mardi, 15 juin 2010
Mademoiselle de Tournon frappée au coeur I
"Monsieur le marquis de Varembon, ... devint, par l'ordinaire fréquentation qu'il avait avec Mademoiselle de Tournon, fort amoureux d'elle ... il désire l'épouser. Il en parle aux parents d'elle et de lui. Ceux du côté d'elle le trouvent bon ; mais son frère Monsieur de Balençon, estimant lui être plus utile qu'il fût d'Église, fait tant qu'il empêche cela, s'opiniâtrant à lui faire prendre la robe longue. Madame de Tournon, très sage et très prudente femme, s'offensant de cela, ôte sa fille ... et la reprend avec elle. Et comme elle était femme un peu terrible et rude, sans avoir égard que cette fille était grande et méritait un plus doux traitement, elle la gourmande et la crie sans cesse, ne lui laissant presque jamais l'oiel sec, bien qu'elle ne fit nulle action qui ne fût très louable - mais c'était la sévérité naturelle de sa mère.
Elle, ne souaitant que se voir hors de cette tyrannie, reçut une extrême joie quand elle vit que j'allais en Flandre, pensant bien que le marquis de Varembon s'y trouverait, comme il fit, et qu'étant lors en état de se marier, ayant du tout quitté la robe longue, il la demanderait à sa mère, et que par le moyen de ce mariage elle se trouverait délivrée des rigueurs de sa mère. À Namur, le marquis de Varembon et le jeune Balençon son frère s'y trouvèrent comme j'ai dit. Le jeune de Balençon, qui n'était pas (de beaucoup) si agréable que l'autre, accoste cette fille, la recherche ; et le marquis de Varembon, tant que nous fûmes à Namur, ne fait pas seulement semblant de la connaître... Le dépit, le regret, l'ennui lui serrent tellement le coeur - elle s'étant contrainte de faire bonne mine tant qu'il fut présent, sans montrer de s'en soucier - soudain qu'ils furent hors du bateau où ils nous dirent adieu, qu'elle se trouve tellement saisie qu'elle ne pût plus respirer qu'en criant, et avec des douleurs mortelles. N'ayant nulle autre cause de son mal, la jeunesse combat huit ou dix jours avec la mort, quiq, armée du dépit, se rend enfin victorieuse, la ravissant à sa mère et à moi, qui n'en fîmes moins de deuil l'une que l'autre. Car sa mère, bien qu'elle fût fort rude, l'aimait uniquement".
(La suite à venir : la flamme du marquis de Varembon )
tiré des "Mémoires" de Marguerite de Valois, publiée par Martine Reid dans la collection "Femmes de lettres" qu'elle a créée chez Folio. (Gallimard 2010)
Photo de Sara
Publié dans Fragments, Sleipnir | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |