samedi, 19 avril 2014
La torture des hérétiques
Toutes les fois que le Crimen majestatis reparaît dans l'Histoire,
la Torture reparaît avec lui.
J'ai mangé un sandwich, bu du jus de grenade, et reviens au livre d'Alec Mellor consacré à la Torture. Je recopie pour les visiteurs d'AlmaSoror l'introduction au chapitre sur l'Inquisition.
L'auteur, Alec Mellor, avocat d'origine britannique, semble avoir été un de ces personnages mystérieux et éclectiques qui éclairent ceux dont ils croisent les chemins, sans jamais être assez compréhensibles pour devenir des modèles ou des chefs de files. Trop subtils et originaux pour que le sociotaxonome leur mette une étiquette, ils passent en ce monde en accomplissant un labeur que personne ne leur demande et qui porte des fruits invisibles, mais sûrs et féconds.
Je ne sais pas grand chose de Mellor, et ce que j'en sais augmente encore mon indécision : il était catholique et royaliste, mais devint l'avocat et l'historiens des francs-maçons, qu'il appela "nos frères séparés" avant de rejoindre une Loge. Homme de droite, il défendit de nombreux communistes durant la guerre et il ne mettait pas son métier d'avocat au service de ses idées, mais oubliait ses idées pour servir ce métier. Il écrivit des ouvrages étonnants, j'en possède deux, que j'ai lus. La Torture - son histoire, son abolition, sa réapparition au XX°siècle, et Le problème des guérisseurs. Je suis en quête de ses autres ouvrages : une histoire de la franc-maçonnerie, une histoire de l'anticléricalisme français, enfin un livre sur la fabuleuse aventure du téléphone. Si ces ouvrages sont aussi intéressants que ceux que j'ai eu l'heur de lire, alors de riches heures m'attendent.
Alec Mellor n'est pas impartial, mais il est honnête ; il n'est pas exhaustif, mais il est érudit, clair et inspiré. Il guide sa pensée de façon responsable et la coule dans une phrase qui ne manque pas d'allure dans son efficace simplicité.
L'inquisition est l'institution la plus incomprise de l'Histoire. Vilipendé par Voltaire et par les Encyclopédistes, le seul nom d'Inquisition est devenu, depuis lors, le cheval de bataille de la Libre-Pensée contre l'Église ; toute une littérature spéciale est là pour l'attester.
À l'inverse, certains catholiques ont jugé nécessaire à leur foi de réhabiliter d'authentiques atrocités, comme si l'Église avait eu besoin de leurs mensonges.
Il serait hors de propos, dans le cadre restreint d'une étude sur la Torture, de traiter un sujet de pareille ampleur. D'immenses travaux lui ont été consacrés ; leur bibliographie serait aussi longue, à elle seule, que ce chapitre.
Notre but se limite à situer l'Inquisition historiquement, à marquer la place qui lui revient dans l'histoire de la Torture, et surtout à vérifier notre thèse fondamentale : toutes les fois que le Crimen majestatis reparaît dans l'Histoire, la Torture reparaît avec lui.
Au XIII°siècle, c'est le masque théologique, que le Crimen majestatis revêt, et la véritable explication de la torture des hérétiques est là.
Le nom complet de l'Inquisition est : Inquisition de la perversité hérétique (inquisition haereticae pravitatis).
Qu'est-ce donc qu'une hérésie ?
Dans sa savante introduction au Manuel de l'Inquisiteur de Bernard Gui (Bernard Gui, 1261-1331, fut l'un des plus célèbres inquisiteurs du Moyen Âge), M.G. MOLLAT en donne la définition traditionnelle : "l'hérésie est un crime de "lèse-majesté divine" qui consiste dans le rejet conscient d'un dogme ou dans la ferme adhésion à une secte dont les doctrines ont été condamnées par l'Église comme contraires à la foi".
