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lundi, 03 octobre 2011

Aux armes, citoyens !

Extrait de la Guerre du Péloponnèse, de Thucydide

SaraPhot Sara


Les Corinthiens reprochent aux Lacédémoniens (habitants de Sparte) de ne pas les défendre contre les Athéniens. Ils comparent la passivité de Sparte à l'esprit d'entreprise d'Athènes.
C'était il y a deux mille cinq cents ans. 

Merci à Nathann Cohen, grâce à qui nous avons ce discours complet. 


Quand ils surent que Potidée était investie, les Corinthiens, qui comptaient quelques-uns des leurs parmi les assiégés et qui s'inquiétaient du sort de cette cité, ne restèrent pas inactifs. Sans perdre de temps, ils invitèrent les alliés à se réunir a Sparte et, là, leurs représentants s'en prirent avec force aux Athéniens, qu'ils accusaient d'avoir enfreint les traités et porté atteinte aux intérêts des Peloponnèsiens. Les Aiginètes n'envoyèrent pas de mission officielle, car ils avaient peur d'Athènes. Mais, en sous-main, ils appuyaient avec non moins de vigueur les appels de Corinthe à la guerre, en disant que, malgré les traités, on ne respectait pas leur indépendance. Les lacédémoniens invitèrent également, outre leurs alliés tous ceux qui pourraient avoir, de leur côté, quelque grief contre Athènes, puis ils se réunirent en assemblée ordinaire et la parole fut donnée aux délégués étrangers. Plusieurs cités formulèrent leurs griefs. Les Mégariens notamment en avaient plus d'un, mais ils se plaignaient surtout qu'on leur eût, au mépris des traités, fermé les ports de l'empire athénien et le marché de l'Attique elle-même. Les corinthiens furent les derniers à prendre la parole. Ils laissèrent d'abord les autres aigrir les Lacédémoniens, puis ils parlèrent à leur tour, à peu près en ces termes.
 

Lacédémoniens; la confiance qui règne parmi vous dans la vie publique comme dans les relations personnelles, vous rend d'autant plus méfiants envers nous autres, chaque fois que nous avons une communication à vous faire. Sans doute est-ce à cette confiance que vous devez votre modération, mais elle explique aussi le manque de discernement dont témoigne votre politique étrangère. Bien souvent, quand les Athéniens étaient sur le point de nous porter quelque coup, nous vous avons avertis et chaque fois, plutôt que de tenir compte de ce que nous vous disions, vous soupçonniez vos interlocuteurs de poursuivre une querelle particulière. Voilà pourquoi, au lieu de prévenir le mal, vous avez attendu que l'adversaire fut passé à l'action pour convoquer cette réunion de vos alliés. Plus que tout autre, nous avons ici le droit de parler. Victimes et des violences d'Athènes et de votre inertie, c'est nous en effet qui avons les griefs les plus graves.
 

Si les abus dont les Athéniens se rendent coupables en Grèce n'étaient pas de notoriété publique, il faudrait porter à votre connaissance des faits que vous ignoreriez. Mais à quoi bon de longs discours ? Ne voyez-vous pas les peuples qu'ils ont asservis et ceux qui sont en butte à leurs entreprises agressives et qui sont bien souvent vos alliés ? Ne savez-vous pas qu'ils ont, de longue date; pris leurs dispositions en prévision d'une guerre ? Aurait-ils, sans cela, malgré notre opposition, fait main basse sur Corcyre ? Auraient-ils mis le siège devant Potidée ? La situation de cette place est des plus avantageuses pour qui veut contrôler le littoral thrace, et Corcyre aurait pu apporter aux Peloponnèsiens l'appoint d'une flotte considérable.
 

De cette situation, c'est vous qui êtes responsables; vous, qui, au lendemain des guerres médiques, avez laissé les Athéniens fortifier leur ville et, plus tard, édifier leurs Longs Murs; vous qui avez sans cesse, jusqu'à ce jour, frustré de leur liberté les peuples qu'ils asservissaient et, à présent, vos propres alliés. Car le vrai coupable, en pareil cas, n'est pas celui qui asservit, mais celui qui a les moyens de l'empêcher et qui, pourtant, laisse faire, lors même qu'il se pare du titre glorieux de libérateur de la Grèce.
 

