lundi, 27 mai 2019
Heure de pointe au sommet du monde
Embouteillage au sommet de l'Everest où la victoire éclatante des médias sur la vie. Payer des milliers d'euros pour polluer un sommet à l'autre bout du monde, pour se donner le frisson de l'aventure... Et recréer l'ambiance du périphe un lundi soir ! Avant de revenir manger du pain sans gluten et des aubergines bio dans un quartier de Paris sympa. La vie rêvée des anges perdus. La vie perdue des anges qui ne rêvent plus que de ce qui existe déjà.
(Souvenir, soudain, des images du film Le voyage à Tokyo, de Ozu. Le désir de prestance sociale créée des drames intérieurs sans nom ni mots).
Mais il est vrai que pour vivre d'une manière belle et intense aujourd'hui, il faut accepter d'aller vers des choses qui ne sont pas validées ni mises en avant ni reconnues par les médias.
Est-ce que cela a un intérêt d'écouter les grenouilles au bord d'une flaque au fond d'un chemin de la Creuse ? Oui, si je trouve les mots, les concepts, les mises en image pour m'en vanter sur les réseaux sociaux. Mais vivre de belles choses sans que les autres le sachent, est-ce encore désirable ?
Jouer aux cartes sur le coin d'une table, réciter un chapelet dans une église à trois heures de l'après-midi, aller passer quelques heures avec un ami résidant dans un hôpital psychiatrique, constituer un herbier...
Quant à l'aventure, l'aventure... dès qu'elle devient désirable par les autres, elle en perd toute sa saveur. Comme une île magique assaillie par les touristes, comme une passion gâchée par la nécessité de la rentabiliser en monnayant le rêve initial. "J'ai décidé de vivre de ma passion", disait cet homme et, subitement, de slackliner qui tutoyait les étoiles il est devenu vendeur de frissons pour des sponsors. En faisant la même chose, mais avec le devoir de constituer un discours et des images pour irriguer une marque. Tant de surfeurs aussi, tant de chercheurs de vagues solitaires sont devenus des communiquants rémunérés, mais obligés... ne me faites pas croire que leurs vagues ont la même saveur qu'auparavant.
On ne vit sa passion qu'à l'écart du discours et de l'image fabriqués.
Le sport extrême, dans notre société, c'est la solitude, c'est l'originalité, c'est d'accepter de faire ce que les autres méprisent, peut-être.
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mardi, 10 janvier 2012
Dauphins
AlmaSoror accepte de publier cet appel, cette adresse inutile d'Esther Mar
à un ami emmuré dans son ciel infini
La chambre d'Hamilcar à Apsyaï
L'esprit d'Hamilcar ressemble à cette mer entre deux eaux.
"Oublie tes symptômes recommence à vivre. Oublie tes symptômes. Va voir où les dauphins crient, dans la mère-mer. Oublie tes symptômes à l'oreille droite ; oublie tes symptômes à la jambe gauche ; oublie tes symptômes du coeur et tes symptômes du scandale. Oublie tes symptômes, va voir les dauphins, là-bas dans la liberté de la mer, loin du sanatorium. Va voir les dauphins au fond de la mer, loin du sanatorium".
Ce furent les dernières paroles d'Hamilcar Merri avant d'entrer dans le monde nacré de son imaginaire, d'où aucune porte ne permet de sortir. Son imaginaire est un univers couvert de portes d'entrées par lesquelles on ne peut passer dans l'autre sens. Aussi est-ce avec curiosité que je l'écoute quand il parle encore, dans sa nouvelle langue à double sens, dans la blancheur des sas, derrière les murs d'Apsyaï.
Ami parti, au corps inchangé, aux gestes ralentis, je ne te demande même pas de revenir ou de redevenir. Je contemple notre amitié sans pierre d'attache. Je t'aime encore.
Esther Mar
Publié dans Chronos, L'oiseau, Super flumina babylonis | Lien permanent | Commentaires (8) | | Facebook | Imprimer |