Il est à peine besoin de souligner combien il est nécessaire, ici, de répudier nos idées modernes. Pour les hommes du XIII°siècle, héritiers d'une longue tradition, l'unité de foi et l'ordre social sont une seule et même chose, et ce grandiose idéal n'était mis en doute par personne. L'idée d'une paisible co-existence entre fidèles et hérétiques dans le cadre de la société laïque était impensable, et les hommes du Moyen Âge eussent été singulièrement étonnés s'ils avaient pu prévoir un monde où les chefs de l'Église et les ministres hérétiques admettent de paraître ensemble publiquement à l'occasion de cérémonies temporelles ou de manifestations charitables.
L'unité sociale ainsi comprise est d'ailleurs l'idéal des hérétiques eux-mêmes. Ce que veulent ces derniers n'est pas la liberté de pensée religieuse, mais bien une chrétienté fondée sur leurs propres bases, en un mot une société une et hétérodoxe, ce qui ne peut que supposer la subversion préalable de l'ordre ancien et la destruction de l'Église, au besoin par la force (La question a été lumineusement exposée par Bossuet, dans sa Politique tirée de l'écriture sainte).
Donner dès lors un statut aux hérétiques eût paru un non-sens et la seule existence des hérétiques posait une série de problèmes.
C'était d'abord pour l'Église une problème dogmatique dont la multiplicité incroyable de conciles suffit à donner une idée.
C'était pour le peuple fidèle un problème de conscience.
C'était, enfin, pour l'État un problème de législation.
À vrai dire, la question du traitement des hérétiques était loin, au XIII°siècle, d'être neuve ; elle remontait aux empereurs d'Occident.
Mais ce ne fut pas avant le XIII°siècle qu'on eut l'idée de créer une inquisition, puis de rechercher les hérétiques au moyen de la Torture.
Pourquoi ?
Tel est le problème, et ce n'est pas le résoudre que de constater qu'à cette époque, le progrès des hérésies, notamment du catharisme, fit juger nécessaire une répression plus grave, car il y eut des hérésies dès les origines de l'Église (St Jean nous fait déjà connaître dans l'Apocalypse l'existence des Nicolaïtes).
La situation des hérétiques avant l'institution de l'Inquisition mérite d'être retracée, même sommairement, afin de souligner que l'introduction, en cette matière, de la Torture, fut, au XIII°siècle, une véritable révolution.
Sous les empereurs d'Occident, la Torture n'est employée en aucun cas, dans la répression des hérésies. L'Église use, d'une part, de ses peines propres, les peines spirituelles, dont le type est l'excommunication. L'État prévoit parfois la peine capitale (C. Theod. XVI,7,5,1), plus souvent l'amende (C. Théod. XVI,5,51-52-54,4), la confiscation (C.Theod. XVI, 6,4) ou la déportation (ibid, 5,63).
Au Moyen Âge, les peines temporelles iront en s'aggravant et la peine habituelle, du moins, pour les relaps, sera celle du Feu, qui n'est autre chose que l'adoption par la justice d'un mode de mise à mort où la fameuse "psychologie des foules" a laissé sa marque. L'historien américain Lea (Histoire de l'Inquisition) écrit justement : "Ce n'est pas la loi positive qui a inauguré l'atroce pratique de brûler vifs les hérétiques. Le Législateur n'a fait qu'adopter une forme de vengeance ou se complaisait naturellement à cette époque la férocité populaire".
L'origine historique du Bûcher n'est autre, en effet, que le lynchage par le feu.
Pour le peuple, les hérétiques sont une espèce haïe et redoutée, un danger de nature à provoquer la punition divine contre quiconque les tolère. Parti d'en bas, le mouvement gagna les princes, qui légalisèrent la pratique du bûcher.
Il serait trop long et hors de propos de retracer tous les jalons de ces deux étapes. Quelques exemples suffiront.
Guibert de Nogent raconte qu'en 1114, à Soissons, l'évêque dut emprisonner des Manichéens pour les protéger de la fureur populaire. (Il s'agit, bien entendu, des néo-manichéens ou Cathares, répandus surtout dans le midi de la France). Il alla de là à Beauvais consulter ses collègues réunis en concile, accompagné de Guibert lui-même.
En son absence, la populace hurlante arracha les hérétiques de la prison, et "craignant la mollesse cléricale", dressa incontinent un bûcher où on les brûla tous. ("Fidelis interim populus, clericalem vernes mollitiem, concurrit ad ergastulam, rapit, et subjecto eis extra urbem igne pariter concremavit").
