir la bête. Tous les jours ou presque, il faut nourrir la bête.
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samedi, 17 juillet 2010
L'album poétique
AlmaSoror a créé un album qui contient les poésies d'Edith de CL et quelques unes de Kathrina F-B et Edith Morning.
Ces poésies sont illustrées par des photographies, qui, parfois, disent autre chose que les mots. Peu importe. Les rêves ne se télescopent jamais. Avant d'aller lire l'album en cliquant ICI (ensuite, il faudra cliquer sur les photos pour que s'affichent les poésies), vous pouvez méditer ces paroles d'Armel Guerne, poète du XXème siècle :
"Depuis le petit cœur impatient de mon enfance jusqu'à ce vieux cœur meurtri, pantelant, essoufflé, mais toujours plus avide de lumière, je n'ai pas eu d'autre ambition que celle d'être accueilli et reçu comme un poète, de pouvoir me compter un jour au nombre saint de ces divins voyous de l'amour. Je n'ai jamais voulu rien d'autre, et je crois bien n'avoir perdu pas un unique instant d'entre tous ceux qu'il m'a été donné de vivre, en détournant les yeux de ce seul objectif jamais atteint, sans doute, mais visé toujours mieux et avec une passion de jour en jour plus sûre d'elle."
Armel Guerne
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dimanche, 17 janvier 2010
notes et bulles bleues
Extrait du mail de Siobhan d’hier matin (reproduit avec son autorisation) :
(Siobhan H est notre deltaplaniste et tient la rubrique aérienne "vol libre)
“Je t’aime”
C’est l’expression qui est revenue ce matin échouer sur les bords de ma conscience le long de ce long vol sans but autre que celui de n’être pas sur terre. Le vent rebelle me donnait l'impression de piétiner dans le ciel. Ma cage m'oppressait et je voulais la lâcher. "Je t'aime". Ce mot me retenait.
Mais à qui parlais-je ? C’est la question qui me hante, maintenant que je suis redescendue et que je marche dans cette ville trop nordique pour être jamais joyeuse.
J’ai appelé Mickaël et Michel, mes deux archanges d’Amiens. Ils étaient justement ensemble au fond d’une brasserie, attablés devant une spécialité picarde et des bières belges.
Ils ont ri, blagué, toujours aussi bêtes, toujours aussi bons.
Mickaël m’a dit : tu parlais de Katharina.
J’ai raccroché rapidement. Je me suis demandée si c’était vrai le plus objectivement possible. En clair, où que je scrute ma conscience, je hais Katharina. Je la respecte, je l’admire, je la trouve belle - mais je la hais.
(...)
Et quand j’y repense je pleure presque, je hante la ville si triste (comme toutes les villes du Nord) où je ne sais même pas pourquoi j’habite, et je t’en veux de nous avoir rassemblées un jour au 13 boulevard du Montparnasse, pour une soirée qu’il fallait faire semblant de trouver sympathique et qui était à vomir. D’ailleurs, j’avais vomi dans la rue en rentrant chez moi”.
Siobhan
Je rappelle que la relation entre Siobh et Katharina a déjà ébranlé AlmaSoror... ICI.
Un ami lecteur avait alors posté ce commentaire éclairant : "Lontemps après le temps des déchirures, restent les morsures de l'incendie intégral. Comme une biographie à rebours et marquée dans la chair". Merci, toi qui signas Habitant d'Insomniapolis et qui fit partie de notre éphémère Club d'alors...
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vendredi, 20 novembre 2009
L’eau de vie de pomme (et les archives d’AlmaSoror)
Sais-tu que je bois de l’eau de vie, le soir, en dégustant mes bons fruits cuits, en écoutant le piano tendre de Ludovico Einaudi, mp3 volés à ma soeur un jour où je squattais son ordinateur, et sais-tu que je repense aux amitiés blessées, brisées, et aux rêves que je faisais lorsque j’avais quinze ans ? Et le piano accompagne ces moments lents et beaux et le feu crépite dans la vieille cheminée du vieil appartement du 13. Et la voix de mon frère dans ma mémoire, et le rire de ma soeur dans ma mémoire, et la présence-tension de mon père dans ma mémoire flottent autour de moi alors que leurs corps et leurs coeurs vivent leurs vies dans leurs villes.
