jeudi, 10 mai 2012
Souffle et drogues autogénérées : le psychédélisme naturel
Le psychédélisme naturel
(un billet de Hanno Buddenbrook)
"Il faut être libre pour le devenir, car la liberté est existence, et surtout acquiescement raisonné à l’existence et désir ressenti comme un destin de la réaliser".
Ernst Jünger
Chers amis, chers non-amis,
Qu'est-ce que le psychédélisme ? Ce terme, formé des mots grecs « âme » et « clair , visible », a été inventé par le psychiatre Humphrey Osmond et l’écrivain Aldous Huxley, et signifie « révélation de l’âme ». Le mouvement psychélélique a voulu révéler cette âme humaine par l’emploi de drogues, qui émoustillent les sens et « ouvrent les portes de la perception », comme l’a dit Huxley. Ces portes, qui ont poussé Jim Morrison à appeler son groupe de musique rock the Doors, les Portes…
Les drogues utilisées par les adeptes du psychédélisme, hallucinogènes ou délirogènes, sont néfastes pour la santé mentale et physique et rendent fragile l’être humain dans une société dont le délire ne concorde absolument pas avec celui induit par les drogues.
Or, il est possible de se droguer sans se faire mal, sans s'aider de substances externes qui dégradent notre santé ou nous déconnectent de façon dangereuse du monde matériel dans lequel nous sommes plongés.
Le psychédélisme au naturel
Le psychédélisme naturel permet de vivre de façon intense, grâce à la dilatation des perceptions, en échappant à la fois à la prégnance des éléments néfastes de ce que l'on appelle vulgairement la "réalité" et aux conséquences destructrices des drogues.
La drogue extérieure et la drogue intérieure ne sont pas si différentes, dans leurs effets hallucinogènes de révélation des faces cachées de l’âme, des puissances créatrices contenues au fond de nous-mêmes. C'est leurs effets secondaires qui les différencient, tels les problèmes de santé, d'addiction, de cherté, pour ne citer que quelques-uns des problèmes liés aux drogues extérieures. Ces effets sont absents de la drogue intérieure. Quoique... l’on peut soutenir que l'addiction concerne aussi les drogues autogénérées. Mais c’est une addiction qui ne diffère pas de l’addiction à la course à pied : la privation de la drogue provoque éventuellement des crises de colère ou de dépression, que l’on peut surmonter en aménageant sa vie. Rien de grave, en somme. Le fait que la course à pied soit addictif n’enlève rien aux bénéfices qu’elle procure.
Nous comprenons Edith Morning lorsqu'elle déclare : "Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Comment fuir le réel sans qu’il nous rattrape ? Comment rester dans le réel sans dissoudre ses rêves ? En mélangeant savamment le rêve et la réalité, en célébrant au quotidien leurs épousailles mystiques.
Je souhaite partager le fruit étrange et mûr d'une expérience de quelques années.
Voici quelques moyens d'aboutir à ces états psychédéliques, sans LSD ni ingestion d’aucune autre drogue dure ou douce.
Par le souffle
D’abord on se calme, on ferme les yeux, on passe un moment à observer ce qui a lieu sur le rebord clos de nos paupières. Puis on observe notre respiration, son rythme, les effets que ce rythme, allié à une plus grande conscience des événements corporels, peut avoir (fourmillements dans une jambe, effets de ventouse sous une épaule…)
Après quelques temps, l’on peut influer sur ce rythme respiratoire en l’amplifiant. Il ne faut pas être trop directif avec soi-même. Dans tous ces exercices, le but est d’obtenir une sorte d’auto-hypnose.
Par la visualisation
Commencez par le bleu : imaginez un bleu très clair, et voyez le prendre toute la place. Imaginez que vous nagez dans ce bleu, imaginez que vous recevez des tombereaux de masse bleue, imaginez que le bleu vous enveloppe, vous remplit, emplit le monde entier.
Vous pouvez aussi imaginez que dans le monde dans lequel vous évoluez flottent des volutes bleues.
Vous pouvez vous envoyer ainsi des petits jaillissements de bleu dans la journée, par instants. J’ai arrêté de fumer en imaginant surgir un lagon bleu chaque fois que j’avais envie d’une cigarette. Je me suis soulé ainsi aux lagons bleus pendant plusieurs semaines.
