dimanche, 22 août 2021
Liquidités
Où es-tu ? Je suis perdue. La société liquide m'a noyée. J'ai laissé partir le train du souvenir. J'attends assise à côté de ma vie. Je regards les gens vieillir. Je regarde les enfants naître. Je m'appelle sans me reconnaître. J'ose espérer parfois qu'il y aura demain autre chose à contempler que le vide entre mes mains. Les gens qui dansent autour de nous tendent les doigts sans nous toucher. Un verre se boit, une toile se peint, dans l'appartement des voisins. Je souris à des inconnus qui passent en rendant les regards, je marche sans savoir pourquoi je n'ai plus de clé dans la poche, plus d'adresse au fond de mon cœur, plus de maître dans mon esprit. J'ose espérer parfois qu'il y aura un jour un rythme rassurant pour peupler mes journées, pour structurer mes nuits, pour piloter ma vie vers un destin en devenir.
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samedi, 21 août 2021
Décalage
C'est l'été et j'ai envie d'hiver. J'écoute du piano et j'ai soif de violon. Le temps est sec et je songe à la pluie. Tout le monde rit et mon cœur voudrait pleurer. J'attends, mais je ne sais ce que j'attends. Il est midi mais je voudrais le soir. Je voudrais le soir, mais je pense aux aurores. Un chien passe ; je n'ai plus de chien. Des images défilent, paysages inaccessibles. Le mur me parle, par son grand silence. Une eau coule, dans un appartement de l'immeuble. La lumière semble belle, mais elle obscurcit mon regard. J'ai trop chaud, mais je me blottis dans un chandail. Je t'aime, mais je suis partie hier. Je chante pour des enfants, mais je ne connais pas d'enfant. C'est l'hiver d'un vieux rêve en plein cœur de l'été.
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mercredi, 22 mai 2013
Adieu ma concubine
Celui qui se perd dans sa passion est moins perdu que celui qui perd sa passion
Saint Augustin
Par V.A.
Et si l'indicible était inexprimable ? En fait j'ai peur de te faire peur avec mes mots. Quelquefois mon langage s'emballe comme un cheval fou, qui n'en peut plus d'être bridé et voudrait enfin courir comme il le sent, n'est-il pas né pour cela ?
Il faut pourtant que tu saches, que tu comprennes ce léger tremblement de la paupière qui parfois t'étonne, entre deux portes.
Tu sauras – et peut-être, tu t'en iras en courant.
J'ai l'impression d'avoir été, comme tant d'enfants, conscients ou inconscients, programmée par des êtres morbides pour une vie dont mon âme ne voulait pas. Comme tant d'enfants, souffrants et désolés, scandalisés au sens où il est dit dans l'évangile de Saint Matthieu, « Mais si quelqu'un scandalise un de ces petits qui croient en Moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on suspendit à son cou une de ces meules qu'un âne tourne, et qu'on le plongeât au fond de la mer ».
Alors, grandie dans la souillure et la laideur, comment reprendre ma liberté ? En changeant le Mal par le mal. Satan m'offrait la Dépravation dorée ; je me détournais de lui et choisissais la dépression marronnasse. Le Diable me proposait des tombereaux d'espèces sonnantes et trébuchantes ; je me détournais de lui et plongeait dans l'indigence. Lucifer m'attirait vers les hautes sphères du pouvoir ; je me détournais de lui et sombrais dans les zones dénuées de puissance et de liberté. Belzébuth me tendait les diplômes qui m'ouvraient les trônes où des domestiques servent ; je m'en allais les poings dans mes poches crevées.
Sur cette route sans joie du détournement majeur de mon détournement de mineur, je m'arrachais lentement aux susurrements des Crimes et des Dominations.
Un risque me guettait pourtant : celui de vêtir l'habit mesquin, râpeux, grisâtre de l'amertume.
Abstinence, abstention, voie étroite, jeûne, ce carême illimité auquel je me soumettais défaisait les fils avec lesquels des êtres malfaisants m'avaient attachée et qui m'auraient entraînée au fond des bouges, là où les adultes se défont de toute leur dignité pour sombrer dans l'horreur crue des passions sordides. Je me débarrassais des scories et des leurres, des troubles et des distorsions qui m'auraient perdue, qui m'auraient emportée jusqu'au crime un soir de beuverie, jusqu'à l'humiliation volontaire un soir d'ennui ou jusqu'au suicide un soir de conscience. Je me délivrais du mal.
Mais j'endossais la bure aride du pénitent. Je remplaçais la tentation par l'aigreur.
Je buvais du vinaigre pour ne pas tremper mes lèvres au nectar sensuel de la perdition. Dans ce combat contre l'ange du vice, je gagnais la vertu, mais je perdais mon cœur.
Je me disais : « on m'a arraché l'innocence et je suis perdue à jamais pour la découverte charmante et fraîche des arbres autorisés. Même les fruits permis se détournent de moi, parce que j'ai perdu le goût de tous les jus en m'éloignant du Serpent ».
Amertume, tu me recouvrais comme une vague. Mes lèvres, nées jolies comme celles des petites filles naïves, avaient failli connaître la moue mouillée des luxures. Elles se serraient maintenant comme de petits fils secs qui ne veulent ni sourire ni partager. Oui, mes lèvres s'asséchaient pour ne plus jamais désirer des bouches.
Car la bouche attire la langue ; puis la langue éveille les feux des enfers du cerveau ; et le cerveau allume les ventres insatiables.
Voilà : je n'ai jamais été attachée dans la salle arrière d'une luxueuse boite de nuit, au milieu d'êtres funestes et sans intelligence. Cela m'a coûté très cher : des bouteilles d'amertume, des années de dépression, des échecs choisis au dernier moment, juste avant d'approcher la réussite. Des pans de vie à l'ombre des plénitudes, à cause d'un ver qu'on m'avait mis. Pour se sauver, il faut parfois accepter de mourir à tout ce qu'il y a d'attirant dans le monde.
Mais après ? Tant que l'on vit, le salut n'est jamais acquis ; l'amertume, si fade, si vide, si pète-sec, comporte ses pentes douces qui raidissent et ne se remontent plus. Alors il a fallu éclore à nouveau. Comme un enfant s'éveille au monde sous les mains protectrices d'êtres emplis de bienveillance, il a fallu accepter de renaître et accueillir les gestes de l'échange sans serrer les dents. Il a fallu plonger dans les fontaines aux eaux trop froides et recevoir les coups involontaires des nageurs sympathiques. Il a fallu rire et partager, sans trop juger, sans trop penser. Il a fallu surtout briser le cercle de loyauté. Trahir encore, trahir celle qui s'était trop protégée. Il a fallu trahir cette héroïne traquée qui s'était sauvée.
Toi, toi qui a jeûné, qui t'es abstenue, qui a creusé de tes doigts la voie étroite dans la pierraille, qui a prié et lutté dans les ténèbres sans saveur et sans repos, je te trahis. Je laisse ta dépouille sur le chemin marron des forçats solitaires pour rejoindre la route de lumière. Je te demande pardon, je te dis merci et je t'abandonne pour toujours.
Venexiana
Venexiana sur AlmaSoror :
J'entendais ta guitare pleurer
La saga des voix lactées - 40 ans d'art européen
Et pour elle, une dédicace
Venexiana dans VillaBar
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