dimanche, 22 août 2021
Liquidités
Où es-tu ? Je suis perdue. La société liquide m'a noyée. J'ai laissé partir le train du souvenir. J'attends assise à côté de ma vie. Je regards les gens vieillir. Je regarde les enfants naître. Je m'appelle sans me reconnaître. J'ose espérer parfois qu'il y aura demain autre chose à contempler que le vide entre mes mains. Les gens qui dansent autour de nous tendent les doigts sans nous toucher. Un verre se boit, une toile se peint, dans l'appartement des voisins. Je souris à des inconnus qui passent en rendant les regards, je marche sans savoir pourquoi je n'ai plus de clé dans la poche, plus d'adresse au fond de mon cœur, plus de maître dans mon esprit. J'ose espérer parfois qu'il y aura un jour un rythme rassurant pour peupler mes journées, pour structurer mes nuits, pour piloter ma vie vers un destin en devenir.
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mercredi, 23 octobre 2019
Ne pas tomber.
Suivre le fil du temps qui reste, incertain, mais présent. C'est ce soir que je suis seule. C'est ce soir que je suis ivre. C'est ce soir que je suis libre. Une musique d'ambient m'accompagne. Dans ses silences, se prolonge le silence qui m'entoure. Parce que la route est cachée par des arbres qui se dénudent. Peu à peu, la nuit tombe comme un rêve sombre sur mes pensées. J'aurais voulu écrire, mais l'air est trop intense. Des odeurs d'herbes fines montent jusqu'à la fenêtre. Trois petites lumières douces aménagent ma pénombre. Une folie susurre à mon oreille d'entamer la métamorphose irréversible ; je l'écoute sans succomber à son piège. J'aime cet instant ; j'aime cette instance. Je songe à mes neveux qui s'endorment peut-être, dans de petits lits franciliens. Chacun d'entre eux m'a donné une raison de tenir debout, de chanter, de danser. Toutes les lectures de ma vie ont infusé mon monde intérieur, je suis ce que je suis et ce que j'ai acquis en tournant des pages pleines de phrases. C'est le phrasé d'une vie, le verbe incarné, le rêve descendu de la pensée pour prendre corps. Sa résonance, d'écho en écho, se multiplie à l'infini. Alors que la musique définit un labyrinthe aux formes molles, telles des tubes glissants, l'inspir et l'expir ralentissent et se déploient, comme des vagues qui ne s'arrêteront jamais. Ce soir, dans la verdeur sublime de l'impulsion, je chevauche ma propre respiration.
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mardi, 27 février 2018
Textos d'un dimanche après-midi
« Il y a des soirs si beaux, en cette saison, dans ce pays, qu'ils vous tordent le cœur comme une serpillière. Et l'on ne sait pas si c'est à cause de tout ce qu'ils offrent, ou bien de tout ce qui nous manque à travers eux. Nous n'avons pas la jeunesse, nous n'avons pas l'amour, nous n'avons pas la gloire, nous n'avons pas l'argent, la vie bat mille fois plus fort ailleurs, avec ses corps exposés, ses désirs satisfaits peut-être, ses grandes affaires, ses rires, sa nervosité, ses grandes idées. Ici nous traversons la campagne dans le silence parfait du soir, parmi l'été déjà sur son déclin. De grandes maisons coites, sur des crêtes offertes, boivent l'immensité du ciel et la lumière apaisée, de toutes leurs hautes fenêtres grandes ouvertes. Est-ce que c'est vivre ? Est-ce que c'est être mort ? La voiture glisse si légèrement qu'on pourrait s'envoler avec elle. Déchirantes déchirées, on croirait s'enfoncer dans les limbes.
À la radio, Michel Dalberto, pour tout arranger, joue merveilleusement deux des dernières sonates de Schubert. »
Renaud Camus, IN Derniers jours, Journal de l'année 1997
Il y a quelques jours, un dimanche, un échange de textos entre un homme au repos dans le quartier de l'Opéra et une femme lézardant au soleil d'un dernier étage plus au Nord :
Bénédicte : Aimes-tu la ville de Marseille ?