C'est maintenant seulement qu'on se décide à nous réunir. Encore les problèmes à résoudre ne sont-ils pas, à cette heure-même, clairement posés. Nous n'avons plus à nous demander s'il y a vraiment agression contre nous, mais à prendre des mesures pour repousser l'adversaire. Car les agresseurs ont un plan arrêté et ils passent dès maintenant à l'action, alors qu'en face d'eux, on tergiverse encore. Nous connaissons la facon de procéder des Athéniens. Nous savons comment, petit à petit, ils gagnent du terrain sur les autres. Tant qu'ils comptent sur votre aveuglement pour passer inaperçu, ils modèrent leur audace, mais quand ils auront vu qu'en connaissance de cause vous les laissez faire, ils iront énergiquement de l'avant.
 

Seuls parmi les grecs, Lacédémoniens, vous restez passifs. Vous opposez à l'adversaire non votre force, mais des velléités. Vous seuls ne faites rien pour abattre vos ennemis, quand leur puissance commence à se développer. Vous attendez qu'elle soit le double de ce qu'elle était. Et avec cela, vous passiez pour des gens sur lesquels on pouvait compter ! C'est la une réputation que démentent les faits. Nous savons bien, quant à nous, que les Mèdes, venus des confins de la terre, approchaient du Péloponnèse, quand vous-même n'aviez encore fait aucun effort sérieux pour marcher à leur rencontre. Aujourd'hui, ce sont les Athéniens. Ils ne sont pas loin, comme le Mède. Ils sont tout proches, et vous les laissez faire. Au lieu d'aller vous-même les attaquer, vous préférez attendre pour leur résister qu'ils marchent contre vous, au risque d'affronter alors un ennemi aux forces décuplées. Vous savez pourtant que le Barbare n'a dû qu'a lui-même la plupart de ses revers, et que nous devons aux erreurs des Athéniens, plus qu'à votre intervention, une bonne part des succès que nous avons remportés contre eux. Et, pour avoir placé en vous leurs espérances, certaines cités ont été, dans leur excès de confiance, prises au dépourvu et elles ont péri.
 

Ce n'est pas, que nul ici n'en doute, par hostilité que nous parlons ainsi, mais pour nous plaindre. La plainte s'adresse à des amis qui sont dans l'erreur, l'accusation vise l'ennemi dont nous sommes les victimes.
 

Nous estimons d'autre part avoir plus que quiconque le droit d'adresser des reproches aux autres, à l'heure surtout où de grands intérêts se trouvent en jeu. Il semble, à ce sujet, que vous ne remarquiez pas, que vous ne vous soyiez même jamais demandé, ce que sont ces Athéniens, que vous aurez à affronter. Entre eux et vous, quel contraste ! Vous ne vous ressemblez en rien. Ils sont novateurs, prompts à concevoir, prompts à réaliser ce qu'ils ont décidé. Vous ne songez, vous, qu'à maintenir l'état des choses existant. Jamais il ne vous vient une idée neuve et, au moment d'agir, vous manquez même à l'indispensable. Leur audace dépasse leurs moyens ; ils risquent plus que de raison et, dans les moments critiques, ils gardent bon espoir. Chez vous, les entreprises restent en deçà des moyens ; vous vous défiez même des plus sûrs avis de la raison et, aux heures de péril, vous pensez n'en jamais sortir. Ils se plaisent dans l'action comme vous dans les atermoiements. Ils partent volontiers pour les pays étrangers, tandis que vous tenez par-dessus tout à rester chez vous. Ils comptent, en partant, accroître leurs possessions. Vous craignez de compromettre par de telles expéditions jusqu'à vos biens acquis. S'ils l'emportent sur l'ennemi, le plus qu'ils peuvent, ils poussent leur avantage, et, en cas d'échec, ils cèdent le moins de terrain possible. En outre, si l'Athénien sait, plus que tout autre, faire don de sa personne à la patrie, nul ne sait aussi bien que lui conserver, en se dépensant pour elle, toutes les ressources de son jugement propre. Quand ces gens n'atteignent pas l'objectif qu'ils s'étaient fixé, ils ont l'impression qu'on les dépouille de ce qui leur appartient, et, si une expédition vient à leur rapporter quelque avantage, c'est pour eux un résultat médiocre en comparaison de ce qui leur reste à faire. S'ils viennent à échouer dans quelque tentative, c'est pour eux un manque à gagner qu'ils compensent par de nouvelles espérances. La rapidité avec laquelle ils entreprennent ce qu'ils ont décidé fait de ce peuple un cas unique : chaque fois qu'ils forment un dessein, l'espérance et la possession pour eux ne font qu'un. Pour arriver à tout cela, ils peinent leur vie durant dans les travaux et les périls. Ils profitent fort peu de leurs possessions, occupés qu'ils sont à acquérir toujours. Les jours de fête, pour eux, sont ceux où ils font ce qu'ils ont à faire et les loisirs de l'inaction leur sont plus pénibles que le tracas des affaires. Bref, on pourrait justement caractériser les Athéniens par une formule et dire qu'il est dans leur nature de ne pas rester en repos et de n'en pas laisser aux autres.
 

