samedi, 04 janvier 2014
Cold Rock du linoléum
Si tu viens par ici pour te prendre une grosse claque dans la gueule c'est mort parce que ce blog bouge comme une limace, lentement et mollement, et pourtant il y a une envie de radicalité rock, voire punk quelque part dans ces pages, dans certains de ces billets, ceux peut-être composés comme une symphonie de la tristesse métallique sous un ciel bas et lourd, gris d'après la pluie. Il y a ce désir de brûler, de faire des étincelles, de frapper fort et cette sorte de pudeur bizarroïde qui ressemble à de la timidité mais qui, en fait, se rapproche de l'orgueil de l'aigle : surtout planer au-dessus de tout ce qui vous prend vite et fort, parce que c'est trop facile de baigner dans les tripes de tout le monde. Cela vous paraît inclair, mal-limpide, vous ne savez plus où aller. Nous ne savons plus que faire au milieu de ce monde même pas en ruines. Hier est presque complètement détruit, demain n'existe pas. Aujourd'hui ? Un horizon d'incertitudes sans forme, au milieu duquel personne ne peut dire quelle route il faut prendre pour arriver quelque part... Mais, piano et batterie résonnent peut-être dans un des appartements de l'un des immeubles qui donnent sur la cour de la fenêtre près de laquelle vous êtes assis. Une ballade commence, qui vous fait renoncer à cette balade vaguement prévue jusqu'à la Seine. Vous pensez à la nuit qui viendra bien ce soir, avec ses sempiternelles insomnies. Tu prends l'escalator du rêve, tu ne sais même pas pourquoi. Tu décrépis, tu hantes tes propres souvenirs. Tu as repris le train trop vite.
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vendredi, 03 janvier 2014
5 livres au hasard
Je ne savais plus quoi écrire et j'avais besoin d'écrire quelque chose, ou bien de lire. J'ai tendu le bras vers l'étagère où Frédérique m'avait déposé, en vrac, quelques dizaines de livres ayant appartenu à l'ami enfui. En fait, la plupart avait appartenu à son père, qu'il avait peu connu. J'ai pris cinq livres au hasard dans mes mains. Je les ai apportés près de mon ordinateur et je me suis demandé ce que cela ferait de lire les premiers paragraphes de chacun de ces livres. D'abord, j'ai contemplé les couvertures et les titres :
La révolte des pierres, de Léon Groc. Editions de la Nouvelle Revue Critique 1930
Le procès de Charles Maurras – compte rendu sténographique. Editions Albin Michel 1946
La torture – son histoire – son abolition – sa réapparition au XX°siècle, d'Alec Mellor. Editions Les Horizons Littéraires 1949
Alice et la dame du lac, de Caroline Quine. Traduction d'Anne Joba pour La Bibliothèque verte, 1975 (éditions américaine 1972)
Aziyadé, de Pierre Loti. Collection Pourpre, 1946 (édition originale 1879)
Eh bien, maintenant que vous connaissez les titres de ce bouquet cueilli au hasard, suivez-moi à travers les ouvertures de ces ouvrages :
La révolte des pierres, de Léon Groc. Editions de la Nouvelle Revue Critique 1930
Chapitre Premier
Une pierre tombe du ciel
Tout le mal vint de ce maudit bolide... Je fus sans doute le premier à le voir. Dès son apparition, j'éprouvai une sorte d'angoisse. On eut dit que je pressentais les troubles qui devaient résulter de sa chute sur notre planète... En vérité, je lui en voulus tout d'abord de ce qu'il dérangea mon observation et me fit manquer de noter la seconde précise du dernier contact de l'éclipse...