Alexis : Beaucoup. Je me vois y vivre assez facilement.
Bénédicte : Moi aussi, de plus en plus. Même si c'est assez sale, pour ne pas dire cradissime. Mais le soleil, la chaleur et le relief qui descend sur la mer...
Alexis : Voilà. Et puis la saleté c'est aussi la vie, en un sens. On peut même y voir une forme d'esthétique. Naples est un peu sale mais je ne l'imagine pas plus belle si elle était récurée de fond en comble.
Bénédicte : La saleté comme preuve de vie, je ne sais pas. Jean-Nathanaël me disait la semaine dernière que Belleville était le dernier quartier vivant de Paris avec la Goutte d'Or. Or ce sont surtout les derniers quartiers crades. Le silence, la pureté, la grâce, l'évanescence, la symétrie, l'harmonie, ne sont en rien selon moi des synonymes de mort. Au contraire, ils sont ce qui me fait aimer la vie. La nature sauvage n'est ni sale ni toujours bruyante ou bigarrée. La vie palpite aussi dans le calme.
Alexis : Ne confonds-tu pas la vie cérébrale et la vie humaine ? Je fais souvent cette erreur aussi. L'humain ne vit ni dans une forêt sauvage, ni dans une oeuvre d'art. Mais peut-être ne sommes-nous pas de très bons humains toi et moi.
Bénédicte : Non, mais je me sens justement un animal et je trouve que certains membres de notre espèce se laissent aller à la crasse comme des animaux de ferme qui macèrent dans leur foin. Je préfère les chiens bien léchés de canapés ou les chevaux sauvages. J'avoue que Barbès me paraît constituer une nullité civilisationnelle que je ne confonds ni avec la pauvreté (un village péruvien très pauvre, c'est propre) ni avec l'urbanisme (Copenhague est propre) mais avec un laisser-aller culturel, langagier, physique et moral qui me déplait.
Alexis : Je comprends. Ce Quartier où vit Fabrice est ma limite aussi. C'est vraiment too much.
Bénédicte : Et puis le cerveau est tout aussi naturel que des selles. Pourquoi une rue remplie de crachats serait-elle plus vivante qu'une salle du château de Chantilly ?
Alexis : Parce qu'elle l'est. Déjà c'est une rue de Paris, pas une salle de musée. Je suis certain que tu peux trouver meilleur parallèle à ton propos. Le caractère vivant, au sens de la concentration d'humains dans un lieu, n'est pas incompatible avec la propreté mais c'est souvent le fait d'un contrôle extrême : Disneyland par exemple. Entre la vie de la foule de Disneyland et celle de Barbès, je préfère tout de même Barbès. Moins de contrôle, plus de liberté et donc de licence de saleté, etc.
Mais je ne vivrais ni dans l'un ni dans l'autre, je suis trop comme toi. Mon quartier de l'Opéra est vivant par exemple et pas trop sale mais c'est une foule de touristes et d'acheteurs. C'est une vie étrange, moins imprévisible et poétique que celle de Belleville, de Marseille ou de Naples. Parfois j'ai l'impression que c'est une fausse vie. Scénarisée.
Bénédicte : J'ai l'impression que tu confonds la vie et la multitude. Mon parallèle n'était certes pas bon. Mais le monde est-il plus vivant aujourd'hui que lorsque'il ne comptait que 20 millions d'habitants sur la planète ? Une cage de souris surpeuplée est-elle plus vivante qu'un terrier de mulots dans un champ ?
Oui, remarque, quantitativement il y a plus de vivants. Mais la surpopulation réduit aussi beaucoup l'envergure d'une vie.
La vie scénarisée est pour moi la vraie vie. C'est pourquoi j'aime les rites antiques. Notre beauté animale à nous, tient dans les rites et notre nullité, dans l'agglutinement informe.
