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jeudi, 27 juin 2013

Métrodore : les fantômes

métrodore

– Dis-moi pourquoi tu es là.

– D’accord.

Nous nous étions rencontrés dans le couloir des toilettes. Linérès s’assit près de moi.

– À cause des fantômes, dit-elle dans un soupir.

– Mais qui sont les fantômes ? demandai-je, les yeux écarquillés.

Je m’interrogeai : vivait-elle dans un château rempli de fantômes ? Sa réponse me lamina.

– Les fantômes ? Elle ricana. Ce sont les professeurs, les employés, les infirmiers et les médecins, les psychologues, les ministres et les ouvriers… Tous ceux qui plient l’échine. Ceux qui ne pensent pas par eux-mêmes. Ceux qui n’agissent pas par eux-mêmes. Les dresseurs de cirque, les toreros, les gens qui passent à la télévision. La plupart des jeunes.

– Les jeunes aussi ?

– Tu n’avais pas remarqué ?

Je repensais à mes copains qui n’avaient pas eu le courage de sortir de leur lit pour passer la nuit au square.

– Et les parents ?

– Pas tous.

– Mais qui n’est pas un fantôme ?

Elle releva la tête fièrement et ses cheveux se déployèrent sur le mur blafard du couloir.

– Quelques animaux et quelques humains.

Je demeurai quelque temps silencieux. Son expression resplendissait. Comment faisait-elle pour être aussi vivante dans un lieu aussi morne ?

– Raconte-moi ton histoire, lui demandai-je.

Elle baissa les yeux, des larmes perlèrent au bord de ses paupières.

– D’accord, prononça-t-elle dans un souffle.

C’est ainsi que ma vie fut transformée.

métrodore

Extrait de Métrodore

On peut lire un autre extrait de Métrodore par là

 

samedi, 05 janvier 2013

Métrodore : ouverture

 Métrodore,

Voici l'ouverture de Métrodore, un roman en suspension entre l'enfance et le monde adulte, entre hier et aujourd'hui.

Paris III par Edith de Cornulier.jpg

J’ai seize ans et je ne mange plus. Il paraît que ça n’arrive qu’aux filles qui ont des problèmes avec leur mère. Je suis un garçon et je n’ai pas de problèmes. Je suis seulement fatigué de vivre. La nourriture me dégoûte. Les gens me dépitent. Les professeurs me répugnent. Le lycée m’insupporte. Les magasins criards, la grisaille des rues, les ordinateurs me désespèrent. Je hais la société. Je m’appelle Jude Parizet et je vous hais.

 Alors, vous m’avez amené ici, dans cet hôpital blanc. Les infirmiers me sourient : j’ai envie de leur cracher à la gueule. Les médecins me parlent d’un ton gentil : je les devine fiers de leur diplôme de médecine, fiers de s’occuper des jeunes en difficulté. Je les terrasse de mon mépris, mais ils s’en fichent : ils croient par-dessus tout qu’ils ont raison.

 L’hôpital est blanc comme la mort, noir comme la peur, gris comme l’hiver. Le pavillon Michel-Foucault accueille des garçons et des filles entre treize et dix-sept ans. Nous errons dans les couloirs, nous marchons sur le carrelage des toilettes et le linoléum des pièces lugubres. Des néons jaunes éclairent l’escalier ; des néons blancs éclairent les murs blêmes. De nombreuses affiches empirent la laideur des murs. Une immense photographie du philosophe Michel Foucault orne le mur du vestibule. L’homme a l’air sadique et arrogant. Sur les murs des couloirs et de la salle de jour, de grotesques affiches montrent des jeunes en train de s’embrasser, de parler, de jouer au ballon. Sous les photos sont inscrits des slogans affligeants : « Moi, je dis non à la violence », « Moi, je dis non à la drogue », « La lecture est le plus beau voyage du monde ». Ils nous prennent pour des idiots.

 D’autres jeunes sont là. Une petite dizaine. Certains n’ont pas le droit de venir dans la salle de jour ; nous les apercevons se faufiler comme des ombres, accompagnés par des infirmiers qui les mènent comme des enfants.

 Nous, qui avons le droit de passer du temps dans la salle de jour, nous sommes libres de nos mouvements à l’intérieur du pavillon Michel-Foucault. Beaucoup sont des filles, encore plus maigres que moi. J’ai peur d’en voir une mourir. Ce serait triste à voir, une mort dans un hôpital. Quelle horreur d’agoniser dans un couloir de plastique et de béton. Si mourir, c’est quitter à jamais le monde où nous avons aimé et souffert, une mort au bout d’une plage, une mort en haut d’une montagne, c’est une mort bien plus belle.

 Pourquoi sommes-nous ici ? On nous a enlevés de la vie normale pour nous enfermer dans cet hôpital parce que nous avons un problème avec l’idée de devenir adulte.

 Les adultes se sont habitués à leur vie dans la ville, loin du ciel bleu, des arbres, des grandes forêts, des animaux sauvages, des océans. Ils se sont habitués à leurs habits étriqués, qui leur donnent l’air de petits pions. Ils se sont habitués à se lever au bruit strident du réveil, à se laver dans leur petite salle de bains, à utiliser des produits conformes aux normes pour se laver, pour manger, pour nettoyer leur maison…

 Ils se sont habitués à se lever matin après matin.

 Les adultes se sont habitués à remplir des papiers, à suivre des milliers de règles administratives, juridiques. Jour après jour, chaque fois qu’ils achètent, qu’ils vendent, qu’ils se marient, qu’ils divorcent, qu’ils ont des enfants, qu’ils en perdent, qu’ils partent en vacances, ils remplissent des papiers administratifs. Machinalement, ils écrivent dans les petites cases leur numéro de Sécurité sociale (un numéro d’au moins dix chiffres), leur sexe (masculin ou féminin, tant pis pour les anges), leur âge (comme si c’était important), leur lieu de naissance (pourquoi ?), leur statut social et leur statut familial. Ils ont des comptes en banque, des contrats d’assurances, des cartes d’assuré, des cartes d’électeur, des cartes bancaires. Sur tous ces papiers, des chiffres et des mots sans poésie.

 Les adultes peuvent rester assis au bureau toute la journée alors que dehors brille un soleil magnifique. Ils peuvent parler des heures de l’actualité politique alors que Charles Baudelaire a écrit des poèmes qui traversent le temps. Ils peuvent prendre le métro tous les jours, dans de longs couloirs souterrains, pour se rendre de leur maison au travail et de leur travail à la maison. Ils peuvent subir cette vie pendant quarante ans sans jamais se révolter plus de deux jours.

 J’ai seize ans, dans deux ans je serai un adulte.

 Pourquoi voulez-vous que je mange ?

 

Edith de Cornulier-Lucinière

IMAG1609.jpg

 

mercredi, 03 février 2010

Labrador dans la Ville océan II