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dimanche, 07 octobre 2018

(Re)naître à la vie légale

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J'ai relu cette nuit ce très beau livre écrit par Laurent Gbagbo, en 1983, alors qu'il était exilé à Paris pour éviter de retourner encore en prison, après la grande purge des enseignants de 1982.

En voici un extrait :

 

« La démocratie suppose la reconnaissance du droit à la différence. En effet, par leurs origines sociales, par leurs éducations, par leurs formations, par les positions qu'ils occupent dans l'appareil de production, par leurs intérêts individuels et collectifs, etc, les citoyens jettent forcément des regards différents sur la société dans laquelle ils vivent et conçoivent ainsi des projets différents pour l'avenir de leur pays. Et ce sont la rencontre, le croisement, le choc, le jeu de ces différences qui font la grandeur, la puissance d'un pays, la richesse créatrice d'un peuple. Vouloir gommer artificiellement ces différences en mettant en œuvre des méthodes de coercition morales et physiques, c'est choisir la voie de la dictature. Face à la dictature, je dis non.

 

La démocratie, c'est aussi un acte d'humilité. C'est la prise en compte de la relativité des intelligences individuelles et des doctrines. C'est le respect accordé à ses concitoyens. Être démocrate, c'est reconnaître qu'on a ni le monopole de la vérité, ni le monopole de la sagesse, ni le monopole de l'amour de son pays. De ce point de vue, alors que le choix de la dictature est toujours un acte de facilité et une marque de manque de confiance en soi-même et dans le peuple, un acte de peur et de fuite en avant, la démocratie est au contraire un acte de grandeur, de confiance et de clarté. Le choix démocratique est la pleine conscience du fait que la politique que l'on mène peut être erronée, ou peut être jugée comme telle.

 

La démocratie, c'est aussi l'éducation politique du peuple. Bien sûr, cette éducation politique a toujours des limites et les quelques pays que nous avons visités nous ont instruit à cet égard. Mais on ne peut pas demander à quelqu'un de jeter un bulletin de vote dans une urne alors qu'il ne sait même pas ce à quoi il s'engage. L'éducation politique d'un peuple se fait par le développement public des idées contradictoires, par l'exposé de plusieurs voies possibles pour résoudre les problèmes nationaux. Ce sont les informations contradictoires, et par là même complémentaires, qui peuvent permettre à notre peuple de se former politiquement et de choisir une politique conforme à ses intérêts. La démocratie responsabilise alors que la dictature assujettit. De ce points de vue, le débat démocratique fait apparaître des hommes politiques alors que la dictature engendre des courtisans. Sans débat politique, un vote est un viol.

 

La démocratie c'est la suppression de la peur au quotidien, la fin de la délation permanente, la fin de la toute-puissance des secrétaires généraux du P.D.C.I. qui écrivent à tort et à travers des rapports sur leurs concitoyens ; c'est la réhabilitation de la justice républicaine. La démocratie, c'est la fin des arrestations arbitraires. C'est la fin de l'auto-censure, la suppression des tabous en matière politique. C'est donc le plein épanouissement moral des individus et de la collectivité.

 

La démocratie c'est la naissance à une vie légale. J'ai déjà indiqué l'implication heureuse qu'une vie légale peut avoir sur l'existence des citoyens qui n'auront plus à craindre d'être incarcérés arbitrairement, au gré de l'humeur d'un homme. La Cote-d'Ivoire a une Constitution. Elle n'est pas très bonne. Mais elle a au moins l'avantage d'exister. Or cette Constitution qui a été écrite et adoptée par le P.D.C.I. N'est même pas respectée par lui. En son article 7 la Constitution de Côte-d'Ivoire reconnaît l'existence de « partis et groupements politiques » ; j'ai montré plus haut le sort qui a été réservé à tous ceux qui ont voulu créer des partis. En son article 6 la Constitution met hors la loi ceux qui font une « propagande particulariste de caractère raciale ou ethnique » ; j'ai montré comment lors de l'affaire Sanwi, de l'affaire Gnagbé et du « complot de février 1982 », Houphouët et le P.D.C.I. Ont mobilisé tous les médias du pays pour lancer l'anathème et jeter le discrédit sur telle ou telle ethnie. En son article 3, la Constitution proclame que la « souveraineté appartient au peuple » et précise qu' »aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice » ; or depuis l'Indépendance Houphouët s'attribue cette souveraineté du moment que, dans sa tête, le P.D.C.I. c'est le peuple et que lui, Houphouët est le « Père de la Nation ». Non, il faut que la Côte-d'Ivoire » naisse à la vie légale.

 

La Côte-d'Ivoire est un pays sous-développé. Il nous faut donc nous battre contre cette situation que nous ne considérons ni comme une malédiction, ni comme une fatalité. Or l'histoire nous enseigne qu'aucun peuple asservi ne peut faire face efficacement aux défis de l’humanité sans avoir au préalable brisé ses chaînes. Le sous-développement dans la servitude accentue le sous-développement. Nous savons bien que la démocratie n'est pas un remède miracle qui va résoudre par enchantement tous nos problèmes. Mais elle constitue un préalable indispensable. Nous avons une agriculture à repenser pour sortir des pièges que nous a légués l'ère coloniale ; nous avons une politique énergétique à mettre en place et à mener avec constance et raison de façon à créer les conditions d'une industrialisation véritable sur l'ensemble du territoire national ; nous avons à redéfinir le rôle de l'école et l'orientation de la médecine ; en sommes nous avons à combattre la faim, la maladie, l'ignorance, la rigueur du marché international et l'appétit vorace des impérialismes ; bref, nous avons un pays à bâtir. Et cette tâche n'est pas au-dessus de nos forces. L'exécution d'une œuvre aussi gigantesque que la construction nationale exige que chacun se sente concerné ; il faut pour cela que les Ivoiriens soient impliqués dans un débat politique national, qu'ils aient une prise quelconque sur les choix fondamentaux de leur pays ; qu'ils sachent qu'ils ne sont pas des robots à qui l'on demande de produire, rien que produire, sans savoir à quoi (ou à qui) cela sert de produire. Il faut responsabiliser nos concitoyens depuis les paysans jusqu'aux plus hauts responsables de l'administration en passant par les ouvriers et les cadres du secteur privé. Une telle mobilisation implique que les Ivoiriens fassent consciemment et librement le choix d'une politique. À ce niveau, la liberté n'est plus simplement un concept moral ni une donnée politique ; la liberté est le levier le plus puissant du développement économique ».

 

Laurent Gbagbo, IN Côte-d'Ivoire, Pour une alternative démocratique

 

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