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Carte du Tendre

 
Comme tant d'entre nous je vis noyée dans un chagrin poussiéreux, parsemé de halos de lumière d'aube. Comme tant d'entre vous je suis seule au milieu des ruines de mes amours mortes.
Draps froissés, solitudes, mécompréhensions, dépits, tristesses, ratages, instants de bonheur, exaltations, désespoirs... Tels sont les sentiments que nous portons comme une croix sans honneur, sans grandeur, mais d'une lourdeur qui pèse sur le cœur. Je relate ici toutes les déceptions amoureuses auxquelles mes rencontres avec quelques hommes, femmes et hermaphrodites ont irrémédiablement abouti.
 
Je m'excuse auprès de mes ex-amants de les classer ici par ordre chronologique de leur arrivée dans ma vie.
N'ayant pas une claire conscience des frontières mystérieuses entre l'amour et l'amitié, j'indique entre parenthèse s'il s 'est agi d'amours charnelles, aux morsures brûlantes, ou platoniques (morsures glaciales). La surconsommation de substances, parmi lesquels le traitre alcool de salamandres, à certaines périodes de ma vie, rendant la mémoire défaillante et le souvenir tangent, j'indique "incertitude" lorsque j'ignore si la morsure fut brûlante ou glaciale, autrement dit si la rencontre amoureuse fut charnelle ou platonique.

(N.B. Au bas de ce billet, j'ajoute une description synthétique de mes amants, grâce à une question de Tieri).

Alix Durand-Boucher (amours charnelles)
Rencontrée en 2005
Création d'un groupe de musique beith. Passion, gloire et déchirements. Lendemains qui pituitent, comme l'a si bien dit Katharina. Alix me quitte brutalement pour convoler avec Gangs of the world. Je pouvais tout pardonner ; tout, sauf cela. Je tombe en dépression nerveuse.
 
Étienne Destranges (amours charnelles)
Au fond du gouffre, je rencontre Etienne, qui venait de quitter les Stonehengers et qui, sous la direction d'un professeur assassiné depuis, rédigeait une thèse sur l'apocalypse qui vient. Il me sauve. Je manque de le faire sombrer. Nous remontons la pense. Dégoûtée par la musique beith et son milieu, je me lance dans le dark rock. Etienne et moi nous nous séparons finalement, lassés par la tourmente innombrable des choses quotidiennes qui reviennent cogner nos cerveaux quand nous voudrions planer bien au-dessus du monde matériel et des mots banals.
 
Miles Yufitran (amours charnelles)
J'ai partagé la vie de Miles pendant trois ans. Qui mieux que moi peut savoir ce qu'il a souffert ? Souffrances  et mémoires de sa mère Aïda, prostituée, douleurs de la séparation d'avec sa sœur Joan. Un soir je suis rentrée chez moi - chez nous - et je l'ai retrouvé. J'ai appelé les policiers et je les ai attendus en pleurant, assise entre Miles et sa trompette veuve, désormais. Quand je pense à lui, je me souviens de ce texte qu'il avait écrit un soir de brume, une brume qui évoquait pour lui ses deux pays, l'Irlande et la Berbérie : « Ma trompette fait la gueule. Alors je la laisse tomber et je bois. C’est dur d’être un musicien. On est des poètes du sable, à la moindre vague notre œuvre est détruite, effacée à jamais. On balance du vent dans les oreilles des gens et ils nous remercient en ne comprenant pas le fond de notre âme. On zone, on boit, on crève jusqu’à l’aube, et on se réveille avec une mélodie qui pince le cœur. Alors on attrape la trompette, on souffle nos douleurs dedans et ya un voisin qui crie : «Ta gueule ! »
Mais on continue quand même.
La rue est belle, les poubelles aussi sont belles, tout peut être beau quand on a les yeux remplis de ciel. Ma musique, mon amour, tu m’entraînes loin des hommes, alors parfois je te hais. Puis je me souviens que si tu m’entraînes si loin des hommes, c’est pour m’emmener plus près des étoiles ».
Miles, ton absence est bleue comme une étrange note de jazz perdue dans une mélodie classique...
 
Siobhan Hollow (incertitude)
Siobhan, tu nies que nous sommes amoureuses à jeun. Mais lorsque tu as bu tes bras m'enserrent et je sais que tu m'aimes. Tu es furieuse que j'écrive cela. Peu importe. Je ne l'effacerai pas. Pas avant que tu m'aies dit quelque chose de gentil, à jeun.
 
Axel Randers (amours platoniques)
Axel, amants des après-midi d'hiver interminables, des longues soirées dans des bars mal chauffés à parler en fumant, ou plutôt, à fumer en parlant. Toi, à la bière, moi à la tisane. Esther avec nous, quelque fois. Puis la mort t'a ravi à nos amours platoniques. Le baiser de la mort n'est jamais platonique. La mort y va franco. La mort consomme. Que ce soir dans un lit ou dans une voiture, à n'importe quelle saison, à n'importe quel moment, la mort nous baisera tous.
 
Esther Mar (amours platoniques)
Tu vis dans une maison au bord de la Marne et j'ai le droit de venir te voir quelquefois. Tu ne veux jamais parler de ton hermaphrodisme. Je te promets que je t'aimerais toujours autant si tu te dévoilais. Je te le promets, tu souris et tu remets à plus tard. Encore plus tard. Toujours plus tard. Il faudra pourtant que s'accomplissent un jour, une nuit, nos noces faméliques.
 
Réponse à une question de Tieri
 
 
Tieri : Tu crois qu'on va mourir ?
A quoi ressemblent tes amoureux Édith ?
 
Édith :
"Mes amoureux ressemblent à des frères d'ailleurs. Ils ont des longues jambes, des longs bras, des voix graves et des visages qu'on ne distingue pas très bien. Seuls leurs yeux brillent. Ils ne mangent pas, ils ne dorment pas, ils marchent sous la pluie. Ils ne lisent plus rien car ils ont appris tous les livres par cœur, comme dans Fahrenheit. Ils m'entourent, marchent autour de moi, armée d'amants qui me protègent du monde réel et des coups bas. Ils n'ont pas de maisons, mais des vaisseaux spatiaux. Ils surfent dans le ciel. Ils aiment mes écritures et mes danses. Ils ressemblent à des Peter Pan d'un autre monde, d'un autre temps, un temps qui vient lentement, lentement, ils ont un temps d'avance.
Ils sont géographes, astrophysiciens et chevaliers. Ils viennent de nulle part, ou plutôt, de si loin que l'on ne sait plus le nom de leur pays d'origine et ils savent parler aux poissons. Ils aiment les sonorités du monde, les bulles d'eau, les ballons que les enfants envoient dans le ciel après la fête. Ils me donnent leurs desserts.
Ils sont plus fidèles que la fidélité, plus aventureux que l'aventure. Je soupçonnent certains d'entre eux d'être des femmes déguisées. Je m'en fiche".
 
(Edith avait déjà répondu à une question de Tieri à cet endroit...)

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lundi, 17 décembre 2012 | Lien permanent | Commentaires (2)

La fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin

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N'est-ce pas l'un des plus grands écrivains du XX°siècle - n'est-ce pas le plus grand styliste ?

Un extrait de son Printemps arabe, publié par Albin Michel en 1959 :


"Nous passerons donc cette dernière nuit à l' « Oriental Palace ».

Mais avant de me rendre à l'hôtel, où j'ai fait déposer mes valises, je veux profiter de cette soirée pour faire un tour en voiture et flâner un peu au bord de la mer, au-delà de Shuwaik.

