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lundi, 15 février 2010

Chutes et créations des civilisations

 

Texte & photo par Sara

 

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Édith & Laure à Saint-Georges de Didonne

 

 

La Gaule, au VI° siècle.
Cela fait un siècle que les francs ont déferlé sur la Gaule avant et après d'autres peuples barbares, venus du nord et de l'est. L'empire romain d'occident s'est écroulé doucement. Les structures anciennes tiennent tant bien que mal : les sénateurs restent les personnages importants du pays.
Le christianisme s'installe. Les évêques sont souvent choisis dans les vieilles familles gallo-romaines. C'est le cas de Grégoire de Tours, l'auteur de "L'histoire des francs".

Cependant, le faste, la haute culture romaine, elle-même héritée des grecs, s'effondre. Les gens, issus de famille autrefois cultivées, le savent : cela les inquiète, ils s'en plaignent. Conscient de l'insuffisance de sa propre instruction, Grégoire de Tours décide cependant d'écrire ce qu'il voit, ce qu'il vit. C'est grâce à lui que les historiens connaissent cette période mieux que celles qui vont suivre.

"Le culte des belles lettres est en décadence et même il se meurt dans les villes de Gaule. Aussi tandis que de bonnes et mauvaises actions s'accomplissaient, que la barbarie des peuples se déchaînait, que les violences des rois redoublaient, que les églises étaient attaquées par les hérétiques et protégées par les catholiques ;(…) on ne pouvait trouver un seul lettré assez versé dans l'art de la dialectique pour décrire tout cela en prose ou en vers métriques. Souvent beaucoup se lamentaient en disant : "Malheur à notre époque parce que l'étude des lettres est morte chez nous et qu'on ne trouve dans le peuple personne qui soit capable de consigner par écrit les événements présents". Or comme je ne cessais d'entendre ces réflexions et d'autres semblables, je me suis dit que pour que le souvenir du passé se conservât, il devait parvenir à la connaissance des hommes à venir même sous une forme grossière. (…) Mais tout d'abord je prie les lecteurs de m'excuser si dans les lettres et les syllabes, il m'arrive de transgresser les règles de l'art de la grammaire que je ne possède pas pleinement."

Un millénaire auparavant, Thucydide, l'historien grec, écrit une œuvre inachevée sur les guerres qui ont provoqué la chute d'Athènes. Toute la différence est là, dans le style. A travers les traductions, on sait que Thucydide est un auteur d'une civilisation accomplie, qu'il bénéficie d'une haute culture. Pourtant lui aussi raconte la détresse des hommes de son pays :

"Il est clair que le pays appelé aujourd'hui Hellade n'était pas autrefois habité de façon stable. Il fut à l'origine le théâtre de migrations et les populations abandonnaient sans résistance les terres qu'elles occupaient, sous la pression des nouveaux arrivants qui se trouvaient être chaque fois plus nombreux. Le commerce était inexistant. Par terre comme par mer, les communications étaient peu sûres. On ne tirait du sol que ce qui était strictement nécessaire pour subsister et il n'y avait pas d'excédent qui permit de capitaliser. On ne faisait pas de plantations, car on se demandait toujours s'il n'allait pas survenir à un moment ou à un autre quelque intrus qui s'en approprierait le produit et cela d'autant plus facilement qu'il n'y avait pas de murailles. Comme on pensait pouvoir trouver n'importe où la subsistance journalière, on décampait sans difficulté."


Seulement, pour lui c'est du passé. Il vit dans la plus ville la plus célèbre et la plus enviée de son temps. Il ne sait pas qu'il décrit le début de la chute de sa civilisation. De même que Grégoire ne sait pas qu'il raconte les débuts d'une grande civilisation, en croyant décrire la fin de celle dont il est issu.

Deux livres pour inciter à méditer sur notre civilisation.

 

Sara

 

vendredi, 04 septembre 2009

La formation de la société européenne

 

 L’Europe peut être une société traditionnelle d’avenir

 

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photo Sara

 

EDITO - L’Europe peut être une société traditionnelle d’avenir, dont le peuple est l’élite, et dans laquelle la ociété repose sur un socle commun. L’Europe peut être une société traditionnelle d’avenir dont les citoyens connaissent, comprennent, ont l’intelligence de toute la société au niveau de sa complexité. Mais la formation qu’une telle exigence requiert est un défi presque impossible...

 

 

Les sociétés traditionnelles et les sociétés modernes
 

Dans une société traditionnelle, chacun connaît les rouages de toutes les activités, la composition de tous les objets. L’être humain sait de quoi est constitué chaque pan de sa maison, il sait comment chaque chose a été fabriquée. 
 