Une émeute pire encore éclata en 1135 à Liège, où, cette fois, le clergé réussit à sauver les prisonniers à temps.
Les chroniqueurs en citent bien d'autres. C'est en présence de ces troubles graves que le pouvoir séculier prit l'initiative de sévir et de parer à l'insuffisance des peines purement spirituelles par les supplices.
Déjà Robert Le Pieux condamna au feu treize hérétiques.
Guillaume, comte de Poitiers et d'Aquitaine se fit un véritable renom de rigueur. Henri III, empereur, sévit en 1052 contre les Manichéens. Le roi d'Angleterre Henri, rapporte le chroniqueur anglais Guillaume de Newbridge, fit arrêter, marquer d'un fer rouge au front, et exposer publiquement des hérétiques flamands venus demander refuge en Angleterre ; cependant Henri II avait fait voter les Statuts de Clarendon soumettant l'Église d'Angleterre à la juridiction royale d'où son fameux conflit avec Thomas Beckett, archevêque de Canterbury, et était entré en lutte ouverte contre le pape Alexandre III, qui alla jusqu'à l'excommunier.
Ce zèle des princes n'était d'ailleurs pas toujours dépourvu de considérations sordidement temporelles ; dans l'affaire des Templiers, non seulement l'Églises n'eut pas l'initiative des poursuites, mais encore Philippe le Bel jugea bon (ou ses légistes lui firent juger bon) d'obtenir de la Sorbonne une consultation sur le point de savoir si le pouvoir laïc pouvait engager de lui-même des poursuites en matière de foi ! (Nous possédons le texte intégral de cette insolite consultation, en date du 25 mars 1308. La faculté de théologie répond négativement à la question posée par le roi, mais en entourant sa réponse de réserves qui trahissent un embarras significatif, et en s'excusant du long retard mis à répondre.
Il convient d'ailleurs de noter que si les templiers subirent la torture, ce ne fut pas à proprement parler comme hérétiques, mais - selon l'accusation - comme sacrilèges et sodomites. L'Église n'avait pas porté plainte, d'où l'étrange question de Philippe le Bel).
Toute l'histoire des XI° et XII°siècles est pleine de récits de ce genre, mais la Torture en est absente, et Saint-Thomas d'Aquin qui écrit sous Saint Louis, c'est-à-dire à l'époque où elle commence à s'établir, est en retard sur les canonistes, car il admet et recommande, comme toute la théologie morale de son temps, l'extermination des hérétiques, nulle part il ne parle de la Torture, fut-ce à propos des cas licites de flagellation, comme l'eût comporté cependant le sujet. (St Thomas, Summa theol. De Fide. Quaestio XI art 3 "Utrum haeretici sont tolerandi" à propos des relaps. On sait que la liturgie du Sacre comportait, au nombre des quatre serments prêtés par le roi, celui d'"exterminer les hérétiques dénoncés par l'Église").
La Torture des hérétiques est contraire à la tradition canonique. "Verbis melius quam verberibus res agenda est", écrivait, dès son temps, Lactance.
Le plus grand canoniste du Moyen Âge, Gratien, prohibe la torture en ces termes incisifs : "Confessio ergo in talibus non extorqueri debet, sed potius sponte profiteri. Pessimum est enim de suspicione aut extorta, confessionne quemquam judicare".
Nous verrons plus loin l'admirable lettre du grand pape Nicolas Ier aux Bulgares ; c'est une condamnation nette de la Torture en elle-même, et qui tire son autorité de ce qu'elle émane du Siège apostolique dans un document particulièrement solennel.
Fournier observe avec raison que le juge d'Église qui eût admis la torture eût encouru ipso facto une irrégularité canonique (Ecclesia abhorret a sanguine) et cite à ce sujet des textes irrécusables (IN Fournier, Les officialités au Moyen Âge).
Frédéric Barberousse, dans ses fameuses constitutions de 1220 à 1239 ne parle pas de la Torture, et se borne à prescrire comme mode ordinaire d'enquête en matière d'hérésie la purgation canonique, en accord avec le décret du pape Lucius III.