Depuis mon arrivée à Damman, où je l'ai aperçu pour la première fois, le golfe Persique m'est apparu comme une des régions les plus prenantes du monde. Je l'ai revu à Dahran, à Ras-Tanura, à Mina-el-Achmadi, et chaque fois mon bonheur n'a cessé de grandir. Cette étendue de sables et d'eaux entremêlés possède un pouvoir d'envoûtement auquel il est impossible de se soustraire. Je me représentais le golfe comme un bloc d'outremer, enchâssé dans des récifs cuivrés où les vagues viendraient battre sous un soleil implacable. Il n'en est rien. La terre est si lisse qu'on n'en voit pas la fin. Elle glisse sous l'eau par une pente insensible pour renaître quelques centaines de mètres plus loin sous formes d'écharpes de moire, comme si elle ne se résignait pas à mourir.

Le paysage est d'une douceur vraiment édénique. La mer est immobile. La côte a la pâleur du verre dépoli et le ciel répand sur elle un rayonnement diffus. Ce n'est pas par hasard si l'on trouvait ici, jadis, les plus belles perles du monde. Toute la nacre du ciel, de la terre et des eaux venait se condenser au fond des coquilles. Aujourd'hui, les pêcheries ont disparu. Mais le décor n'a pas changé. Il semble toujours prêt à engendrer ces petites sphères irisées, grandies au fond d'une mer caressante et laiteuse.

Le crépuscule descend. L'auto glisse sans bruit le long de la route qui épouse la courbe de la grève. Une plage à peine inclinée, d'une couleur indéfinissable, sépare la chaussée de la mer. Au loin, les palais des princes disséminés dans la plaine allument leurs girandoles roses. On dirait des cuirassés parés pour une fête. Le chauffeur abaisse une touche de son poste de radio. Une voix s'élève comme un sanglot au milieu de toute cette douceur. C'est une chanson française retransmise par Damas.

Oh, je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui...

L'auto poursuit sa course. Des formes indistinctes sont accroupies devant leurs maisons pour jouir du calme du soir. De loin en loin, des filets de pêche que l'on a mit à sécher tendent leur écran transparent, comme une offrande à la nuit.

Tu vois, je n'ai pas oublié
La chanson que tu me chantais

Oh non ! Je ne l'ai pas oubliée ! Que de fois ne l'ai-je pas entendue quand j'étais en prison ! De l'autre côté d'un mur d'enceinte qui le rendait invisible, un prisonnier la chantait à la tombée du jour et je l'écoutais, le cœur battant, à travers les barreaux de ma cellule. Ses accents nostalgiques éveillaient en moi les regrets de ma jeunesse écoulée, de visages aimés que je ne reverrais plus... Et voici que ce refrain vient me relancer jusque sur les bords du golfe Persique, au fond de ce crépuscule grandissant, pour me rappeler mes illusions enfuies et me faire monter les larmes aux yeux. Que la vie est étrange ! Qui m'eût dit qu'un jour j'entendrais s'élever au plus profond de l'Orient cet écho lointain de ma captivité !

C'est une chanson
Qui me ressemble
Toi qui m'aimais
Et je t'aimais

Et nous allions
Tous deux ensemble
Toi qui m'aimais
Moi qui t'aimais

L'un après l'autre, une couronne de feux rouges s'allume au sommet des châteaux d'eau qui dominent la ville. Leur partie haute est opaque. Mais leur base à claire-voie laisse filtrer les derniers rayons du soleil, de sorte qu'ils semblent flotter à la surface du jour.

Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit...

Tout cesse et pourtant tout continue, comme ce paysage suspendu au bord de l'évanouissement. Malgré la tristesse qui m'envahit, je veux savourer pleinement l'enchantement de cette heure. Une vieille carène de felouque dresse vers le ciel ses côtes dénudées. Nous approchons du cimetière de bateaux. Sur la plage, qui semble à présent plus lumineuse que la mer, des jeunes gens dansent en se tenant par la main. Leur ronde tourne sur elle-même, lentement, comme les étoiles. Sentent-ils la mélancolie poignante de cet instant ? Ou n'est-il triste que pour moi ? Pourquoi faut-il toujours s'en aller, s'arracher à ce qu'on aime ?

Déjà les ombres gagnent. Elles dissolvent les formes immobiles accroupies sur le seuil de leurs portes, le profil des maisons, les étraves des navires. Tout cela aussi ne sera bientôt qu'un souvenir... je dis au chauffeur de faire demi-tour.

Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis

Au loin, indifférente à l'heure qui passe, Koweit scintille de tous ses feux".

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Jacques Benoist-Méchin, Un printemps arabe, fin de la troisième partie

 Sur AlmaSoror nous avions déjà mentionné cet écrivain :

Epuration : l'auteur raconte sa condamnation à mort à la Libération

Trois esthètes du XX°siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem

Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin

L'invasion de l'Europe dans les années 700

 

Les photographies qui accompagnent ce billet sont de Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva

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lundi, 01 octobre 2012 | Lien permanent | Commentaires (3)

Lettre d'amour de droite

Chère Grand-Mère,

 

Si le remords avait du poids, cette lettre pèserait lourd. Depuis des années que je ne suis pas revenue vous voir, vous devez vous sentir seule, abandonnée.

Cela fait quatre ans que vous n’avez reçu de mes nouvelles. Suis-je une petite fille indigne ? Oui.

Pourtant, je n’ai cessé de penser à vous et de vous aimer.

L’impossibilité de vivre parmi les nôtres m’a poussée loin de notre monde, Grand-Mère. J’ai bien trahi vos enseignements, j’ai trahi nos idées. Ai-je eu le choix ?

Dans une bande dessinée de Hugo Pratt, quelques minutes avant de passer devant le peloton d’exécution,
le marin allemand Slutter dit: « Les Anglais me fusillent parce que j’ai obéi aux ordres de mon commandant, et les Allemands m’auraient fusillé si je ne leur avait pas obéi ».

Ces soldats allemands ou français de la deuxième guerre mondiale étaient cernés. Quoi qu’ils fassent, malgré leur abnégation et tout leur courage, ils étaient des traîtres. C’étaient des hommes traqués.

Ceux qui sont comme moi sont traqués par une marque qui se trouve à l’intérieur d’eux-mêmes. Où qu’ils aillent, ils seront toujours rejetés parce qu’aucune place ne leur est réservée : ils font peur.

Voilà pourquoi je suis partie.

Je suis descendue à Paris.

J’ai vécu à Paris puis à Berlin, puis à Zurich, et à nouveau à Paris. J’ai connu des gens très différents : des gens de gauche.

J’ai aimé certains d’entre eux, j’ai appris des choses. Mais souvent, j’ai été terrassée par leur nullité. Ces gens croient qu’ils inventent la liberté lorsqu’ils foulent à leurs pieds deux mille ans de culture chrétienne et européenne. Ils pensent inventer le monde lorsqu’ils crachent des mauvaises phrases dans des livres, des films ou des disques qui ne voient le jour que parce qu’ils baignent dans cet argent qu’ils disent détester.
Ils confondent tout ce qu’ils n’aiment pas dans un sac pratique et idiot, qu’ils appellent « bourgeoisie ». Riches, ils se veulent pauvres. Méprisants, ils se veulent populistes. Snobs, ils se croient populaires. Antipatriotiques et antireligieux, ils croient sauver le corps et l’esprit des gens. Ils haïssent le catholicisme, la tradition, qu’ils ne connaissent pas. Ils en parlent avec autant de bêtise qu’un catholique de droite parle des luttes communistes ou féministes : l’ignorance nous tuera tous.

