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vendredi, 31 juillet 2009

La personne, le groupe et l’universel

 

Le van Edith, novembre 08.jpg

 

 

La discrimination consiste à rejeter les gens à cause d’une particularité ; par exemple, en fonction de leur couleur de peau – et l’on parle alors de racisme - de leur sexe, et l’on parle alors de sexisme. 

La discrimination positive reprend ces critères, pour inverser le processus, et contrebalancer les discriminations par des faveurs. Elle consiste donc, rigoureusement, en du racisme positif, du sexisme positif. 

Trois questions surgissent :

Est-ce en allumant des feux qu’on éteint un incendie ?

Devrons-nous faire la différence entre les bonnes et les mauvaises discriminations, et nous satisfaire ici d’avoir été discriminé positivement, pour nous plaindre là d’avoir été discriminé négativement ? 

Notre société humaniste et universaliste peut-elle accepter de considérer une personne, non en tant que telle, mais comme ressortissante d’un groupe qui la définit ? 

 

I La discrimination positive et la raison du plus bête

 

Le critère discriminateur est le même pour la loi qui répare que pour le particulier qui discrimine. La loi respecte donc les critères établis par le sentiment de rejet. Elle adopte ainsi la vision méprisante. Raison est donc donnée au regard discriminateur. 

 

Unir ou désunir ?

La discrimination positive n’aplanit pas les différences, elle les entérine. Nier les différences est sans doute inefficace ; les souligner, les figer, les graver dans le roc de la pensée commune est-il meilleur ? A se focaliser sur la différence, qu’on l’exalte ou la conspue, on la met en valeur. Là, réside un choix de société qui constitue une direction générale de la pensée, séparatrice (clanique) au lieu d’être unificatrice (universaliste). Dès lors, comment demander aux gens de ne pas juger autrui d’après des critères devenus légaux, tel le sexe ou l’apparence physique ?

 

Victimes professionnelles

La discrimination positive crée des situations perverses : être victime n’est plus seulement un fardeau, mais une source d’avancement, professionnel et social. La professionnalisation de la victime ne peut constituer une amélioration durable de notre société. 

Elle s’accompagne nécessairement de la désignation d’un coupable. Le non discriminé « dans la vie » se retrouve grand discriminé par la loi, qui le défavorise au nom de la justice : un coupable ainsi dévolu peut-il accepter indéfiniment un tel rôle, surtout quand, en tant qu’individu, il n’a rien à se reprocher ? Peut-on demander à l’individu innocent qu’il fasse les frais d’actes commis par d’autres, sous prétexte qu’il partage leur sexe ou leur couleur de peau ? Mieux vaudrait faire en sorte que les responsabilités, droits et devoirs du citoyen soient jugés indépendamment de n’importe quelle type d’appartenance identitaire.

 

La couleur

Discriminer - négativement ou positivement - en fonction de la couleur de la peau, c’est forcer les gens à s’identifier à leur couleur. Au Pérou, j’ai entendu des gens que j’aurais pris pour des Indiens hurler aux Indiens « sales indiens !». J’ai aussi vu des hommes que je trouvais blancs parler quechua, vivre comme les paysans indiens, et ils étaient vus comme « indiens » : le statut social et le mode de vie définissaient ces deux catégories. Avec l’influence nord américaine « antiraciste » figée, les gens apprennent à se voir selon les critères de l’antiracisme, qui sont calqués sur ceux du racisme. Il n’est pas rare de voir les gens se vanter d’être des Indiens auprès d’Occidentaux antiracistes et se vanter d’être blancs auprès de leurs concitoyens indiens. 

Le sexe

Quant au sexe, ce n’est pas en pénalisant des hommes au profit de femmes qu’on va assurer l’égalité. C’est l’ouverture des universités et professions aux femmes qui a fait qu’elles sont peu à peu devenues aussi éduquées et libres que les hommes. Les femmes ont mis cent ans à rattraper les hommes : comment s’en étonner ? L’exigence de la perfection immédiate est un déni de la réalité. En Chine, l’égalité entre les hommes et les femmes, proclamée dictatorialement par Mao, n’a pas empêché un véritable massacre de masse féminin. On ne façonne pas durablement les volontés et les idées par décret : ceux-ci n’influencent que les discours : chacun dit ce qui est autorisé, mais les mentalités n’évoluent pas. Les totalitarismes le démontrent : il suffit que la pression se relâche pour voir que rien n’a avancé. La patience face à l’évolution en profondeur est seule efficace. 

