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samedi, 26 avril 2014

Désintoxication & revigoration

 

Chien dans la ville océan.jpg

Nous dînions, nous conversions, j'avais cuisiné une salade de légumes et une ratatouille de fruits ; certains buvaient de l'OVNI, d'autres de la troussepinette, d'autres encore du jus d'ananas, et je ne sais pourquoi nous tombâmes les conventions pour parler de cœurs à cœurs, ce soir là. Je dis ce soir là mais il ne tombait pas, le soir, c'était un jours d'été, il y a quelques années, et j'étais époustouflée par le chant des cigales, moi qui ne connaissais que celui des grillons. Depuis, j'ai entendu de nouveaux chants d'insectes et j'ai appris à ne plus préférer celui des cigales à celui des grillons.

La question qui nous occupa fut de chercher à identifier les sentiments qui pourrissaient nos vies. D'aucuns parlaient de l'envie, d'autres de la honte, d'autres encore de la haine de soi et elle, que j'avais détestée sans raison les jours précédents, avoua sa perpétuelle terreur du silence et de l’inaction. Je disais alors aux convives, moi, je suis dépitée. C'était un mot que je découvrais dans ma propre bouche et qui me paraissait définir la tonalité de ma vie quotidienne.

Depuis, j'ai éprouvé de nouveaux mots et j'ai appris à mieux nommer ceux qui conviennent aux attitudes de mon âme. J'ai identifié les trois sentiments qui me rendent malheureuse et pèsent sur mon moral et ma vie de tous les jours. Je les suppute responsables de 80% de mon malheur (statisticiens, admirez ma science intuitive). Il s'agit, en premier lieu, de l'insatisfaction chronique ; en second lieu de la comparaison avec les autres ; en troisième lieu du découragement. J'aurais pu citer le sentiment de culpabilité, mon plus vieux compagnon, ou encore l'inquiétude constante, ma meilleure ennemie, ou bien encore le sentiment de l'horreur face aux misères du monde ressassées par mon mental, mais cette triade évoque des états qui sont à la fois plus profonds et plus féconds – c'est à dire plus difficile à extraire ou éliminer, et moins polluants, moins vains. Restons en donc aux trois érinyes de ma vie quotidienne.

L'insatisfaction m'attaque aux moments où rien de grave n'a lieu. Dès lors, privée de tout drame, mon cœur s'attache à trouver tout ce qui manque dans ma vie, tout ce qui pourrait pourrir la tranquillité de l'instant présent. La comparaison (sociale, surtout) ne reste jamais en reste. Elle débarque à ce moment pour appuyer l'insatisfaction, lui donner la réplique. Est-ce à ce moment que survient le découragement ? Quelquefois, oui. Pas toujours. Il lui arrive de venir en catimini s'installer quelque part au creux de moi, et grandir, grossir jusqu'à organiser un abattement total de l'être. Plus rien n'a de sens, l'espoir disparaît de mon champ de vision. Le passé se teinte de noir et l'avenir se charge du pire. « Malheureux ! S'écriait Mercedes. si je croyais que Dieu m'eût donné le libre arbitre, que me resterait-il donc pour me sauver du désespoir ! » C'est à ce moment là que je commence à croire mon libre-arbitre : pour me juger coupable, et me condamner à perpétuité.

Ce soir là, qui n'était pas un soir, mais un jour qui ne finissait pas, avait éclos un cheminement qui se poursuivit longtemps après, qui se poursuit toujours. Nous mangions, buvions, causions et partagions nos expériences intérieures douloureuses, nos espérances parfois vives, parfois faibles, instances de vérité qui faisaient effraction comme des cambrioleuses au milieu d'une mondanité, fées venues d'un monde fantastique apporter une touche d'irréel à ce paysage de Provence, et le rendre inoubliable à jamais pour chacun d'entre nous (du moins je le crois). Mais nous ne percevions pas de possibilité d'inverser le décor de nos mondes intérieurs. Ce n'est que bien après que j'eus l'idée de traquer sans relâche ces trois funestes sentiments et de les remplacer par trois attitudes, de gré ou de force. Je ne demande pas la permission à mon cœur. Je lui impose de se laisser expurger de l'insatisfaction, de la comparaison et du découragement, de se laisser remplir par trois attitudes qui les chassent, remplacent, les rend caduques. À l'insatisfaction je substitue la quête spirituelle, et chaque manque matériel, affectif, moral, je le transforme en quête de son équivalent immatériel, universel, spirituel. À l'insatisfaction matérielle je substitue la faim spirituelle, car « l'âme, à la différence du corps, se nourrit de sa faim » (Gustave Thibon). À l'insatisfaction affective je substitue l'amour de Dieu (ce puits sans fonds, cette inexistence qui emplit tout ce qui est vide!) et le don de soi, sans rien attendre. Et à l'insatisfaction psychologique et morale, je substitue la prière, cette action invisible, intangible et immobile. « La prière s'adresse à la magnanimité des ténèbres : la prière regarde le mystère avec les yeux même de l'Ombre, et, devant la fixité puissante de ce regard suppliant, on sent un désarmement possible de l'inconnu » (Victor Hugo).