Par le mouvement
La répétition inlassable d’un mouvement est une bonne entrée en matière, c’est-à-dire une bonne entrée en transe.
Par le son harmonique
L’apprentissage (doux) du chant harmonique provoque de grandes ouvertures mentales et imaginales. Il suffit de prendre une grande inspiration, choisir une syllabe d’appui (« ou » est parfaite), et laisser un filet de son se dévider le temps d’une longue expiration. Faites le sept ou huit fois et ensuite insérer, sans fermer la bouche ni couper le son, un « u » (ou toute autre syllabe). Cela donne : ou-u-ou-u-ou, sans interruption de son. Les lèvres peuvent rester rondes, sans bouger. Seule la langue bouge et c’est ce mouvement de langue qui créée l’harmonique et permet que plusieurs sont distincts sortent en même temps.
Par l’expérience intérieure
Celle-ci consiste à se concentrer, plusieurs minutes de suite, voire le plus longtemps possible, sur le cœur et ses battements, ou encore sur un organe (le foie) et tâcher d’en sentir les contours et d’être conscient des mouvements, flux, événements qui s’y passent.
Par les expériences de flottement
Le flottement, ou la flottaison, c’est ce sentiment agréable de se laisser emporter par le courant du rêve, un rêve non conscient, non mental, un rêve presque corporel. La réalité perd prise, nous perdons pied et nous laissons délicieusement glisser dans les interstices du temps. Le but est d’oublier de façon complète tous nos soucis. Accéder à cet oubli parfait, même une seconde, représente un grand bain de vide, un grand bain de paix. Il faut réussir à accéder à cet état de béatitude, ne serait-ce qu’une seconde. Une seconde de totale béatitude vaut mieux que quinze jours de vacances. Si l’on peut multiplier cette expérience de flottement béat, les effets sur la santé mentale, physique, sur la détente générale de notre vie, la perfection de nos gestes quotidiens, la qualité de nos réactions aux événements vont apparaître. Une seconde de béatitude répare plus qu’une nuit de douze heures. Mais pour l’atteindre il faut accepter de tout laisser partir, tous les soucis, toutes les angoisses, toutes les culpabilités. En fait, cela exige une renonciation qui ressemble à celle du mourant qui lâche enfin tout ce qu’il tentait de retenir pour plonger dans l’inconnu qui vient le chercher.
Note sur la musique
La musique, et particulièrement la musique planante, est un outil efficace lorsqu’il s’agit de planer. Toutefois, pour un psychédélisme naturel pur, point n’est besoin de recourir à un quelconque outil. Au contraire, l’outil nous détourne de cette pureté de la sensation, et surtout, l’outil nous empêche de discerner ce qui relève de nous-même et ce qui relève de l’influence extérieure.
La démarche psychédélique naturelle prend sa source dans l’amour de la liberté, de la simplicité. La musique nous emporte : en cela elle nous prive de notre liberté pure.
Note sur la prière
Le psychédélisme naturel peut n’avoir pas d’autre but que le bien-être. Il peut également être soutenu par une intention, par exemple une intention artistique, ou bien une quête d’efficacité ou de santé.
Le psychédélisme est une attitude orientée vers soi, alors que la prière s’élève au-dessus de l’ego. La prière est la mise à disposition de son être au profit de Dieu ou d’une matrice créatrice quelconque. La prière n’est pas un outil au service de soi, mais un outil de communication entre soi et une entité devant laquelle on s’incline.
Le psychédélisme est plutôt un outil, une voie que l’individu peut contrôler et qu’il a tout le loisir d’user pour son meilleur bénéfice. Si le psychédélisme peut se mettre au service de la prière, il peut aussi la perturber en tant qu’il procède d’un désir de développement personnel, et ne doit jamais se confondre avec elle. Il ne peut en outre la remplacer. Ceux qui veulent prier doivent prier.
