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samedi, 21 juin 2014

Que ton règne vienne. Journal d'une guerre dont on ne sait rien

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J'ai rencontré une vieille amie de mon ancien quartier. Est-elle cousine, voisine, copine ? Je l'ignore. Je sais qu'elle marche toujours de ce côté du boulevard, où l'on a détruit un vieil hôtel du Grand Siècle pour édifier en béton un nouvel immeuble. Elle marchait en compagnie de son petit-fils, un adolescent au doux regard ombragé par une douleur, peut-être. Nous parlions de choses du quartier, du pays et du monde, nous parlions d'histoires racontées dans des livres, et à propos d'ancêtres marins du XIXème siècle, elle dit :

- Ces gens d'alors menaient des vies aventureuses, qui n'avaient rien à voir avec nos petites vies quotidiennes.

Le pronom personnel « nous » m'emplit de terreur : pourquoi m'intégrait-elle dans la médiocrité ? et je me tournais vers son petit-fils et me demandait pourquoi elle insérait ce logiciel morne dans l'esprit du jeune garçon.

M'éloignant d'elle, marchant dans d'autres rues du quartier, je refusais sa résignation.

Je mène une vie de combat. On lira peut-être un jour, le journal intime que j'écris comme un journal de guerre.

Je vis dans un monde violent. Même si, quelque fois, assise sur un banc dans la fin d'après-midi, j'attends tranquillement la pluie, j'attends la fin du monde ou tout simplement j'attends que quelqu'un passe.

Rien ne manque de sens y compris au beau milieu des jours absurdes. Chaque geste peut se charger d'une puissance renversante, ici comme au pays où les tanks avancent des campagnes vers les villes.

Mais cette dame rencontrée l'autre jour ignore peut-être deux ou trois choses en cours dans notre monde, le sien, le mien, le nôtre, ce monde constitué de ce qui est, dans lequel nos corps respirent.

Elle me rappelle une autre dame, perchée sur une camionnette et qui parlait dans un micro boulevard Raspail, pendant une manifestation de soutien envers les Palestiniens de Gaza. Elle haranguait rageusement la foule :

- Depuis que j'ai vu ce qui se passe là-bas, je ne supporte plus de voir les gens ici faire les courses tranquillement au supermarché, je ne supporte plus de voir les gens aller et venir tranquillement dans le métro, je ne supporte plus de voir les gens d'ici vivent sans penser à là-bas !

Je me demandais ce qu'elle faisait à crier comme une folle sa rage, comme si cette rage la dédouanait d'être ici, de faire ses courses, d'aller dans le métro parmi nous. Pourquoi ne vivait-elle pas au milieu des ruines derrière le mur, avec ceux qu'elle plaignait ? Elle aussi, semblait opposer la vie réelle et intense des uns à la vie inique et déréalisée des autres, mais alors que la voisine de mon ancien quartier étalait mollement son admiration pour les aventuriers d'un autre temps, cette militante déclamait haineusement sa compassion pour les victimes d'un autre lieu.

Elles n'avaient peut-être pas encore considéré les choses suivantes :

Il existe deux façons politiques d’éliminer une vie.

Le sniper cagoulé, posté sur un toit qui domine la ville, ajuste sa mitrailleuse et vise sa cible. La violence qui suit s'entend dans la pétarade, dans la cavalcade, dans les cris stridents qui glacent la rue. Dans quelques heures, il ne restera plus qu'une tache sur le sol, qu'un photographe de guerre, professionnel ou improvisé, pourra immortaliser en passant.

Le fonctionnaire assis dans son bureau qui se trouve au bout du couloir, avant les toilettes, clique sur une case de son écran d'ordinateur. La banalité qui suit ne trouve pas d'écho. Dans quelques jours, la victime apprendra sa mort sociale par une lettre-type.

Elle sortira peut-être alors marcher et c'est vrai qu'elle pourra encore marcher, et penser, et même peut-être boire et manger, et dire comme le poète : « Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu ».

 

Violence rouge, violence blanche

Rien n'altère la violence des armes et le drame du sang. Nos mornes jours ne les justifient aucunement. L'être qu'on démembre ou qu'on viole avait le droit total et entier de rester libre et vivant.

