dimanche, 10 novembre 2013
Paysage
Patrick Biau revient avec un nouveau sonnet sur AlmaSoror en ce mois de novembre. Nous avions déjà, de lui, publié Soleil noir foncé.
Le cadre est vertical. En haut, sur un bon quart,
occupant tout le large, un ciel d'un bleu marine
emprunte à l'océan ; un soleil de citrine
manœuvre dans ses flots comme un brûlant drakkar
guidé par une escorte : un corbeau est de quart.
En dessous, l'arbre est rare, et un ruisseau burine
à l'eau-forte, en crawlant de sa fureur taurine,
un mitan entre prés et moissons en jacquard.
Plus bas encor, posés sur leurs clous d'or sans tête,
des rollmops dorés font d'un fakir un esthète,
c'est pour l'heure, à gros traits, ce que crie la rumeur
à travers l'écheveau d'une haie maladroite.
Manque une ultime touche : en marge, en noir, à droite
de la composition, paraphe
Le Rimeur.
Patrick Biau est l'auteur d'un livre et d'un site sur le chansonnier Jules Jouy
... ainsi que d'un recueil de poèmes
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dimanche, 08 janvier 2012
Fille d'ouvriers ou la révolte sans fard ni loi
En ce dimanche, jour du Seigneur et de repos, nous présentons Fille d'ouvriers (Jouy-Goublier), suivi d'un extrait de Mélancholia, de Victor Hugo
A quinze ans, ça rentre à l'usine, Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine, Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole, Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole, Chair à patron.
fille d'ouvrier par Chansondhistoire
Paroles de Jules Jouy (1855-1897) (faites connaissance avec lui sur ce site) et musique de Gustave Goublier, dont on peut lire la vie sur la page des amis du Père Lachaise
Paroles :
Pâle ou vermeille, brune ou blonde,
Bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde,
Chair à guignon.
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,
Comme un vrai champignon ça pousse
Chair à pavé
A quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine,
Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole,
Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole,
Chair à patron.
Jusque dans la moelle pourrie,
Rien sous la dent,
Alors, ça rentre "en brasserie",
Chair à client.
Ça tombe encore: de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute,
Chair à trottoir.
Ça vieilli, et plus bas ça glisse...
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police,
Chair à roussin;
Ou bien, "sans carte", ça travaille
Dans sa maison;
Alors, ça se fout sur la paille,
Chair à prison.
D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,
Ça va geindre dans un hospice,
Chair à savant.
Enfin, ayant vidé la coupe.
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe.
Chair à scalpel.
Patrons ! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles,
Chair à fusils,
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart,
Nous les laisserons vos charognes,
Chair à Macquart !
Mélancholia, de Victor Hugo : la critique sociale versifiée :
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !
VH
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