Alexis : Pour moi la vie c'est la concentration humaine en effet. Le reste c'est une idée intellectualisée de la vie, quand je regarde une forêt ou l'océan je sais bien qu'ils sont pleins de vie au sens biologique du terme mais je ne me sens pas partie de cela dans ma chair. Quand je suis au milieu de mes semblables, même s'ils sont très différents de moi culturellement ou sociologiquement, je me sens dans la vie. La vie humaine. La vie des foules qui dorment sur elles-mêmes, Tokyo, Calcutta, Paris, Manhattan, quand tu n'es qu'une forme parmi la fourmilière, que tu es à la fois très seul et plein des autres. Que leur vie déborde sur toi, qu'elle te choque et t'agrippe parfois à contre-courant. Je sens alors la vie des hommes et des femmes.
C'est intéressant ce que tu dis sur la vie scénarisée et le rite.
Bénédicte : Incroyable ! Moi je ne me sens pleinement en vie que seule et en silence face à la ligne bleue des Vosges ou à l'océan Atlantique. Ou dans une église romane perdue dans la campagne. Sinon j'ai l'impression d'être dans une queue chez Carrefour. Seul le rite esthétique me permet de supporter la promiscuité car je peux encore rêver d'éternité. Dans la foule, je me sens sans âme, sans identité. Mon corps n'est plus qu'un bout de viande avec un numéro de sécurité sociale.
Alexis : C'est ça. Et pourtant quand tu es seule face à l'océan, tu es juste seule. Comme on le sera au tombeau.
Bénédicte : Une poule en batterie n'est pas seule dans un tombeau.
Alexis : Par définition. Je ne mange que de la volaille de Bresse.
Bénédicte : En fait, peut-être que tout dépend de la manière dont on se sent en relation avec les autres et avec le monde.
Alexis : Exactement. C'était où je voulais en venir.
Bénédicte : Faudrait savoir d'où ça vient.
Alexis : Comme toujours, des névroses personnelles et des expériences. Je pense.
Bénédicte : Oui. Voire des premiers jours passés sur cette terre, des premiers bruits, des premières visions.
Alexis : Et de cette chose étrange qu'on appelle les traits de caractère qui font que deux personnes qui ont vécu les mêmes choses n'y réagissent pas pareil.
Bénédicte : C'est vrai. Les traits de caractère qui sont uniques, comme les traits du visage.
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mercredi, 22 avril 2015
Norbert
A 60 ans il dansait seul devant la glace, se jetait en sanglots sur son lit où il restait prostré pendant des heures, se regardait longuement dans la glace avant de sortir et buvait des petits verres de vin sur la place plantée avec ses copains et copines. Son visage avait toujours le sourire de la saison, sa parole s'adaptait à l'atmosphère et à la circonstance. Je le voyais de ma fenêtre – j'avais vue sur la moitié de son petit appartement - et puis dans les rues de la ville. Dommage qu'il soit parti par un jour de temps frais, sans doute sans s'en apercevoir. J'aurais aimé converser avec lui, connaître plus que son prénom. Il travaillait dans une annexe de la mairie. Il écoutait Simon & Garfunkel le dimanche après-midi.
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mercredi, 11 juin 2014
Substance : solitude
De retour d'un grand et beau festival, je rentre dans ma chambre comme on retrouve sa cellule. Pas une cellule de prison ; celle d'un moine ou d'une moniale. Celle qui a été créée, non pas pour punir l'homme en le coupant du monde, mais pour délivrer l'âme en la retirant à l'écart du monde.
Les bruits, les paroles et les mouvements incessants se dissipent et s'échappent dans le passé ; l'instant présent redevient pur bruissement des secondes qui s'écoulent mystérieusement.
Mon souffle réapprend la lenteur et le calme. Mes gestes se font plus rares. Je reconnais la douceur étonnante du silence. Mon coeur cesse de commenter ; mon esprit cesse de réagir.
La sensation de perpétuelle urgence, qui primait lors de ces jours animés, éclate comme une bulle. L'urgence me paraît une folie incompréhensible, aujourd'hui que je suis de retour dans ma cellule.
