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mercredi, 25 août 2010

Soliloques de l’errance

I le van,
II la route

III la ligne

 

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I Le van

 

Nous écoutons la radio dans le van
Le vent s’engouffre par les vitres baissées
Et j’ai pris le volant, je conduis vite
A droite comme à gauche le paysage est mystérieux
Magnifique
Etrangement coloré
Nous voyageons avec une femme enceinte
Elle dort dans le van
Je vais passer le volant à quelqu’un
A l’homme qui se tait
Qui rit de temps en temps
L’autre femme est âgée
C’est la plus belle
Elle a quelque chose de différent
Son pull-over tombe, on voit toujours un peu ses seins
Ses cheveux longs et doux flottent dans la lumière

D’immenses champs de blé mûr
De très grands oiseaux bleus
Telles sont les images qui nous entourent
J’ai arrêté le van
Nous sommes seuls sur la route
La route abandonnée
La belle femme différente ôte ses boucles d’oreilles
Elle s’approche de moi
Son pull-over tombe, on voit ses seins comme d’habitude
Ses cheveux longs et doux volent dans la lumière
Son souffle est effrayant
Elle veut souvent montrer qu’elle peut choquer,
Qu’à son âge elle aime encore rigoler
Elle nous emmène si loin
Elle va nous entraîner au-delà des champs de blé
Le ciel bleu-rose s’étend sans fin
Où serons-nous demain ?
Le vent détruit les pensées
La femme enceinte s’est éveillée
Lorsque je voulais être quelqu’un
Avant de quitter mon pays
Je ne savais pas que je mentais
Après ma fuite j’ai rencontré des vrais amis
Et j’ai pu contemplé des visages authentiques

Les paysages splendides
Dans lesquels nous évoluons
Ont brisé les idées, brûlé la raison
Et la vie est devenue dense
Et la vie devient une danse

Un grand soleil multicolore caresse les blés ondulants
Quelqu’un a éteint la radio
Je sors les bières du van
J’en propose à l’homme silencieux
A la belle différente
Au garçon aux yeux verts
J’aime la belle différente
La bière coule dans ma gorge
Et cela pique un peu
Et cela désaltère
On remonte dans le van
Le van va partir
Le van va repartir
Ce voyage finira-t-il un jour ?
J’attends une réponse…

 

II La route

 

La route est étroite, la saab roule lentement. La chienne est inquiète, elle ne dort plus.

Le soir se pose, arriverons-nous quelque part avant que le soleil ne disparaisse totalement ?

Peut-être avons-nous fait une erreur en partant si loin. C’est toi qui as voulu, tu te sentais bien.
Mais voilà que ton ventre te fait mal, il ne faudrait pas que le bébé arrive avant deux ou trois jours.
Les hautes montagnes s’étendent à l’horizon. La route devient vraiment dangereuse. Les derniers rayons de soleil se dissipent. Tu me demandes si nous allons mourir.

Donne à manger à la petite chienne, s’il te plait, elle semble avoir faim. Il reste de l’eau et de la bière. Je ne vois aucun village à l’horizon.

Les cimes des montagnes couvertes de soleil rose s’assombrissent et la route est presque impraticable. Nous allons dormir ici, près du gros rocher. Pourvu que ton bébé n’arrive pas cette nuit… J’arrête la voiture.
Allume ton briquet. Il y a des couvertures dans le coffre. S’il y a des dangers, ma chienne aboiera. Donne-lui à boire, et toi aussi, sers toi.
Je n’aurais pas dû te suivre depuis le début. J’aurais dû m’éloigner quand je t’ai rencontrée. Tu suis ton destin, c’est ce que tu dis. Tu devrais plutôt suivre les conseils de tes docteurs. Un voile sombre enveloppe le paysage aride ; on distingue un lac au creux des montagnes. Ne vois-tu pas des poissons sauter hors de l’eau ?
Tu dis que je dois t’aider à sortir ton bébé. Que sommes-nous venues chercher, loin de toute habitation ? Tu devras me dire un jour la vérité. Nous devons survivre pour ton bébé, et pour ma petite chienne qui respire ton ventre.