 

Les quotas

Les quotas soulignent la différence entre la personne qui est là par son « mérite » et la personne qui est là par sa couleur de peau ou parce qu’elle est une femme. 

Ceux qui réclament la discrimination positive disent parler au nom de la générosité. Ceux qui la refusent peuvent faire de même : des individus noirs aux Etats-Unis, ont préféré renoncer à l’université quand ils ont su qu’ils y étaient reçus pour remplir des quotas. Leur parole serait-elle écrasée par les gens qui disent parler en leur nom ? Un homme n’est pas réduit au groupe sociétal auquel il appartient – il est même censé, en pays humaniste, en pays universaliste, le transcender ! 

 

II La discrimination positive et la loi du plus fort

 

Une apparence d’égalité offerte à ceux qui crient le plus fort à l’injustice ne saurait représenter autre chose qu’une mascarade de justice. 

 

Discrimination et reconnaissance 

Les discriminés les plus discrets seront toujours les plus maltraités. 

Car la discrimination la pire, c’est celle, justement, que personne, jamais, ne dénonce. Les « discriminés positifs » en cachent d’autres, dont on ne parle pas, dont la défense n’est pas promue par les pouvoirs publics.

De toute société émane des discriminations, qui peuvent être officielles, légales, interdites, bannies, selon les lois et les modes. La discrimination positive n’annule pas la discrimination, elle la régule selon ses normes. 

 

L’humanisme, l’universalisme

La discrimination positive nuit à l’humanisme, qui s’intéresse à la personne humaine dans son individualité, et non dans ce qu’elle représente extérieurement. En sacrifiant des individus, elle rompt avec une longue tradition humaniste qui visait justement à ce que la personne humaine ne soit plus victime de son groupe, mais s’en libère et soit protégé pour elle-même. 

 

Si l’on analyse bien les aspects de la discrimination positive, on réalise qu’elle n’est pas universaliste, ni humaniste, puisqu’elle ne considère pas la personne humaine comme la mesure irréductible de toute chose, et préfère sacrifier un individu au service d’un groupe. 

Un tel choix tranche d’avec la culture judéo-chrétienne, humaniste, universelle, laïque. Cet humanisme et cet universalisme ont versé beaucoup de sang, en leur nom violence fut faite. Mais il faut savoir ce qu’on perd, au moins, si on le fait sombrer. Notre société a péniblement, lentement réussi à construire un monde où la personne a le droit d’être seule face à l’universel, où elle est la mesure inaliénable. 

L’humanisme universaliste n’est pas la seule pensée généreuse ; mais c’est lui qui, malgré ses errements, ses violences, crée ce respect de la personne, inaliénable à aucun groupe, à aucun pouvoir. Sans lui, ne risquons-nous pas une société de mafias, d’ethnies, de clans, où sans cesse le groupe se dresse entre l’individu et sa liberté ?

 

Par delà les identités apparentes…

Nous devrions refuser une gestion qui délaisse notre valeur inaliénable d’êtres humains, pour nous classer avec des critères de mesure fondés sur notre apparence extérieure et notre statut social. Un calcul permanent serait dès lors utile pour faire privilégier un groupe ici, défavoriser un autre là. Et ces humains parqués dans des identités artificielles se regarderont avec défiance, les groupes en concurrence se dressant les uns contre les autres. 

Quelle négation de la richesse et de la complexité des interactions humaines ! Quel Etat, quelle société peut ainsi mesurer toute la vie en vue d’un monde parfaitement équitable ? Refusons le meilleur des mondes, et tâchons de faire le meilleur dans un monde qui a toujours, partout, été épouvantable. 

 

édith de cornulier lucinière

mercredi, 29 juillet 2009

Psaume

 

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Photo Sara.

 

Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais ! 

Tu sais quand je m'assois, quand je me lève ;

de très loin, tu pénètres mes pensées. 

Que je marche ou me repose, tu le vois,

tous mes chemins te sont familiers.

Avant qu'un mot ne parvienne à mes lèvres,

déjà, Seigneur, tu le sais. 

Tu me devances et tu me poursuis, tu m'enserres,

tu as mis la main sur moi.

Savoir prodigieux qui me dépasse,

hauteur que je ne puisse atteindre !

Où donc aller, loin de ton souffle ? 

Où m'enfuir, loin de ta face ? 

J'avais dit « les ténèbres m'écrasent »

mais la nuit devient lumière autour de moi.