On peut même observer que la Torture ne fut pas appliquée par l'Inquisition elle-même, à ses débuts.
La date fatidique où les choses devaient changer est celle de 1252, année où Innocent IV promulgua la bulle "ad extirpenda", et il n'est que strictement juste de noter que l'Église avait été précédée par la législation laïque, en l'occurrence par le même Frédéric Barberousse, qui, par une singulière inconséquence avec lui-même, ordonne la mise à la question dans son code véronais (1228) et dans ses Constitutions siciliennes (1231).
IN Alec MELLOR
La Torture - Son histoire. Son abolition. Sa réapparition au XX°ème siècle.
Préface de REMY.
Editions des Horizons Littéraires
Notes d'AlmaSoror :
Les chroniqueurs qui relatent de tels faits (tant les lynchages populaires que les "rigueurs" des dirigeants, sont, entre autres, Guibert de Nogent, Raoul Glaber, Haganon de Chartres, Adhémar de Chabannes, Guillaume de Newbridge. On peut consulter en outre le Corpus documentorum inquisitions haereticae pravitatis neerlandicae.
Notons la jolie expression par laquelle on voulait dire torture : mise à la question. En français moderne, nous pouvons traduire par interrogatoire.
AlmaSoror avait déjà mentionné et cité le chroniqueur passionnant, parfois si rigide, parfois si émouvant, Guibert de Nogent :
Une éducation en l'an mille quelque chose
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jeudi, 24 octobre 2013
Une enfance littéraire française : Invitation au voyage I
Jeudi 24 octobre 2013
Édith de Cornulier-Lucinière
Édouard Vuillard - Intérieur
Voici la synthèse de la conférence que j'ai donnée ce matin à mes étudiants - la première de l'année. Elle s'intitule L'invitation au voyage, parce que j'aime ce poème de Charles Baudelaire et parce c'est le jour où j'ouvre les portes sur les salles que nous arpenterons ensemble, plus en profondeur, au cours des conférences à venir.
C'est la troisième année que j'avance ainsi, face à ces étudiants étrangers, de toutes origines, et dont l'accès au subtil français est inégal encore.
J'avais déjà, sur AlmaSoror, donné l'essence de celle de mes conférences intitulée L'enfance, la civilisation et le monde sauvage.
Quant au blog de mon cours, encore en construction, il se consulte à cette adresse...
L'esprit de ces conférences
Je voudrais vous inviter à voyager dans le monde littéraire enfantin de France. Je ne ferai pas une histoire exhaustive de la littérature enfantine, ni de l'édition à destination de la jeunesse. Ce n'est pas, non plus, une conférence historique ni sociologique, ni d'histoire de l'art, même si nous voyagerons dans l'histoire et dans la société française, même si nous découvrirons de grands artistes – peintres, musiciens, écrivains, graveurs, cinéastes...
Mon projet est de vous ouvrir des portes sur l'univers littéraire enfantin, de vous faire découvrir quelques œuvres emblématiques, quelques auteurs intéressants, quelques personnages bien-aimés des enfants.
C'est souvent le plus difficile pour un adulte qui arrive dans un pays étranger : il peut vite apprendre la culture adulte, mais que sait-il des aspects enfantins ? Et pourtant, quel univers mieux que celui de l'enfance peut refléter, irradier, nourrir une société ? Voici une initiation... Elle a vocation à lever le rideau sur un monde fourmillant d’œuvres. Celui qui s'intéresse à ce monde devra poursuivre le voyage seul, ou en d'autres compagnies...
Comme le sujet de notre séminaire nous y invite, nous verrons ensemble beaucoup d'images, de films. Nous aurons aussi l'occasion d'écouter des compositions musicales, des chansons, et de lire des extraits de textes.