Et le caméscope filme : car je succombe aux règles de l’art individualiste qui ne chante plus son Dieu, mais son image dans le miroir. J’installe la caméra et je dîne aux chandelles, seule avec le film que je suis en train de faire et qui dévoilera ce que fut une vie anodine, esthétisée par goût et par nécessité.
Et la musique se balance, nostalgique, tandis que mon regard intérieur remonte le temps, traverse ces années écoulées, retourne au Pérou, à la Casa Elena. Souvenir de visages et de voix si éloignées de ceux qu’on trouve par ici.
Quelquefois j’ai l’impression que la vraie solitude, la plus belle, la plus pure, la plus déroutante, la plus dangeureuse, est une invention européenne. Une des grandes découvertes qui ont détruit et construit le monde.
C’est au creux de cette drôle de solitude, frustration créatrice en mouvement insaisissable, que sont nées certaines photos et certains textes qu’AlmaSoror a publiés, depuis sa naissance en septembre de l’an 2006.
Et je voudrais me ressouvenirs des jours où je reçus, dans mon électro-boite aux lettres, ces textes qui firent le miel d’AlmaSoror et qui demeurent ses fondations.
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samedi, 31 octobre 2009
La nuit, la guerre
AlmaSoror se désespère quelque fois. Comme lorsque deux personnes qu’elle aime et qui la nourrissent commencent à se haïr. Siobhan et Katharina vous vous déchirez mais nous vous aimons toutes les deux. L’une d’entre vous est belle d’une étrange façon ; l’autre est belle d’une manière bizarre. Etrange Siobhan qui s’envole et ne redescend jamais vraiment des hauteurs où elle flotte sans pesanteur et sans apesanteur, juste entre les lignes invisibles du ciel. Katharina bizarre qui défend des trucs indéfendables et réessaie toujours de devenir autre chose alors qu’on s’était habitué à ce qu’elle venait de devenir.
Et que dire de vos coeurs ? L’une d’entre vous est celle à qui l’on n’ose rien dire parce qu’on ne sait pas ce qu’elle pense. L’autre est celle qu’on appelle à n’importe quelle heure du jour où de la nuit, sans songer au décalage horaire, parce que Paris et Buenos Aires bruissent la nuit et s’aiment depuis longtemps, parce que Insomniapolis est le seul lieu où l’on vit vraiment, parce que les voix n’ont pas besoin d’avion. Siobha, sache que tu es glaciale et attachante. Katharina, insupportable et hilarante, sache que tu sauves quand tu ne raccroches pas pendant trois heures.
Et que dire de vos corps ? L’une d’entre vous est celle qui est noyée sous les pullovers d’un grand frère imaginaire, achetés dans un magasin pour les sportifs adolescents. L’autre est celle qui marche tout en haut, loin de nous, portée par les hauts talons aiguille qui font clac clac et qui respire le rouge à lèvres et le parfum des temps perdus. Siobhan, on devine sous les longs morceaux de toile et de laine que tu as des jambes et des bras et qu’ils sont très blancs. Des tâches de rousseur doivent faire écho aux reflets qu’on voit dans tes cheveux quand tu te penches au bord de la cheminée. J’ai peur que tu aies des cicatrices à cause des chutes lors de tes décollages et atterrissages et à cause de ton bricolage chez toi. Katharina, quel fragrance ce soir ? Tu marches et deux, quatre, sept, dix hommes emboitent le pas pour obtenir un sourire et une prolongation chez toi. Mais tu es habituée et tu marches (clac-clac) et tes bas résille reluisent dans la nuit tandis que ton buste se fait parfois statue parfois roseau et que tu parles avec ta voix de fumeuse à mi temps.
Et que dire de vos vies ? L’une d’entre vous disparait souvent dans sa ville malade où personne ne veut aller et là on devine des magasins où elle achète la base et des grandes promenades solitaires, des copains dont elle ne parle jamais et la même vue, le matin, sur les toits et les champs au loin, en buvant un café trop chaud dans la tasse d’hier. L’autre vit là bas et fait rêver à force d’être si belle, si classe, si loin et si chaleureuse, toujours entourée de monde, d’un monde qui papillonne et qui change et qui importe peu, c’est le décor, or seul le décoeur compte. Le décor des corps tourbillonne et le décoeur du coeur s’alimente de petites excursions dans les rares régions de la vraie amitié. Siobhan, un jour je prendrai le train pour venir voir cette ville “sans rien” que tu décris et qui te fais rire, je boirai dans ta tasse et tu m’apprendras à voler comme les oiseaux, enfin. Katharina, je sais que j’ai promis mais je déteste tant prendre l’avion. Et l’argent ne coule pas à flots, contrairement au vin rouge que tu aimais. Et l’Amérique du Sud m’a laissé des morsures que le sel creuse trop. Mais j’ai promis et un jour je viendrai hanter la calle San Juan d’où tu m’écris des choses parfois gentilles, parfois cruelles, et j’irai prier pour ta conversion à la figure du Christ dans l’église qui t’a vu passer tant de fois en hauts talons et avec des hommes toujours différents, toujours avec le même genre de barbe, toujours tellement inexistents à tes côtés.