Et quand devant vous, Lacédémoniens, se dresse une cité pareille, vous restez indécis. Vous ne voyez pas que le meilleur moyen de s'assurer une paix durable, c'est sans doute de s'abstenir d'attenter par les armes au droit des gens, mais aussi de montrer qu'on est bien résolu à ne pas se laisser léser par les autres. Pour vous, l'équité consiste à ne pas faire de mal à autrui et à ne pas non plus vous exposer aux coups pour votre propre défense. Quand bien même vos voisins vous ressembleraient, c'est à peine si une telle politique vous réussirait. Mais, avec de pareils adversaires, nous l'avons montré à l'instant, ce sont des procédés surannés. Ici, comme dans la technique; c'est toujours la formule la plus neuve qui l'emporte. Pour une cité qui vit en paix ; les usages immuables sont les meilleurs. Mais, quand on est sans cesse contraint de faire front, il faut sans cesse imaginer de nouveaux moyens d'action. C'est la raison pour laquelle les Athéniens, avec leur riche expérience, ont plus que vous renouvelé leurs méthodes.

Que c'en soit fini désormais de votre passivité. Portez-vous dès maintenant, conformément à vos engagements, au secours des cités menacées et, avant tout, de Potidée. Envahissez sans plus tarder l'attique. Évitez de livrer à leurs pires ennemis des gens auxquels vous unissent la parenté et l'amitié. Et prenez garde que, par découragement, nous ne nous tournions vers une autre alliance. Nous n'aurions aucun tort, ni devant les dieux gardiens des serments, ni devant les hommes qui savent ce qu'il est. Car les responsables de la rupture d'un traité ne sont pas ceux qui s'adressent ailleurs, parce qu'on les délaisse, mais ceux qui refusent leur assistance à des alliés unis à eux par la foi jurée. Si vous agissez avec énergie, nous resterons à vos côtés, car nous commettrions alors un sacrilège en changeant d'alliés et nous ne pourrions trouver aucun peuple avec lequel nous eussions plus d'affinités qu'avec vous. Telle est la situation. A vous de prendre le bon parti. Tâchez de ne pas mener à son déclin ce Péloponnèse dont vos pères vous on légué la garde. 

Traduction Denis Roussel

 

 

 

 

Commentaires

Quand je suis allée en Grèce , j'ai vu Athènes , l'Acropole et le Parthénon , ...et bien d'autres sites , ....mais de Sparte je n'ai rien vu , parce qu'il ne reste rien .
ça m'a laissée pensive . Pour survivre il faut un désir d'éternité ?
Très beau texte , merci pour cette lecture !

Écrit par : Emma | jeudi, 06 octobre 2011

Oui, sûrement. des aspirations intemporelles, un désir d'éternité, quelque chose qui dépasse l'ici et maintenant...

Écrit par : Lucien Mariott | mardi, 11 octobre 2011

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