mardi, 25 août 2015
25 août 1270
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vendredi, 22 octobre 2010
Où étaient les enfants ?
Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva
Extrait de Philippe Ariès :
« L’art médiéval, jusqu’au XIIème siècle environ, ne connaissait pas l’enfance ou ne tentait pas de la représenter ; on a peine à croire que cette absence était due à la gaucherie ou à l’impuissance. On pensera plutôt qu’il n’y avait pas de place pour l’enfance dans ce monde. Une miniature ottonienne du XIème siècle (Evangéliaire d’Otton III, Munich), nous donne une idée impressionnante de la déformation que l’artiste faisait alors subir aux corps d’enfants dans un sens qui nous parait s’éloigner de notre sentiment et de notre vision. Le sujet est la scène de l’Evangile où Jésus demande qu’on laisse venir à lui les petits enfants, le texte latin est clair : parvuli. Or le miniaturiste groupe autour de Jésus huit véritables hommes sans aucun des traits de l’enfance : ils sont simplement reproduits à une échelle plus petite. Seule, leur taille les distingue des adultes. Sur une miniature française de la fin du XIème siècle (Vie et miracle de Saint Nicolas, Bibliothèque nationale), les trois enfants que Saint Nicolas ressuscite sont aussi ramenés à une échelle plus réduite que les adultes, sans autre différence d’expression ni de traits. Le peintre n’hésitera pas à donner à la nudité de l’enfant, dans les très rares cas où elle est exposée, la musculature de l’adulte : ainsi, dans le psautier de Saint Louis de Leyde, daté de la fin du XIIème siècle ou du début du XIIIème siècle, Ismaël, peu après sa naissance a les abdominaux et les pectoraux d’un homme. Malgré plus de sentiment dans la mise en scène de l’enfance, le XIIIème siècle restera fidèle à ce procédé. Dans la Bible moralisée de saint Louis, les représentations d’enfants deviennent plus fréquentes, mais ceux-ci ne sont pas caractérisés autrement que par leur taille. Un épisode de la vie de Jacob : Isaac est assis entouré de ses deux femmes et d’une quinzaine de petits hommes qui arrivent à la taille des grandes personnes, ce sont leurs enfants. Job est récompensé pour sa foi, il redevient riche et l’enlumineur évoque sa fortune en plaçant Job entre un bétail à gauche, et des enfants à droite, également nombreux : image traditionnelle de la fécondité inséparable de la richesse. Sur une autre illustration du livre de Job, des enfants sont échelonnés, par ordre de taille.
Ailleurs encore, dans l’Evangéliaire de la Sainte-Chapelle du XIIIème siècle, au moment de la multiplication des pains, le Christ et un apôtre encadrent un petit homme qui leur arrive à la taille : sans doute l’enfant qui portait les poissons. Dans le monde des formules romanes, et jusqu’à la fin du XIIIème siècle, il n’y a pas d’enfants, caractérisés par une expression particulière, mais des hommes de taille plus réduite. Ce refus d’accepter dans l’art la morphologie enfantine se retrouve d’ailleurs dans la plupart des civilisations archaïques. Un beau bronze sarde du IXème siècle avant Jésus-Christ (vu à la Bibliothèque nationale dans l’exposition des bronzes sardes en 1954), représente une sorte de Piéta : une mère tenant dans ses bras le corps assez grand de son fils. Mais il s’agit peut-être d’un enfant, remarque la notice du catalogue : « la petite figure masculine pourrait être aussi bien un enfant qui, selon la formule adoptée à l’époque archaïque par d’autres peuples, serait représenté comme un adulte ». Tout se passe en effet comme si la représentation réaliste de l’enfant, ou l’idéalisation de l’enfance, de sa grâce, de sa rondeur, étaient propres à l’art grec.
