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jeudi, 31 juillet 2014

Musique d'un exil provincial

Vous lisez un texte qui fut chargé de liens qui coulaient entre ses veinures. Cliquez, visions sonores, images parlantes, qui sait ? L'écriture automatique n'a rien d'un tempo machinal. Mais les liens sont morts. Désactivés.

Les victimes des dictatures du monde entier souffrent de l'exil. Moi je ne fais que hanter les rues d'une province, à quelques heures de train-grande-vitesse de la capitale. Aussi mon exil est-il indicible, et je ne dis rien d'autre que ma joie du soleil. Grande joie du soleil, tu inondes mon être et tu accompagnes cette étonnante prolongation musicale qui a lieu jour après jour depuis la première fois où j'ai mis de la musique dans cet appartement éphémère.

J'ai des périodes planantes, atmosphériques et minimalistes . Dakota Suite. Hammock. Yellow 6. Biosphere

J'ai de longs tunnels de souvenirs. Dire Straits. U2.

J'ai des phases d'ascenseur. Tord Gustavsen Trio.

J'ai des descentes classiques, bien que ce mot ne convienne strictement pas à la musique qu'il englobe. Wagner. Schubert. En fait, il faudrait éliminer ce mot ridicule de classique et orienter les musiques selon d'autres catégories. Je m'y emploie :

Frank Martin, Francis Poulenc, Klaus Nomi et Nina Hagen, tous fils de l'épopée classieuse teintée de punk.

Dans la blancheur presque triste et si monotone de la ville tranquille, les affiches sur les devantures ou les radios dans les cafés parlent du vaste monde. Bombes sur la Palestine, attentats suicides sur Israël, et leurs émules dans les rues de Sarcelles, Paris, Marseille. Guerres importées par l'immigration, guerres exportées par les besoins insatiables du capitalisme en Syrie et en Afghanistan, destruction de pays au nom de la démocratie et des droits de l'homme, catéchisme souillé par ses clercs, comme tous les catéchismes. Christ trahi par les églises, droits de l'homme trahis par ceux qui en vivent (Proudhon : « la pensée d'un homme en place, c'est son traitement »).

Interzone, je te suis dans les méandres mécaniques de ton tempo trop lent. Tu sais détruire les fragiles édifications intellectuelles, tu sais effacer les dialogues trop ressassés.

Vidéos pour faire le vide. Contrairement à une voiture qui s'arrête à des stations essence pour faire le plein, je dois quelquefois cesser toute action pour faire le vide. Le miroir s'enfonce dans le miroir dans un château bourguignon, non loin de Montréal. Des images se succèdent, défilé à peine lyrique des formes pures. Ou quel fou laissa ce bateau amarré voguer quand même de longues minutes sous le joug sonore scandinave ?

Tout cela ne vous emportera peut-être pas aussi loin que mon rêve. Chacun, nous avons nos rêves, qui qui sait d'où ils viennent et où ils iront. La vie qui nous est donnée est courte et amputée déjà, dès le départ, par l'atrophie des pensées et des sentiments. Nos sensations nous blessent ou nous exaltent, mais les voilà déjà parties. Je me regarde dans la glace comme la plupart de mes contemporains, cette foule sans idéaux, et je ne sais pas qui je suis. Peu importe, le temps passe, la mort viendra bien, bien avant que j'aie tenté quelque chose. À moins que je n'essaye dès aujourd'hui ? Lire, écrire, penser, agir, construire quelque chose, là où la loi a oublié de l'interdire, là où le regard d'autrui ne songe pas à se poser.

Ils reviennent de vacances et déploient leurs photographies mais je n'ai aucun album à dévoiler de mon grand voyage intérieur. Pourtant j'ai vu des choses, sombres et pleines de lumière, le matin et le soir, et j'ai vaincu le Temps.

Peut-être aussi que j'écoute les départs pour oublier le Départ ; peut-être que je fuis les tropiques parce que j'attends les Tropiques. Peut-être que je vois des bulles pour être soûle, soûle, soûle. Peut-être qu'une étoile m'a ouvert des portes de la perception ?

