jeudi, 11 décembre 2014
La sonate du remord
J'ai commis de grands crimes et je ne l'ai dit à personne. Il ne se traduisaient pas en sang, ni en déchirures visibles. Mais ils firent souffrir plus que je ne l'ai su. Comment se supporter soi-même, après avoir accompli tant d'outrages ? Croyez-vous que je le voulais ?
Non.
Je voulais faire le bien autour de moi ; que mes proches s'épanouissent en ma présence ; qu'ils se sentent vivifiés par mon amour.
J'ai déchiré des cœurs. J'ai lacéré des âmes. J'ai éteint tout espoir au sein de quelques êtres.
Seigneur, si vous existez, pourrez-vous me pardonner ? Le pire est sans doute que vous n'existez pas. Or, si vous n'êtes pas là pour réparer les blessures par moi occasionnées, qui donc pourra soulager mes victimes ? Voilà où mène l'intempérance. Voilà où ma propre douleur m'a mené : à être celui que je voulais à tout prix éviter d'être.
Ainsi parle le pécheur, qui a vécu dans la nuit obscure de sa colère. Il a voulu pardonner : il n'a pas su. Il a voulu aimer : il n'a pas pu.
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mardi, 18 novembre 2014
Encore un adieu
Affreuses visions de l'hôpital, des parkings, des aides-soignantes qui se traînent dans les couloirs glauquissimes, tragique transformation de Carmina pourvue d'une perruque blonde, maigre comme un clou, décharnée, la peau du visage et du corps jaune, allongée sur son lit, la voix un peu changée, pâteuse. Il y avait ses deux filles Gudule et Cléo, gentilles avec leur mère, ayant laissé leur dureté habituelle aux portes de la chambre, conscientes sans doute qu'il n'y a plus le moindre espoir. Je suis rentrée avec elles en voiture et nous n'avons touché mot du drame qu'elles vivent, que vit leur mère, nous riions de rien et de tout dans les embouteillages de Vertou. Oh mon Dieu notre siècle est celui des camps de concentration, hôpitaux, prisons, barres HLM, notre siècle est celui de la déshumanisation du monde et des fous rires dans des voitures payées à crédit.
Lorsque nous nous levâmes pour partir, Carmina se mit à sangloter. Puis, devant nos consolations fades, devant l'inanité de ses larmes, devant l'absurde fatalité de la situation elle a cessé de pleurer. Nous l'avons laissée seule face au plateau repas médiocre apporté par l'hôpital. Nous ne parlons pas en vérité de la mort, nous n'en parlons jamais alors que chacun y pense. Cette omission grande comme le néant empêche un vrai contact.
Là voilà, cette manière de mourir que chacun veut éviter et vers laquelle tant d'entre nous se dirigent. Une mort non choisie, (mal) administrée.
J'en suis hébétée.
Voir de suite la mort en face permettrait d'éviter cette lente déchéance sans paroles. Accepter l'arrivée de la mort la rendrait plus douce, plus vraie, plus tangible. Un adieu paisible serait possible.
Mais nous allons voir Carmina, nous savons qu'elle va mourir et ne lui disons pas Adieu parce que ce serait mentionner la mort, avouer qu'il n'y aura pas d'autre issue, et cette vérité là n'a pas sa place dans cette triste histoire...
Nous retournons dans la ville de Nantes, la laissant seule et jaune, dans sa chambre isolée et jaune, au milieu d'aides-soignantes, la plupart immigrées, qui lui parlent sans intérêt, sans gentillesse, qui ne sont là ni par dévotion, ni par morale, mais pour toucher leur salaire, sauf certaines qui sont un peu plus gentilles, un peu plus conscientes.
Ses filles retrouvent leurs maris et leurs enfants et j'hésite entre une soirée politique ou un bar lesbien pour oublier les détails techniques de la chambre 413. Elle s'éloigne de nous tandis que nous nous éloignons d'elle, si vivants, pour manger, boire, marcher sous le ciel de la ville, et ripailler loin des mourants. Et je pense à Paul-Jean Toulet, au poème qu'il écrivit le dernier jour et que la mort interrompit :
Ce n'est pas drôle de mourir
Et d'aimer tant de choses
La nuit bleue et les matins roses
Le verger plein de glaïeuls roses
L'amour prompt
Les fruits lents à mûrir...
Enfance, cœur léger.
Carmina, tu étais pétillante. Tu étais violente et méprisante, et drôle quand même quand tu laissais tout aller et que tu faisais la fête. Tu étais belle et pimpante le dimanche, et soudain glaciale comme une bourgeoise plus riche que nous, et à nouveau charmante, le verre à la main, entonnant une chanson, t'agitant dans un débat politique. « Je suis l'homme de la rue, je pose une question comme ça ! » crias-tu un jour à un amiral qui sourit, désarmé par ta faconde baroque, et nous rîmes tous. Ce soir, je suis chez moi devant mon ordinateur, la musique tourne, j'ai bien bu et mangé et je t'ai laissée seule, douloureuse, souffrant, pleurant, t'enfermant dans une bulle parce que ta prison t'a ensevelie, qu'il n'y a plus d'espoir pour toi, seulement de temps en temps des baisers de tes filles. Tout s'est effondré dans ta vie, ton mariage et ta santé. Nous avons vécu les uns à côté des autres, et tu t'en vas ?
Oui, tu t'en vas, et nous nous en irons tous à notre tour.
Hier soir à l'hôpital il y avait tout de même la beauté de la nuit sur le béton des villes de l'Ouest, la beauté des lumières des réverbères sur le toit des bâtiments, l'étrangeté nocturne qui dissipe la cruelle criardise du jour. L'allée le long de l'hôpital fut cinématographique.
("Une âme ne peut donner aux autres que du trop-plein d'elle-même, que le surplus qui lui est donné. On ne peut faire aimer l'Amour que dans la mesure où on le possède, comme on ne peut rayonner que si on porte en soi la Vérité, qui est la Lumière". Marthe Robin)
Sur AlmaSoror
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samedi, 12 octobre 2013
J'allais plus loin, et je me disais...
«J'allais plus loin, et je me disais qu'il fallait aussi du temps pour la simple charité. Il y a de ces personnes pressées de faire du bien et qui taylorisent même les sourires. On ne peut pas venir tout de suite au bout de ce qu'on voudrait dire, et bien souvent, dans les conversations, je crois qu'il faut un peu imiter ces paysans qui parlent des semailles, du mauvais temps, de la foire, de la politique, puis qui longuement se taisent, puis qui reprennent un cours d'entretien indifférent jusqu'au moment où ils glissent le mot décisif et qui doit germer en silence.
Cela est plus vrai encore quand on se trouve en présence de ceux qui souffrent et qui ont des âmes délicates».
Apostolus,
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