Dans une société moderne, l’environnement matériel est si complexe que l’individu ne connaît que l’apparence des choses. Il ne sait pas précisément de quoi est composé la sauce qu’il met dans son plat ; il ne comprend pas comment le conservateur a été inséré dans les pâtes, ni de quoi est fait le plastic du paquet. S’il allume son ordinateur et peut faire jouer de la musique ou jouer en ligne à un jeu vidéo, il est hors d’état de décrire tant l’objet ordinateur lui-même que le système de la Toile ou encore quelle est la matérialité de la musique qu’il entend et qu’il ne voit que sous forme de signe sur l’écran. 
 

Ces sociétés reflètent donc deux sortes d’intelligence. D’une part l’intelligence globale, qui est celle de la société traditionnelle, et qui fait de chacun de ses membres un être complet et autonome, habité de toute sa culture et capable de la transmettre entièrement. D’un autre côté, l’intelligence éclatée, disséminée parmi les humains qui composent la société et qui seraient incapables de recréer leur monde ailleurs. Bien entendu, entre les deux modèles il y a sans doute un milieu, qui allie les deux intelligences sans épouser leurs limites. 

 

 

Le défi européen
 

Le défi, justement, pour l’Europe, est de créer des citoyens qui connaissent, comprennent, ont l’intelligence de toute leur société au niveau de sa complexité. Mais la formation qu’une telle exigence requiert est un défi presque impossible. 
 

Nous devons pourtant relever ce défi : nous le devons absolument, car c’est ainsi seulement que nous pourrons faire cohabiter les deux créations occidentales : la technique et la démocratie. 
 

La dérive, c’est la réduction de ces deux créations à la troisième, néfaste : le consumérisme. Le citoyen qui ne connaît que les manettes extérieures des machines, les slogans pré mâchés des idées, n’est qu’un consommateur. Il consomme sa citoyenneté, et par là même il l’annihile. 
 

Celui qui connaît le fonctionnement intrinsèque des choses, physiques et intellectuelles, de son environnement, celui-là créée et recrée le monde, le nourrit et s’en nourrit, à chaque acte, à chaque parole. Celui-là est le créateur conscient de la société dans laquelle il vit. En cela il lui permet de durer plus longtemps. Il l’a intégrée dans ses fondements, ce qui ne l’empêche pas – au contraire – de la critiquer. 

 

 

Le peuple peut être l’élite...
 

 

Les élites et les peuples
 

Une éducation citoyenne réussie donne à chacun une confiance dans sa valeur et dans celle de l’autre. La société démocratique est réussie si elle donne à chacun, à tous les gens d’Europe, les moyens de vivre, d’être heureux, de jouer un rôle positif dans la société et d’y inscrire le parcours individuel de leur choix.
 

Cette exigence fait que les Grecs, et Rousseau après eux, estimaient qu’une démocratie ne fonctionne bien que lorsqu’elle concerne des communautés petites et homogènes. Là seulement tous sont citoyens, tous sont capables de l’être. Pourtant, il faudra relever le défi dans une société immense et hétérogène, la société européenne. 
 

Si nous ne faisons pas cela, nous aurons deux peuples d’Europe : une aristocratie transeuropéenne, et le peuple, composé des peuples d’Europe… Outre le fait que cette situation ne satisfait a priori pas nos valeurs, il est fort douteux qu’une telle société puisse pérenniser : en effet, si le sentiment qu’il n’y a pas de place au soleil pour tout le monde domine, alors la société ne sera pas défendue par la majorité, et elle ne perdurera pas. Une fracture sociale, c’est la mort. Grâce à une éducation gratuite d’excellence pour une société sans caste, l’Europe sera digne de ses citoyens, et ses citoyens seront à même de la rendre paisible et riche. Seules les sociétés qui échouent à former leurs citoyens ont besoin d’une élite.
 

 

Education et responsabilité pour un projet commun
 

Plus nous sommes éduqués, plus nous avons de libertés, et plus sommes en mesure de les conserver. Nous devenons responsables. Sans responsabilité intrinsèque à chaque citoyen et aux relations qui les unissent, alors, d’une part le public détruira le privé (hyperprésence des acteurs sociaux, réglementation à outrance pour pallier aux aberrations et aux plaintes), et d’autre part, les replis communautaires, qui s’installent forcément dans un espace vidé du principe d’universalité, figeront les identités, et par là, détruiront la liberté d’expression et de développement. Alors la démocratie tournera à l’ochlocratie. L’ochlocratie (le pouvoir de la foule) s'oppose à la démocratie (le pouvoir du peuple), en privilégiant la somme des intérêts les plus individuels et les plus grossiers aux dépens de l’intérêt général et du développement de chacun. C’est, comme l’écrivit John Macintosh en 1791, « le despotisme de la cohue et non le gouvernement du peuple ». 
 

