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samedi, 27 septembre 2014

Bouffonnerie

 

Un tout petit peu d'honnêteté me permet de reconnaître que lorsque je ne me sens pas bien, je me vante. Il suffit que je me sente, en société, légèrement mal à l'aise (vis-à-vis de mon niveau d'étude, de ma situation familiale, financière ou professionnelle) pour qu'immédiatement je tente de compenser par la conversation, tentant de prouver à tout un chacun que ma vie est entièrement réussie.

Regardez comme j'ai une belle famille, des activités passionnantes, des amis très sympathiques avec lesquels je partage des moments enthousiasmants et chaleureux, une famille unie, qui me soutient et m'aime, des enfants en pleine forme mentale et physique ! Voyez aussi comme j'alterne avec grâce la concentration dans mon travail passionnant, un ordinateur portable dernier cri sur une table design, et la détente tranquille, un petit verre de vin rouge à la main, sur une terrasse orientée plein Sud. Notez comme mon amoureux est amoureux de moi, et comme il est à la fois élégant, relaxé et efficace. Prenez conscience de mes nombreux voyages, de ma capacité à me débrouiller avec charme dans plusieurs langues. N'oubliez pas que je suis quelqu'un d'engagé : je ne supporte pas la misère du monde, et plutôt que de me tourner les pouces en geignant, je m'engage avec cœur et raison aux côtés de ceux qui sont plus faibles que moi. Appréciez mon aménagement intérieur, dont voici, au passage, quelques photographies. Et surtout, remarquez que je ne me vante jamais. Tout ce dont je viens de parler, vous le constatez en m'observant, bien sûr, mais vous n'avez jamais eu la moindre occasion de m'entendre m'en rengorger, car ma finesse est à la hauteur de ma puissance sociale. N'ignorez plus que cette vie pleine de panache que je mène avec aisance, je ne la dois qu'à moi-même : j'ai souffert, plus que vous sûrement, je viens d'un milieu humble et, contrairement à ces héritiers que je côtoie tous les jours et qui ne connaissent pas la vie, moi, c'est grâce à ma grandeur morale et à ma persistance admirable que j'ai monté les marches du bonheur apparent.

Un simple coup d’œil aux profils des gens sur les réseaux sociaux, un rapide coup d'ouïe aux conversations des brasseries chics et gays du Marais ou des sorties de messes non moins chics mais plus traditionnelles des églises, un tour d'horizon des bavardages des parents aux sorties des écoles, des discussions des retraités sur les plages de Biarritz ou des Sables d'Olonne, ou encore des babillages des cours de récréation de l'école primaire jusqu'au lycée, et l'on se convainc de l'universalité de la vantardise, vantardise grossière ou raffinée, m'as-tu-vu ou l'air de rien, qui vise à prouver à nos semblables que nous sommes dignes de leur respect.

Exister, souffrir et aimer ne suffisent donc pas à justifier amplement notre présence ici-bas ? Compétition, concurrence, comparaison, comme nous serions désœuvrés si nous ne succombions pas sans cesse à vos pièges, au fond desquels nous nous dégradons en croyant nous hisser plus haut !