AlmaSoror se désespère quelque fois, quand elle se rend compte que ses soeurs nourricières se sont déclarées la guerre. Mais son amour est incorruptible. Ce n’est pas la neutralité suisse, c’est l’incendie intégral pour chacune.
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jeudi, 22 octobre 2009
Réponse à Katharina
Katharina chérie, c’est parce que ça fait quelques semaines que les effets de mes soirs d’exil intérieur de ces longs derniers mois se font sentir : j’écoute Exit Music (Radiohead), Into my arms et Weeping song (Nick Cave & the Bad Seeds), et je danse. Alors que la journée, en général, j’ai écouté les disques de l’année liturgique en chant grégorien, enregistrés par la schola Bellarmina de l’abbé Lorber.
Au début, je ne sentais pas les effets. Peu à peu, j’ai compris que mon inconscient libérait des blocs de béton qui étaient enfermés là depuis trop longtemps. Ils ont coulé et sont redevenus sable et se sont écoulés partout, notamment sur ce blog que je te remercie de suivre assidûment.
Et il y a eu ce pouilly fumé lors des déjeuners de la SGDL, à l’hôtel de Massa. Et il y a eu ces souvenirs réémergés au cours d’une danse avec quatre inconnus dans au fond d’un hôtel du quartier Saint Roch, à Paris. Et tout cela fait exploser les barrières dont j’ignorais l’existence, et toi même j’aurais tellement de choses à te dire. Mais ce sera quand tu reviendras. Depuis quand ne nous sommes-nous pas serrées dans les bras ? Tu m’as soutenue, défendue, aidée et aimée dans un moment où j’avais justement besoin de cela, et je ne l’oublierai jamais.
Pour toi Katharina, mille baisers de cette nuit parisienne qui commence et que je vais peut-être passer à Insomniapolis.
Merci et tendrement,
édith
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mercredi, 21 octobre 2009
Katharina hors les murs, hors d'elle, hors la loi d'AlmaSoror
(...) Mon père me le disait lors des crises de mon demi-frère. “La rupture n’est jamais totale”. Mais cette fois édith tu pètes un énorme cable et c’est aux amis de te le dire franchement.
Cette histoire de Hugues, où vas-tu ? Que fais-tu ? Dans quel monde vis-tu ? Toi qui étais si concrète dans ton imaginaire, j’ai l’impression depuis quelques semaines que ça fait quelques mois que tu dérapes. Qu’est-ce qui se passe ?
Hugues : ah bon ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui te manque ? Est-ce un souvenir perdu d’adolescence qui te hantes ? Est-ce un changement d’orientation radical ? Est-ce une nouvelle façon de créer de la matière artistique ? J’aime bien tes délires mais je souhaite pouvoir continuer à les comprendre, sans ressentir des chocs trop grands à des milliers de kilomètres, dans l’appartement de Calle San Juan. La iglesia San Juan de Bautista me rappelle des conversations au cours desquelles je défendais les Lumières et la lumière intellectuelle et tu me répondais que de même que la lumière n’existais pas sans ombre les Lumières n’auraient pas existé sans les ténèbres d’autres esprits. A quoi servit cette conversation ? A rien ? A se disputer et à se réconcilier ? A préfigurer d’autres incompréhensions encore plus grandes à venir ? (...)
Katharina Flunch Barrows
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vendredi, 28 août 2009
La ville de perdition
« La ville est morte, faite de choses mortes et pour des morts. Elle ne peut pas produire ni entretenir quoi que ce soit. Tout ce qui est vivant doit lui venir de l’extérieur. Ce qui est une évidence pour la nourriture, mais également pour les hommes. On ne peut assez répéter que la ville est une vaste mangeuse d'hommes. Elle ne se renouvelle pas de l'intérieur, mais par un import constant de matière fraîche extérieure. »
Sans feu ni lieu, Jacques Ellul
Je me suis souvenu cette nuit, alors que la ville illuminée de Zurich révélait ses visages nocturnes, ceux qu'elle cache le jour parce qu'ils sont trop bizarres, je me suis souvenu des livres qui parlent de la ville, de la ville de perdition.