Même la ténèbre pour toi n'est pas ténèbre,

et la nuit comme le jour est lumière !

C'est toi qui as créé mes reins,

qui m'as tissé dans le sein de ma mère.

Je reconnais devant toi le prodige,

l'être étonnant que je suis :

étonnantes sont tes oeuvres

toute mon âme le sait. 

Mes os n'étaient pas cachés pour toi

quand j'étais faonné dans le secret,

modelé aux entrailles de la terre.

J'étais encore inachevé, tu me voyais ;

sur ton livre, tous mes jours étaient inscrits,

recensés avant qu'un seul ne soit !

Que tes pensées sont pour moi difficiles, 

Dieu, que leur somme est imposante !

Je les compte : plus nombreuses que le sable !

Je m'éveille : je suis encore avec toi. 

Scrute-moi, mon Dieu, tu sauras ma pensée

éprouve-moi, tu connaîtras mon coeur.

Vois si je prends le chemin des idoles,

et conduis-moi sur le chemin d'éternité. 

 

 

(Tu étais là, mon Dieu, mendiant de moi

tu étais là, discret, tu m'attendais,

tu étais là, et tu m'aimais)

lundi, 27 juillet 2009

Ma rencontre avec Anne-Pierre Lallande, chrétien, anarchiste, antispéciste

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Phot Sara

 

Par Katharina Flunch-Barrows

Anne-Pierre avait de longs jeans qui pendaient autour de ses longues jambes et il flottait dans des chemises blanches, bleues, vertes, toutes délavées. Il avait une voix légère comme celle d’un oiseau et rassurante comme certaines voix des hommes. Il avait des cheveux blonds un peu ondulés qui voletaient autour de son visage, dans le vent du matin. Il parlait peu ; il parlait bien. Il mangeait peu ; il mangeait bien. Il aimait peu ; il aimait dans l'abnégation de lui-même.
C’était Edith qui me l’avait présenté. Elle me présentait les hommes qu’elle aimait parce qu’elle ne savait que faire avec eux. Elle sentait cette proximité, et en même temps une immense barrière qui lui interdisait de se rapprocher d’eux. C’eut été trop dangereux. Je parlais déjà bien français et j’étais heureuse de pouvoir échanger des idées avec cet homme beau, ou plutôt aimable et frais, charmant et secret. 

J’ai tout découvert peu à peu, au fur et à mesure que nos relations s’approfondissaient : la croix autour du cou ; son chien Jumbo-Roi ; le vieux manoir de son amie Esther, où il allait se ressourcer et faire courir son chien. Et les vieux livres des anarchistes d’alors et d’antan. Raoul Vaneigem et La Boétie ; Bakounine et Tolstoï ; Victor Serge et Pic de la Mirandole. Il y avait aussi, dans sa bibliothèque, Giordano Bruno et les Cahiers antispécistes, James Douglas Morrison et Sainte Thérèse d’Avila.
Il avait aimé Catherine de Sienne et avait cessé de manger lors de longues séances d’adoration de la sainte. Il avait allumé des cierges dans des églises et brûlé des affiches dans les rues de la révolte. Il avait couru dans les manifs et mangé dans les camps de gauche et dans les camps de droite. Il avait vécu et senti beaucoup de choses et il en était revenu profondément triste. Quelque chose n’allait pas, mais son sourire tendre, teinté d’humour, plus rassurant que rassuré, nous berçait et empêchait, par une paresse toute confortable, toute égoïste, de s’intéresser au fond du cœur d’Anne-Pierre. On croyait l’aimer : c’était qu’on était content qu’il nous aime.
Bien sûr, beaucoup de regrets surgissent, en cascade, navrants, navrés. Je ne suis pas la seule : perdre quelqu’un, c’est se rendre compte, bien souvent, de tout ce que l’on n’a pas su dire ; de tout ce que l’on s’est retenu de donner. Un voile de pudeur métallique empêche ceux qui s’aiment de se le dire, surtout si leur amour n’est pas d’une forme reconnue. Hors la vie amoureuse et la vie de famille, quel est le statut de l’amour ? Et pourtant n’est –ce pas l’amour, ces tendresses et ces souffrances que l’on ressent pour ceux qu’on croise, et qu’on recroise, auxquels on pense et qui, un jour, partent et ne reviennent plus. Ils n’existent plus. Ils ont disparu. Le monde continue sans eux et ils ne reviennent qu’en images lointaines peupler les cerveaux de ceux qu’ils ont aimé. 