Mais je m'aperçois que j'ai omis de me présenter. Ceux qui liront ce manuscrit voudront bien me pardonner cette incorrection. Je ne suis pas écrivain. Il ne s'agit pas ici de faire œuvre littéraire, mais de renseigner mes contemporains sur les causes de ce que l'on a appelé « La Révolte des pierres »... Ce que j'ai appris, ce que j'ai déduit, ce que j'ai deviné, il faut que l'humanité toute entière en profite, y trouve les moyens de défense contre le retour d'un tel cataclysme... Toutefois, avant de continuer à mettre au clair les notes recueillies sur mon carnet, il sied que j'expose qui je suis – qui j'étais !...
On me nomme Armand Brissot... j'exerce – ou j'exerçais – la profession d'astronome-adjoint à l'observatoire de Paris. J'ai trente ans. Je ne suis pas beau. Mes amis prétendent que j'ai des yeux de poète ou d'enfant – ingénus ou clairs. Je crois que tous les astronomes ont ces yeux là. La contemplation du ciel, l'ignorance de tout ce qui est bas leur donnent la candeur du regard et la sérénité de l'âme...
Et la dernière phrase de l'ouvrage : « Nous donnerons le nom de Robert au fils que nous espérons ... »
Le procès de Charles Maurras – compte rendu sténographique. Editions Albin Michel 1946
Audience du 24 janvier 1945
Le Président – Maurras, quels sont vos nom, prénoms, profession, où demeurez-vous, où êtes-vous né ?
Maurras – Je m'appelle Charles Marie Pothius Maurras. J'aurai soixante-dix)sept ans au mois d'avril prochain. Je suis écrivain français, membre de l'Académie Française : mon domicile actuel est chemin de Paradis, à Martigues (Bouches-du-Rhône) ; j'y suis né le 20 avril 1868.
M. Le Président, s'adressant à M. Pujo - Je vous pose la même question qu'à monsieur Maurras.
M. Pujo – Pujo Marie Alexis, soixante-treize ans après-demain. Je suis co-directeur de l'Action Française. Mon domicile est 7, rue Pépinière à Paris. Né à Lorrez-le-Bocage (Seine-et-Marne) le 26 janvier 1872.
M. Le Président – Soyez attentifs, vous allez entendre la lecture de l'exposé des motifs par M. le Greffier.
Dernière phrase de l'ouvrage : « Pujo et Maurras ont été conduits, pour purger leur peine, à la prison de Riom ».
La torture d'Alec Mellor. Editions Les Horizons Littéraires 1949
Avant-Propos
La Torture a été abolie, en Occident, à la fin du XVIIIème siècle. Jusqu'à une époque toute récente, on pouvait tenir unanimement l'abolition pour définitive, et, en 1929 encore, le maître incontesté de la criminologie espagnole contemporaine, Q. Saldana, allait jusqu'à écrire que la Torture était tombée « dans l'abîme historique des éternelles disparitions ».
Nous-même, qui n'avons jamais cru au mythe du Progrès humain, pensions dans notre jeunesse que sur ce point, du moins, il n'était pas un vain mot. Il était réservé à notre Âge de fer de donner à ces illusions le plus terrible des démentis.
À quoi bon mentir ?
Supprime-t-on un mal en le niant ?
Il ne s'agit plus seulement de bourrades policières ni de pratiques brutales.
Depuis les quelques secondes où le lecteur a ouvert ce livre, combien d'êtres humains on été liés aux sinistres instruments qui servent à « l'interrogatoire spécial » ?
La planète entière est devenue un bagne, et, ressortie de l'abîme, la Torture montre à nouveau aux hommes sa face hideuse.
Et la dernière phrase de ce livre : « Puissent-ils conclure, avec ce livre, qu'il n'est point d'ordre humain construit sur l'avilissement de l'Homme, point de triomphe de classe sur les ruines du Spirituel, point de Justice bâtie sur le crime, fût-il policier».
Alice et la dame du lac, de Caroline Quine. Traduction d'Anne Joba pour La Bibliothèque verte, 1975 (éditions américaine 1972)
Chapitre Premier
Fâcheuse surprise !
