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mardi, 17 mars 2015

Blue note, Ô lumière de la vieillesse

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"Dis-donc, elle est bien conservée, pour son âge, Adélaïde !" entendis-je. Celle qui s'exclamait s'adressait à deux autres femmes dans une cuisine. Celle dont on parlait venait de prendre congé.
C'était il y a quelques semaines et soudain une question s'empara de moi : vais-je continuer à avoir l'air jeune ? Vais-je devenir vieille aux yeux de tous, moi qui rit et pleure comme lorsque j'étais enfant, d'une manière simplement plus... civilisée ? Serais-je plus ou moins vieillissante que ces gens qui m'entourent et qui boivent et conversent entre eux ? Vais-je mourir d'une manière inattendue dans quelques mois ?
L'hôte me resservit un verre et je le sirotai avec la concentration de ceux qui veulent tout oublier.

Les échos de ces rires et de ces mots sont éloignés dans le temps, et me voilà au bord du patio où s'écoule la nouvelle lumière du printemps.

Pour rester à jamais éclatante de jeunesse, une solution s'impose : mourir jeune. Pourquoi ne pas plonger avant le premier cheveu gris, avant la première ride, du haut de la jetée du phare un soir de pluie et de bourrasque où le port est désert ? Oui, pourquoi pas, mais si je m'en abstiens, alors autant ne pas circonvenir au rythme de la vie et du temps.

J'ai été bébé joufflu, enfant pétillante et triste à la fois, adolescente malingre, jeune sans visage, adulte reconstituée par la promenade intérieure ; pourquoi ne continuerai-je pas la mue perpétuelle de mon être selon les désidératas de la nature et de la culture, d'une nature respectée dans sa sauvage exaltation du mouvement des saisons, d'une culture qui cesse de s'abîmer dans la lutte contre le temps ?

Et s'il faut que je vive, alors, que mon visage envisage de se dévisager sans sourciller face aux lames de fond des années qui le sculptent et le rapprochent chaque saison un peu plus de la mort.

Car c'est Elle, peut-être, qui nous fait peur, lorsque nous imaginons un jour nos mains couvertes de taches et nos joues creusées par l'âge.

Je photographiais tout à l'heure ma mère, qui fête ses soixante-cinq ans aujourd'hui. Je la remercie d'avoir été, d'être et de devenir.

Prions Dieu de ne pas être bien conservés (évitons d'ailleurs de manger des produits industriels gavés d'agents conservateurs) : donnons-nous tout entiers à chaque saison qui nous est offerte ici-bas. Captons-en dans nos yeux des essences de lumière, de brume et de science, afin que nos regards deviennent peu à peu baignés de lampées du mystère infini.

Ne prenons pas à notre compte les regards effrayés de ceux qui tentent de se conserver, mais tendons nos cœurs à l'instant qui passe, à la joie, à la peine qu'il contient, et renonçons au combat inutile. Un combat est inutile quand il n'élève pas l'âme de celui qui le mène. 

Vivre comme on ouvre les yeux, mourir comme on ferme les yeux, sans crainte excessive du lendemain. Comme c'est facile à écrire... Mais peut-être que ce n'est pas si difficile à faire. Je vais essayer.

 

lundi, 11 novembre 2013

La paix du jour

13, boulevard du montparnassePhot Edith

Un jour férié, indécis, au cours duquel alternent des rayons de soleil jaunes et des halos de blancheur. L'asphalte parisien accueille mes chaussures usées de l'arpenter, un air de piano britannique trotte en mon esprit. Je n'en reviens pas d'être vivante aujourd'hui, pour un temps si court, dans lequel pourtant s'immisce quelquefois l'ennui. Construire ma vie, une grande difficulté à mes yeux incertains. Tant qu'on est là, pourquoi ne pas essayer ? Entre deux souffles, entre deux morts, entre deux eaux, suivre le fil des saisons en tâchant de respirer à leur rythme.

rue de bagnolet

phot Lau