Face à la comparaison, moins de hauteur, plus de technique. Moins de renoncements, plus de mise en mouvement. Pour conjurer la comparaison avec les autres, celle qui m'enrage, je pratique le développement personnel. Tout ce qui me paraît inférieur chez moi, en moi, dans ma vie, je l'inscris sur une feuille de route, et développe des plans quinquennaux pour y remédier. Domaine par domaine, j'aligne les actions à prendre, les formations à suivre, les améliorations à apporter à petites touches à ma vie. Aucune comparaison avec autrui ne doit passer sans que je l'analyse, que j'en décrypte ce qui me fait défaut et que je mette en branle un chemin vers le progrès.

Quant au découragement, ce grand drapeau noir planté en mat dans mon cerveau, il n'est pas beaucoup de moyen de le vaincre. Face à la désespérance, je me souviens d'Ibn Séoud adolescent dans le désert. Son père, le clan abandonnait l'espoir. La famille d'Arabie rendait l'âme et renonçait à tout. Il était ridicule et inepte de croire à quoi que ce soit d'autres qu'à l'extinction de toute espérance. Alors Ibn Séoud se mettait en prière pour attendre la délivrance ou la mort, et à l'aube, les cavaliers venaient porteurs du drapeau blanc flottant à la lumière.

Jour après jour, sans relâche, exterminer les trois Érinyes et installer à la place, la quête spirituelle, le développement personnel et l'attente du jour envers et contre tout. Alors plus rien ne me fait peur, ni la mort, ni l'échec, ni l'usure, car ils n'existent plus dans ma vie.

 

 

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lundi, 21 mars 2011

L’invasion de l’Europe (années 700)

Charles Martel

 

Jacques Benoist-Méchin conte l'invasion islamique des années 700, épopée spectaculaire qui s'arrêta par une débâcle en plein Poitou,
en 732.

 

 

« Le successeur de Hassan, Mousa-Ibn-Noseïr, fut une des plus grandes figures de l’épopée islamique. Rompant avec la politique de son prédécesseur, il se rallia les Maures vaincus, et sut leur inspirer confiance par ses mesures de clémence. Il les attira auprès de lui, les incorpora à ses troupes et les invita « à le suivre où il les conduirait » (709).

En agissant ainsi, Mousa travaillait à la réalisation d’un plan qui mûrissait depuis longtemps dans son esprit. Face à la côte africaine, il voyait se déployer à l’horizon un autre littoral qui exerçait sur lui une fascination étrange. C’était l’Espagne. Comme les voyageurs ne cessaient de lui vanter l’opulence de ses villes, l’enchantement de ses jardins et la fertilité de ses plaines, il résolut de s’en emparer.

 

Ayant obtenu l’autorisation de Walid, Mousa accéléra ses préparatifs. Mais le fils de Noseïr était un homme prudent. Ne voulant pas engager ses meilleures troupes dans une entreprise qui comportait beaucoup d’aléas, il décida d’envoyer en avant-garde ses régiments maures, sous le commandement de leur chef, Tarik. Celui-ci franchit le détroit de Calpé, débarqua sur la côte espagnole et dressa son camp au pied d’une falaise abrupte qu’il baptisa Djebel-al-Tarik (Gibraltar). Puis, ayant passé une dernière fois ses hommes en revue, il brûla ses embarcations pour leur montrer que l’aventure dans laquelle il s’engageait était sans retour, et s’enfonça vers l’intérieur du pays (710).