Il fait complètement noir, maintenant. Les étoiles scintillent comme s’il neigeait dans le ciel. Tu frissonnes et tu souris, tu sembles heureuse.
Sans la chienne, je n’y serais pas arrivée. La chienne est près de toi, elle souffle sur le bébé, et le bébé s’endort, je crois qu’il n’a pas froid. Entre mes mains, je l’ai tenu quelques instants. Entre mes mains, j’ai senti sa vie.
Sans la chienne, je n’y serais pas arrivée. Elle m’ordonnait avec ses yeux. Elle savait exactement les gestes qu’il fallait. Elle a tiré avec sa gueule. Elle a soufflé sur le petit corps. Elle a mordu pour faire crier. Elle a coupé l’amarre. Elle a léché pour nettoyer. Et je t’ai donné ton bébé. Tu l’as installé dans tes bras.
Le briquet ne s’allume plus. Il nous faut attendre le matin. Le vent souffle dans les montagnes et je retiens les couvertures.
Je ne crois pas à ton destin. Je ne sais pas pourquoi je t’accompagne.

 

Nous roulons vite sous le soleil. La route s’est élargie. La route s’est aplanie. Tu souris, tu nourris ta petite fille. La chienne vous contemple d’un œil sage. Je n’ai pas dormi cette nuit.
Que veux-tu donc trouver en haut de la montagne ? Vas-tu m’abandonner en haut de la montagne ? Je comprends vaguement que tu voulais quelqu’un pour t’emmener…

Nous serons ce soir au sommet de la montagne. Les rayons de soleil chargés de vent, le vent chargé de rayons de soleil, le lac tout en bas qui s’éloigne, tout est calme.
Je sais que ce soir, tu nous diras adieu, à ma chienne et à moi, et nous redescendrons. J’ai peur que tu me laisses ton bébé.
Que vas-tu chercher en haut de la montagne ? Tu nous diras adieu, à la chienne et à moi. J’ai peur que tu nous laisses ton bébé…

 

III La ligne

 

Il fut un temps où je vivais dans une ville.

Je travaillais et j’avais planifié ma vie.

Comme c’est drôle d’y penser aujourd’hui :

J’avais planifié ma vie.

 

Un certain temps que je demeure sans bouger

Sur ce transat, sur cette place ensoleillée.

C’est l’été, il a la mer au bout de la rue.

Ce pays est vraiment beau.

 

Je bois des verres de jus de fruits frais étranges,

Des gens traversent la place, jamais pressés.

Ici, j’ai une chambre dans le seul hôtel.

Que j’aime être de passage.

 

Je songe à l’enfance lointaine quelquefois,

Enfance contrainte, enfance triste, enfance malade,

J’ai abandonné tout ce qu’on voulait m’apprendre.

J’ai cessé d’être quelqu’un.

 

Ma vie est une étrange suite de sensations,

Des sensations douces, subtiles, corporelles.

J’aime les gens que je croise et qui m’accompagnent.

Parfois, je fais des rencontres.

 

Dans des motels ou sur des routes ou sur des plages,

Des rencontres, parfois de vagues amitiés,

On fait un peu de route ensemble, on fait l’amour,

On m’invite dans des familles.

 

Ma vie est-elle un long détour ou un destin ?

Ces longues promenades sur des plages vides.

Ces voyages dans des trains ou dans des bateaux.

Y a-t-il une ligne ésotérique ?

 

Ce jus de fruits frais et moelleux m’emplit de paix.

Parfois, j’envoie des lettres aux gens du temps passé.

C’est l’été, la mer m’appelle au bout de la rue.

Ici, j’ai une chambre d’hôtel.

 

Après mon bain, dans la mer tiède, ce matin,

Je suis allée dans une grande bibliothèque

Me renseigner sur le passé de cette ville.

Les maisons sont belles ici.

 

Je suis arrivée hier par le dernier train.

Je remonte le pays, je suis toujours la cote.

Je compose dans les motels pendant la nuit

Pour gagner de l’argent.

 

Je compose des musiques pour des films incertains.

Une très vieille femme hier soir dans le train

A tiré les cartes et lu les lignes de ma main,

Mais je n’ai pas très bien compris.

 

J’avais des habitudes et quelques certitudes,

Et puis un jour d’hiver, j’ai compris tout à coup.

La viande était moins cuite, l’assiette pleine de sang,

J’étais une criminelle.

 

J’ai hurlé, tout le monde a ri, je suis partie.

J’ai voulu oublier la pensée, les idées,

J’ai voyagé et je n’ai plus voulu rentrer.

Et puis, j’ai vendu ma musique.

 

Sur la plage de sable fin, au petit matin,

Au cours de la balade j’ai rencontré quelqu’un.

Nous avons bu des boissons fraîches sous le soleil,

Nous nous sommes caressées.

 

Elle est descendue elle aussi dans le motel.

On va rester un mois pour boire de cette ville.

Cette femme avait des secrets et des mystères.

Ai-je des secrets ?

Ai-je des secrets,

Ai-je des secrets…

 

Edith de CL, 1999-2003

 

 

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