Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 28 septembre 2016

Quatre gros livres près de la bouteille d'Armagnac

J'ai acheté il y a quelques années, dans une brocante des Sables d'Olonne, les quatre tomes des Mémoires du Chancelier Prince de Bülow, diplomate allemand, traduits par Henri Bloch. Ces mémoires s'écoulent de 1849 à 1819. Dans le second tome, le Prince y décrit un rassemblement patriotique organisé par les pouvoirs publics français au début de la guerre de 1914-18. Des ecclésiastiques de plusieurs confessions chrétiennes, de confession musulmane et de confession juive mènent en quelque sorte le bal. Décrivant cela, le prince regrette ensuite que les Allemands ne soient pas capables d'union entre catholiques et protestants même lors des combats au front.

Voici la description de la scène française :

« Pendant la Grande Guerre, on organisa à Paris une grande fête au Trocadéro. L'archevêque de Paris, un pasteur de l’Église réformée, un autre, luthérien, un rabbin et un iman prononcèrent des allocutions. Le public applaudit ces discours patriotiques ; tous les cinq vinrent devant la rampe ; l'archevêque au milieu tenait dans sa main droite celle du luthérien, dans sa gauche celle du calviniste, ce dernier avait pris le rabbin par la main et le luthérien, le musulman. Le public se leva et entonna la Marseillaise, ce chant de la guerre de la Révolution. Les ecclésiastiques sur l'estrade mêlèrent leurs voix à l'hymne ».

 

Cela n'a pas beaucoup de rapport, encore qu'il s'agisse des mêmes Mémoires, que cela rappelle la guerre... Un passage du premier tome m'avait déchiré le cœur. Car il faut le lire en sachant que le prince ignorait tout de ce qui se passerait des décennies plus tard... Un poème y est cité, l'air de rien, alors que le prince relate un déplacement de Guillaume II à Nuremberg.

 

« De Würzbourg on partit le 2 septembre 1897, jour de Sedan, pour Nuremberg.

Si quelqu'un doit connaître l'Allemagne,
Si quelqu'un doit aimer l'Allemagne,
On lui nommera Nuremberg, ville remplie des nobles arts.

Guillaume II avait un plaisir particulier à séjourner dans cette superbe ville ».

Je cherche l'auteur de ce poème, que j'aimerais connaître en entier. Une amie qui avait visité Nuremberg il y a quelques années me disait que les constructions du troisième Reich, gigantesques et magnifiques, y étaient à l'aube de la ruine, lieux maudits de cette ville désormais maudite, et que des fous romantiques les hantaient de leurs regards brûlants de rage.

 

Descendre l'escalier du passé jusqu'aux caves de nos mémoires perdues, par la lecture de textes d'époques, secondaires, oubliés, c'est s'autoriser à retrouver le fil d'une histoire interrompue par l'orage et la sidération intellectuelle qui l'a suivi.

lundi, 26 septembre 2016

L'hôtel de Massa, siège de la Société des Gens de Lettres

2016.09.17.SGDL9.jpg
Photo Sara

 

Puisque cette année, je suis responsable du patrimoine de l'hôtel de Massa et de la Société des Gens de Lettres, j'ai participé à l'accueil du public lors des Journées du Patrimoine, le 17 septembre. Je relate ici l'histoire de notre Société et de l'hôtel de Massa, à ma manière, bien que le contenu soit strictement inspiré par le fascicule bien plus complet, rédigé par Jean Claude Bologne, mon prédécesseur, et Cristina Campodonico, la prêtresse de l'action culturelle massaïote, pour aider les conférenciers improvisés.

 

L'hôtel de Massa, des Champs Élysées au Faubourg Saint-Jacques

L'hôtel de Massa porte le nom de ses derniers propriétaires, qui habitaient l'hôtel dans la première partie du XXème siècle : les ducs de Massa. Ce titre de duc de Massa a été créé par Napoléon pour remercier un compagnon de route, Claude-Ambroise Régnier, qui a participé au coup d’État du 18 brumaire. Ce premier duc de Massa est d'ailleurs enterré au Panthéon. Aujourd'hui, ce titre ducal a disparu.