La solitude que j’ai éprouvée parmi eux, je l’avais éprouvée aussi parmi mes cousins et aux scouts. Je l’avais éprouvée toute ma prime jeunesse, dans notre monde à nous, Grand-Mère. Comment pourriez-vous l’ignorer ?

Vous saviez mon secret. Vous ne m’en avez jamais parlé. Vous saviez que j’étais morte pour la seule vie que notre milieu me réservait. Mais vous ne disiez rien, et parfois vous me regardiez pleurer en tremblant. Votre chagrin était réel ; votre amour était réel. Mais vous n’aviez rien à me proposer, rien d’autre qu’un renoncement à tout bonheur, à tout espoir.

J’ai vécu ainsi parmi ces amis de gauche, sans Dieu, sans foi, qui ne savaient rien de ce que je pensais vraiment, à qui je ne pouvais parler de vous parce qu’ils vous auraient méconnue. Ils sont universitaires, professeurs, journalistes, artistes, avocats, et ils sont misérables. Vides de culture et vides de religion, ils ne connaissent que la gloire d’être de leur temps et passent leurs journées à oublier qu’ils vont mourir un jour. Mais au fond, dans n'importe quel univers, le même petit nombre de gens recèle cette grandeur d’âme –même s’ils n’y croient pas, à cette âme-, qui relève le malheureux et embellit le gris des jours. Quelles que soient leurs idées, leurs croyances, ce sont des anges. Il ne faut pas leur dire qu’ils sont des anges parce qu’ils ne comprendraient pas. Il faut juste les laisser être des anges et tenter de leur rendre un peu de la fraternité qu’ils vous offrent. Parmi ceux-là, j’ai trouvé des oreilles et j’ai dit mon secret. J’ai été tolérée, ce qui ne me serait pas arrivé chez nous, Grand-Mère. Vous savez bien. Parmi mes frères et sœurs hermaphrodites, il y a beaucoup de gens que je n’aime pas ; il y en a quelques uns qui auraient voulu comme moi vivre selon les valeurs qu’ils ont reçues dans leur berceau. Mais leur particularité les a privés d’une telle vie où la famille, la religion et le travail de la terre rythme le temps.

Je suis revenue vivre à la maison de Rébusseyt, au bord de la Marne, où vous veniez chaque été. Je vis seule dans cette grande maison et je pense à vous chaque jour.

Vous avez été ma seule amie. Vous êtes la personne humaine qui m’a aimée et nourrie. Ma vie aura passé mieux grâce à vous.

Adieu Grand-Mère. Si vous me répondez, nous nous reverrons peut-être. Je sais que vous serez heureuse si
je finis ma lettre avec les plus beaux mots du monde : Ave Maria, gratia plena, dominus tecum…
Je vous salue Marie pleine de grâce, le seigneur est avec vous.

Benedicta tu in mulieribus et benedictus fructus ventris tui Iesus. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sancta Maria, mater Dei, ora pro nobis peccatoribus nunc et in hora mortis nostrae… Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pêcheurs, maintenant et à l’heure de notre mort… Vos lèvres auront prié en lisant ma prière. Nous sommes ensemble, Grand-Mère chérie. Dans les bras de Dieu.

 

Esther Mar

 

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mardi, 25 novembre 2008 | Lien permanent | Commentaires (1)

Adieu, Sofia Andreevna !

"...j'ai pénétré dans cet univers enfantin charmant et grave, qui nous contraint, malgré nous, à croire en la vie, en son importance, en sa haute signification."

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- Edith, puis-je te demander un service ?

Ma sœur avançait vers moi, l'expression hagarde. 

- Que se passe-t-il ?

Elle me tendit un livre.

- Peux-tu, si tu en as le courage, regarder la fin de l'histoire, me dire si tu vois qu'il y a un viol à un moment, de l'héroïne Unna, par un personnage nommé... (J'ai oublié le nom de ce personnage brutal). Je t'en prie.

- Bien sûr, déesse.

J'ouvris le roman.

- Vers la fin du roman, par là. (Elle me montrait les pages qu'il fallait que je feuillette).

Il s'agissait d'un roman de Youri Rytkhéou, cet auteur russe de la nation tchouktche, qu'AlmaSoror a déjà eu l'occasion de mentionner à plusieurs reprises (dans les billets La traduction de l'humanisme, Il était une fois l'animal, La ville de perdition et L'étrangère aux yeux bleus).

Ce roman, c'était Unna.

Je consultais les dernières pages, confirmais à ma sœur, harassée par la noirceur du roman d'un auteur qu'elle admire, que la fin était absolument atroce, et la vis ranger l'ouvrage dans une étagère à une place dont, j'en avais la certitude, il ne bougerait pas avant longtemps.

Eh bien, je comprends ma sœur, et je crois que je vais ranger définitivement le Journal intime de Sofia Tolstoï, dont j'ai lu les six-cents premières pages avec passion. Pourquoi descendrais-je en enfer avec elle, et avec toute la famille Tolstoï ? Pourquoi suivrais-je pas à pas les méandres d'une mesquinerie qui se propage, avalant toute velléité de grandeur, tout vestige de bon sens ?

Avant de poser le gros livre définitivement, je pose ici quelques extraits.

15 septembre 1897 : "Nous constatons que cet infini qui, en notre jeunesse s'étendait devant nous, devant nos aspirations, nos efforts, nos forces intellectuelles et physiques, nos occasions de nous cultiver, cet infini rétrécit et disparaît avec l'âge et à sa place se dresse un mur qui marque la limite de nos forces et de notre existence.
C'est alors qu'il faudrait transférer cet infini au-delà des limites de cette vie-ci, et pénétrer dans le domaine de la vie future".

21 octobre 1897 : "Je me rappelle la semaine que j’ai passée là-bas : la boue dehors, la saleté dans ces deux pièces où Léon Nikolaïévitch et moi avons vécu, les souricières dont le volant se refermait sans cesse sur une souris prise. Des souris, des souris à n’en plus finir ! Une maison froide et déserte, un ciel gris, une pluie fine, l’obscurité, ces allées et venues à la lumière de la lanterne pour déjeuner et dîner chez Liova ; des copies, des copies du matin jusqu’à la nuit ; le samovar qui fumait, l’absence de domestiques, un silence mortel".

2 avril 1898 : "Pourquoi maintenant la vie passe-t-elle si vite, et presque imperceptiblement, comme un rêve ? Si j'étais plus normale, je vivrais de manière plus consciente et plus consistante. Plus tard, avec le temps, regardant en arrière, comme on le fait toujours, je comprendrais tout mon passé, je l'évaluerais et je le regretterais (encore une fois, comme on le fait toujours), je regretterais mon inaptitude à en avoir profité. Ainsi, à de rares exceptions près, la vie se passe en désirs et en regrets".

Ce passage, me rappelle une réflexion de Cosima Wagner dans son propre journal, qu'on trouve ici sur AlmaSoror : « c'est le rêve de la vie ; on est dévoré de nostalgie dans l'attente de quelque chose, et, quand ce quelque chose est atteint, on ne peut plus en jouir »

30 mars 1901 : "Aujourd'hui, j'ai communié. J'ai eu beaucoup de mal à me recueillir. La contradiction entre ce qu'il y a d'authentique à l'église, ce qui constitue son fondement, et les rites, les cris brutaux du diacre, cette contradiction est si grande qu'elle est difficilement supportable et qu'elle donne envie de fuir. C'est cela qui détourne les jeunes.
Hier j'étais à l'église où des aveugles chantaient merveilleusement bien. Je me disais que les gens du peuple se rendent à l'église un peu comme nous allons à un bon concert symphonique. Chez eux à la maison - la pauvreté, l'ignorance, le labeur incessant. On vient au temple, vers la lumière, les chants, le spectacle... Ici, il y a l'art, la musique, et ce qui justifie la distraction, l'état spirituel, la religion approuvée, considérée même comme une chose bonne et indispensable. Comment vivre sans cela ?"

