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lundi, 18 novembre 2013

Saba

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J'écoute une douce musique américaine, d'un de ces nombreux princes versatiles de la ville de New York. Dehors, la nuit est déjà tombée : l'automne s'enfonce vers l'hiver. Quelques fenêtres forment des rectangles oranges ou jaunes, à cause des lumières intérieures qui les éclairent. Le reste de la cour, de la façade, est plongé dans les ténèbres. Je suis à moitié allongée sur mon lit. J'ai une vision métaphysique que je tente de faire passer en respirant profondément. A l'autre bout de la maison, ma mère déchire du papier dans son bureau en face de la cuisine. Quand je lève la tête, je m'amuse, moi à discerner les gravures mignonnes et grossières de ma petite armoire bretonne. Je lis un livre intitulé L'art religieux du XII° siècle au XVIII° siècle, publié en 1945 par l'historien de l'art Émile Mâle. En voici un fragment, qui raconte un peu la belle et mystérieuse reine de Saba.

"Au portail de l'église Saint-Bénigne de Dijon, qui ne nous est connu que par un dessin de Dom Plancher, on retrouvait le Christ apocalyptique et les grandes statues ; près des rois bibliques on voyait une reine.

Cette mystérieuse reine va, cette fois, nous livrer son secret. En étudiant le dessin de cette figure, on remarque un détail, qui semblerait incroyable, si des témoignages anciens ne le confirmaient : la reine du portail de Saint-Bénigne avait un pied d'oie. L'artiste de Dijon avait donc représenté cette fameuse reine Pédauque, qui n'était autre que la reine de Saba.

L'imagination juive et l'imagination arabe travaillèrent longtemps sur la reine de Saba. L'Orient lui créa une légende romanesque, où les djinns ont leur rôle. Sur l'ordre de Salomon, ils apportent à Jérusalem le trône d'or de la reine, qui le reconnaît avec surprise dans le palais du roi. Salomon la reçoit dans une salle au pavé de cristal : la belle reine, se croyant au bord de l'eau, relève sa robe et laisse voir ses pieds hideux. La légende orientale parle de pieds d'âne, la légende occidentale, de pieds d'oie. Dès le XII° siècle, un texte qui s'est conservé dans un manuscrit allemand nous représente la reine de Saba avec un pied d'oie. On ne trouve pas de texte aussi ancien en France, mais la statue de Dijon prouve qu'au XII° siècle la tradition y était parfaitement connue. Il se pourrait que cette reine au pied d'oie eût été représentée pour la première fois par les ateliers toulousains, car on voyait encore, du temps de Rabelais, une image de la reine Pédauque à Toulouse ; on y montrait son palais et ses bains, et on associa longtemps sa légende à celle de la jeune princesse Austris, baptisée par Saint Sernin.

La reine au pied d'oie du portail de Dijon était donc, on n'en saurait douter, la reine de Saba. Et il devient non moins certain que la statue de roi, qui lui faisait face, représentait Salomon ; c'est David, sans doute, qui l'accompagnait. Pourquoi la reine de Saba avait-elle été figurée dans la compagnie des héros de l'Ancienne Loi et des apôtres de la Loi Nouvelle ? C'est que, suivant la doctrine du moyen âge, elle symbolisait le monde païen venant au Christ, elle préfigurait ces Mages qui, comme elle, cherchaient le vrai Dieu. Or, le Voyage et l'Adoration des Mages étaient précisément représentés au linteau de Saint-Bénigne."

Extrait de L'art religieux du XII° siècle au XVIII° siècle, d’Émile Mâle.

D'Emile Mâle, sur AlmaSoror, on avait aussi les étoffes de pierre...