L'hôtel de Massa fait partie de ces nombreuses « folies » qui ont poussé à la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle. Folie signifie « feuillée », endroit de verdure, mais se prend également au sens propre, puisque ces petits châteaux élégants entourés de jardins ravissants causaient des dépenses effrénées à seule fin d'abriter des plaisirs tantôt mondains... tantôt clandestins.

 

C'est l'architecte Le Boursier qui a bâti celle folie-ci, pour le compte de Thiroux de Montsauge, seigneur de la Bretêche Saint-Nom de Champillot, de sa profession administrateur des Postes. Et figurez-vous que cet hôtel, construit par Le Boursier entre les années 1778 et 1784, a été édifié, tel que vous le voyez aujourd'hui... sur les Champs-Élysées ! Précisément au croisement de la route du Roule et de ce qui s'appelait alors le chemin des Champs-Elysées. À l'emplacement exact où, aujourd'hui, se croisent la rue de La Boétie et l'avenue des Champs Elysées. Ce qui aujourd’hui s'appelle l'avenue des Champs-Elysées était alors la campagne. Notre hôtel fut l'un des premiers édifiés, suivis par six autres en 1790.

On dit d'ailleurs que l'administrateur des postes n'y résidait guère, et qu'il était plutôt habité par une demoiselle Contat, actrice de la Comédie Française et maîtresse du frère de Louis XVI, qui deviendra, sous la Restauration, le très rigide Charles X.

Pendant la Révolution, l'hôtel est laissé à l'abandon, puis déclaré bien national. Napoléon en fait la résidence du comte Marescalchi, ambassadeur d'Italie à Paris, mais souvenons-nous que Bonaparte était président du gouvernement italien ! Sous l’empire, l'hôtel connaît une ère de fêtes brillantes qui rassemble le tout-Paris riche et célèbre.

Les propriétaires se succédent ; l'hôtel a abrité plusieurs ambassades. L'ambassade d'Italie, entre 1804-1814 ; l'ambassade d'Autriche, entre 1814-1826 ; l'ambassade de Belgique, entre 1842-1848.

Alors qu'il est devenu la propriété des ducs de Massa, éclate la guerre franco-allemande de 1870. La France vaincue a perdu l'Alsace et la Lorraine et l'hôtel voit défiler l'armée allemande à ses fenêtres, sur l'avenue des Champs-Élysées. La légende dit alors que le duc de Massa a fermé les volets de l'hôtel, jurant de ne pas les rouvrir avant qu'ait sonné la revanche.

De fait, l'hôtel est très peu habité. Il ne sert qu'à recevoir de brillantes fêtes, deux ou trois fois l'an. À la date symbolique du 14 juillet 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, l'Alsace et la Lorraine sont revenues à la France ; le cousin du duc qui avait fermé les volets les rouvre.

 

Paris s'est agrandi. Le chemin des Champs Élysées n'est plus une voie champêtre à l'extérieur de Paris, mais une avenue commerçante à l'intérieur de la capitale. Une avenue commerçante qui attire les investisseurs. Deux d'entre eux rêvent d'ouvrir, sur cette avenue, un grand complexe commercial à l'image de ceux qui fleurissent déjà aux États-Unis d'Amérique. Ces deux investisseurs s'appellent Théophile Bader et André Levi. Le premier est président des Galeries Lafayette ; le second, promoteur immobilier. Ils souhaitent racheter l'hôtel, le détruire pour édifier leur immense complexe. Mais la Commission du Vieux Paris s'insurge et l'hôtel est classé Monument Historique en 1926.

On ne peut plus le détruire ; mais les investisseurs ne veulent pas renoncer à leur projet. Ils sont justement très amis avec le ministre de l'éducation nationale ( et futur président du Conseil des ministres) Édouard Herriot. Celui-ci, membre de la Société des Gens de Lettres, propose que l'hôtel soit dévolu à la société d'auteurs, à l'étroit dans un appartement de la Chaussée d'Antin. Il suffirait de le démolir pierre par pierre et de le reconstruire à l'identique ailleurs...