31 décembre 1899 : "Où est le bonheur ? Où est la tranquillité ? Où est la joie ? Mais dans l'univers des enfants, que je viens d'apercevoir en faisant un saut à Grinevka, où j'ai organisé un arbre de Noël ; j'ai pénétré dans cet univers enfantin charmant et grave, qui nous contraint, malgré nous, à croire en la vie, en son importance, en sa haute signification. Et encore : dans la nature calme et pure, au sein de laquelle j'ai vécu à nouveau pendant trois jours, admirant la blancheur infinie des champs et le givre qui luit sous un soleil éclatant, recouvrant forêts et jardins".

 

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mardi, 09 septembre 2014 | Lien permanent | Commentaires (2)

Les riches sont-ils tolérés dans l'église du Christ ?

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Parmi les voix de la littérature française deux paraissent aussi représentatives de la France qu'elle sont antagonistes, tant sur le style que sur le fond du propos, mais il est vrai que la forme n'est que la surface du fond. Étienne de La Boétie (XVIème siècle) et Bossuet (XVIIème siècle) s'opposent dans leur rapport à l'autorité, à l'individu, à la société, mais une même verve raffinée et polémique les unit dans une plume qui reste un modèle d'expression à nos ouïes ébaubies.

Voici, en tout cas, ci-dessous, un passage représentatif du sermon que l'aigle de Meaux prononça au début de l'année 1659, à l'occasion de l'inauguration des Filles de la Providence, maison destinée à accueillir les jeunes filles nées de la misère, sans ressources ni appuis. Le sermon fut prononcé devant les bienfaitrices de la maison, en présence de Saint Vincent de Paul.

 

« Dans tous les royaumes, dans tous les empires, il y a des privilégiés, c'est-à-dire des personnes éminentes qui ont des droits extraordinaires ; et la source de ces privilèges, c'est qu'ils touchent de plus près, ou par leur naissance, ou par leurs emplois, à la personne du prince. Cela est de la majesté de l'état et de la grandeur du souverain, que l'éclat qui rejaillit de sa couronne se répande en quelque sorte sur ceux qui l'approchent. Puisque nous apprenons par les saintes lettres que l’Église est un royaume si bien ordonné, ne doutez pas, mes frères, qu'elle n'ait aussi ses privilèges: et d'où se prendront ces privilèges, sinon de la société avec son prince, c'est-à-dire avec Jésus-Christ? Que s'il faut être uni avec le Sauveur, chrétiens, ne cherchons pas dans les riches les privilèges de la sainte Église: la couronne de notre monarque est une couronne d'épines; l'éclat qui en rejaillit, ce sont les afflictions et les souffrances. C'est dans les pauvres, c'est dans ceux qui souffrent, que réside la majesté de ce royaume spirituel: Jésus étant lui-même pauvre et indigent, il était de la bienséance qu'il liât société avec ses semblables, et qu'il répandit ses faveurs sur ses compagnons de fortune.

Qu'on ne méprise plus la pauvreté, et qu'on ne la traite plus de roturière. Il est vrai qu'elle était de la lie du peuple; mais le roi de gloire l'ayant épousée, il l'a ennoblie par cette alliance, et ensuite il accorde aux pauvres tous les privilèges de son empire: il promet le royaume aux pauvres, la consolation à ceux qui pleurent, la nourriture à ceux qui ont faim, la joie éternelle à ceux qui souffrent. Si tous les droits, si toutes les grâces, si tous les privilèges de |'Évangile sont aux pauvres de Jésus-Christ, ô riches, que vous reste-t-il, et quelle part aurez-vous dans son royaume? Il ne parle de vous dans son Évangile que pour foudroyer votre orgueil. "Malheur à vous, riches!" Qui ne tremblerait à cette sentence? qui ne serait saisi de frayeur? Contre cette terrible malédiction, voici votre unique espérance. Il est vrai, ces privilèges sont donnés aux pauvres ; mais vous pouvez les obtenir d'eux, et les recevoir de leurs mains: c'est là que le Saint-Esprit vous renvoie pour obtenir les grâces du ciel. Voulez-vous que vos iniquités vous soient pardonnées, "rachetez-les, dit-il, par aumônes". Demandez-vous à Dieu sa miséricorde, cherchez-là dans les mains des pauvres, en l'exerçant envers eux. "Heureux ceux qui sont miséricordieux". Enfin, voulez-vous entrer au royaume, les portes, dit Jésus-Christ, vous seront ouvertes, pourvu que les pauvres vous introduisent: "faites-vous, dit-il, des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels". Ainsi la grâce, la miséricorde, la rémission des péchés, le royaume même est entre leurs mains, et les riches n'y peuvent entrer si les pauvres ne les y reçoivent.

Donc, ô pauvres, que vous êtes riches! mais, ô riches, que vous êtes pauvres! Si vous vous tenez à vos propres biens, vous serez privés pour jamais des biens du nouveau Testament; et il ne vous restera pour votre partage que ce mot terrible de l’Évangile: "Malheur à vous, riches! Car vous avez reçu votre consolation". Ah! Pour détourner ce coup de foudre, pour vous mettre heureusement à couvert de cette malédiction inévitable jetez-vous sous l'aile de la pauvreté; entrez en commerce avec les pauvres; donnez et vous recevrez; donnez les biens temporels, et recueillez les bénédictions spirituelles; prenez part aux misères des affligés, et Dieu vous donnera part à leurs privilèges.

C'est ce que j'avais à vous dire touchant les avantages de la pauvreté et la nécessité de la secourir ; après quoi il ne me reste plus autre chose à faire, sinon de m'écrier avec le prophète: "Heureux celui qui entend sur l'indigent et sur le pauvre". Il ne suffit pas, chrétiens, d'ouvrir sur les pauvres les yeux de la chair ; mais il faut les considérer par les yeux de l'intelligence. Ceux qui les regardent des yeux corporels n'y voient rien que de bas, et ils les méprisent : ceux qui ouvrent sur eux l'œil intérieur, je veux dire l'intelligence guidée par la foi, remarquent en eux Jésus-Christ ; ils y voient les images de sa pauvreté, les citoyens de son royaume, les héritiers de ses promesses, les distributeurs de ses grâces, les enfants véritables de son Église, les premiers membres de son corps mystique ; c'est ce qui les porte à les assister avec un empressement charitable. Mais encore n'est-ce pas assez de les secourir dans leurs besoins. Tel assiste le pauvre, qui n'est pas intelligent sur le pauvre. Celui qui leur distribue quelque aumône, ou contraint par leurs pressantes importunités, ou touché par quelque compassion naturelle, soulage la misère du pauvre; mais néanmoins il est véritable qu'il n'est pas intelligent sur le pauvre. Celui-là entend véritablement le mystère de la charité, qui considère les pauvres comme les premiers enfants de l’Église ;  qui, honorant cette qualité, se croit obligé de les servir; qui n'espère de participer aux bénédictions de l’Évangile que par le moyen de la charité et de la communication fraternelle ».

 

Monseigneur Bossuet, février 1659

1659, Bossuet, aigle de Meaux, pauvreté, richesse, église catholique, christianisme

 

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jeudi, 06 août 2015 | Lien permanent

Comme un souffle trop fragile

Et dans ta boite mail au premier janvier tu reçois, de tes cousins et cousines, des lettres de vœux qui se ressemblent toutes.