Le point de rencontre entre moi et moi, celui où je suis Une et Réunie, correspond au point exact où j'épouse parfaitement l'instant qui vient. Cette présence intacte dans l'existence brute, née d'une solitude qui ressemble à une extase de calme.
La solitude est une sorte de drogue. J'essaie de retrouver la sensation d'être seule en présence de moi-même, comme on cherche une sensation psychotrope.
Je suis accroc à cette solitude-là.
(à lire sur AlmaSoror :
Souffle et drogues autogénérés : le psychédélisme au naturel
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lundi, 23 janvier 2012
Âmes-soeurs et corps-frères
En écoutant Solitude, de l'électro-guitariste norvégien Terje Rypdal, Edith tente de percer le mystère qui engouffre tant de vies.
J'entends les gens chercher des âmes-sœurs, chaque âme cherche l'âme-soeur qui l'accompagnera dans son destin.
Je vois les gens chercher des corps-frères, chaque corps cherche le corps-frère qui l'enserrera dans sa nuit de repos.
Ils cherchent, ils ne trouvent pas, puis ils trouvent et ne me téléphonent plus. Ils disparaissent dans l'ouate amoureuse d'où ils me regardent avec pitié, avec dédain.
Puis ils trouvent qu'ils s'étaient trompés d'être, ils se séparent de l'âme-corps défraternalisé. Ils me téléphonent à nouveau. Ils réapparaissent aux portes de l'amitié et lèvent des verres à ma santé, à nos mémoires partagées.
Et la quête recommence.
Parfois ils trouvent l'âme-soeur, enrobée d'un corps étranger. Parfois, ils trouvent le corps-frère, qui abrite une âme étrangère. Alors la souffrance les étreint et ils en veulent à celui, à celle qu'ils ont cru pouvoir aimer.
Le triptyque aux trois volets : ébats sauvages, caresses fondantes, murmures secrets, n'existe que pour quelques heures, quelques jours, quelques mois, quelques années. Et pour avoir sa place dans ce retable de l'amour, qui n'y sacrifierait pas une grande part de soi-même ?
L'amour est le nom que l'on donne à toutes les causes perdues.
Toutes les âmes sont mes sœurs. Tous les corps sont mes frères. Je suis seul(e) face au coeur-océan.
Édith de CL
20 janvier 2012, 14h26
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vendredi, 16 décembre 2011
Carvos Loup : Solitaire
Carvos Loup intervient le vendredi sur AlmaSoror, avec une photo illustrée par une phrase ou deux.
Personne ne connaît mon pas. Mon nom est écrit quelque part. J'ai réfléchi dans une chambre, sans armes.
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mardi, 08 décembre 2009
Dans la chambre à côté...
Into the next room... A husband of own’s own ?
1 Une chambre à soi
En 1929, dans son essai Une chambre à soi, Virginia Woolf notait qu’on ne peut écrire - être écrivain - si l’on ne possède pas une chambre à soi, que l’on peut fermer à clef, dans laquelle on peut s’isoler...
Certes. Mais elle, qui écrivait, n’avait pas seulement une chambre à soi. Elle avait, comme elle le dit encore, de l’argent qui lui permettait de ne pas travailler - ou de travailler très peu.
Comme Virginia Woolf l’expliquait très bien, la possibilité d’écrire était accordée de fait et de droit à tous les hommes d’une certaine classe sociale... Elle rappelle qu’elle parle des hommes et des femmes de la grande bourgeoisie. Elle sait, et elle dit, que les hommes des autres classes n’ont pas accès à ce qu’elle demande pour les femmes de sa classe. Non qu’elle soit " castiste " ; tout simplement, son sujet est le féminisme, c’est lui qu’elle traite.
Aujourd’hui que la classe cultivée à laquelle elle s’adressait représente une plus grande partie de la population que celle d’alors, et que les femmes de cette classe ont, pour la plupart, une chambre à soi et un salaire, il est bon de revenir sur les idées novatrices de Virginia Woolf.
De faire le point.