Avertissements
Premier avertissement :
Tout ce que nous entreprenons et qui s’oppose au bonheur de nos enfants, de nos chiens, de tous les êtres dont nous sommes responsables, est mauvais. Nous nous devons à nos petits comme les loups se doivent aux leurs : les jeunes avant toute chose. Le psychédélisme naturel ne doit être utilisé qu’au service d’une meilleure vie, plus agréable, plus vivifiante, pour vous et les vôtres.
Second avertissement :
L’exploration de nous-mêmes est un voyage infini et bouleversant. Lorsque nous envoyons des sondes au plus profond de notre être, nous ne savons pas ce que nous allons toucher. Nous ne savons pas ce que nous allons voir surgir. Nous ne savons pas quelles ballades que nous allons ouïr. Si, en lui-même, ce voyage ne comprend aucun risque, ne présente aucun danger, nous devons rester responsables face à nos éventuelles défaillances. L’angoisse et la rage sont des réactions plausibles face à une découverte trop intense. Des personnes ayant voulu enseigner le yoga à des prisonniers se sont rendues compte que ces prisonniers devenaient extrêmement violents. Comment n’en serait-il pas autrement ? Le voyage intérieur est une traversée des passions humaines, des grands mouvements naturels. Ces prisonniers avaient accumulé tellement de drames, vivaient une vie si obstruée d’espace et de mouvement que le yoga a ouvert les vannes d’un fleuve puissamment contenu dans un canal trop petit : comment les eaux ne déborderaient-elles pas en cascades ?
Il faut donc apprendre à sentir les fluctuations de notre corps, de notre cœur et, dans la responsabilité nécessaire à toute liberté, voyager à notre rythme au fond de nos océans. Si la houle s’avère trop forte, prendre une pause, revenir à « la réalité ». Et repartir une autre fois. Celui qui brûle les étapes est comme une tribu qui pratique la culture sur brûlis : peu à peu elle assèche tout le territoire et doit toujours partir plus loin pour assécher de nouvelles terres grasses, brûler de nouveaux terreaux humides. La destruction, comme tout malheur prolongé, est un choix. La renaissance, comme toute rédemption, est offerte.
Hanno Buddenbrook
Traduction : Olympe Davidson & Edith de Cornulier-Lucinière
Photos : Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
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mardi, 27 juillet 2010
puissance et décadence de la bourgeoisie
Jardin du Luxembourg, par Sara
Un des grands succès d'AlmaSoror, c'est l'article de Sara, sur les mille ans du bourgeois. C'est en 1007 en effet que le mot bourgeois apparait dans une charte.
Nous conseillons la relecture ici, avant de vous plonger dans une définition de la bourgeoisie clairement exprimée par Armand Nivelle, dans une préface au livre Les Buddenbrook de Thomas Mann.
Les Buddenbrook, sous-titré le déclin d'une famille, reflète l'idée majeure de Thomas Mann : quand la bourgeoisie a atteint les sommets de la fortune, elle tombe les armes pour ouvrir son coeur et ses sens artistiques. Cest alors que commence sa décadence et la déchéance de ses rejetons, héritiers incapables de perpétuer la prospérité implacable de leurs pères.
Voici cet extrait d'Armand Nivelle :
"Les "bourgeois" se signalent par l'énergie vitale qu'ils mettent au service de l'ambition, la capacité d'agir sans se laisser inhiber par les scrupules moraux et la faculté de faire taire les sentiments quand ils s'opposent à la réalisation d'un bénéfice. Les affaires "sentimentales" en sont précisément le meilleur témoignage : rien n'est plus éloigné de ces gens que l'idée d'un mariage d'amour. Ils leur arrive certes d'être amoureux, mais la soumission aux intérêts de l'entreprise et le renoncement à leurs amours ne provoquent pas de tragédies et ne les confrontent pas à des problèmes durables.
La seconde composante de la mentalité bourgeoise est la tradition familiale, unie à la conscience de classe. L'individu doit s'y soumettre sans conditions. Epouser une boutiquière, (...) c'est déchoir et justifier toutes les duretés et tous les mépris. Devant les revendications sociales, les marchands de Lübeck font la sourde oreille ; aucun soupçon des motifs qui animent les "insurgés" de 1848 n'effleure Jean Buddenbrook, ce qui lui donne d'ailleurs une sûreté absolue pour mater la "révolution".