Par exemple, celle-ci, puisée au hasard dans la récolte des vœux et que tu m'as transmise tout à l'heure : 

"Chère Famille, chers amis, 

Eric se joint à moi pour vous souhaiter une sainte et heureuse année 2017 ! Que cette année qui vient vous apporte une abondance de joies et de belles rencontres ! 

C'est l'occasion pour nous de vous demander pardon de n'avoir pas donné beaucoup de nouvelles, au cours de cette année qui, comme les précédentes, à été très riche. 

Notre petite famille continue de bien se plaire dans l'Ouest. La Bretagne s'est montrée si clémente cet été, que les enfants ont bien pu profiter de la piscine, et, nous l'avouons, nous aussi ! A l'ombre des tilleuls qui la bordent nous avons pu profiter de ces moments familiaux sans kways ! Cela nous a fait du bien, après un long hiver, entrecoupé toutefois par une croisière dans les îles espagnoles et par notre traditionnel séjour à "Serre-Che".

Nous profitons de ce nouvel an pour vous donner des nouvelles des enfants, qui ont bien grandi. 

Gonzague, du haut de ses dix ans, s'ennuie en CM2 où il estime que les devoirs que sa maîtresse lui donne sont trop faciles. Heureusement, les weekends sont consacrés aux louveteaux. Il espère bien rejoindre bientôt les scouts marins et marcher ainsi (ou plutôt courir, puisqu'il est arrivé second au cross de son école), dans les traces de son papa ! C'est un grand frère souvent impatient, mais attentif, qui tache avec cœur de corriger les petits défauts dus à son impulsivité. Il poursuit le piano au Conservatoire, et a commencé cette année sa première classe d'orgue. 

Ombeline (8 ans), prend ses marques à l'école comme aux louvettes, sans oublier le violon qu'elle travaille tous les soirs sans rechigner. Elle a une tendance marquée pour la lecture, et en oublierait presque que le bon air et le sport sont excellents pour la santé. Heureusement, sa fratrie se charge de la tirer de son fauteuil et de ses romans favoris, de gré ou de force ! 

Ferréol (6 ans) a bien besoin de se dépenser. C'est une véritable boule d'énergie... Et de joie de vivre ! Il fait le bonheur de toute la famille, mais cause bien du souci à sa maman qui doit sans cesse passer derrière lui, sans compter les innombrables paires de chaussettes à raccommoder... Il n'en est pas moins très sage à l'école, et très bon camarade. L'abbé Ramieux, directeur de l'école, l'a même surnommé "le petit champion des BA" tant il aime à venir en aide à ses camarades moins débrouillards que lui. Il est un bon frère et admire beaucoup son papa, qu'il imite tant qu'il peut ! 

Enfin, notre petit Jean-Bosco savoure son statut de chouchou de la maisonnée. Il rit et pleure, consolé sans arrêt par sa grande sœur qui lui sert de petite maman quand la vraie est trop occupée ! 

Eric est toujours très pris par son travail, surtout depuis qu'il a été nommé directeur du pôle régional. Il apprécie énormément ses nouvelles responsabilités et s'entend très bien avec ses chefs comme avec ses subordonnés, qui apprécient son calme. Le tennis et la voile ne sont pas pour rien dans son équilibre, sans compter le rugby avec les anciens des scouts marins, chaque premier jeudi du mois ! 

Eric et moi nous continuons notre engagement dans les équipes Notre-Dame, ainsi qu'à la Fraternité Saint-Vincent de Paul, où j'ai pris des responsabilités à l'accueil tandis qu'Eric s'occupe de la trésorerie de l'antenne locale. Ces rencontres et ces oraisons partagés avec d'autres couples nourrissent notre réflexion commune. Notre engagement auprès des plus démunis, nous rappelle à quel point nous avons de la chance. Et même si ces activités nous prennent du temps, denrée rare pour une petite famille comme la nôtre, c'est : "Dieu premier servi !"

Quant à moi, je poursuis mon travail deux jours par semaine à l'Institut Notre-Dame, où je m'occupe du protocole et de la prise en charge des invités. Cela me permet, les autres jours de la semaine, de m'occuper de mes enfants au quotidien, de leur développement scolaire et psychologique bien sûr. 

Que cette petite lettre de nouvelles soit pour nous l'occasion de vous assurer de notre amitié. Vous êtes les bienvenus à la maison, pour un thé auprès de la cheminée l'hiver, ou un apéritif au bord de la piscine dès les beaux jours ! Nous vous souhaitons à tous une très belle année 2017 et vous embrassons avec beaucoup d'affection. 

(En pièce jointe, des photos de la famille, aux quatre saisons !)

Eric, Dauphine, Gonzague, Ombeline, Ferréol et Jean-Bosco.

 

Rarement les saintes familles ressemblent à la Sainte Famille. Elles se reproduisent dans leurs belles maisons là où Joseph et Marie faisaient naître le petiot dans une étable. Elles fuient comme la peste les pécheurs et les marginaux quand Jésus s'entourait de prostituées et de célibataires. 

A lire sur AlmaSoror, la prière du daron suprême 

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dimanche, 02 avril 2017 | Lien permanent

autobiographie (tentative sérieuse)

 

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Giordano Bruno

 

 

(un billet d'Edith)

Katharina F-B a écrit un jour mon hagiographie psychédélique et jamais je ne la remercierai assez.
Cependant, dans les mondes professionnel et social, on me demande parfois une biographie ancrée dans un réel plus abordable que celle de Katharina. J’ai donc composé mon autobiographie. Pour les années passées, cela vous donnera une idée. Toutefois, pour une autre interprétation du passé et une vision d’ensemble des années futures, je vous renvoie à la synthèse de KFB.

(NB du 14 juillet MMX : mon premier lecteur m'annonce que cette autobio accentue l'inclarté au lieu de la dissoudre. Tant pis).

Naissance et premières années

Je naquis à sept heures et quelques du soir. La clinique était calme, bercée du bruissement sempiternel des palmes. Diplômés, distants, méprisants, les médecins firent un bon travail médical mais ma sœur et mon frère naîtront dans une clinique tenue par de douces bonnes sœurs tant le métallique professionalisme de Saint-Vincent de Paul avait traumatisé mes parents. Mon père cauchemardait qu’il devait sauver ma mère de médecins-chirurgiens qui l’opéraient diaboliquement au fond des couloirs aseptisés des bâtiments publics. Pour la sauver, il fallait affronter un ours. Tout ça pour un bébé humain, alors qu’il aurait voulu un bébé renard.

Deux ans plus tard, naissance de "l'ange". Premières peurs mystiques de la séparation.

Et quelques souvenirs visuels et vocaux : les volets de Montparnasse, le perron du Pont-Hus, la voix "câlin Edith", protection de ma mère et premières pierres de la forteresse intérieure.

Les trois enfants

Nous fûmes trois et nous grandîmes sur le boulevard du Montparnasse. Rollers, manifs, chats perchés, lectures des livres des grands oncles et grandes tantes sauvés des eaux, pendant que la maman travaillait dans le monde des grands, un monde capitaliste, administratif, méchant, sans éthique et sans esthétique.

L.. (le monstre)

C’est l’entreprise où, jour après jour, soir après soir (très tard le soir), au milieu des sourires, ma mère souffrit du salariat.

 

1989

L’adieu à l’Erdre.

Je ne peux pas me plaindre. Des clochards qu’on voit dans la rue, certains se souviennent peut-être d’une maison, d’un jardin.
Il y avait depuis quelques siècles une demeure, là bas, et des terres au-dessus desquelles volaient des corbeaux. D’autres êtres le hantent désormais. Qui ne connait l’amertume des larmes ? Toute famille est un drame inéluctable et l’Erdre est la plus belle rivière du monde.