J'ai eu un ami, dans le temps, qui s'appelait Frédéric et qui venait d'une campagne lointaine, là-haut dans la montagne, pas de là où les monts deviennent bleus et dominent les nuages, mais à la frontière des moyennes et des hautes montagnes.
Frédéric était venu à la ville pour travailler et il avait connu cette empire urbain qui prend certains coeurs, les entraîne dans une valse effrénée qu'ils ne peuvent plus jamais abandonner.
Au bout de quelques années, Frédéric était devenu un citadin dépravé, et aux yeux de sa famille des hautes collines, un étranger.
Il en souffrait. Parfois, à la fin des dîners, quand les autres étaient partis et qu'il ne restait que ceux qui n'avaient pas de masque social, il en pleurait.
Alors on buvait ensemble jusqu'au comas éthylique.
Cette nuit, j'ai repensé à Frédéric ; j'ai repensé à tous les livres que j'ai lu et qui parlent de cette perdition. La ville qui mange les gens, avale les âmes et les vies.
Des livres d'auteurs tchouktches. Peuple de Sibérie presque entièrement détruit, mais dont des voix émergent encore, en langue tchouktche ou en langue russe, pour conter les contes cruels des individus échappés d'un monde rassurant et mort, broyés dans la grande ville. Avez-vous lu Unna, de Youri Rythkéou ?
Des livres d'auteurs quechuaphones, conseillés par Katharina F-B, notamment les nouvelles de Porfirio Meneses (Achikyay willaykuna), mais d'autres aussi, qui racontent l'Indien venu à la ville et mangé par elle.
Le livre d'Alan Paton, Cry, the beloved country. Un pasteur noir quitte son pays pour venir à la ville magique, Johannesburg. La ville qui a dévoré son fil unique. Car Absalom, fils de pasteur, est venu à la ville, a vu des prostituées, a essayé de travailler, à subi le racisme, a tué un Blanc.
Noirs & Blancs se donnent la main pour conjurer l'horreur de la grande ville raciste, violente, luxurieuse.
C'est si simple de se perdre dans la ville. Il suffit d'un moment de faiblesse et alors on tombe de l'autre côté, du côté sauvage. Celui que chante Lou Reed. Le côté dont on ne revient jamais, parce qu'il entraine les sens au delà des sens interdits dans une danse qui mélange les sens.
J'ai essayé de me remémorer la chanson de Simon & Garfunkel, The Boxer. J'ai demandé à mes frères de m'apporter un disque pour la réécouter.
J'ai repensé à Rocky 1, le grand film de Sylvester Stallone, et à Fat City, l'immense film de John Huston.
Un moment de faiblesse, c'est la rupture. La sagesse est morte. La société vous quitte. Vous marcherez désormais dans son ombre.
J'ai repensé à Breakfast at Tiffany's. Truman Capote se projette dans son narrateur, jeune gars du Sud qui débarque à New York pour être écrivain et découvre, par l'intermédiaire de sa voisine, un monde de luxe, de paillettes, de tromperies, d'illusions, où, de temps en temps, au bord d'un instant fragile, en instance, une vérité bleu ciel éclate.
Depuis les Romains, le thème de la ville de perdition est inépuisable. Pourquoi le trouvé-je magnifique ? Parce qu'il ressemble au thème de l'enfance perdue dans la noyade adulte.
De Quincey et ses Confessions d'un mangeur d'opium : les jeunes filles (Ann... ma soeur Ann...) qui s'y engloutissent encore plus que lui, parce qu'elles sont encore plus pauvres, et du mauvais côté du genre humain – du côté violé.
Elise ou la vraie vie, belle histoire d'amour de Claire Etcherelli. Elise quitte sa ville de province pour venir être ouvrière à Paris. Elle y découvre la lutte des classes et la lutte des races. Elle tombe amoureuse d'Arezki, algérien menacé, qui l'aime aussi.
L'attrait des plaisirs, de la gangerosité, de la luxure. Nuits sauvages et incendies de corps. Aubes blanches et gueules de bois. Alcool, sexe, breuvages, étreintes... Poudre dans le nez et poudre aux yeux.