Les petits Eros prolifèrent avec exubérance à l’époque hellénistique. L’enfance disparaît de l’iconographie avec les autres thèmes hellénistiques, et le roman revint à ce refus des traits spécifiques de l’enfance qui caractérisait déjà les époques archaïques, antérieures à l’hellénisme. Il y a là autre chose qu’une simple coïncidence. Nous partons d’un monde de représentation où l’enfance est inconnue : les historiens de la littérature (Mgr Calvé) ont fait la même remarque à propos de l’épopée, où des enfants prodiges se conduisent avec la bravoure et la force physique des preux. Cela signifie sans aucun doute que les hommes des X-XIèmes siècles ne s’attardaient pas à l’image de l’enfance, que celle-ci n’avait pour eux ni intérêt, ni même réalité. Cela laisse à penser aussi que dans le domaine des mœurs vécues, et non plus seulement dans celui d’une transposition esthétique, l’enfance était un temps de transition, vite passé, et dont on perdait aussi vite le souvenir.
Tel est notre point de départ. Comment de là, arrive-t-on aux marmousets de Versailles, aux photos d’enfants de tous les âges de nos albums de famille ? »
Philippe Ariès
Lire L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, dont est extrait ce passage.
Lire aussi, de Shulamith Firestone et en cliquant sur le lien : Pour l’abolition de l’enfance, aux éditions Tahin Party
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jeudi, 15 janvier 2009
Un voyage féodal
1) Vie de saint Louis par Jean de Joinville (XIII° siècle), Classique Garnier, 1995.
2) Histoire de l'Afrique noire par Joseph Ki-Zerbo (XX° siècle), éditions Hatier, 1978.
3) Abbrégé chronologique ou extrait de l'histoire de France par le Sr De Mezeray (XVII° siècle), historiographe de France, Tome I (et suivants pour ceux qui les trouvent), 1698.
Un seigneur champenois du début du XIII siècle, Jean de Joinville, accompagne le roi saint Louis dans ses croisades pour délivrer le tombeau du Christ. Il en fait la chronique dans son livre, "Vie de saint Louis".
Au milieu du XX° siècle, un historien africain, Joseph Ki-Zerbo (né en Haute-Volta et agrégé d'histoire en France en 1956) sillonne l'Afrique de part en part à la recherche de récits anciens qui dorment dans les bibliothèques, et de traditions orales qu'il recueille auprès de conteurs, de sages… Il écrit une monumentale "Histoire de l'Afrique noire".
La lecture quasi simultanée de ces deux livres entraîne le lecteur dans un incroyable voyage dans le temps du moyen âge, en compagnie des contemporains de cette époque très agitée. Joinville raconte "sa guerre" aux côtés de saint Louis. Joseph Ki-Zerbo cite des voyageurs arabes ou musulmans. Le lecteur compare les dates. Que se passait-il dans telle région d'Afrique noire au moment des Croisades ? Quels regards les uns portaient-ils sur les autres ? Qui étaient ces "seigneurs" européens, ces sultans musulmans, ces rois prêtres noirs qui se ressemblent étonnement, sinon dans les mœurs, du moins dans leur comportement de fauves, de prédateurs, de guerriers : c'est l'époque des grands féodaux. Ils se reconnaissent entre eux, se combattent avec violence, mais ils se respectent. Les fils des rois noirs tués sont élevés à la cour de celui qui les a vaincus. Le cri "cousin du roi" suffit pour que les sarrasins gardent Joinville en vie.
Le troisième livre est plus difficile d'accès : seuls des libraires spécialisés ou bien des sites Internet de livres anciens permettent de le trouver : c'est l'"Abrégé Chronologique ou extrait de l'Histoire de France", de Mezeray. Je n'ai trouvé que le tome I. C'est le livre d'histoire du XVII° siècle. Il retrace la chronologie des rois de France depuis Faramond (418).
Voilà un livre qui se lit avec stupeur et crainte car il décrit l'extrême violence de ces époques. Il fut écrit pour tenter de donner un sens à l'histoire de la royauté française, d'en montrer la cohérence. Il a un autre intérêt, partagé avec le livre de Joinville : c'est celui d'introduire le lecteur dans le système compliqué de la féodalité européenne.
Enfin, ces lectures éclairent du poids de l'histoire les guerres contemporaines du Proche-Orient : cette partie de l'Afrique est devenue chrétienne (II°, IV° siècles) quand l'Empire romain déclinant, s'est converti. Les vieilles religions de l'Antiquité ont alors disparu. Et, très vite après sa naissance au VII° siècle en Arabie, l'Islam envahit toute cette région qui devient musulmane, sauf l’Éthiopie et quelques foyers de résistance, copte en particulier.
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