Le Moyen-Âge
Le moyen-âge, qu'est-ce que c'est ? Un chapelet de siècles qui se ressemblent si peu les uns aux autres. Quelle obscurité d'esprit ont eu ceux qui ont inventé cette expression, pour parler d'un monde qui naît lorsque meurt l'empire romain d'Occident, en 476, et meurt avec la fin de la douloureuse et meurtrière guerre de 100 ans, alors que Gutemberg invente l'imprimerie, que les Espagnols se libèrent du joug musulman, et que l'Europe affrète ses vaisseaux vers un Nouveau-Monde qui ne l'attend pas. Si le mot de moyen-âge paraît faible ou faux, l'adjectif médiéval ne manque pas de charme. Il évoque les cathédrales, les jongleurs et les troubadours, le temps où la France était en train d'éclore. La « langue française » n'existait pas mais elle se créait peu à peu.
La littérature enfantine française prend sa source dans ce moyen-âge. La littérature enfantine, vraiment ? Existait-elle déjà ?
Dans les sociétés traditionnelles, les adultes et les enfants écoutent ensemble les mêmes histoires : chacun comprend l'histoire selon son âge. Ainsi la Bible, le Roman de Renart, les contes d'Europe comme d'ailleurs ne visaient pas un public restreint, mais toute la société, les adultes et les enfants. La littérature spécialisée pour les enfants est tardive.
Mais si les romans et les contes de jadis n'étaient pas spécifiquement destinés aux enfants, ces derniers y avaient accès au même titre que les adultes. Ainsi, contrairement à la « littérature générale » d'aujourd'hui, qui s'adresse exclusivement aux adultes, ces œuvres se voulaient universelles.
Au VIII° siècle...
Au VIII° siècle, Alcuin, moine anglais, sort de son monastère pour un voyage européen. Il rencontre l'empereur Charlemagne, devient l'un de ses conseillers. Il est l'auteur des premiers livres diffusés en direction des élèves de tout l'empire, dont la Gaule formait une grande partie.
Charlemagne, subjugué par sa culture, lui demande en effet de réformer et d'organiser l'instruction dans le royaume carolingien. Alcuin se rend à la cour d'Aix la Chapelle (aujourd'hui en Allemagne), instruit le roi, les jeunes aristocrates de la cour, mais rédige également des manuels scolaires à l'usage de tout l'Occident. Ces élèves pouvaient être des adultes, mais étaient le plus souvent de jeunes enfants confiés aux monastères, lieux d'enseignement et de culture.
Ce sont les premiers "manuels scolaires" rédigés à l'intention des enfants qui ont circulé dans ce qu'on appelle aujourd'hui la France. Ils sont en langue latine.
Il s'est efforcé de plaire aux jeunes, comme on le voit dans cet exercice de mathématique :
"Un escargot est invité à un repas par un roseau qui est situé à une lieue. Toutefois, en un jour, il ne peut parcourir qu’une seule once de pied.
Dis-moi, qui le désire, combien de temps sera nécessaire à l’escargot avant de prendre un repas".
Si vous voulez persévérez dans ce cours de mathématique qui circulait dans l'Europe des VIII et IX°siècle, allez donc voir sur ce site.
Aux XII et XIII°siècles...
Au XII et XIII°siècles, de nombreux auteurs, la plupart anonymes, composent Le Roman de Renart, premier vrai roman en langue française (écrit en ancien français). Ce corpus d'histoires était raconté par des jongleurs, des trouvères, des ménestrels, à un public des villes, des campagnes et des châteaux qui ne savait pas lire. Plusieurs auteurs l'ont écrit, sur deux siècles environ, dans l'ancêtre de notre langue, qu'il faut étudier aujourd'hui telle une langue étrangère pour être en mesure de lire ce roman dans le texte.
Le mot ROMAN vient de langue romane, synonyme de langue française. Le Roman de Renart est un des premiers textes écrits en français. Mais ce français nous est moins accessible aujourd'hui que l'espagnol ou l'italien ! Le roman, encore appelé ancien français, ancêtre de notre langue, reste une langue étrangère pour le locuteur francophone de l'époque des ordinateurs et des drones.
On peut voir le texte originel et sa traduction en français moderne sur ce site. Le Roman n’a pas été écrit pour les enfants : la littérature spécialisée pour les enfants est apparue tardivement. Mais aujourd’hui les éditions sont réservées soit aux érudits, soit aux enfants. En effet, l'homme moderne a estimé que la présence de personnage appartenant à d'autres espèces animales que la nôtre ne saurait intéresser que de jeunes humains, pas encore au faîte de leur éminence dans toute la création.