Tout cela m'a bien détruit. Tout cela a bien détruit mon cher Frédéric. Où est-il aujourd'hui ? Il erre sans doute quelques part, dans notre ville, ou dans une autre, encore plus grande.
Nous nous retrouverons au paradis des anges déchus, auquel nous ne croyons même pas.
La ville corruptrice qui transforme les jeunes innocents en maîtres de crime ne mourra jamais. Nul doute qu'elle s'exportera sur Mars, et bien plus loin, dans des temps à venir.
On voudrait dire à ceux qui jugent : la ville de perdition, vile, servile malgré elle, est pourtant mille fois plus artistique que vos sentiers battus.
Axel RANDERS
(2007)
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lundi, 27 juillet 2009
Ma rencontre avec Anne-Pierre Lallande, chrétien, anarchiste, antispéciste
Phot Sara
Par Katharina Flunch-Barrows
Anne-Pierre avait de longs jeans qui pendaient autour de ses longues jambes et il flottait dans des chemises blanches, bleues, vertes, toutes délavées. Il avait une voix légère comme celle d’un oiseau et rassurante comme certaines voix des hommes. Il avait des cheveux blonds un peu ondulés qui voletaient autour de son visage, dans le vent du matin. Il parlait peu ; il parlait bien. Il mangeait peu ; il mangeait bien. Il aimait peu ; il aimait dans l'abnégation de lui-même.
C’était Edith qui me l’avait présenté. Elle me présentait les hommes qu’elle aimait parce qu’elle ne savait que faire avec eux. Elle sentait cette proximité, et en même temps une immense barrière qui lui interdisait de se rapprocher d’eux. C’eut été trop dangereux. Je parlais déjà bien français et j’étais heureuse de pouvoir échanger des idées avec cet homme beau, ou plutôt aimable et frais, charmant et secret.
J’ai tout découvert peu à peu, au fur et à mesure que nos relations s’approfondissaient : la croix autour du cou ; son chien Jumbo-Roi ; le vieux manoir de son amie Esther, où il allait se ressourcer et faire courir son chien. Et les vieux livres des anarchistes d’alors et d’antan. Raoul Vaneigem et La Boétie ; Bakounine et Tolstoï ; Victor Serge et Pic de la Mirandole. Il y avait aussi, dans sa bibliothèque, Giordano Bruno et les Cahiers antispécistes, James Douglas Morrison et Sainte Thérèse d’Avila.
Il avait aimé Catherine de Sienne et avait cessé de manger lors de longues séances d’adoration de la sainte. Il avait allumé des cierges dans des églises et brûlé des affiches dans les rues de la révolte. Il avait couru dans les manifs et mangé dans les camps de gauche et dans les camps de droite. Il avait vécu et senti beaucoup de choses et il en était revenu profondément triste. Quelque chose n’allait pas, mais son sourire tendre, teinté d’humour, plus rassurant que rassuré, nous berçait et empêchait, par une paresse toute confortable, toute égoïste, de s’intéresser au fond du cœur d’Anne-Pierre. On croyait l’aimer : c’était qu’on était content qu’il nous aime.
Bien sûr, beaucoup de regrets surgissent, en cascade, navrants, navrés. Je ne suis pas la seule : perdre quelqu’un, c’est se rendre compte, bien souvent, de tout ce que l’on n’a pas su dire ; de tout ce que l’on s’est retenu de donner. Un voile de pudeur métallique empêche ceux qui s’aiment de se le dire, surtout si leur amour n’est pas d’une forme reconnue. Hors la vie amoureuse et la vie de famille, quel est le statut de l’amour ? Et pourtant n’est –ce pas l’amour, ces tendresses et ces souffrances que l’on ressent pour ceux qu’on croise, et qu’on recroise, auxquels on pense et qui, un jour, partent et ne reviennent plus. Ils n’existent plus. Ils ont disparu. Le monde continue sans eux et ils ne reviennent qu’en images lointaines peupler les cerveaux de ceux qu’ils ont aimé.
Anne-Pierre, anarchiste, catholique, antispéciste, féministe, et si modéré au fond. Modéré, pas par lâcheté, mais par une connaissance trop parfaite de trop d’univers trop différents. Ma vie, au moins, aura été changée par ta présence, par ce que tu étais. Je ne suis sûrement pas la seule. Je ne regrette pas que Jumbo-Roi soit parti avec toi (qui t’aurait remplacé auprès de lui ?) Et il me reste le ciel et les oiseaux, les nuages et la lumière du boulevard dans le matin, pour rêver de toi et te parler tout bas.
