dimanche, 05 octobre 2014
La roseraie d'Aztlan
Mathieu Simonet était le maître de cérémonie de la Nuit Blanche à la Pitié Salpétrière, dans l'espace ténébreux qui séparait le samedi 4 du dimanche 5 octobre.
Il avait demandé à plusieurs personnes d'écrire un texte sur une couleur, qui serait lu au cours de la nuit dans le Parc de la Hauteur de l'hôpital. M'avait proposé le rose.
Je lui avais envoyé La roseraie d'Aztlan :
Sous un ciel du soir parsemé de déchirures roses, Klaus Nomi et Nina Hagen marchent en se donnant la main. Il chante la chanson froide de Purcell et elle chante la nature en larmes. La route soudain s'efface ; surgit une allée de roses trémières.
Roses sont les roses et les pastèques, rose le ciel qui s’affaisse sur la vallée ; roses pâles les lèvres des deux amis.
On dirait un concert de guitares dans le lointain... La rumeur s'approche. Non, ce ne sont pas des guitares que l'on entend, mais les voix des Aztèques qui incantent en langue nahuatl :
Amoxcalco pehua cuica, yeyecohua Yehuaya, quimoyahua xochitl, on ahuia cuicatl.
Ils retournent à Aztlan, la terre rose où leurs pères étaient heureux.
Nos deux héros se saisissent de masques et se glissent dans la procession. Elle oublie l'égalité de Berlin-Est, il oublie la liberté de Berlin-Ouest, ils dansent avec le peuple nahua dans l'amour mystique du serpent. Les rouges tambours du désir et les flûtes blanches des morts rythment la fête dans la roseraie en impulsion.
Édith de Cornulier-Lucinière
| Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |
jeudi, 31 juillet 2014
Musique d'un exil provincial
Vous lisez un texte qui fut chargé de liens qui coulaient entre ses veinures. Cliquez, visions sonores, images parlantes, qui sait ? L'écriture automatique n'a rien d'un tempo machinal. Mais les liens sont morts. Désactivés.
Les victimes des dictatures du monde entier souffrent de l'exil. Moi je ne fais que hanter les rues d'une province, à quelques heures de train-grande-vitesse de la capitale. Aussi mon exil est-il indicible, et je ne dis rien d'autre que ma joie du soleil. Grande joie du soleil, tu inondes mon être et tu accompagnes cette étonnante prolongation musicale qui a lieu jour après jour depuis la première fois où j'ai mis de la musique dans cet appartement éphémère.
J'ai des périodes planantes, atmosphériques et minimalistes . Dakota Suite. Hammock. Yellow 6. Biosphere
J'ai de longs tunnels de souvenirs. Dire Straits. U2.
J'ai des phases d'ascenseur. Tord Gustavsen Trio.
J'ai des descentes classiques, bien que ce mot ne convienne strictement pas à la musique qu'il englobe. Wagner. Schubert. En fait, il faudrait éliminer ce mot ridicule de classique et orienter les musiques selon d'autres catégories. Je m'y emploie :
Frank Martin, Francis Poulenc, Klaus Nomi et Nina Hagen, tous fils de l'épopée classieuse teintée de punk.
Dans la blancheur presque triste et si monotone de la ville tranquille, les affiches sur les devantures ou les radios dans les cafés parlent du vaste monde. Bombes sur la Palestine, attentats suicides sur Israël, et leurs émules dans les rues de Sarcelles, Paris, Marseille. Guerres importées par l'immigration, guerres exportées par les besoins insatiables du capitalisme en Syrie et en Afghanistan, destruction de pays au nom de la démocratie et des droits de l'homme, catéchisme souillé par ses clercs, comme tous les catéchismes. Christ trahi par les églises, droits de l'homme trahis par ceux qui en vivent (Proudhon : « la pensée d'un homme en place, c'est son traitement »).
Interzone, je te suis dans les méandres mécaniques de ton tempo trop lent. Tu sais détruire les fragiles édifications intellectuelles, tu sais effacer les dialogues trop ressassés.
Vidéos pour faire le vide. Contrairement à une voiture qui s'arrête à des stations essence pour faire le plein, je dois quelquefois cesser toute action pour faire le vide. Le miroir s'enfonce dans le miroir dans un château bourguignon, non loin de Montréal. Des images se succèdent, défilé à peine lyrique des formes pures. Ou quel fou laissa ce bateau amarré voguer quand même de longues minutes sous le joug sonore scandinave ?
Tout cela ne vous emportera peut-être pas aussi loin que mon rêve. Chacun, nous avons nos rêves, qui qui sait d'où ils viennent et où ils iront. La vie qui nous est donnée est courte et amputée déjà, dès le départ, par l'atrophie des pensées et des sentiments. Nos sensations nous blessent ou nous exaltent, mais les voilà déjà parties. Je me regarde dans la glace comme la plupart de mes contemporains, cette foule sans idéaux, et je ne sais pas qui je suis. Peu importe, le temps passe, la mort viendra bien, bien avant que j'aie tenté quelque chose. À moins que je n'essaye dès aujourd'hui ? Lire, écrire, penser, agir, construire quelque chose, là où la loi a oublié de l'interdire, là où le regard d'autrui ne songe pas à se poser.
