mercredi, 18 janvier 2012
Nous attendons tous notre naissance et c'est notre mort qui approche
En attendant de trouver une version de la Ballade du désespéré, de Louis Vierne, à mettre ici sur cet AlmaSoror blog, écoutons cet autre poème pour piano et orchestre.
Et plongeons dans la ballade d'Henry Murger, poète dépressif, né rue des Trois-Frères et mort en 1861. Bohème, gothique, il écrivit cette ballade du désespéré que Vierne allait mettre en musique, peut-être encore plus désespéré que lui, au début du XX°siècle :
"Qui frappe à ma porte à cette heure ?
— Ouvre, c’est moi. — Quel est ton nom ?
On n’entre pas dans ma demeure
À minuit ainsi, sans façon.
— Ouvre. — Ton nom ? — La neige tombe,
Ouvre. — Ton nom ? — Vite, ouvre-moi !
— Quel est ton nom ? — Ah ! dans sa tombe
Un cadavre n’a pas plus froid.
J’ai marché toute la journée
De l’ouest à l’est, du sud au nord.
À l’angle de ta cheminée
Laisse-moi m’asseoir. — Pas encor !
Quel est ton nom ? — Je suis la gloire,
Je mène à l’immortalité.
— Passe, fantôme dérisoire !
— Donne-moi l’hospitalité.
Je suis l’amour et la jeunesse,
Ces deux belles moitiés de Dieu.
— Passe ton chemin : ma maîtresse
Depuis longtemps m’a dit adieu.
— Je suis l’art et la poésie :
On me proscrit. Vite, ouvre. — Non.
Je ne sais plus chanter ma mie,
Je ne sais même plus son nom.
— Ouvre-moi ! je suis la richesse,
Et j’ai de l’or, de l’or toujours.
Je puis te rendre ta maîtresse.
— Peux-tu me rendre nos amours ?
— Ouvre-moi : je suis la puissance,
J’ai la pourpre. — Vœux superflus !
Peux-tu me rendre l’existence
De ceux qui ne reviendront plus ?
— Si tu ne veux ouvrir ta porte
Qu’au voyageur qui dit son nom,
Je suis la mort : ouvre, j’apporte
Pour tous les maux la guérison.
Tu peux entendre à ma ceinture
Sonner les clés des noirs caveaux ;
J’abriterai ta sépulture
De l’insulte des animaux.
— Entre chez moi, maigre étrangère,
Et pardonne à ma pauvreté.
C’est le foyer de la misère
Qui t’offre l’hospitalité.
Entre : je suis las de la vie,
Qui pour moi n’a plus d’avenir.
J’avais depuis longtemps l’envie,
Non le courage de mourir.
Entre sous mon toit, bois et mange,
Dors, et quand tu t’éveilleras,
Pour payer ton écot, cher ange,
Dans tes bras tu m’emporteras.
Je t’attendais ; je veux te suivre.
Où tu m’emmèneras, j’irai ;
Mais laisse mon pauvre chien vivre,
Pour que je puisse être pleuré !"
Publié dans Fragments, L'oiseau, Sleipnir | Lien permanent | Commentaires (4) | | Facebook | Imprimer |