Katharina F-B, lundi 27 juillet 2009, après un dîner de crêpes et bière à Buenos Aires, in mémoriam.
Traduit de l’espagnol argentin par Edith CL et Kyra Portage
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jeudi, 27 novembre 2008
Il était une fois l'animal
I Genèse
La présence de l'animal dans l'histoire de la création du monde...
« Il était un royaume où volait le Corbeau. De temps à autre, l'Oiseau suspendait son vol pour fienter. Quand la matière était dure, elle se changeait en terre ferme ; quand elle était liquide, elle donnait naissance à des rivières et à des lacs, puis à de minuscules flaques et ruisseaux. (...) Mais une fois créé par la matière contenue dans le jabot et la vessie du Premier Volatile, le monde continua de baigner dans une obscurité profonde. » La Bible tchouktche, Youri Rythkéou
Les mythes fondateurs racontent l'origine du monde et des hommes.
Dans la Bible, la Genèse du monde est ainsi racontée : Dieu créa le monde, puis l'homme, puis la femme. Il créa les animaux, et celui qui joua dès le début un rôle important est le serpent, qui corrompit l'homme.
Pour les Tchouktches de Sibérie, le monde a été créé par un corbeau, le Premier Volatile, qui volait au-dessus de son royaume désert en laissant tomber sa fiente, fiente qui donnait naissance à des rivières, des montagnes...
Les Inuit ont encore une autre histoire : une jeune femme et un chien furent le premier couple. Leurs cinq enfants sont les ancêtres des habitants des cinq continents.
Dans les sociétés traditionnelles, les contes et mythes s'adressent à tous, enfants et adultes. Chaque événement dramatique de la vie permet une relecture de ces histoires, auxquels l'homme donne un sens plus profond à mesure qu'il vieillit. La littérature expressément réservée aux enfants est un événement moderne, né du rationalisme.
Dès lors, plus encore en Occident qu'ailleurs, le temps des animaux est le temps de l'enfance. Il y a une séparation radicale entre l'animal de l'enfance, enchanté, proche, et l'animal des adultes, rationalisé, utile, sans valeur sacrée.
II Initiation et symbole
Dans la littérature enfantine, les animaux servent à expliquer les relations humaines
« Il était une fois un paysan qui avait de l'argent et des biens en suffisance (...) Mais sa femme et lui n'avaient pas d'enfants. (...) Un jour, il revint chez lui, s'emporta et dit :
- je veux un enfant ! J'en veux un, même si ce doit être un hérisson !
Par la suite, sa femme mit au monde un enfant qui était mi-hérisson, mi-homme : le haut de son corps en hérisson, le bas constitué normalement. Sa mère en fut épouvantée quand elle le vit et s'exclama :
- Là, tu vois ! Tu nous as jeté un mauvais sort !» Hans mon-hérisson, Grimm
L'anthropologue russe Propp a analysé des contes de façon structurelle et en a tiré des fonctions invariablement présentes (le héros, le donateur, l'agresseur, l'auxiliaire)... L'animal est toujours autrui. Il est très rarement le héros, il est celui que l'on rencontre sur sa route et qui nous révèle à nous-mêmes.
Les deux thèmes principaux de la plupart des histoires : comment trouver de la nourriture, comment se marier. L'animal permet de dissoudre l'enseignement en le rendant sibyllin. La petite fille apprend à la fois qu'elle doit éviter de se faire violer dans le bois par le loup, à la fois qu'elle devra vivre cela un jour, d'une autre façon. Ce trouble n'appartient qu'au langage symbolique et les rapports sociaux paraîtraient trop crus sans les masques animaux.
La littérature à destination des enfants utilise la proximité entre l’enfant et l’animal pour préparer au monde adulte ; mais la figure animalisée permet de dissocier le monde imaginaire du monde réel pour brouiller les pistes. La transmission s'effectue à un niveau inconscient.
Par ailleurs, dans ce mélange des mondes humains et animaux se trouve une reconnaissance de la très grande proximité qui les unit. Nous sommes animaux comme les autres animaux, nous souffrons, nous aimons et nous luttons comme eux.