 

Les Wisigoths, qui occupaient à cette époque la péninsule ibérique avaient beaucoup perdu de leur vigueur primitive. Leur roi Roderic était un prince raffiné, d’une grande élévation d’esprit, mais émasculé par la mollesse et le luxe de sa cour. « Ses vêtements couverts d’or, son char d’ivoire, sa selle tout incrustée de pierreries cachaient sous leur éclat le fer, qui seul, en ce moment, avait de la valeur. Les nobles qui l’entouraient, équipés magnifiquement, se fiaient bien moins à leur courage qu’au nombre de leurs soldats, esclaves embrigadés de force qui ne combattaient qu’à contre-cœur. En face d’eux, les Berbères, commandés par un chef intelligent et prêts à accepter la mort comme un bienfait, puisqu’elle devait leur assurer le ciel, semblaient avoir oublié leur infériorité numérique. » (Sédillot)

 

Le choc décisif eut lieu dans la plaine de Guadalete, non loin de Xérès. Pendant sept jours, les deux armées s’épuisèrent en escarmouches et en combats singuliers. Enfin Tarik, voulant forcer le destin, chargea impétueusement les Wisigoths à la tête de sa cavalerie et réussit à couper les forces ennemies en plusieurs tronçons. Aussitôt, les Wisigoths commencèrent à perdre pied. Les voyant se débander, l’évêque de Séville et les troupes qu’il commandait, se rangèrent du côté de l’envahisseur. Roderic, trahi, chercha en vain à rallier ses escadrons qui fuyaient de tous côtés. Il fut entraîné dans la déroute générale et périt dans les eaux du Guadalquivir (711).

 

Tarik sut exploiter à fond cette éclatante victoire. Il fonça sur Tolède, la capitale du royaume, après s’être emparé d’Ecija, de Malaga, d’Elvira, de Grenade et de Cordoue. Tolède, privée de défenseurs, capitula. Tarik poursuivit sa marche vers le nord et parvint, par Saragosse et Pampelune, jusqu’à Giron, sur le golfe de Biscaye.

Mousa, ne voulant pas laisser à son lieutenant tout le bénéfice de cette campagne, se hâta de traverser à son tour le détroit de Gibraltar et pénétra en Andalousie, qui n’était pas encore entièrement subjuguée. Ayant pris Mérida, Carmona et Séville, il alla rejoindre Tarik à Tolède, tandis que son jeune fils Abdelaziz, qui avait amené d’Afrique un renfort de 7000 hommes, se rendait maître de la Lusitanie et de l’Estrémature.

 

Toute l’Espagne était aux mains de l’Islam. Cette proie splendide fut partagée entre les légions victorieuses. La légion de Damas s’établit à Cordoue ; celle d’Emèse, à Séville ; celle de Kinnesrin (Chalcis), à Jaen ; celle de Palestine, à Médina-Sidonia et à Algéziras ; celle de Perse, à Xérès de la Frontera ; celle de l’Yémèn, à Tolède ; celle de l’Irak, à Grenade ; celle d’Egypte, à Murcie et à Lisbonne. Enfin, 10 000 cavaliers du Nedjed et du Hedjaz se virent attribuer les plaines les plus fertiles de l’intérieur. On eût dit qu’une « Arabie nouvelle », avec toutes ses provinces, s’était constituée derrière les colonnes d’Hercule, à cette pointe extrême du Ponant.

Mais pour Mousa, la conquête de l’Espagne n’était qu’un commencement. Remettant à son fils Abdelaziz le soin d’administrer le pays et laissant en arrière des garnisons suffisantes pour y assurer l’ordre, il partit pour le nord avec le reste de ses troupes. Lorsqu’il fut parvenu au sommet des Pyrénées et qu’il vit se déployer à ses pieds les riches plaines de la Narbonnaise, Mousa « suspendu sur l’Europe » conçut un plan grandiose : il décida de rejoindre le Bosphore par la voie de terre et de prendre Constantinople de revers, en subjuguant tous les peuples qu’il rencontrerait sur sa route. Ce projet lui était inspiré « par un orgueil démesuré et par son vieil instinct nomade, pour qui les distances ne comptent pas ».

 

Il détacha une avant-garde, sous le commandement de l’Emir Alsamah, et lui enjoignit de conquérir la Septimanie. Narbonne fut occupée en 719. Alsamah ayant été tué au cours d’un combat, son successeur Ambizah s’empara de Carcassonne, d’Adge, de Béziers et de Nîmes, mais se heurta à une résistance vigoureuse d’Eudes, duc d’Aquitaine, qui lui interdit l’accès de Toulouse (721). Ambizah et ses cavaliers s’infléchirent alors vers la vallée du Rhône, qu’ils remontèrent pas étapes. L’Albigeois, le Rouergue, le Gévaudan, le Velay subirent leurs déprédations. Poursuivant leur avance le long de la Saône, les forces musulmanes parvinrent en Bourgogne. Beaune fut prise et ravagée. Sens se racheta par un tribut. Autun fut enlevé d’assaut et pillé (725). Auxerre faillit connaître le même sort. Les Arabes campèrent dans les vallées de l’Aube et de l’Absinthe à peu près là où devait s’élever plus tard l’abbaye de Clairvaux. Troyes barricada ses portes, en prévision d’un siège.