Les bourgeois de Lübeck sont par nature conformistes et portent un grand intérêt aux "dehors", aux apparences. La vie intérieure tient peu de place dans leur existence, même quand elle revêt un aspect religieux. (...)
De ces traits fondamentaux découlent plus ou moins directement les autres caractères des bourgeois : le désir de richesse et d'opulence, l'aspiration aux honneurs publics, l'idéal de travail sérieux et méthodique."
Armand Nivelle, dans sa préface au livre de Thomas Mann, Les Buddenbrook (oeuvres complètes, tome I, dans la Pochothèque).
Lire l'article sur l'anniversaire des mille ans du bourgeois.
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dimanche, 11 avril 2010
Cher Hanno
J’ai rencontré Hanno Buddenbrook : ma vie est entrain de changer. Il marche à mes côtés depuis quelques jours et j’ai confiance que cette fois, c’est quelqu’un qui ne me quittera pas. Il est plus jeune que moi : qu’importe. Nous nous sommes trouvés outre-monde, là où ni l’âge, ni rien de mesquin ne se manifeste. Il a peur de son père, qu’il aime, en dépit de son indifférence apparente. Je publie ci-dessous quelques phrases de son père, et pendant que vous lisez je rejoins Hanno, mon ami, mon frère.
"J’ai l’impression qu’autrefois rien de semblable n’aurait pu m’arriver. J’ai l’impression d’une chose qui m’échappe et que je ne peux pas retenir aussi fermement que jadis… Qu’est-ce que le succès ? Une force secrète, indéfinissable, faite de prudence, de la certitude d’être toujours d’attaque… la conscience de diriger, par le seul fait d’exister, les mouvements de la vie ambiante ; la foi en sa docilité à nous servir… Fortune et succès sont en nous. A nous de les retenir solidement, par leur racine. Dès qu’en nous quelque chose commence à céder, à se détendre, à trahir la fatigue, aussitôt tout s’affranchit autour de nous, tout résiste, se rebelle, se dérobe à notre influence… Puis une chose en appelle une autre, les défaillances se succèdent, et vous voilà fini. J’ai souvent pensé, ces derniers temps, à un proverbe turc qu’il me souvient d’avoir lu : « Une fois la maison finie, la mort s’approche ». Oh ! pour l’instant, la mort, c’est beaucoup dire. Mais le recul, la descente… le commencement de la fin… Vois-tu, Tony, poursuivit-il, passant son bras sous celui de sa sœur et assourdissant encore sa voix, lorsque nous avons baptisé Hanno, te rappelles-tu, tu m’as dit : « Il me semble qu’une ère toute nouvelle va s’ouvrir ! » C’est comme si je t’entendais encore, et les événements ont paru te donner raison, car aux élections au Sénat la fortune m’a souri, et, ici, la maison s’élevait à vue d’œil. Mais la dignité de sénateur et la maison ne sont qu’apparences, et je sais, moi, une chose laquelle tu n’as pas encore songé ; je la tiens de la vie et de l’histoire. Je sais que, souvent, au moment même où éclatent les signes extérieurs, visibles et tangibles, les symptômes du bonheur et de l’essor, tout déjà s’achemine en réalité vers son déclin. L’apparition de ces signes extérieurs demande du temps, comme la clarté d’une de ces étoiles dont nous ne savons pas si elle n’est pas déjà sur le point de s’éteindre, si elle n’est pas déjà éteinte, alors qu’elle rayonne avec le plus de splendeur. »
Ils se tut et ils marchèrent un moment sans mot dire, tandis que le jet d’eau clapotait dans le silence et qu’un chuchotement passait dans la ramure du noyer.
Thomas Mann, Les Buddenbrook, trad Geneviève Bianquis
Pauvre Hanno, dont le père, dans un reniement intérieur, rêve d'un autre enfant que toi :
« Quelque part grandit un enfant bien doué, accompli, capable de développer toutes ses facultés, un enfant qui a poussé droit, sans tristesse, pur, cruel et gai, un de ces humains dont le seul aspect augmente le bonheur des heureux et pousse au désespoir les malheureux”.
Photos de Sara
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