Quelquefois cependant, sans couteau de boucher, l'administration s'attaque à notre chair, qu'elle nie et délite. Nos corps sont découpés à notre insu. Voilà pourquoi nous errons en ce monde sans même sentir la force de notre propre existence : elle a été coupée à l'intérieur de nos ventres, par des mots, par la configuration orchestrée des lieux, par des arrêtés préfectoraux. Il est vrai que celui qui ne fait pas couler le sang n'est pas un assassin. Mais quel mot alors pour qualifier celui qui exécute une besogne qui ne dit pas son nom ?

 

Le révolutionnaire visuel et le révolutionnaire réel ne sont pas forcément la même personne.

Le révolutionnaire visuel porte une foulard aux teintes radicales et les inflexions de sa voix évoquent les grandes heures de l'histoire. Cela, bien souvent, ne l'empêche pas de mener une vie tout à fait conventionnelle, au cours de laquelle son compte bancaire se remplit, sa maison s'agrandit, son statut social s'élève.

La bonne femme ou le gars sans histoire, dont le passant ne pense rien, et qu'aucune idéologie ne glorifie, recèle parfois la radicalité persévérante des plus grands révolutionnaires. Derrière son air de rien du tout, se cache peut-être l'esprit qui fomente les idées qui vous feront trembler demain, ou la petite main décisive qui incidemment participe au Grand Soir.

 

Quand le témoin n'est pas cru, seule l'archive parle

Deux livres posés sur une caisse au fond du couloir attendent que j'ose les ouvrir. La personne qui me les offre m'a annoncé que leur point commun, c'est intéressant, est de n'user que des archives objectives, tangibles, et de ne pas s'intéresser aux témoignages des survivants. Les Expulsés, de RM Douglas, et Les Archives de l'extermination, d'Alain Gérard, nous entraînent sur la route des traces laissées par les acteurs de l'histoire, refusant tout témoignage de victime pour ne pas se laisser emporté par la légende, parce que cette dénégation des êtres qui racontent ce qu'ils ont vécu était le seul moyen de servir leur cause historique.

 

L'aventure de pacotille, la survie en bas d'un immeuble

Le voyage à travers le monde évoque l'idée d'aventure, mais les aéroports du monde entier se ressemblent ; il est peu de pays dans lesquels le confort des hôtels n'accueille pas le voyageur désireux de prendre une douche. Vraiment, il est plus aisé de faire trois fois le tour du monde que de vivre à la cloche, dans une ville comme Paris ou dans n'importe quelle autre ville. L'aventure menée par les clochards, qu'elle soit subie ou choisie, peut seule se comparer à celle que menaient les découvreurs qui partaient dans des terres inhospitalières, les défricheurs de nouveaux-mondes, les croisés, les fuyards du bagne, les nègres marrons.

Car le voyage est à la mode, et les consulats disséminés autour de la terre. Mais le vagabondage est pourfendu par tous les moyens car le vagabond dans sa survie quotidienne désaxe les pivots de la société administrée.

Ces aventuriers là dorment dans les ruelles de ce quartier où vous dites qu'à notre époque, la petite vie quotidienne n'a rien à voir avec les aventures des époques antérieures.

 

« Il faut vivre, vivre, rien que vivre », déclame un autre poète. N'avons-nous pas le devoir urgent de vivre notre aventure intense au sein même du pays où nous sommes, à l'instant où nous sommes vivants ? Et si les éléments qui constituent notre vie nous déplaisent, le courage n'est-il pas, non pas de vénérer l'autrui ou l'ailleurs, mais de nous rendre à la place où notre aventure se déploiera ?

Rien ne justifie qu'on se satisfasse d'une petite vie quotidienne qui rêvasse aux grandes aventures des temps passés et des pays lointains. Ta peau vivante bouge ici et maintenant, tes muscles se tendent et se détendent, la vie palpite et la médiocrité n'a pas de place là où naissent des enfants, là où meurent des enfants et des vieillards, là où souffrent des chiens.

vendredi, 16 août 2013

Dictionnaire de la délivrance psychique (inachevé)

 Ce dictionnaire est élaboré sous la direction paresseuse de Conan Kernoël, depuis le premier novembre 2009. Conan n'a rédigé ni préface ni postface, mais une médioface que l'on trouve à la lettre N (la Nouvelle Religion).

Qu'entendez-vous par "délivrance psychique" ? Nous demanda une lectrice d'AlmaSoror.