« C'est beau !
- Qu'est-ce qui est beau ?
- C'est inquiétant !
- Qu'est-ce qui est inquiétant ?
- C'est amusant mais dangereux ! » termina Alice Roy avec un sourire moqueur à l'adresse de ses amies Bess Taylor et Marion Webb.
Grande et mince, l'allure sportive, Marion prit la parole.
« Tu oublies certainement d'ajouter que c'est hanté. Mais qu'est-ce qui l'est et où est-ce ? »
- L'endroit où nous allons, répondit Alice. Car vous êtes cordialement invitées à vous joindre à moi. Vous acceptez, n'est-ce pas ? »
Devant la mine déconfite de ses amies, Alice eut pitié d'elles.
« Allons, ne faites pas cette tête ! Je vais tout vous expliquer. Tante Cécile a loué une maison pour les vacances : le chalet de la Baie du Miroir ».
Dernière phrase du livre : « Il lui rappellerait aussi la charmante Dame du Lac ».
Aziyadé, de Pierre Loti. Collection Pourpre, 1946 (édition originale 1879)
I Salonique
16 mai 1876
… Une belle journée de mai, un beau soleil, un ciel pur... Quand les canots étrangers arrivèrent, les bourreaux, sur les quais, mettaient la dernière main à leur œuvre : six pendus exécutaient en présence de la foule l'horrible contorsion finale... Les fenêtres, les toits étaient encombrés de spectateurs ; sur un balcon voisin, les autorités turques souriaient à ce spectacle familier.
Le gouvernement du sultan avait fait peu de frais pour l'appareil du supplice ; les potences étaient si basses que les pieds nus des condamnés touchaient la terre. Leurs ongles crispés grinçaient sur le sable.
Dernière phrase d'Aziyadé : « Il a été inhumé parmi les braves défenseurs de l'Islam (que Mahomet protège!), aux pieds du Kizil-Tépé, dans les plaines de Karadjémir. »
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mercredi, 01 janvier 2014
Tous mes amis riaient
Après les préparatifs :
L'eau du bain coule, un étonnement s'élève dans la pièce, très celtique, après le moelleux repos que je m'étais accordé, et je ne sais plus qui je suis, ni où je vais, si je suis là pour quelque chose et si j'arriverai à mourir debout (quelle que soit ma position physique...), heureuse du Grand Départ, heureuse de ce qui fut accompli, en paix. Pour cela il faut d'abord, peut-être, vivre en paix... Guillerettes filles d'Erin, vous dansez ? Je croyais qu'il fallait pleurer – ou rêver ! Pourriez-vous m'entraîner dans votre danse ? Entraînez-moi ! Entraînez-moi ! Je veux vous suivre et rire et m'oublier dans le tournis des fest noz ressuscités !
Après la fête :
Il ne reste que la contemplation du monde après la fête, la nostalgie du soir en suspension, de la nuit en impulsion. Je t'aime, nuit parisienne qui est là, tout près, dehors, et que la lumière de ma lampe dissimule. Mais j'éteins cette lampe. La nuit s'avance, la nuit s'annonce, la nuit d'automne à laquelle le Sanctuaire de ma mémoire va comme un gant. Il est neuf heures et des poussières. La nuit est un sanctuaire. L'automne est une prière. La mort est une lumière. Pour qui sait voir... L'espace d'un instant... Toute la poussière du réel... Toute la lumière du néant. Toute la rêverie du monde. Toute la musique des sphères. Tout la peinture des yeux. Toute la douceur des mains. Toute la solitude des corps. Toute l'atmosphère du soir. Toute la promesse de l'aube.
Oui, toute la promesse de l'aube. Et quelques phrases d'un roman de mon adolescence me reviennent. Il se terminait sur une plage de Big Sur, par ces mots : « J'ai vécu ». Mais chacun a vécu et tout le monde disparaît, très cher Romain Gary.
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