Anne-Pierre, anarchiste, catholique, antispéciste, féministe, et si modéré au fond. Modéré, pas par lâcheté, mais par une connaissance trop parfaite de trop d’univers trop différents. Ma vie, au moins, aura été changée par ta présence, par ce que tu étais. Je ne suis sûrement pas la seule. Je ne regrette pas que Jumbo-Roi soit parti avec toi (qui t’aurait remplacé auprès de lui ?) Et il me reste le ciel et les oiseaux, les nuages et la lumière du boulevard dans le matin, pour rêver de toi et te parler tout bas. 

 

Katharina F-B, lundi 27 juillet 2009, après un dîner de crêpes et bière à Buenos Aires, in mémoriam.

 

Traduit de l’espagnol argentin par Edith CL et Kyra Portage

 

 

Para ti

 

 

Cosmos 2.jpg
Phot Sara

 

 

Je m’adresse à vous, mon Dieu

Car vous seul donnez

Ce qu’on ne peut obtenir que de soi.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste.

Donnez-moi ce que l’on ne vous demande jamais.

Je ne vous demande pas la richesse,

Ni le succès, ni peut-être même la santé.

Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement

Que vous ne devez plus en avoir.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste,

Donnez-moi ce que l’on vous refuse.

Je veux l’insécurité et l’inquiétude.

Je veux la tourmente et la bagarre,

Et que vous me les donniez, mon Dieu, 

Définitivement.

Que je sois sûr de les avoir toujours

Car je n’aurai pas toujours le courage

De vous les demander.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste,

Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.

Mais donnez-moi aussi le courage

Et la force, et la foi.

Car vous seul donnez

Ce que l’on ne peut obtenir que de soi.

 

 

André Zirnheld

samedi, 25 juillet 2009

A travers Paris

 


Dans ma ville imaginaire des fauteuils de velours sont posés au bord des autoroutes. La fontaine de whisky clapote gentiment derrière nous. Edith Morning est assise à côté de moi et nous parlons anglais. Quelques drag queens fument de longues cigarettes dans des pantalons serrés, leurs rouge à lèvre fait un cercle de rouge sur le papier blanc des cigarettes et partout dans la ville de grandes croix magnifiques dominent le paysage et nous rappellent qu’Il est ressuscité. 
 

Quelques cathédrales antiques ont subsisté et gardent leur dignité au milieu des hautes tours. La voix d’Arthur Rimbaud et sa chanson de la plus haute tour me rappellent mon père et ma jeunesse perdue. Un immense hôpital psychiatrique se dresse loin derrière l’autoroute, et clignote de lumières vertes et bleues et rouges, si artificielles. Les étoiles sont trop haut pour qu’on les voie, mais on les imagine.
 

Au milieu de la mégalopole un grand champ inviolé réinvente le silence : c’est le retour du pu’uhonue
 

Les gens prient. Ils fument, boivent, s’embrassent et prient, l’administration est laissée à l’abandon.
 

Personne ne fait l’amour sans allumer des lumières étranges qui donnent aux corps un velouté, sans boire des ambroisies qui donnent aux voix un velouté… Les voitures glissent sans cesse dans le frénétique agencement des routes et les piétons escaladent de grands escaliers sous la pluie, certains escaliers sont si hauts qu’ils surplombent la ville. 
 

Un homme qui marche récite une prière mélangée : je m’adresse à vous, mon Dieu, car vous donnez ce que l’on ne peut obtenir que de soi. 
 

Aux derniers étages de certaines tours des voyants lisent l’avenir et le mélangent au passé, pour réconcilier leurs patients avec l’instant qui passe et qui trépasse sans cesse mais malgré tout demeure. Feuilles, plantes, cactus géants se mêlent au mobilier urbain. La ville est esthétique. Sois belle et tais-toi, lui disons-nous impétueusement. Elle est belle, et elle hurle. 
 

La ville abrite plusieurs forêts qui s’enchevêtrent et possèdent des étangs. Ces forêts sont aussi dangereuses que celles faites de béton et de macadam. Les forêts naturelles, jungle de terre et de végétaux, luxuriantes dégoulinades de plantes et de bêtes, sont des lieux de cruauté, de brutalité, de survie et de mort. Les forêts urbaines, jungles d’asphalte et de réverbères, longs corridors saccadés de métal et de goudron, sont des lieux de cruauté, de sophistication, de vie et de dépérissement. La ville et ses forêts naturelles s’épousent et un océan vient les noyer à l’Ouest. 
 