Formidable idée, qui plaît beaucoup aux auteurs qui justement cherchent une maison pour abriter leurs travaux... Las ! Les auteurs ne sont pas riches, l'achat de l'hôtel, son déplacement, sa reconstruction sont au-dessus des moyens de notre Société. Qu'à cela ne tienne ! Nos investisseurs, eux, sont riches, ils aiment les arts et les lettres, et voudraient bien que leur affaire des Champs Élysées avance. Ils offrent donc la démolition et la reconstruction de l'hôtel. L’État ne peut rester insensible à cet élan de générosité ; à son tour, il met à disposition un bout du très grand jardin de l'Observatoire de Paris.

L’État offre en outre les transformations intérieures de l'hôtel, nécessaire à sa destination future. Désormais Massa ne sera plus un lieu de bals masqués et d'amours clandestines, mais la maison où les auteurs administrent leurs droits et la solidarité qui les lie. En échange de cette aide à l'aménagement intérieur, l’État demande à ce que l'hôtel lui appartienne : la Société des Gens de Lettres bénéficie d'un bail emphytéotique, c'est à dire de 99 ans, en échange d'un franc symbolique que nous payâmes en 1927. Notre bail arrivera à terme en 2026 et nous espérons qu'il sera renouvelé !

Le chantier a duré plus d'un an et ce déplacement a largement occupé la presse parisienne et nationale durant toute cette période.

Les Galeries Lafayette nous avaient donc offert le transport, par six camions de cinq tonnes, des pierres numérotées soigneusement. 65 ouvriers et 4 chefs pour la démolition, 43 ouvriers et 5 chefs pour la reconstruction.

Nous étions donc presque installés dans notre nouvel hôtel, dont la première pierre fut inaugurée le 16 juillet 1927, lors d'une cérémonie officielle, en présence d'une foule d'invités. Comment remercier les Galeries ? En se fournissant en meubles chez eux, bien sûr. Et c'est l'écrivain Pierre Benoît, dont on trouve encore les romans en librairie (L'Atlantide, Mademoiselle de La Ferté, Konigsmark), qui a choisi un ensemble de 110 pièces Art Déco, aujourd'hui répertoriées aux Monuments Historiques.


La Société des Gens de Lettres

Quel long combat pour que les écrivains touchent le fruit de leur travail ! Un combat qui, comme celui de tous les travailleurs, n'est jamais gagné. Longtemps, ce furent les libraires, qui étaient aussi éditeurs, qui empochèrent de l'argent sur les ventes des ouvrages, tandis que les écrivains ne recevaient qu'un forfait au moment de la vente de leur texte au libraire.

En 1764, les libraires lancèrent l'idée de la propriété intellectuelle, mais... en s'arrogeant la propriété intellectuelle d’œuvres qu'il n'avaient pas écrites, mais qu'ils imprimaient et diffusaient ! Ainsi, ceux qui eurent l'idée de propriété intellectuelle pour les œuvres, n'en étaient que les commerçants.

Or, le 30 décembre 1791, dans la tourmente révolutionnaire, l'idée de propriété intellectuelle réapparaît, mais au profit des auteurs des œuvres. L'auteur de théâtre Beaumarchais renchérit et réclame la création d'une Société qui récolterait les droits touchés par les entrées de théâtre et les redistribuerait aux auteurs. Cette Société, La Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, verra le jour en 1829 et reste aujourd'hui la plus ancienne société de perception de droits d'auteur.

Au mois de juillet 1793, la Convention proclame réellement le droit d'auteur ainsi : « la propriété littéraire appartient aux auteurs d'écrits en tout genre ». C'est le début de la liberté pour les auteurs, qui vont commencer à vivre de leur œuvre sans devoir se mettre sous la protection d'un mécène.

Mais que de temps pour que la réalité suive le droit !

Les romanciers, au XIXème siècle, touchaient leurs droits d'auteur sur les feuilletons publiés dans les journaux parisiens, mais tous les journaux de province reproduisaient ces feuilletons sans s'acquitter d'aucun droit, pour la joie des lecteurs et la misère des auteurs. C'est pour remédier à cette situation que Balzac, auteur feuilletonniste, a l'idée d'une société de perception et de redistribution des droits pour les journaux de province. Son ami Desnoyers concrétise cette idée deux ans plus tard, en 1838.

