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jeudi, 07 août 2014

Chronique de Lu cie & co

"Le livre s'ouvre sur l'esquisse d'un paysage: une silhouette, deux oiseaux, trois arbres, pas de texte. En page suivante, "Les eaux printanières se répandent au nord et au sud de ma maison" est la première phrase qui sous-titre le même paysage, vu avec un effet de zoom avant. On se rapproche ensuite encore un peu pour lire "tandis que des nuées de mouettes passent jour après jour."

L'homme apparu en silhouette sombre est assis sur une marche dans son jardin. Trois mouettes lui tiennent compagnie durant ses réflexions. Il entame ensuite ses préparatifs pour accueillir son invité".

Lu cie & co

 

Ainsi parle Lucie Cauwe de l'Invité d'un jour (éditions Hong Feï) sur son blog "Livres utiles - Lu cie & co", dans une note sur l'éloge de l'hospitalité en papier déchiré. Elle mentionne ensuite l'album qui raconte la vie de Paul Imbert, marin sablais qui fut esclave du caïd de Marrakech à un siècle où les fraternités et les esclavages se tissaient autour de la Méditerranée des rois d'Europe et des sultans du Maghreb, jusqu'à Tombouctou.

L'homme des villes des sables illu 2.JPG

Image extraite de L'homme des villes de sable,
éditions Chandeigne
Texte d'Edith de CL et illustrations en papiers déchirés de Sara

Les auteurs dédicaceront L'homme des villes de sable à l'Institut du monde arabe le 13 décembre 2014

Mon pays

(j'ai contemplé mon mal-être et les quelques mots que j'ai posés sur lui manifestent un signe, une lueur. Auparavant, il n'y avait pas d'autre conscience que celle, venue de l'extérieur, de ma nullité. Maintenant je suis sortie du métro et sous la pluie j'observe la tentative du soleil de percer le ciel. Je sais que je souffre et c'est une révolution. Car j'ai mis des mots sur ma douleur, qui pourraient être partagés et éprouvés par un autre, deux autres, dix autres, mille autres. Ainsi naissent les révoltes. Ce n'est plus toi qui souffre à cause de toi dans un monde irréprochable. C'est une situation plombée qui se dégage sous le regard. Les individus individuellement dénigrés découvrent qu'ils sont une expérience collective. Le roi dévoile sa nudité. Apprentissage de l'acuité).

mercredi, 06 août 2014

Ciudad

 

« Où se trouve le bonheur intime, la joie d'exister ? » se demandait Sénélé en sortant du laboratoire de biologie des ondes où le professeur aux yeux pairs (l'un bleu, l'autre vert) l'avait diagnostiquée électrosensible. Sur les parois de son ventre arrondi par la présence de trois nourrissons en gestation, des microchimères créaient des démangeaisons. La ville de Barlingot-Point diffusait à cette heure matinale la musique d'Orestia II, d'Aurel Stroë ; on était lundi. Les organistes des lumières étaient en grève depuis dix-sept jours ; ce soir encore, il serait tout à fait inintéressant de sortir se promener. Une brume chargée de pluie lui faisait pousser de petits rires inoffensifs et frais. À l'autre bout de la ville, des hommes en lutte, masqués et gantés, complotaient en vue de la renaissance du métier d'éboueurs des déchets invisibles, malgré la dernière révision de la loi. Aussi incongru que cela puisse paraître, j'étais assise sur le rebord d'une fenêtre en haut d'une tour et je rêvais à la possibilité d'aimer un être en fumant une ou deux idées d'une autre ère.

 

Le palais des congres

Dans toutes les villes qui ont oublié la grande tradition typographique de la France, il existe un palais des Congres, souvent situé sur une grande avenue, aisément accessible que l'on arrive en voiture, en train ou en avion. Le jour, ce palais accueille diverses sortes de conférences, d'événements entreprenariaux ou associatifs. Mais la nuit, les jours fériés, les jours sans événements, le palais est pris d'assaut par les congres.

 

Les tondeuses

Il n'y avait qu'un charme, qu'une joie dans l'ensemble d'immeubles : l'herbe des terre-pleins avait poussé et des pâquerettes fleurissaient. Depuis une heure, de grosses machines bruyantes rasent tout pour faire un gazon carré. Enfants qui grandissez par ici, vos parents reçoivent les aides de la CAF (Caisse d'allocations familiales) et vous apprenez à l'école que vous avez de la chance d'aller à l'école.