C'était l'époque où je cherchais partout quelqu'un que je ne rencontrais pas, quelqu'un qui ait du charme, un charme fou et irrécupérable. C'était l'époque des arbres teintés de tous les verts nacrés dans la forêt touffue d'un décembre doux. Une forêt montagnarde où les feuilles des arbres ne tombent pas. Je voudrais réussir cette acrobatie, d'être fière de moi sans que personne ne soit jaloux de moi. Je voudrais vous éclabousser de mes rêves et de mes toiles d'araignée, de mes baisers de pluie, de mes rires éclatants, sans que vous en preniez ombrage. Les charismes nés de tromperies ou de mensonges ont des postérités désagréables.


Un autre jour ou dans un autre cauchemar (comment savoir?) une femme commentait négativement sa vie. L'insatisfaction se focalisait sur le destin qu'elle n'avait pas choisi. Il faut choisir, choisir, car toutes les erreurs valent mieux que l'aigreur d'avoir laissé passer les événements sans jamais rien en décider. Mieux vaut mille erreurs que l'aigreur. Mieux vaut des nuits sur le bitume que sur une couette trop d'amertume. Si tu ne choisis rien, choisis au moins de ne pas choisir, et que ton sacrifice soit consenti en héros qui porte sa croix.

Mar desconocido, mer inconnue, mer intérieure, mer amère et trop profonde, mer silencieuse de méandres et d'abysses, mer muette, mer peuplée de poissons et de créatures qui se désintègrent dès que la lumière les capture. C'est toi que je veux conquérir, toi qui brasses tes tonnes aquatiques à l'intérieur de mon corps, et pour cela je n'ai qu'à fermer les yeux. Tous les tours du monde trompent l'ennui. Toi, tu es brute, trop brute, étrangère à la tricherie. Tu m'appelles, tu m'attends, je te crains et je t'aime.

Tu m'emporteras.

Mais pour l'heure, le soleil tourne dans la cour comme un moulin. Le vent écoute sa propre voix. Au loin les passants conversent sans y penser, sur le chemin de la ville qui mène aux dunes.

Une femme écrit un texto qui mentionne « une couleur, une ampleur, une musique jusque-là inconnues ». Je crois entendre la poésie magnétique qui nous garde, enlacé(e)s à l'existence comme un fruit à son arbre.

 

Bande originale de cette errance :

Because our lie breathes differently - par Dakota Suite

I can almost see you - par Hammock

Maré - par Yellow 6 (alias Jon Atwood)

Laïka - par Biosphere (alias Geir Jenssen)

Water of Love - par Dire Straits

Numb - par U2

Being there - par Tord Gustavsen Trio

Extrait des pèlerins de Tannhauser - par Richard Wagner

Standchen (Sérénade) - par Franz Schubert

Messe pour double chœur - par Frank Martin

Finale du Dialogue des Carmélites - par Francis Poulenc

The Cold Song de Purcell - interprété par Klaus Nomi

Naturträne - par Nina Hagen

Interzone - par Serge Teyssot-Gay et Khaled AlJaramani

Spiegel im Spiegel, d'Arvo Pärt - interprété par Esmerine au château de Monthelon

Between Signal & Noise - par Eivind Aarset et Nils Petter Molvaer

Le départ - par Amandine Maissiat

Tropiques - par Amandine Maissiat

Soule - par Amandine Maissiat

Film :

The third & the seventh - par Alex Roman

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samedi, 01 février 2014

La vie tranquille de Dylan-Sébastien M-T

 Tu t'appelles Dylan-Sébastien M-T et tu vis dans une maison du port des Sables, qui comporte trois étages d'une pièce chacun (le salon-bar, la chambre, le bureau-chambre d'ami), une toute petite cave, un jardin ; tu te lèves vers huit heures chaque matin et tu bois ton café en caleçon et T-shirt, en regardant l'activité du port de pêche. Tu te douches en écoutant Fare Well, de Terje Rypdal, ou encore les ballades de Nick Cave ou la musique des Shudder to think, c'est du moins ce que tu faisais quand j'étais là. Mais peut-être écoutes-tu parfois Niel Young, Patricia Kaas ou The Doors.

Tu allumes ton ordinateur et te mets au travail. Tu plonges dans le code informatique, je sais que ton projet est de créer des ponts entre le langage mathématique et le langage informatique, afin de simplifier leurs relations. Tu cherches un langage universel qui permettrait de « mathématiser » en ligne, au-delà des langues humaines. Pour créer une grande toile de création et d'information mathématique universelle. Tu t'y mets plusieurs heures et quand la musique s'éteint tu ne la rallumes pas ; tu es trop absorbé. Pendant ce temps, tes deux chiens beagles, en fonction du temps, farfouillent dans le jardin ou bien dorment, étendus lascivement sur le canapé en cuir noir qu'ils ont élu comme le leur.

