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mardi, 17 juin 2014

Impasse des Volontaires

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Tisane au gingembre, au fenouil et à la cannelle, ou tisane de tilleul, ce soir ? Les deux, l'une après l'autre, pour des senteurs parfumées à n'en plus finir dans tandis que le jour s'éloigne dans le passé. La nuit n'en finit pas de tomber dans sa douce lenteur d'été.

Deux jours à tenter, heure après heure, de travailler, deux jours à ne penser qu'à cela, sans y parvenir. Quelques phrases médiocres posées l'une à côté de l'autre et qui ne veulent rien dire, voilà le résultat de tant de tentatives. N'avais-je pas pourtant de la volonté ?

Qu'est-ce que la volonté ? La volonté, pourrait-on croire, ne dépend que de nous - mais alors il faut considérer qu'il existe des maladies de la volonté. Car de nombreuses personnes veulent et ne peuvent pas. A quoi peut bien leur servir qu'on leur dise qu'elles ne savent pas vouloir, qu'il faut vouloir d'une meilleure façon ? Vouloir vouloir, c'est déjà vouloir, et ce vouloir parfois ne sert qu'à se ronger les sangs.

Une douce musique provient de la pièce à côté. Les jeux de lumières tamisées font planer des ombres dans la pièce étroite où je dors. Je penche la tête en tordant mon cou pour regarder par la porte-fenêtre si l'on voit les étoiles. Mais le jour et la nuit restent mêlés dans un entre-deux, dans un entre-bleu, comme s'ils voulaient étirer le plus longtemps possible cette rare occasion où ils se croisent.

Lorsque la volonté nous fait défaut, monte la culpabilité, qui se traduit par des coups de cravache intérieurs, des haines de soi, des imprécations à agir pour conjurer l'innommable mollesse velléitaire. Ces morigénations n'arrangent certes pas la situation. Elles ajoutent au malheur du moment.

Une conversation avec un jeune homme que j'aime, a éclairé en mon esprit un point jusque là embrumé. Ce garçon sportif à qui j'expliquais que je ne parvenais pas à mener la vie sportive que je désire, me répliqua : "c'est une question de volonté". Or, je le connais assez pour savoir qu'il peut, durant de longs mois, ne pas faire ce qu'il a à faire, dans des domaines qui à moi sont accessibles et pour lesquels je lui dirais volontiers : "allons ! ce n'est qu'affaire de volonté !" La volonté qui nous permet de choisir l'effort au réconfort, de différer un plaisir ou un repos, cette volonté, nous sommes capables de la mettre en œuvre dans certains épisodes de nos vies, et incapables de la convoquer dans d'autres situations.

Posé sur le lit, mon téléphone clignote ; il m'indique l'arrivée d'un texto. Texto du soir, espoir. Ma respiration réconfortée se fait plus profonde. La tisane est bue ; je n'aperçois pas encore les premières étoiles, dans ce bleu qui s'assombrit de seconde en seconde. Dans ma solitude, je souris aux joies qu'il m'a été donné de vivre, et même à tous ces moments ni tristes, ni gais, durant lesquels j'ai vécu sans même m'en apercevoir.

Je lis depuis quelques jours des articles sur le ventre, ce deuxième cerveau, qui possède des neurones et des circuits neuronaux, et grouille de myriades de bactéries. Il agit puissamment sans que notre premier cerveau n'y puisse rien. Toute la psychanalyse et toute la pensée positive du XXème siècle paraîtront aux yeux des générations qui nous suivent, des croyances primaires et naïves, qui ne tiennent pas la route devant les connaissances du fonctionnement de notre corps et ses conséquences sur notre moral au jour le jour, sur notre capacité à aimer, à agir, à penser.

Ainsi donc, au terme de deux jours d'épuisement moral face à la nullité de mes accomplissements, je ne peux qu'accepter l'idée que je ne suis pas l'entière maîtresse de mes capacités. Si je choisis de croire à mon libre-arbitre, il faudra bien l'exercer autrement que comme un cocher qui guide son cheval-esclave. La maîtrise de mon destin passera alors par la considération de l'intangible, de l'incompréhensible et de l'impalpable ; la conduite de ma vie passera par la sonde des abysses intérieurs et le calcul sans cesse recommencé des paramètres insaisissables de l'instant présent.

La nuit chuchote des choses. Une ombre tremble sur le fauteuil en osier. Je suis sur cette terre pour un temps infime. Je respire, je me pardonne. J'entre dans le mystère de la nuit.

 

A lire, sur AlmaSoror :

Dolores, terrae incognitae

Oh Paracelse

La richesse du coeur

Eden

Estelle au mois d'avril

 

 

mercredi, 22 mai 2013

Adieu ma concubine

 Celui qui se perd dans sa passion est moins perdu que celui qui perd sa passion
Saint Augustin

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Par V.A.

Et si l'indicible était inexprimable ? En fait j'ai peur de te faire peur avec mes mots. Quelquefois mon langage s'emballe comme un cheval fou, qui n'en peut plus d'être bridé et voudrait enfin courir comme il le sent, n'est-il pas né pour cela ?