1838. C'est notre date de naissance. Dans l'appartement de Desnoyers, rue de la Michodière, des auteurs approuvent l'idée de créer cette société. Le 16 avril 1838, 95 hommes de lettres répondent à l'appel et participent à la première assemblée générale de la Société. Un comité directeur est élu, pour diriger la société dont la mission est claire : la défense des intérêts moraux et matériels de ses membres, le secours aux écrivains nécessiteux. Parmi les membres fondateurs, Balzac, mais aussi Hugo, Sand, Arago, Lammenais... (Il faut rappeler que si une seule phrase de Victor Hugo est sans cesse citée, sortie de son contexte, par les opposants au droit d'auteur et les militants de la gratuité numérique, l'écrivain-titan fut un fervent combattant en faveur de la propriété intellectuelle). Plus de cent-cinquante ans plus tard, le comité directeur de la SGDL continue de se réunir chaque mois. Les buts de la Société sont restés les mêmes. Nous défendons les intérêts moraux et matériels des auteurs auprès des pouvoirs publics, et nous venons en aide, via notre Commission des Affaires Sociales, aux auteurs nécessiteux.

Depuis 1983, toutefois, nous ne sommes plus une Société de perception et de répartition. Les éditeurs payent directement les auteurs et la SGDL se concentre sur ses missions juridiques, culturelles et sociales.

 

Pour connaître en profondeur notre histoire et celle de Massa, on peut lire la très jolie Histoire de l'hôtel de Massa illustrée de Jean Claude Bologne. Elle est en vente à l'accueil de Massa, ou par téléphone.

Le site de la SGDL

 

 

dimanche, 25 septembre 2016

Suspension II

 

La vie ne s'écoule pas exactement comme on l'aurait voulu ni comme on veut bien le raconter. Pourtant, il y a des bières face à la mer et des moments d'intense rencontre. Mais l'âme a soif et « les désirs réalisés augmentent la soif comme le sel ». Les rêves remisés au tiroir assèchent la joie. Les disputes intérieures courent dans notre esprit, mettant un mur d'insensibilité entre notre corps et le monde. Nous nous protégeons des autres agressivement avant qu'ils ne nous agressent, ou bien nous nous ouvrons à eux béatement, alors, ils nous agressent. Jalousie, comparaison, espérance, déception, surnagent dans la mare. C'est dans la boue du fond que dorment l'amour, l'échange, la gratitude et la tranquillité. Mais voici que l'après-midi qui commence est très calme. C'est l'occasion de rester sage, assis sur la balançoire enivrante du moment présent. Le soleil persiste, mais si la pluie venait lui succéder, il faudrait aimer la pluie. Une douce chaleur se diffuse, mais si le froid tombait, il faudrait désirer le froid. Parce que la vie et la mort sont si proches, je les apprivoise toutes les deux, loin des soucis courants, ou bien au creux de leur flux incessant.

 

jeudi, 01 septembre 2016

Orage calme

L'odeur de la pipe ! Cet appartement ressemble à une névrose.

Beauté de l'emplacement, des fenêtres, des tomettes ; la folie dort dans les placards surchargés d'une bouffe que personne ne mange, elle plane et stagne dans les senteurs du tabac froid de la pipe, enfin elle s'étiole quelque peu quand on ouvre les fenêtres, que le vent pénètre les mètres cubes et dissipe la névrose par des mouvements légers d'air, comme une délivrance qui oserait naitre en ce nid haut perché.

Surgit la musique de Smokey Robinson, A Quiet Storm.

Puis tout se tait.

La nuit s'écoule à la vitesse d'un escargot qui traverse un grand champ. Pour cadrer le temps : "Je ne regrette rien de ma jeunesse", d'Akira Kurosawa. Le film défile, suivi par deux yeux éberlués de fatigue et d'admiration.

Certitude, confiance. Une robe suspendue à un cintre, près de la fenêtre, danse dans l'obscurité. Calculer, ne plus subir. Ouvrir un livre de Jacques Benoist-Méchin : "Rien n'est plus accablant, pour une âme qui se sent appelée à un grand destin, que ces moments où tout s'enlise dans un marécage bourbeux, où aucune pente ne se dessine, où la vie elle-même cherche en vain sa direction".

Du calme, mon âme. Ce n'est que la nuit qui passe, la nuit qui rit, la nuit en impulsion.