dimanche, 27 juillet 2014
Litanie des premiers quartiers de lune
Lune bénie
Des insomnies,
Blanc médaillon
Des Endymions,
Astre fossile
Que tout exile,
Jaloux tombeau
De Salammbô,
Embarcadère
Des grands Mystères,
Madone et miss
Diane-Artémis,
Sainte Vigie
De nos orgies,
Jettatura
Des baccarats,
Dame très lasse
De nos terrasses,
Philtre attisant
Les vers-luisants,
Rosace et dôme
Des derniers psaumes,
Bel œil-de-chat
De nos rachats,
Sois l’Ambulance
De nos croyances !
Sois l’édredon
Du Grand-Pardon !
Jules Laforgue
Extrait du recueil L'imitation de Notre-Dame la Lune - 1886
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jeudi, 24 décembre 2009
La chanson des morts
La chanson des morts, d'Ouraphle (pseudonyme de Jules Laforgue)
Une nuit que le vent pleurait dans les bruyères,
À l'heure où le loup maigre hurle au fond des forêts,
Où la chouette s'en va miaulant dans les gouttières,
Où le crapaud visqueux râle au fond des marais,
Disputant ma pelisse à la bise glaciale,
Par les sentiers perdus je m'en allais rêvant,
Fouetté par l'âpre neige et l'ardente rafale
Le saule échevelé se tordait en pleurant,
L'ombre sur le chemin finissait de s'étendre.
Un chien poussait au loin de plaintifs hurlements,
Derrière moi sans cesse il me semblait entendre
Un pas qui me suivait et des ricanements!...
Tandis que je suivais ces routes isolées,
La chevelure au vent et frissonnant d’effroi,
S'éparpillant au loin en lugubres volées
Minuit sonna bientôt au clocher du beffroi.
Je m'assis sur un tertre où jaunissait le lierre,
Devant moi s'étendait l'immense cimetière...
............................................................................
... Quand je vis tout à coup, légion vagabonde,
Se prendre par la main des squelettes glacés
On commence, et tandis que tournoyait leur ronde
Ils glapissent en chœur l'hymne des trépassés :
I
Tandis qu'à ton front passe
Un nuage orageux,
Lune, voile ta face
Et détourne tes yeux.
Nous allons en cadence
Et que chacun s'élance
Donnons à cette danse
Nos bonds les plus joyeux,
Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.
II
Pauvre sagesse humaine
Dont le monde est si fier,
Tu te disais certaine
D'un ciel et d'un enfer.
Enfer et ciel, chimére!
On vit au cimetière
Sans Dieu ni Lucifer!
Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale,
III
Oui, c'est au cimetière
Qu'on vit après la mort;
Sur l’oreiller de pierre
Le trépassé s'endort.
Mais quand l’ombre s'étale
Il soulève sa dalle
Et de sa tombe il sort.
Ils hurlent en sifflant et l’ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.
IV
Nous narguons de la lune
Les regards pudibonds,
Nous dansons à La brune
Ainsi que Les démons,
Puis La danse passée,
Sur La pierre glacée,
Prés de notre fiancée,
Mieux que vous nous aimons.
Ils hurlent en sifflant et l’ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.
V
Puisqu'ils oublient si vite
Leurs plus proches parents,
Que leur regret habite
En eux si peu de temps,
Crachons-Ieur ce blasphème :
À Leur ciel anathème!
Anathème à Dieu même!
Anathème aux vivants!
Ils hurlent en sifflant et l’ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.
Et moi pétrifié de ces clameurs funèbres,
De mon gosier en feu sort un cri de terreur;
Et je Les vis soudain dans l’ombre et Les ténèbres
Qui fuyaient en tumulte harcelés par la peur,
Puis tout se tut bientôt. De nouveau le silence
Commençait à régner quand j'ouïs tout à coup
L'un d'entre eux fureter comme un spectre en démence
Et hurler en pleurant : « On m'a volé mon trou ! »
Ouraphle (Jules Laforgue)
février 1878
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dimanche, 25 octobre 2009
vers de Jules Laforgue
Sous le ciel pluvieux, noyé de brumes sales,
Devant l'océan blême, assis sur un îlot,
Seul, loin de tout, je songe au clapotis du flot
Dans le concert hurlant des mourantes rafales.
Crinière échevelée, ainsi que des cavales,
Les vagues en se tordant arrivent au galop
Et croulent à mes pieds avec de longs sanglots
Qu'emporte la tourmente aux haleines brutales.
Partout le grand ciel gris, le brouillard et la mer,
Rien que l'affolement des vents balayant l'air.
Plus d'heures, plus d'humains, et solitaire, morne,
Je reste là, perdu dans l'horizon lointain
Et songe que l'espace est sans borne, sans borne,
Et que le temps n'aura jamais... jamais de fin.
Jules Laforgue
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