C’est pourquoi l’éducation ne doit pas tirer vers les particularités, vers le bas, mais bien vers le haut. L’Europe doit être culturelle. Elle ne peut se satisfaire d’être constituée d’une population hallucinée par la télévision, avide de droits sur mesure pour les « communautés », de viandes de milliards d’animaux sacrifiés à l’autel de l’hyperconsommation, et de jeux et divertissements de masse. A cet égard il est urgent de réagir ; il est urgent de naviguer selon un rêve commun, celui de la formation de tous les citoyens à la technique, à la culture, et au projet européen. 

 

Le socle commun à la Cité européenne

 

L’avenir repose sur le passé
 

 

Nous vivons, comme la plupart des sociétés du monde d’aujourd’hui, dans une société de la connaissance, c'est-à-dire une société dans laquelle information et moyens techniques sont entremêlés et indissociables. Pour vivre en phase avec une telle société, nous avons besoin d’un bagage technique solide. Mais que peut on attendre, à long terme, d’une société de la connaissance si cette connaissance n’est que fonctionnelle ? La connaissance profonde des idées, des arts et de leur histoire, est essentielle, pour que notre société soit aussi culturelle, chargée de sens, de desseins.
 

 

C’est pourquoi il faudrait que la formation des Européens repose sur un socle commun à tous les pays, axé autour de deux angles : la formation technique et la formation culturelle. Ce serait une erreur de privilégier l’un de ces angles en dévalorisant l’autre. Les techniques, les langues, le droit et l’histoire sont des disciplines qui existent depuis toujours en Europe, et correspondent à la fois à la connaissance du passé, aux nécessités du présent et à la possibilité de l’avenir. 

 

 

Techniques, informatiques
 

 

La formation technique est une condition de la survie individuelle et collective.
 

Dans une société de la connaissance, une personne dénuée de connaissances techniques, incapable de se mettre à jour, est hors d’état de tenir un rôle valorisant. La formation aux techniques informatiques, aux possibilités multiples de communication par la Toile, y est  dès lors nécessaire à l’autonomie du citoyen.  
 

Dans une société très développée techniquement, une connaissance adéquate, bien que non spécialisée, des fonctionnements industriels et des enjeux énergétiques, paraît nécessaire pour que le citoyen puisse réfléchir aux sujets qui concernent l’avenir de la planète et de l’humanité. Le domaine réservé des spécialistes est donc une catastrophe démocratique. En démocratie, c’est le peuple qui mène la barque par son vote. S’il a méconnaissance des enjeux qui émanent de son vote, n’est-il pas hors d’état d’exercer son pouvoir ?  
 

 

Langues 
 

 

La formation linguistique doit consister en deux choses. La première nécessité linguistique de tout Européen est de connaître sa langue parfaitement – ce qui passe souvent par des études littéraires classiques. On oublie que ce fait n’est pas si évident, et qu’une connaissance aléatoire et non culturelle de sa propre langue est un frein à une insertion épanouissante dans la société : l’inégalité face à la langue et à l’expression, difficile à mesurer, se constate cruellement dans les rapports sociaux. 
 

La seconde formation linguistique nécessaire consiste à être en mesure d’utiliser plusieurs langues avec aisance. Dans un monde multilingue, le monolinguisme est également un barrage à l’insertion et à un engagement entier dans la société. La possession de deux langues dès l’enfance me paraît être un minimum.
 

 

Droit 
 

 

Le système du droit est celui sur lequel l’Europe est fondé, et qu’elle a fortement contribué à implanter dans le monde et les relations internationales. 
 

Notre société est bâtie sur le droit, et régie par le droit au jour le jour. Pourtant, ces deux aspects du droit, théorique et pragmatique, ne sont pas enseignés à l’école. Le droit ne fait pas même l’objet d’une initiation. 
 

Il faudrait instaurer cette double formation au droit, théorique et pratique, dès le secondaire. 
 

L’étude de la théorie du droit (les fondations du droit, les aspects et enjeux d’un Etat de droit) donnerait aux citoyens européens une culture sur les piliers même de leur société. Tandis qu’une formation sur son utilisation concrète dans la société donnerait à chacun les connaissances pratiques qui lui permettent de diriger sa vie dans un monde entièrement régi par le droit, et comblerait le gouffre tragique qui sépare « ceux qui savent » de ceux qui ne sont pas initiés. 

 

Histoire européenne
 

 

N’est-il pas essentiel, pour la cohésion de la société, de recevoir une formation géographique, historique et culturelle sur toute l’Europe ? 
 