La langue est un carcan parce que le sens des mots que nous employons et les liens que nous faisons instinctivement entre les mots sont guidés, dictés, prévus par les maîtres penseurs. Pour que la langue nous soit libératrice, il faut faire la généalogie de la tapisserie de la bien-pensance de notre temps ; après seulement, les mots déchargés de leur chaîne révèlent un arôme plus sauvage, plus poétique, et dans notre cerveau souffle un vent de fraîcheur.

 

administration.jpg

Administration :

L’administration est l’entreprise de l’Etat, dont l’objet est la réification de la langue, de la pensée, de la culture et des êtres humains.

De la naissance à la mort, du nom au genre, de la vie de famille à la vie professionnelle, de la santé à l’éducation des enfants, de la science aux arts, de la vie de la pensée à la vie corporelle, de l’organisation de la maison et du paysage à la religion, des langues parlées sur le sol qu’elle tient sous son emprise aux idées prononcées sur des supports par les gens qu’elle a sous sa domination, aucune parcelle de vie humaine n’échappe à sa discipline.

Ce pouvoir s’exerce de droit et de force. De droit, en vertu d’un contrat léonin qui la lie au nouveau né, contrat qui ne pourra être modifiée que par sa volonté à elle. De force, par l’emploi de la force physique et par l’impossibilité matérielle et psychique de subsister hors de sa surpuissance.

Citations

« Je sais maintenant que ma patrie est classée dans des dossiers, je l’ai vue sous les espèces de fonctionnaires habiles à effacer en moi les dernières traces de patriotisme. Où donc est ma patrie ? Ma patrie est là où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d’où je viens et ce que je fais. »
(Le Vaisseau des morts)
B Traven

"Un homme dans un fichier est pour ainsi dire déjà un homme mort".
E Von Salomon

 

Roll1.édith&agnès-22.jpgAutoproclamé :  lorsqu'une personne n'a pas de diplôme, d'agrément étatique ou d'appartenance médiatique et qu'elle s'exprime sur un sujet qui ne concerne pas sa vie quotidienne, on dit qu'elle est autoproclamée. Ainsi, un homme tenant un blog d'informations sera "journaliste autoproclamé" ; une personne partageant un travail personnel sociologique sera appelé "sociologue autoproclamé".



CNC.jpgCNC : sigle du Centre National du Cinéma.
Organe étatique en charge du contrôle administratif, économique, politique et intellectuel de tout ce qui concerne le cinéma en France : production, diffusion, professions du cinéma. Le CNC habilite ou déshabilite les gens de métier et les entreprises, autorise la création d’œuvres, leur diffusion, et encourage un certain type de productions en donnant de l'argent à des projets chaque année.

Art étatique s'il en est, le cinéma français et ses professions sont encadrés à tous les stades de la chaîne d'un film par le CNC, en vue d'une idéologie qu'il sera intéressant d'étudier dans quelques décennies, au moyen notamment des statistiques et de l'étude des thèmes des œuvres subventionnées et de celles qui ne le sont pas.

 

couple.jpgCouple :

institution mouvante constituant l'unité de base de l'ordre sexuel, moral et économique.

Entité de deux personnes menant une vie commune. Se mettre en couple : s'agréger à quelqu'un pour former une entité acceptable socialement et invitable aux dîners des toutes petites, petites, moyennes et grandes bourgeoisies.  

Selon l'idéologie du milieu ambiant au couple, celui-ci peut être formé comme suit :

- de deux personnes de sexes différents et être indissoluble ;

- ou bien de deux personnes de sexes différents et être modifié à tout moment lors de la lassitude d'un partenaire, qui se détache alors de ce couple pour en former aussitôt un autre ;

- ou bien être formé de deux personnes de même sexe.

Afin de n'être pas considéré comme un pervers potentiel, un homme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle avouable - c'est à dire être un homme à femmes ou bien un homosexuel à partenaires variables, selon l'idéologie du milieu ambiant.

Afin de n'être pas considérée comme quelqu'un de profondément déficiente, non épanouie, ayant raté sa vie, une femme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle de "femme libérée", multipliant les partenaires amoureux (et pas seulement sexuels, ce qui la plongerait dans la case des "putes").