 

La B..

On m’y ouvrit un compte à 11 ans. J’ai appris dans la douleur à ne pas laisser passer plus de 15 jours à découvert. Je suis toujours à la B… Pourquoi changer ? Toutes les banques, qu’elles le veuillent ou non, sont des banques. Et j’ai même appris à deviner, derrière le regard bleu de certains Conseillers de clientèle, la mémoire de l’enfance partie, mêlée aux rêves de la nuit qui revient.

Ma carte bleue, Iphigénie, est toujours là. Son parrain est Lucrèce, en raison de la défense paternelle qu’il a prise envers Iphigénie, dans de belles pages de son œuvre de rerum natura. O mon Iphigénie, dors tranquille, loin de Calchas le découpeur d’entrailles. Vois, il est de plus en plus rare que la machine Big Brother te refuse des biffetons, aux guichets aguicheurs, laids et automatiques qui « ornent » les rues.

Le lycée Buffon

Balancements entre socialisation et conflits. 11ans-17 ans : on est au bord du vide, entre l’amour et la répulsion. Ceux qui m’ont soutenue, comprise, accompagnée, et surtout pardonnée, ont su me faire aimer un (petit) peu la République, son drapeau, ses « valeurs » et ses lycées. Sans le lycée Buffon j’aurais été bakouniniste.
Et puis, beaucoup des camarades sont toujours là, plus ou moins loin de moi. Comme des vagues qui viennent de loin, leurs voix mûries charrient un peu parfois des éclats et des expressions de l’adolescence.
Faiblesse, débilité et apprentissage du remord.

Gange

L’égérie, l’amie, la sœur, la mère, la fille, la chienne, l’autre, la semblable, l’amour, la joie, la peur, la consolation.

La frontière qui sépare ceux qui considèrent les animaux comme des personnes à part entière et ceux qui les considèrent comme des objets ou au mieux des sous-sujets, est-elle infranchissable ? Il me semble avoir toujours été du côté animal et chaque rencontre animale m’a toujours fait aller plus loin sur cette voie. Au point qu’il est inutile de discuter : se taire dans les salons et œuvrer en parallèle pour la reconnaissance et la protection de nos frères, les autres animaux.

 

Pontault Combault, la rue Daguerre et la rue Boissonade

S’il est impossible de raconter ce long épisode d’un an et demi, je veux du moins le mentionner. Comprenne qui participa.

 

Les Langues O et les années Hawaii Off Shore

C’est en feuilletant un livre sur le surf que j’ai lu un poème en langue hawaiienne. Je ne pouvais le comprendre, mais les lettres qui s’étalaient semblaient former des sonorités si belles. Quand je revins quelques jours plus tard avec de l’argent pour acheter le livre, il avait disparu. De multiples quêtes ne me le rendirent pas. Mais j’appris le hawaiien. Seule.

Entre-temps je m’étais inscrite aux Langues Ô et y apprenais le quechua et le tahitien, et puis un peu d’amharique.

Une longue histoire avec les langues, qui n’est jamais morte bien que les sables du présent recouvrent parfois les travaux d’antan. Quelque chose a ressuscité à la Maison de la Radio, en 2004, puis à Izmir, quand je fus invitée au Centre Culturel Français en 2009. A suivre…

Le voyage au Pérou

Une compréhension intérieure, indicible, ancrée depuis au fond de mon être.
La découverte d’un monde nouveau : la montagne, aussi fascinante que la mer et différemment mystérieuse. La respiration d’une autre esthétique, d’une autre atmosphère, où l’on sent qu’on pourrait se poser et rester pour toujours.
Enfin, un regret blanc comme les murs du couvent de Santa Catalina : Arequipa.
Faudrait mentionner aussi La Paz, la haute ville dans les montagnes, La Paz d’où on s’embarqua pour un retour tortueux. Qu’y avait-il dans la mallette que je serais contre moi, en entrant dans l’avion ? Nous sommes trois – peut-être cinq, en fait - à le savoir.

Le CEEA et la voie scénaristique

Inespéré : j’ai réussi un concours dans ma vie. C’était celui du CEEA. Le début d’un métier qui ressemble rarement à un rêve d’écrivain. Même s’ils partagent l’appel des bars.
C’est à la Coupole que ma coscénariste et moi allions trouver les idées des épisodes de la série du Nidouille, « cosy corner ».

Les rencontres avec Alexis T eurent lieu au bar Edith Piaf, sur la place du même nom, non loin de la prod Wendigo. Entre les écrivains et les scénaristes, maintenant que les cigarettes sont presque hors la loi, il reste le point commun des bars.

Autrement

Brigitte V et Anne R acceptèrent le projet d’un livre sur les langues et ainsi commença pour moi l’aventure Autrement, sous leur agréable égide. Quelques livres et beaucoup de conversations.

Les années VillaBar

Un frère embarqué dans une aventure, une amie au deuxième étage, un prof de piano, Jean-Pierre Bret, aux même initiales que son double John Peshran-Boor, l’amour de la littérature et de la photographie, un entourage chaleureux et enthousiasmé : ainsi naquit VillaBar, qui fit du bruit et dont il reste de belles œuvres et une nouvelle manière d’aborder la photolittérature. En laissant la photo exhaler ses sens, avant tout. Seulement ensuite, la littérature s’avance, majestueuse et imprévisible, renouvelée.

L’aventure AlmaSoror

Une sœur insistante devant l’ordinateur familial et un faible accord de ma part : voilà comment est né(e) AlmaSoror.

Un journal mensuel, intemporel, en ligne, draina de nombreux et étonnants lecteurs pendant deux ans. AlmaSoror se fit ensuite blog.
« Caminante, no hay camino, se hace el camino al andar ».

AlmaSoror a lié des alliances, toujours libres.

Aujourd’hui, toujours bavard en ligne, AlmaSoror a produit un film (Résurrection) et en produit un second (la Feuille). Des courts métrages qui fabriquent peu à peu une marque visuelle. Nous souhaitons aller loin, lentement, dans l’étroit sentier bordé de paille que nous avons commencer à tracer.
« Caminante, no hay camino sino estrellas en el mar ».

Naissance d’Hugues, mon fils imaginaire

Son père, Alexis Jaulerri, le reconnut expressément dans une lettre posthume. C’est bien pour Hugues. Mon fils dessine, m’écrit des lettres, de temps en temps il me gronde. Les autres mères sont débordées ; moi, transbordée.

 

Retour à l’étang de la Grostière

Les barques avaient changé. J’avais d’aussi grandes jambes que les grands de mon enfance et les choses interdites et mystérieuses s’ouvraient à moi avec tellement d’évidence que je compris que l’enfance est un miracle. Il y avait le saule pleureur et les allées, la chambre aux volets que j’arrivais à fermer sans difficulté. Retrouver chaque meuble, chaque pan de mur, se remémorer tant d’étés. Soudain, subir l’urgence de la vision quand, sans prévenir, le son des cloches de l’église fait remonter tant d’émotions. Au fond de l’étang dorment encore, sous des mètres cubes de vase, les épées des Brigands. Les mondes morts et les mondes vivants se côtoient : il est parfois difficile de choisir son camp.

Collectif 127-B « étoile de mer » (Insomniapolis)

Nous savions bien que nous ne parlions pas en l’air, et, de fait, le collectif est né. Les œuvres se créent peu à peu et l’argent rentre petit à petit. Il faudra sans doute revoir la charte, se réunir encore, boire du vin lacrima christi, réparer des erreurs.