Pourtant, le Roman constitue véritablement une satire sociale, pleine de violence et d'amour, de séduction et de tromperie, destinée à décrire les tares des êtres et des institutions de l'époque.
La BNF (Bibliothèque Nationale de France), a composé un très beau site internet sur le Roman de Renart. Il y a eu beaucoup d'interprétations et d'adaptations.
Au début du XX ème siècle, en 1909, l'illustrateur Benjamin Rabier a réalisé une adaptation connue. Vous connaissez tous au moins une image de Benjamin Rabier, celle de la vache qui rit. Et n'est-ce pas intéressant de savoir que parmi les premiers grands succès de "l'album illustré" figurait une interprétation de notre plus vieux roman national ? Quand au premier long métrage d'animation français, c'est encore une adaptation de ce vieux Roman rusé comme un renard, qui sait hanter les esprits créateurs aux grands tournants de l'histoire artistique. Ladislas Starewitch, russe d'origine polonaise immigré en France, assisté de sa fille Irène réalisèrent ce film, dans leur pavillon de banlieue parisienne, pendant les premières années de la seconde guerre mondiale (1939-45). Ils avaient confectionné eux mêmes les marionnettes et les décors.
Le Grand Siècle et le Siècle des Lumières
Ce long moyen-âge, obscur surtout par notre ignorance de ces lumières, nous l'avons traversé en quelques minutes, nous arrêtant sur un grand clerc de Charlemagne, vers l'an 800, puis sautant ensuite jusqu'au XII°siècle pour rencontrer Maître Renart et ses compagnons, le loup Ysengrin et son épouse, la louve Hersant, le coq Chantecler, le lion Noble, le chat Tibert...
Détournons-nous de ces médiéveries qui nous rappellent douloureusement, nostalgiquement, que nous ne sommes pas tous jeunes. Traversons les siècles à la vitesse de l'éclair, pour atterrir dans le plus glorieux que nous ayons connu, notre Grand Siècle : celui du Roi-Soleil, Louis XIV, et de sa fastueuse cour de Versailles. C'est le siècle de la fondation de l'Académie française, celui de la querelle des Anciens et des Modernes.
C'est le siècle de Fénelon, qui enseignait au petit-fils du roi. Pour son auguste élève, il rédigea Les aventures de Télémaque. Inspiré par le personnage de l'Odyssée d'Homère, Télémaque fils d'Ulysse le roi d'Ithaque, Fénelon en profite pour glisser dans la morale de ces aventures palpitantes quelques idées sur la modération dont devraient faire preuve les monarques dans l'exercice de leur toute-puissance. Dès lors, le manuel scolaire princier valut à son auteur la disgrâce. Le Roi-Soleil trouva que le précepteur du petit allait trop loin.
Cette époque de haute dictature fut d'une prodigieuse fécondité artistique. La querelle des Anciens et des Modernes battait son plein.
Tous s'accordent sur l'importance de l'édification d'une littérature nationale, en langue française. Richelieu créée l'Académie. Mais cette éminente littérature française, d'où la tirer ? Comment la créer ?
Les Anciens veulent imiter la littérature grecque et latine. Nos modèles sont les écrivains de l'Antiquité : il faut donc les imiter pour avoir des chances d'atteindre un niveau littéraire équivalent. Mais les modernes ne sont pas d'accord : les Anciens vivaient en Grèce et à Rome, au sein de peuples qui parlaient grec et romain ; comment des Français du XVII°siècle pourraient créer une littérature nationale en imitant des gens éloignés dans le temps et dans l'espace ? Il faut bien, plutôt, puiser aux sources populaires de la langue, dans les campagnes, une essence brute et authentique que les écrivains poliront à leur guise ensuite.