Dans le monde qu'on vous fabrique, mort et aseptisé, la respiration des morts-vivants est la seule autorisée.

Demain, quelle rave-party, quelle drogue chimique, quelle musique industrielle accueillera les cris de votre adolescence avide de sang et dévastée par le vide ?

mardi, 05 août 2014

Deuxième fragment d'Electrochoc, les mémoires du Dj Laurent Garnier

Co-écrite avec David Brun-Lambert, les souvenirs de vingt-cinq années d'existence du maître de musique ès clubs et rave-parties Laurent Garnier ne manquent pas de charme littéraire : fond et forme sont bien présents et nous emportent à travers le monde électromusical des nuits trop blanches pour n'être que sombres.

Nous avions proposé un premier extrait ici. En voici un second, qui relate des aventures raveuses de Montreuil-sous-bois.

 

« Au milieu des années 60 à Montreuil fut construite Mozinor, la première zone industrielle en étages d'Europe. Dans cet entrelacs d'immenses entrepôts, on peut encore voir des rampes permettant aux camions de monter les étages de l'usine. Au sommet, une terrasse édifiée pour que le week-end les familles des ouvriers viennent se détendre. En semaine, cette terrasse était censée servir de cuisine d'entreprise pour les équipes d'ouvriers. Mais le projet, radical, ne rencontra jamais de succès. La mairie de Montreuil hérita de Mozinor et l'oublia.

Eric Napora est traiteur. À l'époque il organisait des événements pour des sociétés privées et était en constante recherche de nouveaux lieux. Avec son équipe il découvrit par hasard le dernier étage de Mozinor. Séduit, il décida d'en créer un fonds de commerce.

Fin 90, Luc Bertagnol loua la salle pour y organiser une rave. La soirée ne connut pas le succès espéré, les organisateurs perdirent de l'argent, mais Napora, intéressé par ce qu'il venait de découvrir, leur proposa un marché : annuler leur dette et organiser ensemble des raves à Mozinor. Bertagnol et son équipe avaient élaboré un système très au point de promotion de leurs événements : un mailing constitué depuis leurs raves au fort de Champigny assurait la venue d'une clientèle fidèle et affranchie. La première soirée eut lieu début 1991. Succès immédiat. Pour la seconde édition les organisateurs ouvrirent la terrasse. Deux mille quatre cents ravers répondirent présents ! Bientôt, ne pouvant plus satisfaire la demande, l'équipe investit les nombreuses salles attenantes du dernier étage.

De 1991 à 1994, le budget des soirées tripla. Le sound-system venait de Hollande, les lumières d'Allemagne, les Djs de toute l'Europe, et un accent particulier était mis sur la décoration. Le tout en respectant la légalité : la SARL Cosmos Factory effectuait ses demandes de licence d'alcool, engageait une équipe de sécurité professionnelle, déclarait ses soirées auprès de la préfecture.

Mais la légalité n'altère pas la magie. Prenez n'importe quel ancien de Mozinor entre quatre yeux et demandez-lui de vous raconter ses plus beaux souvenirs. Vous verrez en quoi une soirée peut marquer toute une vie, comment elle peut rester toujours là, au fond du cœur. Les deux Djs résidents, Francesco Farfa et Jérôme Pacman, accompagnaient les danseurs jusqu'au dimanche midi. Une octogénaire venait danser en voisine, se mêlant aux ravers. Des danseurs se levaient à 8 heures pour vivre les dernières heures de la fête, apportant avec eux fruits et croissants. D'autres se posaient sur le toit de Mozinor, le visage rougeoyant dans les rayons matinaux du soleil, et regardaient la structure en métal fumer de trop de condensation.

Tout autour, la ville dormait encore. »

 

Extrait d'Electrochoc - L'intégrale 1897 - 2013

 

Par Laurent Garnier et David Brun-Lambert

éditions Flammarion

 

 

lundi, 04 août 2014

Lu dans les toilettes d'un bar à la station Robespierre (Montreuil)

"étonnement de ce que je vis. Nous sommes en pays envahi et occupé mais personne ne le dit. Chacun met sa souffrance sur le compte de son échec individuel, chacun met son regret de l'identité perdue sur le compte de son incapacité personnelle à envisager la modernité inaccessible à sa piètre intelligence. La morale a avalé toute la politique. Certains sans vergogne surfent sur la vague. Les autres assistent à la défaite, au milieu d'une bataille qui n'a jamais été livrée. Dans ce monde qui ne ressemble à aucun épisode historique, l'individu isolé a trois choix : folie, soumission ou désespoir. Il ne reste plus aucun fil qui relie les hommes et les femmes de ce pays. Il ne reste aucun point de vue d'où apercevoir une lueur, s'il y en a une. Témoignage du 2 août 2014 écrit sur un portable entre les stations Mairie de Montreuil et Robespierre et recopié ici dans les toilettes de ce bar qui n'échappe pas au destin des vaincus".