 

Ces opérations coïncidèrent avec un débarquement effectué par la flotte sarrazine dans la région de Fréjus (Fraxinet). Les escadrons musulmans s’installèrent en force dans le massif dit des Maures. De là, ils rayonnèrent jusqu’en Provence, où ils occupèrent Arles et Avignon (730).

Enhardi par ces succès, Mousa ordonna à un autre de ses généraux, l’Emir Abderrahman, de conquérir le reste de la Gaule. A la tête d’une armée nombreuse, Abderrahman franchit le col de Puygcerda. Cette fois-ci, le duc d’Aquitaine ne put résister à l’envahisseur. Battu sur les bords de la Garonne, Eudes dut se replier en toute hâte vers le nord-est, ouvrant aux Arabes la route de Bordeaux, qui fut emportée d’assaut. Abderrahman, vainqueur de nouveau au passage de la Dordogne, se dirigea vers Tours, dans l’intention de s’emparer de l’Abbaye de Saint-Martin, qui était, à cette époque, le sanctuaire national des Francs. 

 

La nouvelle de l’arrivée des Arabes sur les bords de la Loire, souleva, dans toute la Gaule, une émotion indescriptible. L’Europe allait-elle devenir musulmane ? Charles, fils de Pépin d’Héristal, que soutenait la fortune ascendante de sa famille, résolut de sauver la Chrétienté menacée. Il appela les Leudes aux armes, convoqua le ban et l’arrière-ban des guerriers francs et meusiens. Tous les hommes en état de se battre répondirent à son appel. Abderrahman décrocha de la Loire et attendit son ennemi à Vouillé, entre Tours et Poitiers. C’est là qu’allait se décider le sort de l’Occident (732).

 

« Les Arabes comptaient sur une seconde bataille de Xérès, et furent déçus dans leurs espérances. Les Francs austrasiens ne ressemblaient pas aux Wisigoths dégénérés. Ils ne portaient point d’or sur leurs vêtements et se présentaient au combat tout bardés de fer. Là, point d’esclaves combattant pour un maître détesté, mais des compagnons entourant un chef qui se disait leur égal. Pendant les six premiers jours, il n’y eut que des engagements partiels, où les musulmans eurent l’avantage. Le septième, l’action devint générale ; elle fut sanglante et solennelle. Les Arabes, accablés par la force et la stature des Francs, furent mis en déroute par l’impétuosité de Charles, qui gagne dans cette batille le nom de Martel » (Sédillot).

 

Abderrahman fut tué au cours de la mêlée. Dans la nuit qui suivit, les Arabes, privés de leur chef, perdus dans un pays qu’ils ne connaissaient pas, furent pris de panique et se querellèrent entre eux. On vit alors, dans les clairières du Poitou, les tribus du Hedjaz, de l’Yémen et du Nedjd tourner leurs armes les uns contre les autres et s’entredéchirer avec fureur. L’armée se volatilisa sous l’effet du désastre. Ses débris se replièrent péniblement vers la Septimanie, harcelés par Charles Martel et son frère Childebrand. Ils ne se retrouvèrent en sûreté que derrière les remparts de Narbonne et de Carcassonne.

 

Stoppée en Occident par la victoire de Charles Martel, bloquée devant Byzance par la résistance de Léon III et de Justinien II, l’expansion arabe avait atteint en 743, des limites qu’elle ne dépasserait plus. Grâce à la force des Francs et à la ténacité des Grecs, l’Europe devait rester en dehors de son emprise. Mais la domination musulmane ne s’en étendait pas moins de Narbonne à Kashgar ; et le Calife, « cette image de la divinité sur terre » se trouvait à la tête d’un empire plus vaste que ceux de Darius ou d’Alexandre le Grand.

 

Jamais entreprise aussi considérable n’avait été réalisée en un aussi petit laps de temps, et les chroniqueurs de l’époque n’eurent pas tort de la comparer à une tempête. Plus de douze mille kilomètres séparaient les positions extrêmes occupées par les Arabes en Orient et en Occident. Pourtant il ne s’était écoulé que cent vingt-deux ans depuis le serment d’Akaba, c’est-à-dire depuis le jour où, rassemblant autour de lui une quarantaine de guerriers, Mahomet avait constitué le noyau initial des armées islamiques ».

 

Jacques Benoist-Méchin, Ibn Séoud ou la naissance d’un royaume.

Beaune

Beaune floue depuis un téléphone androïde, par une fin d'après-midi en 2010