Si, selon Virginia Woolf, peu de femmes écrivaient au XIXème siècle, c’est parce qu’elles n’en avaient pas les moyens matériels. L’argent, l’espace et le temps leur manquaient. Ainsi, elle refusait l’existence d’une différence d’essence entre les hommes et les femmes, qui rendrait les premiers plus aptes à la création artistique et intellectuelle. Elle montrait que pour écrire, une femme avait tout simplement besoin " d’avoir cinq cents livres de rente et une chambre dont la porte est pourvue d’une serrure ".
2 Une femme à soi
Mais j’ajouterais quelque chose. Cinq cents livres de rentes, une chambre pourvue d’une serrure, et aussi ...la reconnaissance par au moins une autre personne que sa propre parole a de la valeur...
Non, un appartement ne suffit pas. L’argent même est secondaire.
Fritz Lang, le cinéaste, doit à sa première femme les scénarios de ses beaux films ; Einstein, le physicien, doit à sa première femme les calculs qui lui permirent d’élaborer et de démontrer sa théorie ; Norstein, l’animateur, doit à sa femme ses personnages et ses maquettes.
Une étude de l’anthropologue François de Singly, Fortune et infortune de la femme mariée, a d’ailleurs montré que la réussite des hommes dépend beaucoup de leurs femmes. Au sein des couples hétérosexuels, la répartition des rôles donne à la femme celui de soutien de l’homme, de sa carrière, de son œuvre. Il soutient même que les hommes dont les femmes ne travaillent pas ont plus de facilité à " réussir " que leurs confrères dont les compagnes travaillent. L’alliance de deux personnes actives, engagées professionnellement dans la société, ne serait donc pas plus rentable que la solitude de l’homme chef de famille... Donc, résolument, les services d’un conjoint anonyme, d’une femme, furent essentiels à beaucoup de réussites.
3 Un mari à soi
Mais justement Virginia Woolf, l’écrivain, bénéficiait de ce soutien.
Virginia Woolf avait aussi un mari. Un mari qui criait au chef d’œuvre quand elle lui livrait les premières épreuves de La Promenade au Phare. Un mari bien en vue et qui la publiait. Un mari qui agréait sa parole, sa pensée, lui offrait l’écoute et la confiance nécessaire pour qu’elle s’exprime. Leonard Woolf remplit ce rôle au point que certains, tel l’auteur d’un livre sur le groupe de Bloomsbury, ont dit qu’elle n’aurait pu écrire une ligne sans lui.
Cet accueil admiratif, c’est ce qui manque à la plupart des femmes, qui demeurent muettes aujourd’hui, bien qu’elles aient une chambre à soi.
Voilà ce qui leur manque encore : la confiance en soi, la conscience de sa valeur, un droit reconnu à l’expression, en quelque sorte être " agréée " à penser, à parler, à déployer une autorité.
4 Un public à soi
Pourtant, ce rôle de soutien au sein du couple, qui rend celui-ci si essentiel dans notre société, reflète l’absence de formes différentes de solidarités, de fraternité, d’échange. Nous devrions mettre en œuvre et en valeur d’autres formes d’aide et de soutien, plus libres et souples, et qui ne soient plus liées à la vie familiale et amoureuse. Car il y a peu de réussites sans groupe de soutien. L’auteur, pour oser son autorité, doit bénéficier d’une considération, qui le porte à croire qu’il a le droit à son audience. Il faut une confiance immense. Et pour que cette confiance vous réchauffe dans les moments les plus pénibles de la création, d’autres doivent la placer en vous - c’est une première nécessité. La seconde nécessité est qu’elle soit inconditionnelle.
5 Une voix à soi
Il n’y a pas que les femmes qui ne peuvent s’exprimer par leur art.
Aujourd’hui, les femmes accèdent à des professions et des postes qui leur étaient fermés du temps de l’œuvre de Virginia Woolf ; et l’on ne peut plus dire que les hommes d’une certaine "classe" possèdent de fait et de droit la prise de parole publique : ils doivent, comme les autres, montrer leur légitimité. Celle-ci s’obtient non plus par le sexe ou la naissance, mais par le diplôme.
