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mercredi, 05 juin 2013

Semailles d'un fou

Alexandre Grothendieck, récoltes et semailles

Un des plus grands mathématiciens du XX°siècle vit caché dans le Vaucluse. Il s'appelle Alexandre Grothendieck et voici un extrait de ses imposants bizarroïdes mémoire, qui circulent sur Internet. 


Jusqu’en l’année 1970 : j’avais vis-à-vis de mes élèves une disponibilité pratiquement illimitée. (note 22).

Quand le temps était mûr et chaque fois alors que cela pouvait être utile, je passais avec l’un ou l’autre des journées entières s’il le fallait, à travailler telles questions qui n’étaient pas au point, ou à revoir ensemble les états successifs de la rédaction de leur travail. Tel que j’ai vécu ces séances de travail, il ne me semble pas que j’y aie jamais joué le rôle de"directeur" prenant des décisions, mais que c’était chaque fois une recherche commune, où les discussions se faisaient d’égal à égal, jusqu’à satisfaction complète de l’un comme de l’autre.

L’élève apportait un investissement d’énergie considérable, sans commune mesure bien-sûr à celui que j’étais appelé à apporter moi-même, qui avais par contre une plus grande expérience, et parfois un flair plus exercé. La chose cependant qui me paraît la plus essentielle pour la qualité de toute recherche, qu’elle soit intellectuelle ou autre, n’est aucunement question d’expérience. C’est l’exigence vis-à-vis de soi-même. L’exigence dont je veux parler est d’essence délicate, elle n’est pas de l’ordre d’une conformité scrupuleuse avec des normes quelles qu’elles soient, de rigueur ou autres. Elle consiste en une attention extrême à quelque chose de délicat à l’intérieur de nous-mêmes, qui échappe à toute norme et à toute mesure. Cette chose délicate, c’est l’absence ou la présence d’une compréhension de la chose examinée. Plus exactement, l’attention dont je veux parler est une attention à la qualité de compréhension présente à chaque moment, depuis la cacophonie d’un empilement hétéroclite de notions et d’énoncés (hypothétiques ou connus), jusqu’à la satisfaction totale, l’harmonie achevée d’une compréhension parfaite. La profondeur d’une recherche, que son aboutissement soit une compréhension fragmentaire ou totale, est dans la qualité de cette attention. Une telle attention n’apparaît pas comme résultat d’un précepte qu’on suivrait, d’une intention délibérée de "faire gaffe", d’être attentif – elle naît spontanément, il me semble, de la passion de connaître, elle est un des signes qui distinguent la pulsion de connaissance de ses contrefaçons égotiques. Cette attention est aussi parfois appelée "rigueur". C’est une rigueur intérieure, indépendante des canons de rigueur qui peuvent prévaloir à un moment déterminé dans une discipline (disons) déterminée.

Et si j’ai pu, peut-être, malgré tout, transmettre à mes élèves quelque chose d’un plus grand prix qu’un langage et un savoir-faire, c’est sans doute cette exigence, cette attention, cette rigueur - sinon dans la relation à autrui et à soi-mêmes (alors qu’à ce niveau elle me faisait défaut autant qu’à quiconque), du moins dans le travail mathématique (note 23). C’est là, certes, une chose bien modeste, mais peut-être, malgré tout, mieux que rien.

Alexandre Grothendieck

Extrait de son autobiographie psychomathématique de presque 1000 pages Récoltes et Semailles

 

NOTES

NOTE 22

Même après 1970, quand mon intérêt pour les maths est devenu sporadique et marginal dans ma vie, je ne crois pas qu’il y ait eu d’occasion où je me sois récusé, quand un élève faisait appel à moi pour travailler avec lui. Je peux même dire qu’à part deux ou trois cas, l’intérêt de mes élèves d’après 1970 pour le travail qu’ils faisaient était loin en deçà de mon propre intérêt pour leur sujet, même en les périodes où je ne me préoccupais guère de maths que les jours où je mettais les pieds à la Fac. Aussi le genre de disponibilité que j’avais à mes élèves d’avant 1970, et l’extrême exigence dans le travail qui en était un signe principal, n’auraient-ils eu aucun sens vis-à-vis de la plupart de mes élèves ultérieurs, qui faisaient des maths sans conviction, comme par un continuel effort qu’ils auraient dû faire sur eux-mêmes...