Deux auteurs participent à la querelle. Vous connaissez déjà leurs noms ? Jean de La Fontaine et Charles Perrault. Le premier, un Ancien, verse dans l'imitation du poète grec Ésope. A la manière des fables d'Esope, il écrit les fables de La Fontaine. Le second, résolument moderne, parcourt la France, écoutant les histoires auprès du foyer, dans les humbles chaumières. Il récolte une série d'histoires populaire qu'on se raconte d'âge en âge, et les met par écrit, dans un style soigné : voilà les contes de Perrault.
Comme il est intéressant de noter que, d'une telle querelle, deux hommes des clans ennemis restent comme deux emblèmes, comme deux soleils, égaux dans les cœurs de ceux qui apprirent par cœur, sur l'estrade Le Corbeau et le Renard de Jean de La Fontaine et tremblèrent, avant de s'endormir, en écoutant l'adulte faire sa voix caverneuse pour imiter l’ogre du petit poucet de Charles Perrault.
Notons pour clore ce chapitre du Grand Siècles, qu'à l'instar du roman de Renart, ni les contes de Perrault, ni les Fables de La Fontaine n'étaient dévolus à un public enfantin. L'homme moderne, ne voyant dans tous ces écrits, qu'animaux et bons enfants, s'est dit qu'il devait s'agit de choses pour les enfants. A l'époque, pourtant, c'était bien l'usage de tous que La Fontaine et Perrault travaillaient, comme en témoignent les sujets des contes comme des fables, qui traitent de toute la vie humaine dans sa complexité infinie, si trouble.
On appelle Siècle des Lumières, le XVIII°siècle : Les penseurs, appelés « encyclopédistes », militent pour la liberté de penser, la primauté de la raison, la délivrance vis-à-vis d'un pouvoir religieux qui interdit certaines idées. Le XVIII° siècle commence sous l'absolutisme de Louis XIV et finit après la Révolution française...
L'importance de l'enfance dans la constitution d'une personnalité, est soulignée par le philosophe Jean-Jacques Rousseau.
Son influence va bouleverser l'éducation que l'on donne aux enfants, et donc influencer la littérature enfantine. En particulier, Rousseau dans son autobiographie consacre de longs passages à son enfance, aux émotions et découvertes de l'enfance.C'est une grande première dans l'histoire de la littérature française moderne.
(Au XIII°siècle, le moine Guibert de Nogent avait longuement écrit sur son enfance, pour se plaindre de la dureté de celle-ci et demander à la société de réfléchir à l'éducation des enfants).
Pourtant, hors Jean-Jacques Rousseau, les penseurs axés sur la raison toute-puissante, ne s'intéressent pas trop à l'enfance, en ceci qu'elle n'a pas encore développé toute sa raison. Aussi c'est une femme, une enseignante, qui nous lègue, de cette époque, la principale œuvre enfantine.
Elle s'appelle Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Elle n'invente rien : elle reprend un roman datant de 1704, d'une autre femme, Madame de Villeneuve, qui connut un grand succès avant de sombrer dans l'oubli. Du roman compliqué, à rebondissements, de madame de Villeneuve, Leprince de Beaumont cueille la rose odorante et écrit un conte ramassé, intense : La belle et la bête.
Ah, la Belle et la Bête... Leurs amours ont inspiré le musicien Maurice Ravel, qui a composé des Entretiens sur la Belle et la Bête...
Leurs amours ont encore inspiré Jean Cocteau, qui a inventé pour les servir, des dialogues d'une beauté époustouflante pour son film La belle et la bête (1946).
La bête dit à la belle :
« Si j’étais un homme, sans doute je ferais ce que vous me dites, mais les pauvres bêtes qui veulent prouver leur amour, ne savent que se coucher par terre et mourir ».
Je conseille à tous de voir le film de Cocteau et celui de Walt Disney, un dessin animé de 1991. Regardez et comparez ces deux mêmes scènes, celle où la belle sauve la bête par un baiser et où la bête aussitôt se métamorphose en un jeune homme magnifique : vous aurez l'essence de Cocteau, l'essence de Walt Disney, la folie du gouffre qui sépare ces deux visions. La même scène, deux univers qui se dissemblent jusqu'à la moelle.
C'était la première partie de la conférence du 24 octobre. La suite se lit par ici.
