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mardi, 09 juillet 2013

Zo, de Mazas à Jérusalem en passant par la prison de Sainte-Pélagie

Sara, rue du Bouloi, Zo d'Axa, de Mazas à Jérusalem, révolution

Phot : Sara, 1974, rue du Bouloi. 29 années avant de publier Révolution.

Je me suis amusée à devoir lire Zo d'Axa, qui écrivit en français De Mazas à Jérusalem (1895), dans une traduction anglaise. En effet, ce monsieur a beau être tombé dans le domaine public (en espérant que la chute ne lui ait pas fait mal) et avoir été un anarchiste incorrigible, ses éditeurs français, les courageuses et flamboyantes éditions de Londres, ne manquent pas de faire payer l'édition numérique. Puis j'ai fini par trouver une bonne âme pirate qui a rendu disponible le pédéhaif, que voici mes amis.

J'ai de grandes raisons de défendre le droit d'auteur, et de ne pas cracher sur un bon travail éditorial, mais à l'époque de la mise en route du site ReLire, je trouve que les oeuvres tombées tout au fond du domaine public doivent quand même pouvoir être dévorées gratos, en ligne.

Formé au prestigieux lycée parigot Chaptal, anar ayant hésité entre le royalisme et l'anarchie, Zo d'Axa, né Alphonse Gallaud de La Pérouse, est lisible par ici.

Ici, je suis bien forcé de conclure : je ne suis pas anarchiste.
En cour d'assises, à l'instruction comme aux séances, j'ai dédaigné cette explication. Mes paroles de rage ou de pitié étaient qualifiées anarchistes - je n'épiloguais pas sous la menace.
À présent, il me plaira de préciser ma pensée première, ma volonté de toujours.
Elle ne doit pas sombrer dans les à-peu-près.
Pas plus groupé dans l'anarchie qu'embrigadé dans les socialismes. Être l'homme affranchi, l'isolé chercheur d'au-delà; mais non fasciné par un rêve. Avoir la fierté de s'affirmer, hors les écoles et les sectes:
En dehors.

Zo d'Axa, fondateur du journal l'En Dehors.

 

mardi, 02 juillet 2013

Qui a peur des hamacs ?

Édith on the hamac.jpg
Photo Tieri Briet (Fontvieille, près d'Arles)

 

Voici l'avant-propos du Droit à la paresse (1880), de Paul Lafargue,

suivi d'une extrait de l'Adresse aux vivants (1990), de Raoul Vaneigem.

 

 

«M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l'instruction primaire de 1849, disait: "Je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l'homme: "Jouis"." M. Thiers formulait la morale de la classe bourgeoise dont il incarna l'égoïsme féroce et l'intelligence étroite.

La bourgeoisie, alors qu'elle luttait contre la noblesse, soutenue par le clergé, arbora le libre examen et l'athéisme; mais, triomphante, elle changea de ton et d'allure; et, aujourd'hui, elle entend étayer de la religion sa suprématie économique et politique. Aux XVe et XVIe siècles, elle avait allègrement repris la tradition païenne et glorifiait la chair et ses passions, réprouvées par le christianisme ; de nos jours, gorgée de biens et de jouissances, elle renie les enseignements de ses penseurs, les Rabelais, les Diderot, et prêche l'abstinence aux salariés. La morale capitaliste, piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d'anathème la chair du travailleur; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de supprimer ses joies et ses passions et de le condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci.

Les socialistes révolutionnaires ont à recommencer le combat qu'ont combattu les philosophes et les pamphlétaires de la bourgeoisie; ils ont à monter à l'assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme; ils ont à démolir, dans les têtes de la classe appelée à l'action, les préjugés semés par la classe régnante; ils ont à proclamer, à la face des cafards de toutes les morales, que la terre cessera d'être la vallée de larmes du travailleur; que, dans la société communiste de l'avenir que nous fonderons "pacifiquement si possible, sinon violemment", les passions des hommes auront la bride sur le cou: car "toutes sont bonnes de leur nature, nous n'avons rien à éviter que leur mauvais usage et leurs excès", et ils ne seront évités que par leur mutuel contre-balancement, que par le développement harmonique de l'organisme humain, car, dit le Dr Beddoe, "ce n'est que lorsqu'une race atteint son maximum de développement physique qu'elle atteint son plus haut point d'énergie et de vigueur morale". Telle était aussi l'opinion du grand naturaliste, Charles Darwin.

La réfutation du Droit au travail, que je réédite avec quelques notes additionnelles, parut dans "L'Égalité hebdomadaire" de 1880, deuxième série».

 

P. L.
Prison de Sainte-Pélagie, 1883.
In Le droit à la paresse

 

 

«En fait, je ne suis pas étranger au monde, mais tout m'est étranger d'un monde qui se vend au lieu de se donner - y compris le réflexe économique auquel mes gestes parfois se plient. C'est pourquoi j'ai parlé des hommes de l'économie avec le même sentiment de distance que Marx et Engels découvrent, dans la crasse et la misère londoniennes, une société d'extraterrestres avec «leur» Parlement, «leur» Westminster, «leur» Buckingam Palace, «leur» Newgate.

«Ils» me gênent aux entournures de mes plus humbles libertés avec leur argent, leur travail, leur autorité, leur devoir, leur culpabilité, leur intellectualité, leurs rôles, leurs fonctions, leur sens du pouvoir, leur loi des échanges, leur communauté grégaire où je suis et où je ne veux pas aller.

Par la grâce de leur propre devenir, «ils» s'en vont. Economisés à l'extrême par l'économie dont ils sont les esclaves, ils se condamnent à disparaître en entraînant dans leur mort programmée la fertilité de la terre, les espèces naturelles et la joie des passions. Je n'ai pas l'intention de les suivre sur le chemin d'une résignation où les font converger les dernières énergies de l'humain reconverti en rentabilité.

Pourtant, mon propos n'est pas de prétendre à l'épanouissement dans une société qui ne s'y prête guère, mais bien d'atteindre à la plénitude en la transformant selon les transformations radicales qui s'y dessinent. Je ne désavoue pas ce qu'il y a de puérile obstination à vouloir changer le monde parce qu'il ne me plaît pas et ne me plaira que si j'y puis vivre au gré de mes désirs. Cependant n'est-elle pas, cette obstination, la substance même de la volonté de vivre »

 

Raoul Vaneigem, In L'adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l'opportunité de s'en défaire