Un sacré cœur pend au toit d’une maison, car un homme devenu femme pour prendre les armes féministes y lit les mémoires de Renée Bordereau, sa sœur d’une autre guerre, d’un autre temps. 
 

Nos cœurs sont des ports. Mais ils n’ont pas d’amarres. Les bateaux ne peuvent que les narguer. 
 

Dans ma ville imaginaire des fauteuils en velours sont posés au bord des routes. à une fontaine de whiskey je nous ressers deux verres. Edith Morning est assise à côté de moi et nous nous taisons en anglais. 
 

Esther Mar, mercredi 12 mars 2008, avant le crépuscule.
 

 

 

 

 

samedi, 18 juillet 2009

Liberté, égalité : Au delà du "pride" et du "phobe"

 

baignoire 2008.jpg

 

 

1 émergences des mouvements en quête de droits 

 

L’année dernière (en 2006) eut lieu une « pute-pride ». Sur le modèle de ces pride qui prolifèrent (la gay pride, la veggie pride… qui laissent les homosexuels dignes et les végétariens dignes dans la plus profonde consternation…), les putes ont marché pour avoir le droit d’être putes. Intéressé, je me suis inscris à leur lettre de diffusion. Au bout de quelques mois, étonné de certains propos, je me suis renseigné plus en profondeur. Constituées principalement d’hommes, ceux qui s’appellent « les putes » ne reflètent absolument pas la majorité des prostituées de nos villes.  

 

Les mouvements de libération deviennent étranges : ils convergent tous vers le même genre de militance, copié sur les mouvements des minorités américaines, principalement les mouvements noirs, sans forcément que cette militance soit adaptée au sujet.
Ils créent de rien une culture commune censée tous les représenter ; ils créent des slogans autoglorificateurs (comme l’étaient les slogans « black is beautiful », « I am young, gifted and black ») ; ils confondent finalement le fait d’être ce quelque chose minoritaire avec le fait d’avoir des droits.
Or, c’est simplement le fait d’être un être humain qui confère des droits.
Le résultat de cette confusion m’interpelle : ce n’est plus contre la zone de non droit qu’ils combattent ; au contraire ils luttent pour une zone de surdroit, de surcroît collectif. 

Le fait, par exemple, que les mouvements homosexuels déclarent qu’il faut l’égalité des couples (et non plus l’égalité des personnes face au mariage, ou des sexualités face au mariage) montre bien que la revendication sonore et collective prime sur la pensée du droit. 

 

2 pride et phobe

 

Ces mouvements cherchent à imposer, sous prétexte que c’est le seul moyen de lutter contre la discrimination qui les atteint, une morale dominante douce à leur égard. Le paradoxe de ces minorités voulant que leur théories deviennent dominantes, c’est qu’elles affirment tenir leur légitimité de la majorité des gens qui les constituent. Or, la majorité, ils devraient le savoir, n’est pas un critère absolu. Par ailleurs, on sait bien que la majorité (de la population ou d’une minorité) s’obtient par la publicité. 

 

Nous avons donc une gaypride. On y clame des slogans contre l’homophobie. 

Mais sur le site de la veggie pride, on s’acharne contre la végéphobie. 

Quant aux putes (voyez leur site lesputes.org), elle veulent que soient punis par la loi les propos putophobes. 

 

Les mouvements de militance actuels sont donc axés sur le pride et le phobe

 

Ce système de revendications consiste à considérer tous les maux qui paraissent moindre comme anecdotiques, et tous les maux qu’on veut mettre en avant comme emblématiques. Par exemple, s’agissant de la parité ou des quotas ethniques, la situation de la victime de la discrimination positive est anecdotique, tandis que celle la victime de la discrimination « négative » est emblématique et on doit donc lui porter toute notre attention. 

Pourtant, ce n’est pas en montrant du doigt un symbole qu’on cessera le montrage du doigt généralisé.

 

3 La recette

 

L’éclosion de ces mouvements est charmante ou irritante, selon nos opinions… 

En tout cas la recette est désormais établie. Si vous voulez créer un courant fort pour votre minorité, suivez le modèle.