Le collectif promeut l’art figuratif. Pour revivifier notre art, nous approfondissons la connaissance des trois sources allogènes : Rome, Athènes, Jérusalem, et du terreau celtique inextricable.

Musique : Challwa Taki. Sortilèges. Wolfcrag

Nous créâmes Challwa Taki (nous étions 3), qui se transforma en Sortilèges (nous passâmes de 3 à 8, puis nous finîmes à 2), qui est devenu Wolfcrag (nous sommes 9). Wolfcrag est une « formation musicale » dont l’aventure commence à peine. Le style musical que nous créons ensemble, la beith musique, nous torture à force d’être imparfait.

Mes compères dans cette aventure : Le dit Luke Ghost, Philibert, Marc, Jules, V, Emma, Aurore B, Alex.

Albums

Nous, les loups, le premier album. Les images d'Alain Gauthier sont comme une construction de symboles qui approfondissent le texte.

Deux autres sont en train de prendre forme sous deux autres mains que les miennes. Les illustrateurs interprètent les textes en les emmenant loin dans leur monde. Etrange expérience que d’être illustrée.

Compagnons de route

(il s’agit évidemment de la « route » professionnelle, ou assimilée).

Laure Tesson

Tieri Briet

Ondine Frager

Esther Mar

Anne-Pierre Lallande

Sara

Katharina F-B

Mon frère Sam

 

Influences

Ma petite sœur, qui m’a convertie à l’Europe

César I, le prof de quechua. En dépit d’une fin assez ratée.

Remo Mugnaioni, son art de vivre et sa culture raffinée

L’abbé B Lorber pour le chant grégorien

Clarisse Herrenschmidt et ses trois écritures

Brigitte B et ses cours de chant.

 

Egéries

Gange

Charles Baudelaire

Virginia Woolf

Hanno Buddenbrook

Comte Mölln

James Douglas Morrison

Le Christ

Sainte Catherine de Sienne

Baude Fastoul

Morgana Bantam Dos Santos

Nolimé Tangéré

Esther Mar, rencontrée au fond d’un bar après une manif très queer dont les sloglans m’avaient fait trop peur, Esther Mar la plus belle du monde, Esther Mar, la seule personne humaine, vivante actuellement et rencontrée « en vrai » parmi mes égéries. Esther Mar, auteur de La peur, la liberté et la morale, publié dans une revue de papier dissidente en 1983. J’avais cinq ans. Je possède un exemplaire jauni de cette revue, résultat d’une longue quête. Esther Mar, qui est en train de terminer son œuvre-fleuve Chants de poussière, et qui me fait l’honneur de m’en lire des passages de sa voix rauque et nostagique, au milieu des cendres du salon brûlé et des vieux meubles encore debout, dans son salon de sa maison au bord de la Marne.

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jeudi, 15 juillet 2010 | Lien permanent

Le vagabond des ruelles ouvertes

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Il est venu un soir, à l'heure où elle cuisine, et le petit garçon attendait devant la porte que passent les oies sauvages. Mais elles ne passaient plus depuis longtemps, depuis bien avant sa naissance, et ce qu'il vit, ce fut l'homme qui arrivait, un sac à dos sur son épaule, une bouteille de bière à la main.

C'était l'époque des grands oiseaux qui se battent sur la plage et des louves qui s'approchent de l'orée des forêts. Mais moi je n'aimais personne et je vivais au premier étage de la bicoque défoncée. Personne mieux que mon pauvre être déchiqueté n'avait vue plus limpide sur les voisins de la ruelle ouverte. Et j'ai vu l'enfant voir l'homme qui arrivait.

Il ignorait encore que cet homme avait des yeux créés pour que sa mère flanche, il ne comprit que bien tard que Vagabond resterait coucher pour toujours dans la chambre où sa mère jusqu'ici dormait seule. Et cet enfant sut qu'il faudrait attendre une délivrance inaccessible.

Mais les vagabonds partent, les vagabonds s'en vont un jour, au petit matin chagrin. Ils laissent quelques dettes et quelques plaies dans les cœurs où ils ont mangé ; ils s'en vont cœur léger oubliant soudain tout ce que les muets et les aimants leur donnaient.

Ils partent pour partir.

Il partent pour ne pas revenir.

Ils partent pour se revêtir d'un nouveau mystère qui fera pétiller les yeux d'une autre femme.

Ils partent pour se refaire une colère qui fera dégouliner les yeux énamourés.

Leur violence est leur blason.

 

Et j'ai vu le jour où l'enfant dépaysé restait debout auprès des larmes de sa mère, tandis que la vitre cassée et l'absence de la bourse étaient les seules traces de l'homme enfui.

Mais il est des hommes qui restent. Tel ce géant barbu qui hante le village et qui nous fait peur. Il ne ressemble plus à ses frères, cela fait trop longtemps qu'il n'a pas apprêté sa barque pour la pêche sur le lac.

Mais il est des enfants qui grandissent.

Et l'enfant si sage dont je vous parlait, le voilà qui gratte une guitare, l'air trop fier, à l'heure où passent les fantômes. Moi je ne sais même pas son nom, moi qui ne parle à personne, moi qui regarde tout de ma fenêtre ébréchée et qui n'écoute plus rien.

 

Il était une fois un petit garçon qui n'existe plus. Même l'adolescent à la guitare a rendu l'âme qu'il avait belle et douloureuse. Et c'est un homme silencieux qui regarde aujourd'hui les grands oiseaux se battre au bord des vagues. Son chien, Aydius, grande bête blanche égarée, contemple la mélodie visuelle du soir.

L'homme sans bagage finit ses frites et son eau minérale. Ensorcelé par une Étoile, il regarde le jour se dissoudre dans l'oubli.

Reviendra-t-il comme un voleur à l'heure où personne ne l'attendra ? Reviendra-t-il au coucher du soleil, quand les adolescents frappent sur leurs tambours ? Reviendra-t-il, quand flamboie l'horizon, ceindre d'un coup de lanière le vieil homme qui mange à la table de la maison où il a grandi ?

Car le vagabond est revenu et nul fils n'était plus là pour glisser sa menotte dans la main de sa mère épuisée.

Sortilèges, vous mourez lentement aux premiers jours du printemps, quand l'herbe devient verte au milieu des bidons et des vieilles carrosseries que les services de la ville n'enlèvent jamais.

Il est des ruelles malades, trop ouvertes, où les vies se fomentent comme des complots manqués.

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lundi, 02 juin 2014 | Lien permanent

Un samedi soir dans un port en avril

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Oh mes amis, j'ai passé une journée schizophrène, entre une obsession de plomberie autour du pauvre évier et la lecture de Psyché, de Pierre Louÿs, cet écrivain étrange. Tu sais quoi ? Même la promenade à la Chaume, dans ses ruelles (rue de l'Amour, rue des Soupirs, pour finir coincée dans l'impasse des Garçonnes) n'a pas réussi à vider ma tête de la lessive de soude à insérer dans la tuyauterie dévissée sous l'évier ni des hésitations langoureuses et terrifiantes de Psyché Vanetty.

J'ai vissé, dévissé, débouché, et contribué à des forums en ligne sur l'efficience ou la maléfficience du marc de café dans les canalisations. J'ai lu et relu les atermoiements épouvantables et fascinants de Psyché ("Il n'y a pas de honte à craindre Satan. Un homme se défend contre un homme, il ne se bat pas contre un fléau. Ce n'est pas de montrer une âme faible que de s'enfuir devant l'orage, ma fille, ou devant l'amour, car nos bras humains ne sont pas assez forts pour lutter contre le feu du ciel, ni contre celui de l'abîme").