Cas des enfants : Le couple parental s'étant dissout, la vie des enfants est tributaire des nouvelles mises en couples parentales. Il est considéré que leur bien être ne saurait gêner les vies amoureuses des parents. Il est de bon ton de ne pas évoquer les mésententes, sentiments de rejet, d'abandon et d'intrusion éventuellement ressentis par les enfants vis à vis de leurs "beaux-parents". Par ailleurs, penser que la vie amoureuse des parents serait compliquée pour un enfant constitue en soit une forme de "fascisme" néfaste pour la société. Un parent ne se remettant pas en couple dans les cinq ans est considéré comme faisant peser son mal-être sur les enfants, nuisant ainsi à leur développement harmonieux.

 

dérapage.jpgDérapage :

phrase n’ayant pas plu à un groupe se croyant minoritaire, discriminé et victime. Lorsqu’une personne est accusée par d’autres de dérapage, elle doit présenter des excuses. 

 

 

 

 

devoir de mémoire.jpg

Devoir de mémoire :

 

processus d'effacement de la mémoire du devoir.

 

 

 

 

 

 

fonctionnaire.jpg

Fonctionnaire :

 

nom commun hermaphrodite. Rouage de l’État. Fonctionne entre l'obtention du concours et la mise à la retraite.

 

 

 

 

Roll1_édith+Mathilde-32.jpgNauséabond :


Une personne est nauséabonde lorsqu'elle a des idées non validées par la Pensée Bienfaisante pour l'Humanité. Les gens nauséabonds sont dangereux : leurs idées se répandent comme une maladie et infectent les esprits de toute la population, qui devient "facho". L’État doit en permanence lutter contre les nauséabonderies intellectuelles par la diffusion d'idées saines, via l'école, mais aussi via les panneaux d'affichage publics, les programmes télévisuels, et tous les supports de communication possibles.

 

 

 

nouvelle religion.jpgLa nouvelle religion : (médioface de Conan Kernoël)

 

Le politiquement-correct et la sacralisation de l'humanisme, devenu non plus seulement une volonté positiviste, mais une croyance, mènent à l'idolâtrie.

 

De cela surgit le rétablissement du blasphème, l'interdiction de la pensée iconoclaste.

Puisqu'il y a blasphème lorsqu'on remet en question une certaine idée de l'homme, de l'humanité,  le nouvel humaniste ne peut pas être considéré comme un athée, bien qu'il ne croit pas en Dieu. Car l'athéisme ne reconnait pas de blasphème.

Nous voyons donc l'éclosion d'un humanisme religieux.

Toute religion suppose un culte. Le culte de cet humanisme religieux est d'abord un culte linguistique. Toute parole exprimant le recul vis à vis de cet humanisme est assimilé à son objet. C'est à dire que la parole d'une personne est assimilée à une croyance : dire une idée, c'est y être assimilée.

Ceci implique le retour des imprécations magiques : on ne peut prononcer des idées en désaccord avec l'humanisme religieux sans précautions oratoires. Ces précautions oratoires visent à éloigner de soi l'essence de l'idée qu'on va relater. Avec force répétitions, on exprime des imprécations et condamnations des idées qu'on mentionne, pour s'assurer la bienveillance du clergé. Le clergé, c'est toute la société.

La peur de la déviance crée un retour de l'exorcisme. L'exorcisme a lieu comme un lavage  de cerveau, par une rhétorique accompagnée de supports visuels insérés partout, dans les lieux et les documents publics et semi-publics.

Nous sommes revenus à l'interdit verbal. Toutes les idées ne sont pas prononçables, ou alors elles doivent être accompagnées d'imprécations.

Le politiquement-correct et la sacralisation de l'humanisme, devenus non plus seulement une volonté positiviste, mais une croyance, mènent à l'idolâtrie.
C'est pourquoi notre société renoue depuis quelques années avec le blasphème, le culte, les imprécations, l'exorcisme et l’innommable.

La difficulté de cerner cette nouvelle religion vient du fait qu'elle ne se reconnaît pas comme une religion, ni comme une théologie, mais comme la vérité morale indépassable.


sociologue.jpgSociologue :

nom commun hermaphrodite ; fonctionnaire de la pensée spécialisé dans l’étude de la misère humaine

jeudi, 19 novembre 2009

Dictionnaire de la délivrance psychique 2

 

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photo de Sara pour VillaBar

 

 

Fonctionnaire : nom commun hermaphrodite. Rouage de l'Etat. Fonctionne entre l'obtention du concours et la mise à la retraite.

 

Sous la direction de Conan Kernoël