 

constituer une identité (valeurs communes, sigles, submode, vocabulaire, nouveaux concepts…)

fonder cette appartenance commune comme quelque chose d’inaliénable, mais à cheval entre le choix et inné (j’ai le droit de choisir d’être cela parce que je n’ai pas le choix !)

faire émerger une fierté et des revendications communes

organiser une marche

réclamer des droits spécifiques fondés sur l’imitation des droits auxquels ils n’ont pas accès, repabtisés « droits des groupes dominants »

créer un ennemi, un Phobe (homophobe, vegéphobe, putophobe)

réclamer la punition de l’ennemi, et qu’il écope d’une amende chaque fois qu’il ouvre sa gueule contre nous

agacer tout le monde, hors de la NI (nouvelle identité) mais aussi au sein de la NI

 

Bien sûr, il y a des complications, notamment un risque d’accumulation de privilèges dus à une surexposition aux discriminations (femme noire homosexuelle pute végétarienne), accumulation qui laisse le discriminateur potentiel (homme blanc hétérosexuel fidèle carnivore) très exposé puisqu’il est sans cesse pris à parti. Il paye pourtant tous les pots qu’il est censé avoir cassé et qu’il n’a en général jamais eu l’intention d’abîmer. 

 

Voilà.  La quête de la liberté ressemble parfois à une belle soif de liberté, parfois à une avidité consommatrice. En effet, les réclameurs de droits ressemblent plus (structurellement) à des associations de consommateurs réclamant des abonnements téléphoniques préférentiels qu’à des êtres humains refusant les chaînes. Pourquoi les « réclamations » relèvent d’un comportement de consommateurs ? Parce que nous sommes dans une société de consommation, et que la consommation pénètre tous les pores de notre vie, notamment la vie politique. Puisque la consommation domine, elle domine en pensée. 

 

4 Ni coupables, ni victimes : libres !

 

Le slogan que les putes (non représentatives puisqu’en majorité masculins, mais assez malhonnêtes pour se dire représentatives…) de la pute-pride clamaient en chœur était : ni coupables ni victimes, fières d’être pute.

La première moitié du slogan est magnifique : ni coupables ni victimes. Ni coupable, ni victimes d’avoir la liberté de vivre en liberté. 

Quant à leur fierté, ils et elles ont de la chance : cela fait longtemps que je ne suis plus fier de rien.

 

5 Comment favoriser la liberté ?

 

Au nom de l’antidiscrimination, toutes ces revendications souhaitent, au fond, obtenir le silence total et éternel de leurs ennemis. Car toute forme de désapprobation publique est vécue comme une atteinte au bien-être.
La liberté d’expression est ainsi considérée comme moins importante que le bien-être des individus. Mais c’est oublier que le bien être des individus dépend aussi de leur liberté d’expression. Alors mieux vaut que des gens puisse vous dire des choses qui vous déplaisent et que vous puissiez répondre plutôt que d’établir des silences forcés sur tous les sujets qui concernent les êtres humains. Si le silence est forcé, un monstre risque d’émerger, encore plus fort. On ne tue pas une pensée, on l’assomme un temps donné ou on la rend caduque. Et on ne la rend pas caduque en l’assommant !

Comment alors préserver un espace de vie assez large pour tous, sans que l’oppression sociale écrase ceux qui ne suivent pas les autoroutes ? 

 

Axel Randers

mercredi, 15 juillet 2009

Une cabane au fond de la forêt...

 

 

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phot Isabelle Ferrier & VillaBar

 

Costards cravate et tailleurs : les habits de la castration. Ils ne sont pas faits à notre image et à notre mouvance : c'est nous qui nous faisons à leurs formes fixes et raides. Ils ne nous structurent pas ; ils nous rigidifient. Ils nous éloignent de notre animalité mais ne nous rapprochent pas de notre humanité. Le vêtement social actuel n'accompagne pas le corps dans ses mouvements : il les limite, les contient, les empêche.

 

Oserais-je ?

J'oserais aller vivre en Chine ; j'oserais changer ma vie parisienne pour partir au sein d'une association qui construit des écoles en Afrique ; j'oserais vivre une histoire d'amour avec une femme ; j'oserais vivre avec un homme : j'oserais vivre tout cela devant les autres, quel que soit leur regard... Car nous serions tous dans la même prison.

 

J'aimerais vivre dans une cabane, au creux d'un arbre, dans une forêt, mais je n'ose pas. J'ai peur.

 

Mort sociale

 

J'ai peur des bruits et du silence.

Peur du face à face avec l'être animal, l'autre animal – l'animal muet qui, lui, n'a pas perdu son être au monde et sait vivre entre la liberté et l'inquiétude, entre le désir et le manque, sans tout construire pour oublier la fragilité de son être.