La compréhension intellectuelle et culturelle du monde dans lequel nous vivons permet de consommer mais aussi de créer, de savoir mais aussi de penser. Sans la connaissance de l’histoire, le citoyen est stupide, malmené par les miasmes et illusions du présent, tellement forts qu’ils annihilent tout. Un bagage solide concernant le passé permet de n’être pas (trop) entraîné par les flux de l’immédiateté, et de garder le cap de l’avenir.
 

C’est essentiel aussi pour l’avenir lointain de l’Europe. 
 

Il semble illusoire de penser que l’on peut développer une vision commune si le sens d’un passé ne nous lie pas, même si les interprétations de ce passé demeurent variées et conflictuelles. Nous avons besoin de quelque chose de commun qui accompagne les Institutions, qui leur insuffle vie et sens, et les rende ainsi durables. Ne pas ancrer l’Europe dans son vieux passé, aussi éclaté qu’il soit, c’est vouloir construire autre chose que l’Europe. 

 

 

Nous franchirons la muraille !
 

 

L’Europe véritablement démocratique exige des citoyens égaux en droits, mais aussi en formation. C’est ainsi que l’Europe sera digne de ses citoyens ; c’est ainsi que ses citoyens seront au niveau de l’Europe, et préviendront l’oligarchie.
 

Le défi est immense. Il semble impossible. Que l’Europe estime cela impossible, et elle ne vivra pas longtemps comme une démocratie. Qu’elle prouve que c’est possible, et elle vivra son rêve européen et démocratique. “L'épaisseur d'une muraille compte moins que la volonté de la franchir “ - Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse
 

 

Edith de CL in Newropeans Magazine, 2006

 

mercredi, 15 avril 2009

de la supériorité des athéniens sur les spartiates

Fragment

La rubrique Fragment offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.

 

Les Corinthiens reprochent aux Lacédémoniens (habitants de Sparte) de ne pas les défendre contre les Athéniens. Ils comparent la passivité de Sparte à l'esprit d'entreprise d'Athènes. C'était il y a deux mille cinq cents ans.

 

Thucydide
La Guerre du Péloponnèse
Traduction de Denis Roussel

"Entre eux et vous, quel contraste ! Vous ne vous ressemblez en rien. Ils sont novateurs, prompts à concevoir, prompts à réaliser ce qu'ils ont décidé. Vous ne songez, vous, qu'à maintenir l'état des choses existant. Jamais il ne vous vient une idée neuve et, au moment d'agir, vous manquez même à l'indispensable. Leur audace dépasse leurs moyens ; ils risquent plus que de raison et, dans les moments critiques, ils gardent bon espoir. Chez vous, les entreprises restent en deçà des moyens ; vous vous défiez même des plus sûrs avis de la raison et, aux heures de péril, vous pensez n'en jamais sortir. Ils se plaisent dans l'action comme vous dans les atermoiements. Ils partent volontiers pour les pays étrangers, tandis que vous tenez par-dessus tout à rester chez vous. Ils comptent, en partant, accroître leurs possessions. Vous craignez de compromettre par de telles expéditions jusqu'à vos biens acquis. S'ils l'emportent sur l'ennemi, le plus qu'ils peuvent, ils poussent leur avantage, et, en cas d'échec, ils cèdent le moins de terrain possible. En outre, si l'Athénien sait, plus que tout autre, faire don de sa personne à la patrie, nul ne sait aussi bien que lui conserver, en se dépensant pour elle, toutes les ressources de son jugement propre. Quand ces gens n'atteignent pas l'objectif qu'ils s'étaient fixé, ils ont l'impression qu'on les dépouille de ce qui leur appartient, et, si une expédition vient à leur rapporter quelque avantage, c'est pour eux un résultat médiocre en comparaison de ce qui leur reste à faire. S'ils viennent à échouer dans quelque tentative, c'est pour eux un manque à gagner qu'ils compensent par de nouvelles espérances. La rapidité avec laquelle ils entreprennent ce qu'ils ont décidé fait de ce peuple un cas unique : chaque fois qu'ils forment un dessein, l'espérance et la possession pour eux ne font qu'un. Pour arriver à tout cela, ils peinent leur vie durant dans les travaux et les périls. Ils profitent fort peu de leurs possessions, occupés qu'ils sont à acquérir toujours. Les jours de fête, pour eux, sont ceux où ils font ce qu'ils ont à faire et les loisirs de l'inaction leur sont plus pénibles que le tracas des affaires. Bref, on pourrait justement caractériser les Athéniens par une formule et dire qu'il est dans leur nature de ne pas rester en repos et de n'en pas laisser aux autres."