III Paradoxes
Dans les histoires pour enfants, l'animal interprète les rôles enchanteurs, troubles ou mauvais. Mais ces rôles sont atténués par la censure pédagogique, qui ne reconnaît de conscience qu’humaine et qui déviolentise les contes. Que devient alors l'animal ?
Violence, magie, trouble, désir, crime : ces éléments hantent les rapports entre les hommes et les bêtes dans la littérature traditionnelle. L'animal permet donc de parler de crime et de sexe.
Pourtant, les modernes (Perrault, Disney) ont escamoté la cruauté des histoires. Cette déviolentisation a lieu partout. Par exemple, au Pérou, où l'on reprend les contes quechuas pour les manuels d'éducation des enfants indiens, on les lisse et les modifie car ils sont vus comme trop violents.
Cet escamotage littéraire est parallèle à l'évolution de la société. Le garçonnet d'il y a 100 ans voyait tuer les cochons régulièrement. Celui d'aujourd'hui refuse de manger lorsqu'il comprend avec horreur que les trois gentils petits cochons du conte sont découpés dans son assiette. Ces deux garçons à cent ans de distance n'entendent pas la même histoire à travers le même conte. L'interprétation et l'identification ne peuvent être semblables.
La modernité escamote la violence et elle brouille les rôles traditionnels. De ce fait l'animal n'est plus trouble ni mauvais, il devient gentil. Par ailleurs, le principe narratologique selon lequel l'animal était autrui et jamais le héros n'a plus lieu. L'animal est donc humanisé (héros au visage défini, doué de bonté) au moment même où les bêtes ont presque disparu de notre vie quotidienne. Il représente même parfois la gentillesse dans un monde de brutes humaines, un rôle tout aussi faux que celui de séducteur ou de tueur qu'il tenait dans les histoires traditionnelles. La bête est devenue ange. La cruauté et la tendresse sont souvent l'apanage réel ou supposé des enfants et des bêtes. Mais en éliminant la cruauté on élimine aussi la tendresse réelle, émergée du fond des êtres.
Si l'animal effrayant et enchanteur des contes a disparu de la littérature moderne, que reste-t-il de lui ? Dans la vraie vie, les animaux magiques des contes ont disparus : leurs inspirateurs sont confinés dans les zoos ou les élevages.
« Pan ! Le coup partit. La balle vint frapper le cygne en plein milieu de la tête, et le long cou blanc s'effondra sur le côté du nid.
- Je l'ai eu !cria Ernie.
- Joli coup, s'exclama Raymond.
Ernie se tourna vers Peter, le petit Peter qui était absolument pétrifié sur place, le regard blême.
(...)
Peter ramena le cygne mort au bord du lac et le posa par terre. (...) Ses yeux toujours mouillés de larmes étincelaient de fureur.
-Quelle chose infecte ! hurla-t-il ! (...) C'est vous qui devriez être morts, à la place du cygne ! Vous n'êtes pas dignes de vivre ! »
Le cygne de Roald Dahl
Qu’avons-nous fait de nos corps, de nos âmes ? De nos haines et de nos désirs ? Nous les avons nettoyé comme nous nettoyons les histoires que nous racontons aux enfants. Nous les avons enfermés dans des laboratoires, dans des ménageries, dans des bâtiments protégés aux abords des grandes villes.
Nous n’avons voulu garder que la raison, mais voici qu’elle hante un monde vide.
Que pourrons-nous faire pour retrouver l’animal, ce frère ennemi qui nous dégoûte et à qui nous voudrions ressembler ? Quand toutes les portes de la raison sont fermées et qu’il revient dans nos cauchemars, faudrait-il oser nous laisser entraîner dans son poème vital ?
Katharina Flunch-Barrows et Edith de Cornulier-Lucinière
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jeudi, 06 novembre 2008
Edith de CL, vue par Katharina
Une biographie d'Edith écrite par Katharina Flunch-Barrows
Biographie, Titres, Distinctions
Professeur à la FaTransLibDADat, depuis 2008,
Chevalier dans l’Ordre du Mérite Agricole (2007),
Internée d'honneur à l'Asile psychiatrique d'Apsyaï, depuis le 38 juin 2014,
Officier dans l’Ordre des Arts de la Pensée et de la Déduction (2017),
Commandeur de la Légion d’Honneur (2020),
Membre honoraire du Serial Genius Institute,
Moniale laïque de l’Ordre des Sœurs Soldates de Sainte Jeanne d’Arc
Membre du groupe de réflexion "Electro-Nirvana"
Une biographie de la directrice de l’Agence AlmaSoror, par Katharina Flunch-Barrows
Née le 12 juin 1978 à une heure indéterminée, Edith de CL a grandi sous des auspices que le Docteur Mabuse a qualifié d'étranges. Et pourtant, à travers les arcanes d'une enfance qui ressemblait à un long couloir au milieu du désert, elle a pu avancer vers les arcades majestueuses de l'adolescence.