Ils reviennent de vacances et déploient leurs photographies mais je n'ai aucun album à dévoiler de mon grand voyage intérieur. Pourtant j'ai vu des choses, sombres et pleines de lumière, le matin et le soir, et j'ai vaincu le Temps.
Peut-être aussi que j'écoute les départs pour oublier le Départ ; peut-être que je fuis les tropiques parce que j'attends les Tropiques. Peut-être que je vois des bulles pour être soûle, soûle, soûle. Peut-être qu'une étoile m'a ouvert des portes de la perception ?
C'était l'époque où je cherchais partout quelqu'un que je ne rencontrais pas, quelqu'un qui ait du charme, un charme fou et irrécupérable. C'était l'époque des arbres teintés de tous les verts nacrés dans la forêt touffue d'un décembre doux. Une forêt montagnarde où les feuilles des arbres ne tombent pas. Je voudrais réussir cette acrobatie, d'être fière de moi sans que personne ne soit jaloux de moi. Je voudrais vous éclabousser de mes rêves et de mes toiles d'araignée, de mes baisers de pluie, de mes rires éclatants, sans que vous en preniez ombrage. Les charismes nés de tromperies ou de mensonges ont des postérités désagréables.
Un autre jour ou dans un autre cauchemar (comment savoir?) une femme commentait négativement sa vie. L'insatisfaction se focalisait sur le destin qu'elle n'avait pas choisi. Il faut choisir, choisir, car toutes les erreurs valent mieux que l'aigreur d'avoir laissé passer les événements sans jamais rien en décider. Mieux vaut mille erreurs que l'aigreur. Mieux vaut des nuits sur le bitume que sur une couette trop d'amertume. Si tu ne choisis rien, choisis au moins de ne pas choisir, et que ton sacrifice soit consenti en héros qui porte sa croix.
Mar desconocido, mer inconnue, mer intérieure, mer amère et trop profonde, mer silencieuse de méandres et d'abysses, mer muette, mer peuplée de poissons et de créatures qui se désintègrent dès que la lumière les capture. C'est toi que je veux conquérir, toi qui brasses tes tonnes aquatiques à l'intérieur de mon corps, et pour cela je n'ai qu'à fermer les yeux. Tous les tours du monde trompent l'ennui. Toi, tu es brute, trop brute, étrangère à la tricherie. Tu m'appelles, tu m'attends, je te crains et je t'aime.
Tu m'emporteras.
Mais pour l'heure, le soleil tourne dans la cour comme un moulin. Le vent écoute sa propre voix. Au loin les passants conversent sans y penser, sur le chemin de la ville qui mène aux dunes.
Une femme écrit un texto qui mentionne « une couleur, une ampleur, une musique jusque-là inconnues ». Je crois entendre la poésie magnétique qui nous garde, enlacé(e)s à l'existence comme un fruit à son arbre.
Bande originale de cette errance :
Because our lie breathes differently - par Dakota Suite
I can almost see you - par Hammock
Maré - par Yellow 6 (alias Jon Atwood)
Laïka - par Biosphere (alias Geir Jenssen)
Water of Love - par Dire Straits
Numb - par U2
Being there - par Tord Gustavsen Trio
Extrait des pèlerins de Tannhauser - par Richard Wagner
Standchen (Sérénade) - par Franz Schubert
Messe pour double chœur - par Frank Martin
Finale du Dialogue des Carmélites - par Francis Poulenc
The Cold Song de Purcell - interprété par Klaus Nomi
Naturträne - par Nina Hagen
Interzone - par Serge Teyssot-Gay et Khaled AlJaramani
Spiegel im Spiegel, d'Arvo Pärt - interprété par Esmerine au château de Monthelon
Between Signal & Noise - par Eivind Aarset et Nils Petter Molvaer
Le départ - par Amandine Maissiat
Tropiques - par Amandine Maissiat
Soule - par Amandine Maissiat
Film :
The third & the seventh - par Alex Roman
| Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |
jeudi, 01 novembre 2012
Archange
N'ayez pas peur de lui... N'ayez pas peur de vous. Ecoutez ce chant funèbre, somptueusement déployé par un ange poignardé :
What power art thou,
Who from below,
Hast made me rise,
Unwillingly and slow,
From beds of everlasting snow!
See'st thou not how stiff,
And wondrous old,
Far unfit to bear the bitter cold.
I can scarcely move,
Or draw my breath,
I can scarcely move,
Or draw my breath.
Let me, let me,
Let me, let me,
Freeze again...
Let me, let me,
Freeze again to death!
Publié dans Clair-obscur, L'oiseau, Sleipnir | Lien permanent | Commentaires (2) | | Facebook | Imprimer |