Un dessin d'un homme seul poignardé par un croissant accompagnait ce texte, que je lus en écoutant la voix chaude de Gil Scott-Heron traverser la cloison.

dimanche, 03 août 2014

Fragment dElectrochoc, les mémoires du Dj Laurent Garnier

 

« Bien des années plus tard, en jouant les bons disques au bon moment, en étant généreux avec le public, en faisant tout pour le toucher au cœur, j'ai pu me dire : "Voilà ce dont j'ai toujours rêvé, ce que j'ai toujours voulu ressentir". Car avec le cumul des années une autre finalité que le simple plaisir de diffuser de bons disques s'était imposée. J'ai réalisé qu'il y avait un Graal à atteindre, une magie à tenter d'embrasser chaque nuit : faire rêver les danseurs, les surprendre, les séduire par le choix des couleurs musicales. Et réveiller en eux ce besoin primaire, vital, de danser et de s'époumoner en chœur.

Pour cet échange, pas besoin d'être un leader naturel. Il faut juste aiguiser le goût de la rencontre. C'est un rapport étrange qui se développe entre le Dj et son public, une relation dans laquelle une domination, même sous-jacente, prédomine : le Dj capte une électricité dans l'air, cette énergie émanant de la rencontre entre la musique, les lumières et les danseurs, et ce dans le huis clos d'un club. Si tous les paramètres nécessaires à a naissance de l'alchimie sont réunis (des règles sociales pour quelques heures abolies, un désir viscéral de plonger dans la danse - de s'y abandonner), les danseurs libéreront une gamme de sentiments exceptionnelle. Un courant électrique se produit, son intensité comme son évolution ne tiennent plus qu'aux directions que le Dj donne. La musique devient voyage. Dans ces moments de grâce, soulever l'aiguille d'un disque dont l'écho résonne dans le sound-system d'un club équivaut à foudroyer cinq cents, mille, cinquante mille personnes d'un seul coup. Et a contrario même un bon disque joué au mauvais moment peut faire disparaître en un instant le fil et l'intrigue d'une histoire jusque-là savamment bâtie. Il n'y a ps d'autres secrets dans le rôle du Dj que le sens du partage. »

 

Extrait d'Electrochoc - L'intégrale 1897 - 2013

Par Laurent Garnier et David Brun-Lambert

éditions Flammarion (de piètre qualité : le livre commence à se décoller - il n'est pas cousu - dès la première lecture).

 

vendredi, 01 août 2014

Blues

Reste debout longtemps, pour tenter d'écouter le blues venu de l'océan. L'expression de ton âme attend là. Elle existe, ton âme ? Sûrement, comme celle de tout être venu en ce monde, quelle que soit sa race, son espèce, sa durée de vie.

“The blues are the roots, the rest are the fruits”
Willie Dixon

Où pourras-tu trouver l'exact reflet de ton âme ? Tu cherches dans les regards, les lieux, les sons. C'est toi le guérisseur ultime. Aucun miroir ne t'aidera, il faut juste fermer les yeux, entendre, et attendre.

La vie se présente sous ses ajours gris : administratif, signalétique, législatif... Comme s'il n'existait plus de terra incognita où vivre son aventure. Comme un oiseau en cage, qui a compris que ses ailes ne lui servirait jamais à rien, que son désir profond ne serait jamais exaucé, qu'il ne lui était pas donné de tenter de diriger son existence vers le but où elle tend, l'individu humain grandit dans une société qui lui ferme tout ce vers quoi son aspiration tend naturellement. Devenir fou, devenir méchant, devenir terne, sont les réponses du désespoir.

Mais qui pourra nous sauver du désespoir ? C'est la force du blues : il est la lumière nostalgique qui monte du désespoir, il se répand, se déploie, et finit par baigner de lumière les corps et les âmes meurtris par la mort-vivance, par l'existence bafouée, par l'amour trucidé.

Il faut laisser son âme chanter, c'est la voie de la liberté.

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