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mercredi, 22 janvier 2014

Zig-zag

Je zigzague dans la ville sous le crachin d'hiver. Je pense à toi. Le jour où tu vis pour la dernière fois ton père descendre vers le garage où il réparait les motos de ses clients, tu ne le regardas même pas. Tu pensais qu'il reviendrait le soir poser les pieds sous la table de la maison impayée. Le jour où j'ai quitté la petite ville d'île-de-France pour ne plus jamais y revenir, je suis passé te dire adieu mais tu n'as pas ouvert la porte. Il me semble que tu étais sous la douche. Il n'était pas encore neuf heures du matin. Je n'avais pas de temps à perdre, un train m'attendait.

J'ai pris le train du Nord.

J'ai eu du mal à m'adapter à ma nouvelle vie : la mer dont j'avais tant rêvé ne ressemblait pas à mes rêves. Elle était lisse et froide. Elle m'enivrait, mais elle me faisait peur. Il n'y avait pas de sable, seulement des galets. La maison dans laquelle je louais une chambre était vieille et craquelante. Les meubles bringuebalaient ; j'osais à peine les toucher. J'avais grandi dans un carré blanc au douzième étage d'un long rectangle gris, au milieu de meubles carrés et rectangulaires en métal. Comment apprivoiser ce vieux bois aux rainures pleines de pourriture et d'odeurs d'un passé méconnu ? Les gens qui passaient dans les ruelles ne portaient pas les habits de notre jeunesse mégalopolitaine. Ils m'étaient étrangers - et j'étais l'étranger, bien que jamais je n'ai senti un regard de travers. Ils pensaient que j'étais né ici, comme eux.

Je me suis habitué à ma nouvelle vie.

Quinze ans ont passé et je revois en songe la cité malade où nous avons grandi sans beauté et sans amour. Je n'ai pas tout de suite reconnu ton visage ; j'ai cliqué sur le lien que les internautes se renvoyaient. C'est au bas de l'article qu'un regard doux et triste a retenu mon attention. Et sur le cou, la boucle de ton tatouage qui descendait jusqu'à l'épaule.

Oh mon ami d'enfance. Si j'avais su rater un train, peut-être aurais tu connu l'évidence que tu comptais pour quelqu'un. Tes mots, ta voix, je me les remémore en trottant sous le crachin nocturne. Les derniers marins boivent au Zinc du Cobra. Ils ont des rires avinés, des yeux désespérés. Ils ressemblent peut-être un peu à l'homme que tu es devenu. Je vais marcher encore longtemps avant de rentrer dans ma tanière, où je boirai trois ou quatre cafés, exprès pour ne pas dormir. Je ne veux pas dormir. Je sais que tu ne m'as pas oublié. Je connais ton cœur.

Tu étais mon seul ami.

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