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mercredi, 13 mai 2009

Vous n'avez faim que de bêtes innocentes et douces...

Fragments

La rubrique Fragments offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.

Vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces…

Plutarque,
cité dans Emile ou de l'éducation
de Jean-Jacques Rousseau

 

"Mais vous, hommes cruels, qui vous force à verser du sang ? Voyez quelle affluence de biens vous environne! combien de fruits vous produit la terre! que de richesses vous donnent les champs et les vignes! que d'animaux vous offrent leur lait pour vous nourrir et leur toison pour vous habiller! Que leur demandez-vous de plus ? et quelle rage vous porte à commettre tant de meurtres, rassasiés de biens et regorgeant de vivres ? Pourquoi mentez-vous contre votre mère en l'accusant de ne pouvoir vous nourrir ? Pourquoi péchez-vous contre Cérès, inventrice des saintes lois, et contre le gracieux Bacchus, consolateur des hommes ? comme si leurs dons prodigués ne suffisaient pas à la conservation du genre humain! Comment avez-vous le cœur de mêler avec leurs doux fruits des ossements sur vos tables, et de manger avec le lait le sang des bêtes qui vous le donnent ? Les panthères et les lions, que vous appelez bêtes féroces, suivent leur instinct par force, et tuent les autres animaux pour vivre. Mais vous, cent fois plus féroces qu'elles, vous combattez l'instinct sans nécessité, pour vous livrer à vos cruels délices. Les animaux que vous mangez ne sont pas ceux qui mangent les autres : vous ne les mangez pas, ces animaux carnassiers, vous les imitez ; vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces qui ne font de mal à personne, qui s'attachent à vous, qui vous servent, et que vous dévorez pour prix de leurs services.

O meurtrier contre nature! si tu t'obstines à soutenir qu'elle t'a fait pour dévorer tes semblables, des êtres de chair et d'os, sensibles et vivants comme toi, étouffe donc l'horreur qu'elle t'inspire pour ces affreux repas ; tue les animaux toi-même, je dis de tes propres mains, sans ferrements, sans coutelas ; déchire-les avec tes ongles, comme font les lions et les ours ; mords ce bœuf et le mets en pièces ; enfonce tes griffes dans sa peau ; mange cet agneau tout vif, dévore ses chairs toutes chaudes, bois son âme avec son sang. Tu frémis! tu n'oses sentir palpiter sous ta dent une chair vivante! Homme pitoyable! tu commences par tuer l'animal, et puis tu le manges, comme pour le faire mourir deux fois. Ce n'est pas assez : la chair morte te répugne encore, tes entrailles ne peuvent la supporter ; il la faut transformer par le feu, la bouillir, la rôtir, l'assaisonner de drogues qui la déguisent : il te faut des charcutiers, des cuisiniers, des rôtisseurs, des gens pour t'ôter l'horreur du meurtre et t'habiller des corps morts, afin que le sens du goût, trompé par ces déguisements, ne rejette point ce qui lui est étrange, et savoure avec plaisir des cadavres dont l'oeil même eût eu peine à souffrir l'aspect."

 

mardi, 31 mars 2009

Corrida, ronda

 

Corrida, Ronda & Rwanda, Corrida

Par Bruno Echaliersalle2.JPG

Corrida, Ronda

Les portes sont de bois, un décor les enlace.
Les arcades légères entourent de pisé
Le sable de l’arène qui aime la trace
Des élégants pas de danse et du sang figé.

Arrivent alors les jeunes femmes en ombrelles
Qui entrent aux bras d’hommes fiers et distingués.
La tête inclinée elles arrangent leurs dentelles
Et s’assoient avec soin sur les bancs disposés.

La foule murmure et ronronne au soleil.
L’un chuchote savamment les mots de feria.
L’autre dit précieusement la merveille
De ceux qui donnent la mort avec maestria.

Justement ils entrent éblouissant de leurs ors.
Puis en cavalcade réglée viennent saluer.
Les premiers rangs détaillent le matamore,
Mais on entend tueur au pied des Pyrénées.

La multitude excusée par son nombre
Se lève, espérant des bêtes athlétiques.
En ce temple, brillant pour les âmes sombres,
Le taureau est prêt pour une mort esthétique.

25 septembre   2002

 

Rwanda, Corrida

L’homme est choisi, poussé dans la cour.
Un instant libre, debout, ébloui.
A la clameur la foule accourt
Les rangs s’écartent devant lui.

Vers la vie, les bras levés, il court.
Il n’a pas d’ennemis, il le crie.
Ils sont ensemble ils sont sourds.
C’est un jeu pour eux qui s’ennuient.

Dans l’air la machette luit
Et manque l’épaule qui s’esquive.
Une autre a tranché, geste exquis
Les lames le vrillent, le plaisir s’avive.

Le colonel et la foule incertains
Attendent le geste élégant.
L’infirme déchiqueté implore d’une main,
Ses larmes inutiles sont de sang.

Oh qu’elle est belle la scène
Toute de rouge sur du noir.
Elle rappelle les coutumes anciennes,
Tue la peur et redonne l’espoir.

L’agonie est amère
Pour celui qui n’a pas d’ennemis.
Sa vie aura servie, éphémère
Au plaisir de mort, dans l’oubli.

Devant lui la fosse est remplie
Des chiens grignotent des oreilles.

25 août 2002

Bruno Echalier