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samedi, 14 novembre 2009
Une éducation en l’an mille quelque chose
Un passage émouvant du livre de l’historienne Joan Evans, La civilisation en France au Moyen Âge (1930)
« Guibert de Nogent, né en 1053, nous a laissé un petit tableau très triste de son éducation d’enfant élevé par un gouverneur particulier.
« Quand on me mit à l’étude, j’avais déjà, en vérité, commencé les rudiments, mais je pouvais à peine assembler les éléments les plus simples, lorsque ma mère aimante, préoccupée de me voir étudier, songea à me mettre à la grammaire… L’homme, à qui ma mère projetait de me confier, avait commencé à apprendre la grammaire à un âge avancé, et il était d’autant moins versé dans cet art qu’il en avait eu très peu dans sa jeunesse. Cependant il était si modeste que son honnêteté remplaçait son absence de savoir… Donc, lorsque je fus confié à ses soins, il m’enseigna avec une telle pureté et me garda avec un tel zèle… Qu’il m’empêcha complètement de prendre part aux jeux communs, ne me permettant jamais de sortir sans être accompagné, ni de manger hors de la maison, ni d’accepter aucun présent sans sa permission… Tandis que les autres enfants de mon âge allaient partout à leur guise… Pour ma part, j’étais enchaîné par des contraintes incessantes, et je restais assis dans mon petit manteau de clerc, regardant comme un animal apprivoisé les bandes d’enfants qui jouaient. Mais tandis qu’il m’importunait tant, et que ceux qui nous connaissaient pensaient que mon esprit d’enfant s’affilait à l’extrême, grâce à ces douleurs continuelles, tous les espoirs n’en furent pas moins déçus. Car il ignorait lui-même complètement l’art de la composition, en poésie comme en prose ; si bien que j’étais en butte à une grêle pénible et presque quotidienne de reproches et de coups, lorsqu’il voulait me forcer à apprendre ce qu’il ne savait pas lui-même… La nature fatiguée devrait parfois trouver un remède dans la diversité du travail. N’oublions pas que Dieu forma le monde non pas uniforme, mais avec les changements du jour et de la nuit, du printemps et de l’été, de l’automne et de l’hiver, nous ranimant ainsi par le changement des saisons ».
AlmaSoror avait déjà cité cet homme, ici.
A propos de l’éducation des enfants à cette époque, Joan Evans ajoute : « Saint Anselme est le seul que l’on entende rappeler au maître que les enfants sont des êtres humains comme lui, et qu’ils ont besoin de « miséricorde, de douceur, de pitié, de paroles joyeuses, de patience charitable, et de beaucoup de réconfort de ce genre ».
Ainsi, l’homme qui a dit « fides quaerens intellectum » était aussi un frère des enfants…
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mercredi, 14 octobre 2009
Guibert de Nogent et la dépravation des femmes
Nous sommes vers l'an 1100 (excusez mon inexactitude : à l'époque, je mangeais à la table des anges).
Guibert de Nogent, désabusé, profondément inquiet, écrit sur les nouvelles manières des femmes. C'était environ 800 ans avant Hollywood.
"Hélas, la modestie et l'honneur virginaux ont été misérablement délaissés, et l'autorité maternelle affaiblie à la fois en apparence et en fait, si bien que toute leur conduite ne révèle qu'une gaieté indécente, qui ne fait entendre que des moqueries, accompagnées de clins d'yeux et des langues qui caquettent, une démarche sans retenue, et des façons tout à fait ridicules. La qualité de leurs vêtements les éloigne tant de la réserve d'autrefois que dans l'élargissement de leurs manches, le resserrement de leurs corsages, leurs souliers en maroquin de Cordoue à pointe retroussée - bref, toute leur personne ignore la honte. Chacune croit avoir atteint le plus bas échelon de l'infortune si elle est privée d'hommages amoureux et mesure la splendeur de sa noblesse ou de son élégance au nombre croissant de tels prétendants... C'est de cette façon que nos temps modernes se corrompent."
Cité ( et traduit de l'ancien français) par Joan Evans, in La civilisation en France au Moyen Âge, Payot, Paris, 1930. 80 gravures.
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