 

NOTE 23

L’Enfant et le maître

Le terme "transmettre" ici ne correspond pas vraiment à la réalité des choses, qui me rappelle à une attitude plus modeste.

Cette rigueur n’est pas une chose qu’on puisse transmettre, mais tout au plus réveiller ou encourager, alors qu’elle est ignorée ou découragée depuis le plus jeune âge, par l’entourage familial aussi bien que par l’école et l’université. Aussi loin que je puisse me rappeler, cette rigueur a été présente dans mes quêtes, celles de nature intellectuelle tout au moins, et je ne pense pas qu’elle m’ait été transmise par mes parents, et encore moins par des maîtres, à l’école ou parmi mes aînés mathématiciens. Elle me semble faire partie des attributs de l’innocence, et par là, des choses qui sont dévolues à chacun à la naissance. Cette innocence très tôt "en voit des vertes et des pas mûres", qui font qu’elle est obligée de plonger plus ou moins profond, et que souvent il n’en apparaît plus guère trace dans le restant de la vie. Chez moi, pour des raisons que je n’ai pas songé encore à sonder, une certaine innocence a survécu au niveau relativement anodin de la curiosité intellectuelle, alors que partout ailleurs elle a plongé profond, ni vu, ni connu! comme chez tout le monde. Peut-être le secret, ou plutôt le mystère, de "l’enseignement" au plein sens du terme, est de retrouver le contact avec cette innocence en apparence disparue. Mais il n’est pas question de retrouver ce contact en l’élève, s’il n’est déjà d’abord présent ou retrouvé dans la personne de l’enseignant lui-même. Et ce qui est"transmis" alors par l’enseignant à l’élève n’est nullement cette rigueur ou cette innocence (innées en l’un et l’autre), mais un respect, une revalorisation tacite pour cette chose communément rejetée.

Alexandre Grothendieck sur AlmaSoror

Sur Alexandre Grothendieck

 

 

 

mercredi, 04 juillet 2012

Sur Alexandre Grothendiek

alexandre grothendieck,récoltes et semailles

Il a disparu dans le Sud de la France. Mais disparaîtra-t-il un jour de la mémoire des hommes ?
Poussières et ruines recouvriront-elles les récoltes et les semailles ? Ce n'est pas certain...

Alexandre Grothendieck, Récoltes et semailles, vel d'hiv

Si nous demeurons fixés au fil de "l'actualité", si nous lisons les livres que chacun connait, si nous nous intéressons aux questions sociétales à la mode, alors nous sommes presque sûrs de rater l'essentiel de ce qui a lieu dans notre monde politique, intellectuel, scientifique.

Et pourtant, quitter les grandes voies pour se casser les pieds dans la solitude des sentiers pas encore dégagés, ce n'est pas une partie de plaisir. Ce peut être une nécessité intérieure, ce peut être la source d'exaltations qui donnent toute sa sève à la vie, mais il faut accepter de souffrir d'une souffrance qui existe parmi les hommes depuis la nuit des temps. Celle de l'isolement. 

Isolé et incompris, seul homobizarroïde parmi les hommes de bien, parasite de la société, mauvaise tête, tel est le destin de celui qui marche où il veut.

Tel fut celui d'Alexandre Grothendieck, qui vit peut-être encore aujourd'hui - qui sait ? - et dont la disparition creuse le mystère.

Lire la promenade autobiographique d'Alexandre Grothendieck, Récoltes et semailles, c'est boire à la source pure, intacte, de la création mathématique indépendante. Il a voulu que toi, lecteur profane intimidé par les maths, tu puisses le lire aussi, et le comprendre, et te sentir aussi proche de lui que si tu étais toi-même un cerveau d'où jaillissent des théorèmes.

Alors le voilà, ce texte.

Bonne route sur l'escarpée route de Grothendieck, le mathématicien, le radical-écologiste, le frère et le salaud - parait-il. Nous qui ne l'avons pas connu, nous le reconnaissons pourtant, comme quelqu'un qui a essayé de vivre, et qui nous a offert ses efforts de création en partage.

 

E de CL

Alexandre Grothendieck, Récoltes et semailles