Alors, comprenez que le soir, j'ai mis un billet de 20 euros dans ma poche, une veste Zara sur mon jean Zadig, et je suis sortie pour marcher dans la ville, jusqu'au port, dans cette brume troublante qui engourdissait les maisons. Je suis arrivée aux abords de la Roulotte. Elle est belle, elle est bleue, une agréable odeur de friture bio s'en dégage. Je me suis approchée timidement, les mains dans les poches, tentant d'avoir l'air intelligent et détaché. Je commandai la seule chose qu'il s'y sert : un fish & chips, que j'agrémentais d'une bière Chiens de Perrins de l'Île d'Yeu, car les frites aiment être arrosées. La moutarde semblait bonne, j'en tartinai mes frites d'une couche épaisse et je m'assis au bord du port, rêveuse et solitaire.

Car j'étais solitaire. L'évier et Pierre Louÿs diparurent, laissant la place à deux goélands patibulaires qui matèrent ma gueule sans sympathie et dévisagèrent mon fish & chips avec un intérêt certain. Tu vois, j'ai mangé sans leur accorder le moindre regard, car j'ai vu Birds, le film d'Hitchcock, et je sais à quoi m'en tenir. Au lieu de cela j'ai laissé mon esprit divaguer dans les eaux du port des Sables, puis sur les bâtiments de tôle de la coopérative maritime Cavac. Et la bière pétillait au fond de mon âme, brune, comme un sortilège levuré. Et le temps s'effaça.Quand tout fut fini, je lançai les restes aux goélands, qui crièrent de joie en se précipitant vers les miettes, et repris le chemin de mon antre, par l'océan.

Une bruine tombait au bord de la plage. La marée montait, la température baissait. Je tendais mon visage au ciel pour quémander des gouttes de bruine. J'aimais vivre. Ce n'est qu'en approchant du cours Blossac que je sentis la nuit tomber. Dans un bar, des jeunes hurlaient, pour célébrer, sans doute, un match de foot ou un anniversaire. En quelques minutes, l'air frais et bleu ciel se transforma en pénombre lourde. La pluie se fit plus drue. Moi qui, quelques instants auparavant, levai mon visage pour ne pas manquer une précieuse goutte, je le rentrai désormais dans mon cou pour me protéger, inconstance de la météo et de l'esprit humain. Et puis, la pénombre devint ténèbre. Je songeai à cette phrase que Jérôme Delvaux avait écrit, sur son blog depuis défunt, Sublimation : « il m’invite à honorer avec lui notre maîtresse favorite, la seule qui continue de nous surprendre après des milliers d’étreintes passionnées : la nuit ». La nuit est une amante trop lilithienne pour mes bras chétifs, pour mon âme faible, pour mon corps apeuré. Je préfère le soir, plus amène, plus ambigu, moins fou. Le soir est tout aussi beau que la nuit.

Et puis je rentre dans l'immeuble dont chaque centimètre carré exhale l'atmosphère des années 1950, je tourne la clef dans une porte destinée à être condamnée, je pénètre dans le lieu où l'évier est guéri, ou Pierre Louys se rendort pour toujours, et j'écoute la musique de Mondkopf.

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samedi, 05 avril 2014 | Lien permanent

La vie tranquille de Dylan-Sébastien M-T

 Tu t'appelles Dylan-Sébastien M-T et tu vis dans une maison du port des Sables, qui comporte trois étages d'une pièce chacun (le salon-bar, la chambre, le bureau-chambre d'ami), une toute petite cave, un jardin ; tu te lèves vers huit heures chaque matin et tu bois ton café en caleçon et T-shirt, en regardant l'activité du port de pêche. Tu te douches en écoutant Fare Well, de Terje Rypdal, ou encore les ballades de Nick Cave ou la musique des Shudder to think, c'est du moins ce que tu faisais quand j'étais là. Mais peut-être écoutes-tu parfois Niel Young, Patricia Kaas ou The Doors.

Tu allumes ton ordinateur et te mets au travail. Tu plonges dans le code informatique, je sais que ton projet est de créer des ponts entre le langage mathématique et le langage informatique, afin de simplifier leurs relations. Tu cherches un langage universel qui permettrait de « mathématiser » en ligne, au-delà des langues humaines. Pour créer une grande toile de création et d'information mathématique universelle. Tu t'y mets plusieurs heures et quand la musique s'éteint tu ne la rallumes pas ; tu es trop absorbé. Pendant ce temps, tes deux chiens beagles, en fonction du temps, farfouillent dans le jardin ou bien dorment, étendus lascivement sur le canapé en cuir noir qu'ils ont élu comme le leur.

Mais ils savent qu'à onze heures environ, vous irez tous trois, toi sur un vélo, eux à tes côtés, saluer les plages et l'océan, jusqu'aux dunes de l'Orbestier. Au retour, du feras une omelette à la ciboulette, un peu de fromage, une crème au caramel et un café, puis tu t'installeras dans un hamac pour lire, sous la conduite musicale douce et orientale d'Anouar Brahem. Tu liras peut-être Carpentier ou Faulkner, ou Marai, ou Franketienne, comme un voyage en Amérique, en Hongrie, en Haïti... Avant de te remettre à l'ordinateur.

A l'heure de l'apéritif, tu sors ta guitare électrique et tu sirotes ta bière, tu fumes un joint et tu joues en te prenant pour Jon Atwood de Yellow 6, parfois pour John Abercrombie, parfois encore pour Ry Cooder. Cela te fait plaisir et tu n'es pas si mauvais, même si c'est le moment où tes chiens préfèrent sortir respirer l'air frais du jardin – du jardin où herbes folles et herbes de cuisine mêlent leurs odeurs délirantes entre chien et loup. Thym, ciboulette, menthe, persil, diffusent leurs fragrances alentour et font frétiller les naseaux de Safran et Lune.

Souvent, tu sors dîner vers 20h, dans le port, sur le remblai ou dans la ville, avec tes quelques copains qui vivent sur la baie d'Olonne. Vous parlez de choses et d'autres, vous mentionnez divers événements de la ville ; Nico raconte ses virées en moto sur la D 85 ; Indiana ne dit rien mais chacun sait qu'il passe tout son temps libre à mater des mangas. Vanille se souvient de son amoureux de l'année dernière et imagine celui de l'été prochain.

Tu marches un peu dans le port à la nuit, admirant les étoiles, et puis tu rentres enfin. Dans ton lit, tu téléphones à ta sœur, puis tu lis ou tu envoies des sms aux copains de Nantes, de La Rochelle, de Paris et de Nancy. Puis tu t'endors doucement et tu ne fais presque jamais d'insomnies.

Bien sûr, le jeudi, tu te lèves plus tôt pour aller donner, toute la journée, des cours à la faculté de Nantes. Bien sûr, le dimanche tu te couches très tard car tu dois envoyer, avant de t'endormir, le billet d'humeur au site Internet InfoRmathématik. Mais ces deux obligations professionnelles, qui t'ennuient peut-être quelquefois, sont la condition de ta vie parfaite, de ta vie impeccable, de ta vie sans souci.

Tu réfléchis : si tu rencontrais une amoureuse, si elle voulait avoir un enfant avec toi, dirais-tu oui ? Oh, mais bien vite tu mets un album musical – par exemple un album de Biosphere ou de Yellow 6 – et la question se noie dans les volutes d'accords mineurs.

J'aimerais te ressembler, frère.

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(On peut aller lire, sur l'Encyclopédie de l'agora, un article intéressant de Bernard Lebleu, "Le loisir entre oisiveté et désoeuvrement").

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samedi, 01 février 2014 | Lien permanent

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