dimanche, 24 novembre 2013
Trois splendeurs pour un dimanche soir
Tu entres dans le Panis Angelicus de César Franck. Tu supplies : Ô mon Dieu, que vous existiez ou non, je vous en supplie du plus profond de ce que je connais de mon être, donnez un sens à ma vie !
La musique ne répond jamais rien de verbal aux demandes de l'esprit. Tu ne peux qu'assister aux échanges muets qu'elle et ton âme partagent. Mais quand la musique s'éteint, tu comprends que se donner à un être, à une cause, voilà un vrai sens. Se donner à une patrie, à un art, pourquoi ne le fais-tu pas ? Tu ne renonces jamais vraiment à cet ego qui te fait souffrir. Tu ne plonges jamais sans retour dans le don qui délivre.
Tu t'enfonces dans les Litanies de la Vierge noire de Francis Poulenc. Comme Talleyrand, le Prince boiteux, n'abandonna jamais les régimes politiques qu'il servit avant que ceux-ci ne se fussent abandonnés eux-mêmes, tu ne te trahiras pas afin que les autres puissent toujours te relever quand tu chutes. Celui-là même que tu nommes ton ennemi, te relèvera s'il sait par ta droiture que tu n'as jamais renoncé au noyau dur de ton être.
Tu le laisses t'emporter plus loin que tous les pas de tous les hommes, au fond du Requiem de Duruflé.
Vaincre l'angoisse : celle qui se lève presque en même temps que toi, ou bien, qui s'était déjà levée et que tu reconnais au moment où tu poses ton pied nu sur le parquet rustique de ta chambre. Tant qu'elle est là, elle est le signe et le témoin de ton absence d'espérance, de foi et de charité, car ces trois vertus prendraient autrement toute la place dans ta poitrine.
Le matin éclate de beauté ; pourtant la nuit tombe : splendeur des mystères de la musique qui réconcilie les pôles.
(- Qu'entends-je ? Quel est ce bruit ?
- Un chant.
- Le chant du crépuscule ?
- Le chant des druides qui monte du fond du chœur des choristes, à leur insu.
- Les druides ? Dans ces musiques de messe ?
- Jamais les prêtres du gui n'ont abandonné leur peuple celte. Ils se sont dissimulés dans les lieux intérieurs, en attendant que leur gloire éclate à nouveau, folle de joie.)
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jeudi, 30 mai 2013
Passages de Baude Fastoul (extraits des 29 et 30 mai)
Je tiens à nouveau le journal de Baude Fastoul, arrêté de nombreuses semaines suite à quelques déceptions et difficultés de vivre, puis, au contraire, à de trop grandes exaltations. Je reprends le clavier fastoulien et c'est étonnant d'avoir laissé tant de temps blanc, sans phrases, sans mémoire. J'avais pris l'habitude de laisser trace de chaque jour, et j'ai l'impression que ces lambeaux de vie non écrite sont perdus pour toujours, contrairement aux jours enfastoulés.
Le principe du journal de Baude Fastoul est que les Fastouliens s'engagent à rendre disponible leur journal après leur mort, afin que celui-ci soit publié, en même temps que tous les autres journaux, au lendemain de la mort du dernier d'entre nous. Cette solution permet à chacun d'entre nous d'écrire en toute franchise des choses qu'il accepte de laisser à la postérité, mais non à ses compagnons d'époque. Toutefois, rien n'interdit au Fastoulien de rendre public un passage de son journal ou celui-ci dans son entier. Il n'a juste pas le droit de céder les droits du journal à quiconque pourrait nous empêcher de le publier au lendemain de la mort du dernier de la confrérie.
L'ayant tenu secret (et pour cause : de nombreux passages concernent des gens que je connais et dont je dis ce que je pense, ou encore des épisodes de ma vie que j'accepte de confier à ceux qui ne me connaîtront pas, mais aucunement à mes contemporains), j'ai éprouvé d'abord une liberté, une excitation qui accompagnaient ce secret. Peu à peu, une certaine lassitude s'installe, due à l'aspect intangible, voire clandestine, que donne l'intimité du secret. Je m'essaie donc à la publicité de certains passages. AlmaSoror reçoit environ 500 visites par jour, et je suis incapable de savoir qui vient, et à quelle fin. Je suis heureuse de savoir que des yeux parcourent nos billets – mais ne peux rien supputer ni supposer sur vous, mes amis. Peut-être parmi vous, certains Fastouliens viennent un peu, souvent, lisent quelques billets, ou tous. Quoi qu'il arrive je n'écrirai rien ici de fastoulien qui livre des informations sur certaines parts de mon intimité, rien non plus qui trahisse autrui.
J'ai beau apprécier de lire, quasi-quotidiennement, l'étrange journal Le jour ni l'heure, du (mal-)pensant Renaud Camus, je n'ai pas ce cran – ni cette impudeur ? - de minutieusement rendre public ce qu'il est d'usage de cacher.
Mercredi 29 mai, jour de la Saint Aymard (prénom d'un de mes oncles éloignés, rencontré à peine trois fois...)
Je ne relate que le soir : j'ai passé la soirée au Godjo, en compagnie Emmanuel, qui découvrait la cuisine éthiopienne avec plaisir. Ils n'avaient pas de tedj, nous avons donc bu du Côtes de Provence. Emmanuel a eu un peu de mal à se laisser inviter, quelques semaines après son anniversaire de quarante ans . Nous avons marché ensemble en sortant du restaurant, jusqu'au Luxembourg. C'est toujours un plaisir de contempler le visage énergique et profond de cet ami si fraternel.
Le soir, couchée tard (après minuit), pour continuer ma lecture d'Un monde invisible, de Laurence Bordenave, suivi de quelques phrases de La brièveté de la vie. J'hésite à laisser tomber Sénèque pour Lucrèce, afin que les thèmes de mes deux lectures s'épousent.
Jeudi 30 mai, jour de la Saint Ferdinand. Levée tôt, puis recouchée avec un café. Activités diverses, jusqu'à ce déjeuner de la rue des Orteaux, court, mais je l'ai rallongé en rentrant à pied. Place de la Nation, deux anciens camarades des Langues Ô me hèlent, nous nous attablons quelque temps et échangeons des nouvelles que chacun essaie de rendre le plus vague possible. Je rentre ensuite par le boulevard Diderot, le boulevard de l'Hôpital, le boulevard de Port-Royal, jusqu'à Duroc. Chacune de ces voies se charge de me renvoyer les souvenirs qui lui sont liés.
Et j'écoute l'Agnus Dei de la messe pour double coeur de Frank Martin, plusieurs fois, et enfin toute la messe. La fameuse messe de Frank Martin, encore si peu connue. Serait-ce, avec le requiem de Duruflé et les litanies de la vierge noire, la musique du XX°siècle que je préfère ?
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