Il faut pourtant que tu saches, que tu comprennes ce léger tremblement de la paupière qui parfois t'étonne, entre deux portes.

Tu sauras – et peut-être, tu t'en iras en courant.

 

J'ai l'impression d'avoir été, comme tant d'enfants, conscients ou inconscients, programmée par des êtres morbides pour une vie dont mon âme ne voulait pas. Comme tant d'enfants, souffrants et désolés, scandalisés au sens où il est dit dans l'évangile de Saint Matthieu, « Mais si quelqu'un scandalise un de ces petits qui croient en Moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on suspendit à son cou une de ces meules qu'un âne tourne, et qu'on le plongeât au fond de la mer ».

Alors, grandie dans la souillure et la laideur, comment reprendre ma liberté ? En changeant le Mal par le mal. Satan m'offrait la Dépravation dorée ; je me détournais de lui et choisissais la dépression marronnasse. Le Diable me proposait des tombereaux d'espèces sonnantes et trébuchantes ; je me détournais de lui et plongeait dans l'indigence. Lucifer m'attirait vers les hautes sphères du pouvoir ; je me détournais de lui et sombrais dans les zones dénuées de puissance et de liberté. Belzébuth me tendait les diplômes qui m'ouvraient les trônes où des domestiques servent ; je m'en allais les poings dans mes poches crevées.

Sur cette route sans joie du détournement majeur de mon détournement de mineur, je m'arrachais lentement aux susurrements des Crimes et des Dominations.

Un risque me guettait pourtant : celui de vêtir l'habit mesquin, râpeux, grisâtre de l'amertume.

Abstinence, abstention, voie étroite, jeûne, ce carême illimité auquel je me soumettais défaisait les fils avec lesquels des êtres malfaisants m'avaient attachée et qui m'auraient entraînée au fond des bouges, là où les adultes se défont de toute leur dignité pour sombrer dans l'horreur crue des passions sordides. Je me débarrassais des scories et des leurres, des troubles et des distorsions qui m'auraient perdue, qui m'auraient emportée jusqu'au crime un soir de beuverie, jusqu'à l'humiliation volontaire un soir d'ennui ou jusqu'au suicide un soir de conscience. Je me délivrais du mal.

 

Mais j'endossais la bure aride du pénitent. Je remplaçais la tentation par l'aigreur.

Je buvais du vinaigre pour ne pas tremper mes lèvres au nectar sensuel de la perdition. Dans ce combat contre l'ange du vice, je gagnais la vertu, mais je perdais mon cœur.

Je me disais : « on m'a arraché l'innocence et je suis perdue à jamais pour la découverte charmante et fraîche des arbres autorisés. Même les fruits permis se détournent de moi, parce que j'ai perdu le goût de tous les jus en m'éloignant du Serpent ».

Amertume, tu me recouvrais comme une vague. Mes lèvres, nées jolies comme celles des petites filles naïves, avaient failli connaître la moue mouillée des luxures. Elles se serraient maintenant comme de petits fils secs qui ne veulent ni sourire ni partager. Oui, mes lèvres s'asséchaient pour ne plus jamais désirer des bouches.

Car la bouche attire la langue ; puis la langue éveille les feux des enfers du cerveau ; et le cerveau allume les ventres insatiables.

 

Voilà : je n'ai jamais été attachée dans la salle arrière d'une luxueuse boite de nuit, au milieu d'êtres funestes et sans intelligence. Cela m'a coûté très cher : des bouteilles d'amertume, des années de dépression, des échecs choisis au dernier moment, juste avant d'approcher la réussite. Des pans de vie à l'ombre des plénitudes, à cause d'un ver qu'on m'avait mis. Pour se sauver, il faut parfois accepter de mourir à tout ce qu'il y a d'attirant dans le monde.

Mais après ? Tant que l'on vit, le salut n'est jamais acquis ; l'amertume, si fade, si vide, si pète-sec, comporte ses pentes douces qui raidissent et ne se remontent plus. Alors il a fallu éclore à nouveau. Comme un enfant s'éveille au monde sous les mains protectrices d'êtres emplis de bienveillance, il a fallu accepter de renaître et accueillir les gestes de l'échange sans serrer les dents. Il a fallu plonger dans les fontaines aux eaux trop froides et recevoir les coups involontaires des nageurs sympathiques. Il a fallu rire et partager, sans trop juger, sans trop penser. Il a fallu surtout briser le cercle de loyauté. Trahir encore, trahir celle qui s'était trop protégée. Il a fallu trahir cette héroïne traquée qui s'était sauvée.

 

Toi, toi qui a jeûné, qui t'es abstenue, qui a creusé de tes doigts la voie étroite dans la pierraille, qui a prié et lutté dans les ténèbres sans saveur et sans repos, je te trahis. Je laisse ta dépouille sur le chemin marron des forçats solitaires pour rejoindre la route de lumière. Je te demande pardon, je te dis merci et je t'abandonne pour toujours.

 

Venexiana

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