Par-dessus tout, j'ai peur de la fermeture des coeurs des autres. Si je dis : je pars vivre dans une cabane, on rit. Si je pars vivre dans une cabane, combien de gens voudront encore me considérer comme un être humain fréquentable ?

Je ne sais pas si je me sentirais vivre en vivant réellement : peut-être au bout d'un certain temps, je me sentirais à nouveau vivre. Mais au début, je sentirais trop la mort sociale. La mort sociale est-elle une mort complète ? Les clochards qui hantent nos rues, les pisseuses d'Afrique mises au rebut du Monde, sont-ils autant vivants que nous ?

Je désapprendrais trop vite toutes les complications administratives, toutes les formalités que nous devons accomplir pour subvenir à nos besoins et prendre la moindre initiative. Je penserais plus librement et ne parviendrais plus ensuite à penser dans le moule. Je quitterais le zoo pour redevenir un animal sauvage et libre. Mais alors ensuite je n'aurais plus accès à la communauté humaine.

Comme ce clochard qui ne s'est pas assis sur le banc à mes côtés, mais au bord du caniveau, sur le béton, parce qu'il savait qu'il était mort socialement. Aux yeux hypocrites des citoyens humanistes, il n'est plus de notre race.

 

Les animaux sont-ils aussi vivants que nous ? Leurs individualités sont elles aussi importantes et profondes que les nôtres ?

Sommes-nous quelqu'un en dehors des autres ? Serais-je quelqu'un d'autre au fond de la forêt ? Sommes-nous vraiment des êtres humains ?

 

Communion

 

Oserais-je vivre dans une forêt ?

Oserais-je :

Le silence qui étreint ;

Le lien direct avec la fragilité de la vie, avec la puissance de la mort ;

Le temps sans horloge, le temps qui s'étire presque infiniment ;

La présence menaçante, incompréhensible des autres espèces animales, celle des végétaux

Le noir sans pitié de la nuit

Le feu, son invitation au songe, à la transe

 

Ces « choses » me permettraient de développer mon intuition, de vivre en communion avec les éléments qui m'entourent, peu à peu mes sens reprendraient leur déploiement animal – la vue, l'ouïe, le toucher, l'orientation, l'odorat, ...

 

Le courage ne vient pas. Malgré la liberté qui crève au fond de mon corps... Malgré la force et le courage qui s'éveillent par instants. Malgré la promesse d'un lieu sans pollution. Malgré le rêve... Malgré la mort délivreuse qui sonnera et effacera tout, les meurtrissures et les glorioles sociales.

 

Quel est le sens, quelle est l'essence de notre vie ? Se jeter dans la mêlée ou s'en retirer, ou encore hésiter toute une vie au milieu des hommes ?

 

Oser vivre, c'est trop difficile parce que c'est accepter de mourir dans le coeur des autres.

Où trouve-ton le courage d'oser vivre ? En soi ? En quelqu'un d'autre ? En une idée, un idéal ? En un rêve ? Y a-t-il un appel, de la forêt, de la mer, de l'art ou de Dieu ? Peut-on décider de son destin, un jour, comme ça, parce qu'on y pense ?

 

De l'autre côté

On n’est jamais seul dans une forêt puisqu’elle est toujours peuplée d’arbres.

 

J'aimerais faire connaissance avec l'autre moi, l'autre substance : la puissance, l'immensité, l'étrangeté, l'Esprit.

 

Vertige de tout quitter. Et pourtant, dans cent ans, tout cela n'aura plus aucune importance : nous serons  morts...

 

Les lambeaux de mon être : tous ces silences, tous ces espaces arides et non civilisés de mon être m'étranglent parfois, dans la ville, au milieu des voitures.

 

vendredi, 10 juillet 2009

Philosophie d'un grabat d'asile

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Nous, les psychotiques, nous comprenons que les hommes en blanc, les femmes en blanc, sont des criminels cachés, déguisés. Ils sont venus car c’est ici qu’ils peuvent détruire. Il détruisent des corps, des âmes, des vies, des passés, et surtout des avenirs. Ils détruisent l’essence même de l’être, de l’être autre. Nous sommes enfermés, à leur merci, parce que nos visages diffèrent, nos mots diffèrent, parce que nous avons crié ou frappé, une fois, plusieurs fois, ou simplement une fois de trop. Nous, savons ce que les contours de votre société dissimulent, nous qu’elle a charrié de l’autre côté de sa frontière, dans les zones vagues et blêmes de la folie. Elle nous a nommé les innommables pour mieux justifier ses crimes. Désormais nous observons les gardiens de l'Ordre mental, les hommes et les femmes en blanc, frères d’armes des hommes des abattoirs et des gardiennes de prison. Nous sommes une école, en noir. Un cagibi, en pire. Un miroir que jamais vous ne regarderez.