A l’heure où des procédés de discrimination positive (en faveur des femmes notamment) sont mis en oeuvre, il serait intéressant de renoncer à considérer telle ou telle catégorie momentanément lésée de la population pour s’interroger plus vastement : quels sont les besoins de la " personne" pour que chacun parvienne à déployer pleinement sa parole dans la société.
Virginia Woolf réclamait l’entrée des femmes dans les lieux élitistes - professions intellectuelles, savantes, universitaires ; nous réclamons la suppression de l’élitisme et de ses lieux gardés.
Pourquoi ? Parce que chacun devrait pouvoir être accueilli comme un penseur et un locuteur de première classe. C’est à cette condition que l’on peut se targuer d’offrir à tous les mêmes droits et la même valeur.
Edith de Cornulier-Lucinière,
21 avril 2006
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dimanche, 18 janvier 2009
Les Dames
Les Dames
Lire :
Le Livre de la Cité des Dames
Christine de Pizan
Traduction de l'ancien français en français actuel : Thérèse Moreau et Eric Hicks
Stock
Ecrit en 1404/1405
Une Chambre à soi
Virginia Woolf
Traduit de l'anglais par Clara Malraux
Denoël/Gonthier
Publié pour la première fois en 1929
Au début du XV° siècle paraissait "Le Livre de la Cité des Dames" écrit par Christine de Pizan. Blessée et humiliée par le mépris dans lequel les hommes tiennent les femmes à son époque, Christine de Pizan propose de construire une forteresse imaginaire dans laquelle se regrouperaient toutes les femmes de grande qualité afin de prouver au monde qu'elles ne valent pas moins que les hommes.
Au début du XX° siècle, Virginia Woolf, blessée et humiliée par le sort inférieur fait aux femmes, imagine que ce qui leur manque pour valoir autant que les hommes, c'est "Une chambre à soi", du loisir et de l'argent qui permettent aux femmes de penser, de réfléchir, d'écrire.
Le féminisme est né de cette douleur. L'éphémère journal "Le torchon brûle" des années 68 était tout rempli de ces plaintes.
Aujourd'hui encore, un certain nombre de femmes n'en reviennent pas du sort qui leur est fait. Ou plutôt elles se creusent la tête pour comprendre ce qui fait d'elles des parias, des esclaves, des moins que rien.
La tentation de beaucoup d'entre elles est de considérer que les hommes sont des brutes et que les femmes sont opprimées en vertu de leur supériorité.
Aujourd'hui de nombreuses femmes ont accédé à des postes de pouvoir, certaines sont devenues astronautes, chercheuses, ont traversé l'Atlantique en solitaire, etc…. Il n'est pas de domaines dans lesquels certaines femmes n'ont pas brillé. Les êtres humains de sexe féminin n'ont plus grande chose à prouver à ceux de sexe masculin.
Cependant, nous qui sommes des gens ordinaires, hommes ou femmes, ou mêmes animaux, nous qui avons vu des femmes réussir aux plus hauts postes dans les entreprises ou à l'université, nous avons pu prendre bonne note que, oui, les femmes réussissent admirablement quand elles en ont les moyens ; nous avons pu vérifier également qu'elles ne valent pas mieux que les hommes quand elles sont dans la même situation de pouvoir. Nous avons pu vérifier cent fois qu'il n'y a pas de nature féminine de meilleure qualité que celle des hommes.
La lecture de ces deux livres est essentielle pour comprendre la nécessité, le bien-fondé de la lutte féministe. Il faudrait pourtant changer de point de vue. Il ne s'agirait plus de lutter contre l'oppression de tel ou tel groupe particulier - serait-ce celui des femmes - mais de se battre pour le libre développement de chacun quel que soit son sexe, sa couleur de peau, son origine sociale. Contre la sottise, l'arrogance, la méchanceté, quel que soit le sexe, la couleur de la peau, l'origine sociale de son détenteur.
Sara Univers de sara
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