De cette période cahotante ne restent que quelques poèmes, de rares photographies qui ne disent plus rien à personne. Car le temps nous nargue et nous passons.
Etudes sérieuses de Philanthropie et de Misanthropie à l'université des anges. Puis, de nouveau, une passe de néant.
Entre 1999 et 2003, elle a participé au lancement de KZF-43 "BabySpace". De cette expérience elle est ressortie avec un traumatisme qu'elle a exorcisé en écrivant le roman pour adolescent Métrodore, en cours de publication chez Boy without a girl.
Puis c'est la rechute en 2005, avec la rencontre d'Alix Durand-Boucher. Les deux femmes créent un groupe de Beith Musique, qui les projette dans le vide des lendemains qui pithuitent, après quelques mois dans les étoiles. Et alors c'est la confusion. Immortelle dispute entre Alix, qui part aux bras de Gangs of the World, et Edith qui trouve refuge au fond des bars orientaux de Paris. Mais là encore la carte du Tendre n'a pas dit son dernier mot.
Et c'est la reconstruction, lente, mais incertaine, les centaines d'heures à répéter la prophétie universelle de Gourou Narkodik. "Toutes les nuits, à tous points d'ouïe, j'entends plus profondément". Et certes, au fur et à mesure que les jours passaient et que la cure avançait, une personnalité se restructurait. Une seule personne était là le long de ce cauchemar dégressif : Etienne Destranges, ex-mentor des Stonehengers et exégète de l'Apocalypse.
Depuis, Edith de CL s'est remise au dark rock, qu'elle diffuse à travers les routes imaginaires d'Europe, par petits concerts dans des granges. "Je refuse désormais ces grands messes qui te détruisent : tu donnes tout et tu perds ton âme. Au bout de la nuit, la foule rentre chacun chez soi et toi tu te retrouves, HS, aux urgences de la rêverie".
Les urgences de la rêverie, elles connaît, tout comme les urgences du cœur. Ses errances ont souvent terminé là où le jour se lève, dans une aurore de solitude qu'aucune brume ne parviendrait à envelopper. C'est pour ça qu'elle s'accroche à la Figure du Christ. "La figure du Christ, tu vois, c'est un truc qui te rappelles constamment que rien ne naît de rien et qu'une puissance qui crucifie les points cardinaux s'étend sur le monde, par l'amour et par le sacrifice".
Photos : les années Passion et les années Dépression
La réflexion spirituelle d'Edith de CL s'ancre dans la pratique quotidienne du catholicisme traditionnel ; les messes latines qui sont dites à Paris et, parfois, de Saint-Jean en Ville lui offrent cette possibilité de sanctification par la communion. Parallèlement à cela, elle accroche son œuvre cinématographique à l'univers symphonique angélique. Car là où les sexes s'effacent, commence l'Amour. Et si tous les chemins mènent à Rome, seule la route angélique mène à la régénération des incarnations.
Alors cette biographie, qui n'est pas finie tant que la vie continue, s'achève sur cette réflexion qu'Edith me faisait un soir d'hiver, alors que, pleurant, elle regrettait l'automne, "seule saison qui m'habille vraiment", disait-elle (et c'est vrai). "Tu sais, au fond de mes réflexions puise une source d'enfance qui n'en finit pas de se révéler. Et c'est ça, tu vois, qui me pousse à toujours marcher plus avant vers le carrefour des carrefour. Je me dis, si j'arrive à trouver la vie assez belle pour l'aimer, comment craindrai-je la mort ?" Je n'avais pas répondu, alors. J'avais songé en silence, comme souvent. Mais aujourd'hui qu'elle me demande de composer sa biographie, c'est évidemment cette phrase qui revient. Elle confluera ce court résumé d'une vie entre deux eaux...
8 septembre 2008, 21 heures et seize secondes selon mon ordinateur.
Buenos Aires, Quartier des Songes Perdus.
Katharina Flunch-Barrows.
(Photo de Sara)
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