 

 

édith de cornulier lucinière

dimanche, 05 juillet 2009

Ne me quitte pas, ma langue

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Ne me quitte pas
Je t'inventerai
Des mots insensés
Que tu comprendras

Je suis assise à ma table de travail et mon regard flotte autour de moi. J’écris une lettre électronique à un ami.

Je tente de décrire ce que je vois en quechua, et bute contre l’absence de mots : absence de mots pour décrire les objets qui m’entourent, les matériaux dont ils sont faits. Absence de mots.

Au-delà de l’absence de mots, la différence entre les modes de pensée : combien de temps et de travail faudrait-il pour traduire la couverture d’un magazine économique ou culturel urbain en quechua ? Hélas, le contraire n’est pas vrai : il est plus facile d’expliquer l’intraduisible en français qu’en quechua. Parce que, de par l’ampleur ou la petitesse de leur influence culturelle, les champs que ces langues englobent, sont sans commune mesure : l’une est confinée à un monde coupé du monde, l’autre fait le monde.

Mes doigts tapotent au hasard sur le clavier de mon ordinateur et je cherche maintenant à écrire en tahitien. Mais, si les obstacles sont différents, le problème demeure.

Où sont passées ces langues ? Elles sont restées là-bas, très loin.

Je te parlerai
De ces amants-là
Qui ont vu deux fois
Leurs cœurs s'embraser

Un pincement au cœur, je me souviens de conversations entre citadins péruviens en quechua : des paysans andins, qui parlent quechua quotidiennement, ne pouvaient pas comprendre le sens de ce qui se disait : le quechua « moderne » et le quechua « traditionnel » sont deux langues qui s’éloignent l’une de l’autre et ne se comprennent plus. La première est trop envahie par l’espagnol pour tenir, et la seconde est trop loin de l’espagnol pour tenir.

Lors de mes devoirs de tahitien, j’employais des mots présents dans le lexique franco-tahitien : ma professeur, tahitienne, me demandait ce que j’avais voulu dire : ce mot n’existe pas ! puis je lui montrai le dictionnaire et elle levait les yeux au ciel, soupirant sur toutes ces inventions vaines de l’académie tahitienne.

Je te raconterai
L'histoire de ce roi
Mort de n'avoir pas
Pu te rencontrer

Peut-on moderniser une langue et la façon de l’employer sans détruire la pensée dont elle témoigne ?

Quand j’écrivais des poèmes en tahitien avec mon amie tahitienne, elle rougissait souvent et voulait revenir au français, me disait qu’elle avait honte de penser de telles choses dans sa langue : la pensée moderne, qui laisse l’individu seul face à une multitude de choix et d’idées qui ne s’insèrent pas dans une tapisserie culturelle unie, fait presque peur exprimée dans ces langues, comme une transgression.

On a vu souvent
Rejaillir le feu
D'un ancien volcan
Qu'on croyait trop vieux

Les locuteurs abandonnent leur langue en venant à la ville : ce n’est pas seulement par attirance pour la modernité ou par honte de leurs origines, mais parce que leur langue n’épouse plus leur réalité quotidienne. Le radicalisme qui consiste à plaquer la pensée et les concepts de la langue dominante sur la langue traditionnelle la tue sans doute autant que de l’abandonner.

Il est paraît-il
Des terres brûlées
Donnant plus de blé
Qu'un meilleur avril

Sauver les langues… Mais si elles ne sont pas portées par une réalité quotidienne riche et fluide, comme nos langues vivantes, ou si elles ne représentent pas une lumière collective, un idéal – comme l’hébreu -, comment pourrait-on aller contre le sens du vent, des marées, du temps ?

Et quand vient le soir
Pour qu'un ciel flamboie
Le rouge et le noir
Ne s'épousent-ils pas
Ne me quitte pas

Peut-être que sauver ces langues, c’est accepter de voir qu’elles n’ont pas accompagné un changement, et continuer à dire des choses mortes… Cela les ferait peut-être revivre…

Ne me quitte pas

Ne me quitte pas… Mais qui pleure, qui parle ? La langue au locuteur, ou le locuteur à la langue ?

 

 E CL