jeudi, 05 décembre 2013
De la lettre de cachet de l'Ancien régime à l'internement abusif du Nouveau
D'Un martyre dans une maison de fous, de Karl-des-Monts, nous avions déjà publié un extrait sur la Province.
Nous disions :
Karl-des-Monts écrivit en 1863 son "Martyre dans une maison de fous", après plusieurs internements psychiatriques dus à ses opinions ultramontaines exacerbées. Ces internements abusifs ne lui ont pas fait perdre sa verve, dont il a alors usé pour expliquer au monde comment on fabrique les fous, et comment on les traite, en France, au XIX°siècle.
Le Martyre dans une maison de fous est essentiellement composé de lettres à une femme qu'il aime.
Voici maintenant deux fragments sur les asiles et les médecins psychiatres. Il y conspue le diplôme de médecin-psychiatre, qui met le diplômé dans un statut de toute-puissance face au "patient", et émet l'idée que l'internement abusif a remplacé la lettre de cachet de l'ancien régime.
"Ce que je ne puis comprendre, ma chérie, c'est qu'il ait jamais pu venir à la pensée de ces eunuques de la science qu'on nomme les médecins, qu'ils pourraient rendre la maison aux pauvres diables qui en ont encore moins qu'eux, en les ensevelissant sous ces formidables murailles noirâtres, où tout est sombre, les lieux et les hommes, où tout est sinistre, l'espace et les physionomies. Rien qu'à voir ces cages de pierre toutes salies, toutes souillées, toutes tachées, qu'éclaire à peine la lumière tremblante et indécise d'un soupirail ; rien qu'à entendre, au fond de ces bouges, ce troupeau de brutes grotesquement habillées, égarées, débraillées, hébétées, abruties, on est frappé de terreur et de dégoût ; mais qu'est-ce, mon Dieu ! quand on se voit incrusté dans ce ramassis d'êtres ignobles, jeté dans cette tourbe hideuse, repoussante, où la férocité, le cynisme et la grossièreté crapuleuse grimacent sur toutes les figures ? Non ; quiconque n'a pas, au fond d'un cabanon de fous, senti rouler dans ses veines les lames du désespoir, ne sait ce que c'est que la douleur... On souffre là ce que fois souffrir un pauvre chien vivant dont un médecin charcute les nerfs sous le peu galant prétexte d'arracher aux tortures de cet animal le secret des vapeurs d'une jolie femme. - Le désespoir vous y tenaille le cœur".
(Lettre VII)
"Oui, mon amour, il est monstrueux que, dans une société bien organisée, il se trouve une profession dont chaque membre puisse se transformer, à toute heure, en un magistrat anonyme, et, qui pis est, en un magistrat clandestin, ou plutôt former à lui seul, un tribunal, et un tribunal sans appel ! Oui, il est monstrueux qu'à un moment donné un individu quelconque n'ait besoin que d'un trait de plume pour en rayer un autre de la liste de ses semblables ! Oui, c'est une bien criante énormité qu'il suffise au premier venu, parce qu'il sera pourvu d'un morceau de parchemin, obtenu Dieu sait comme, de tracer au bas d'une feuille de papier les quelques lettres de son nom pour ouvrir ou sceller une tombe sur la tête d'un être vivant ! Mais ce que je trouve bien plus renversant encore, c'est qu'un aussi incompréhensible abus se renouvelle quatre ou cinq fois l'an chez une nation qui dépense idiotement des millions, chaque année, pour allumer des lampions en l'honneur de la prétendue destruction de l'arbitraire sur le sol béni des dieux ! Je te le demande : pouvons-nous sérieusement nous vanter de nous être affranchis du régime du bon plaisir et des lettres de cachet, alors qu'on arrache impunément de sa demeure, en plein jour et au su de tous, un individu dont le seul crime est de déplaire à sa famille ou au gouvernement, et cela, non pas seulement pour le précipiter, comme autrefois, dans un cachot, mais bien, ô comble de l'horreur, pour le métamorphoser, après d'indescriptibles tortures, en une bête fauve ou une bête brute, en un fou furieux ou un idiot ? Que de pièges, que de chaînes, que d'embûches machiavéliquement cachées sous ces mesures d'exception qui semblent seulement faites pour soulager l'aliéné ! Qu'est-ce que cet acte d'accusation rédigé sous le manteau de la cheminée, et donné, de la main à la main, à un tiers officieux, sans preuves vérifiées, sans pièces communiquées, sans allégation discutée ? Qu'est-ce que cet accusateur qui reste toujours invisible, inaccessible, insaisissable pour l'accusé ? Que dire de ce prévenu qui, distrait de ses juges naturels, muré, bâillonné, étouffé par la sauvage théorie médicale de l'isolement absolu, se trouve, comme les victimes cloîtrées que défendit le grand Pascal, sans oreille pour ouïr, sans bouche pour répondre, sans avocat pour le protéger, sans public pour le soutenir et le venger ? Que sont devenues toutes ces formes protectrices de l'inviolabilité individuelle dont le législateur a si sagement hérissé les préliminaires de l'instruction judiciaire ?"
(Lettre VIII)
Karl-des-Monts, Un Martyre dans une maison de fou, Bruxelles, 1863
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vendredi, 10 juillet 2009
Philosophie d'un grabat d'asile
Nous, les psychotiques, nous comprenons que les hommes en blanc, les femmes en blanc, sont des criminels cachés, déguisés. Ils sont venus car c’est ici qu’ils peuvent détruire. Il détruisent des corps, des âmes, des vies, des passés, et surtout des avenirs. Ils détruisent l’essence même de l’être, de l’être autre. Nous sommes enfermés, à leur merci, parce que nos visages diffèrent, nos mots diffèrent, parce que nous avons crié ou frappé, une fois, plusieurs fois, ou simplement une fois de trop. Nous, savons ce que les contours de votre société dissimulent, nous qu’elle a charrié de l’autre côté de sa frontière, dans les zones vagues et blêmes de la folie. Elle nous a nommé les innommables pour mieux justifier ses crimes. Désormais nous observons les gardiens de l'Ordre mental, les hommes et les femmes en blanc, frères d’armes des hommes des abattoirs et des gardiennes de prison. Nous sommes une école, en noir. Un cagibi, en pire. Un miroir que jamais vous ne regarderez.
édith de cornulier lucinière
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