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mercredi, 02 juillet 2014

Chroniques d'une solitude

amoureuse, bombes, guerre, exaltation

D'où vient la galvanisation de mon cœur ? Cette inondation du plaisir de vivre ?

Toute la poussière du monde s'est transformée en arcane.

Depuis trois jours, nous sommes bombardés. Jusqu'à hier matin, les trains partaient encore. Ils ne partent plus. Des gens attendent à la gare, de plus en plus nombreux, dormant à même le sol. Je me réjouis de continuer à vivre sans chercher à tout prix à subsister.

Je ne cherche qu'à éprouver, avec l'intensité que cette promesse de mort qui plane instille, des émotions qui rencontrent l'instant insaisissable. 

Il se passe quelque chose d'exceptionnel : je n'ai jamais été aussi heureuse. La joie coule dans mes veines, me donne envie de crier de bonheur. La peur produite par le  vacarme des destructions me pousse à courir à l'approche des hauts avions, et courir aussi vite procure à mon corps un bonheur inédit, si grand qu'il en paraît illégitime.

Des pensées me traversent : elles sont neuves, puissantes, pleines de verve et de forces. La paix se répand en moi et autour de moi, comme un fleuve parfait dans lequel je serais baignée incidemment. Tout m'épate, tout me réjouit.

Quand j'ai commencé à comprendre l'étendue de cette satisfaction, je me suis sentie coupable. Objectivement, alentour tout n'est que mort et destruction, fracas et désespérance. Mais que je meure demain ou dans trente ans, une chose est sûre : vivante, je le suis devenue dans ce chaos.

Vivante, je le suis devenue dans ce chaos. J'y ai éprouvé l'intensité du monde et l'immensité de l'existence.

Pardonnez ma joie, endeuillés. Elle ne naît pas de vos peines ni de vos pertes, mais de la vibration de chaque parcelle de mon être face à ce monde qui éclate, face à ce temps en suspension.

samedi, 01 février 2014

La vie tranquille de Dylan-Sébastien M-T

 Tu t'appelles Dylan-Sébastien M-T et tu vis dans une maison du port des Sables, qui comporte trois étages d'une pièce chacun (le salon-bar, la chambre, le bureau-chambre d'ami), une toute petite cave, un jardin ; tu te lèves vers huit heures chaque matin et tu bois ton café en caleçon et T-shirt, en regardant l'activité du port de pêche. Tu te douches en écoutant Fare Well, de Terje Rypdal, ou encore les ballades de Nick Cave ou la musique des Shudder to think, c'est du moins ce que tu faisais quand j'étais là. Mais peut-être écoutes-tu parfois Niel Young, Patricia Kaas ou The Doors.

Tu allumes ton ordinateur et te mets au travail. Tu plonges dans le code informatique, je sais que ton projet est de créer des ponts entre le langage mathématique et le langage informatique, afin de simplifier leurs relations. Tu cherches un langage universel qui permettrait de « mathématiser » en ligne, au-delà des langues humaines. Pour créer une grande toile de création et d'information mathématique universelle. Tu t'y mets plusieurs heures et quand la musique s'éteint tu ne la rallumes pas ; tu es trop absorbé. Pendant ce temps, tes deux chiens beagles, en fonction du temps, farfouillent dans le jardin ou bien dorment, étendus lascivement sur le canapé en cuir noir qu'ils ont élu comme le leur.

Mais ils savent qu'à onze heures environ, vous irez tous trois, toi sur un vélo, eux à tes côtés, saluer les plages et l'océan, jusqu'aux dunes de l'Orbestier. Au retour, du feras une omelette à la ciboulette, un peu de fromage, une crème au caramel et un café, puis tu t'installeras dans un hamac pour lire, sous la conduite musicale douce et orientale d'Anouar Brahem. Tu liras peut-être Carpentier ou Faulkner, ou Marai, ou Franketienne, comme un voyage en Amérique, en Hongrie, en Haïti... Avant de te remettre à l'ordinateur.

A l'heure de l'apéritif, tu sors ta guitare électrique et tu sirotes ta bière, tu fumes un joint et tu joues en te prenant pour Jon Atwood de Yellow 6, parfois pour John Abercrombie, parfois encore pour Ry Cooder. Cela te fait plaisir et tu n'es pas si mauvais, même si c'est le moment où tes chiens préfèrent sortir respirer l'air frais du jardin – du jardin où herbes folles et herbes de cuisine mêlent leurs odeurs délirantes entre chien et loup. Thym, ciboulette, menthe, persil, diffusent leurs fragrances alentour et font frétiller les naseaux de Safran et Lune.

Souvent, tu sors dîner vers 20h, dans le port, sur le remblai ou dans la ville, avec tes quelques copains qui vivent sur la baie d'Olonne. Vous parlez de choses et d'autres, vous mentionnez divers événements de la ville ; Nico raconte ses virées en moto sur la D 85 ; Indiana ne dit rien mais chacun sait qu'il passe tout son temps libre à mater des mangas. Vanille se souvient de son amoureux de l'année dernière et imagine celui de l'été prochain.

Tu marches un peu dans le port à la nuit, admirant les étoiles, et puis tu rentres enfin. Dans ton lit, tu téléphones à ta sœur, puis tu lis ou tu envoies des sms aux copains de Nantes, de La Rochelle, de Paris et de Nancy. Puis tu t'endors doucement et tu ne fais presque jamais d'insomnies.

Bien sûr, le jeudi, tu te lèves plus tôt pour aller donner, toute la journée, des cours à la faculté de Nantes. Bien sûr, le dimanche tu te couches très tard car tu dois envoyer, avant de t'endormir, le billet d'humeur au site Internet InfoRmathématik. Mais ces deux obligations professionnelles, qui t'ennuient peut-être quelquefois, sont la condition de ta vie parfaite, de ta vie impeccable, de ta vie sans souci.

Tu réfléchis : si tu rencontrais une amoureuse, si elle voulait avoir un enfant avec toi, dirais-tu oui ? Oh, mais bien vite tu mets un album musical – par exemple un album de Biosphere ou de Yellow 6 – et la question se noie dans les volutes d'accords mineurs.

J'aimerais te ressembler, frère.

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(On peut aller lire, sur l'Encyclopédie de l'agora, un article intéressant de Bernard Lebleu, "Le loisir entre oisiveté et désoeuvrement").