Mais ils savent qu'à onze heures environ, vous irez tous trois, toi sur un vélo, eux à tes côtés, saluer les plages et l'océan, jusqu'aux dunes de l'Orbestier. Au retour, du feras une omelette à la ciboulette, un peu de fromage, une crème au caramel et un café, puis tu t'installeras dans un hamac pour lire, sous la conduite musicale douce et orientale d'Anouar Brahem. Tu liras peut-être Carpentier ou Faulkner, ou Marai, ou Franketienne, comme un voyage en Amérique, en Hongrie, en Haïti... Avant de te remettre à l'ordinateur.

A l'heure de l'apéritif, tu sors ta guitare électrique et tu sirotes ta bière, tu fumes un joint et tu joues en te prenant pour Jon Atwood de Yellow 6, parfois pour John Abercrombie, parfois encore pour Ry Cooder. Cela te fait plaisir et tu n'es pas si mauvais, même si c'est le moment où tes chiens préfèrent sortir respirer l'air frais du jardin – du jardin où herbes folles et herbes de cuisine mêlent leurs odeurs délirantes entre chien et loup. Thym, ciboulette, menthe, persil, diffusent leurs fragrances alentour et font frétiller les naseaux de Safran et Lune.

Souvent, tu sors dîner vers 20h, dans le port, sur le remblai ou dans la ville, avec tes quelques copains qui vivent sur la baie d'Olonne. Vous parlez de choses et d'autres, vous mentionnez divers événements de la ville ; Nico raconte ses virées en moto sur la D 85 ; Indiana ne dit rien mais chacun sait qu'il passe tout son temps libre à mater des mangas. Vanille se souvient de son amoureux de l'année dernière et imagine celui de l'été prochain.

Tu marches un peu dans le port à la nuit, admirant les étoiles, et puis tu rentres enfin. Dans ton lit, tu téléphones à ta sœur, puis tu lis ou tu envoies des sms aux copains de Nantes, de La Rochelle, de Paris et de Nancy. Puis tu t'endors doucement et tu ne fais presque jamais d'insomnies.

Bien sûr, le jeudi, tu te lèves plus tôt pour aller donner, toute la journée, des cours à la faculté de Nantes. Bien sûr, le dimanche tu te couches très tard car tu dois envoyer, avant de t'endormir, le billet d'humeur au site Internet InfoRmathématik. Mais ces deux obligations professionnelles, qui t'ennuient peut-être quelquefois, sont la condition de ta vie parfaite, de ta vie impeccable, de ta vie sans souci.

Tu réfléchis : si tu rencontrais une amoureuse, si elle voulait avoir un enfant avec toi, dirais-tu oui ? Oh, mais bien vite tu mets un album musical – par exemple un album de Biosphere ou de Yellow 6 – et la question se noie dans les volutes d'accords mineurs.

J'aimerais te ressembler, frère.

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(On peut aller lire, sur l'Encyclopédie de l'agora, un article intéressant de Bernard Lebleu, "Le loisir entre oisiveté et désoeuvrement").

dimanche, 10 mars 2013

5 à 7 début mars, par N Steene

« La pluie percussionne les toits, les trottoirs, les meubles urbains, une lumière d'orage descend sur la ville, en un instant la majorité des gens a disparu sous des auvents, dans des immeubles, et il ne reste que les chevaliers des tempêtes urbaines pour courir sous les gouttes froides. Je t'aime mais tu n'es plus là. Peu importe. La pluie lave tout, emporte tout, sous ses vibrations me voilà en apesanteur. Et j'écoute, j'écoute Chrysler, de Yellow, et j'écoute les Nuits fauves, de Fauve.
Se mêlent dans ma vie la nuit des sens et la musique du monde, la nuit du monde et la musique des sens. J'entends que peu à peu le soir tombe et abaisse ses barrières sur le flux des foules. J'attends en écoutant la pluie et leurs musiques, j'aspire à oublier ta voix, ton ombre, la charnelle présence qui était tienne, mienne, avant le fracas du téléphone. Tous les discours mourront dans le Poème. N'attachons plus d'importance aux idées, futiles comme un pot de nutella. Seul compte l'amour – de l'homme, de l'art, de l'eau.»

 

Nadège Steene