lundi, 03 juin 2013
Lammermoor
Hélène,
Tu cherches Lucie à Lammermoor et ne la trouves pas. Lucie est morte il y a si longtemps. Il ne doit rien rester de ses restes précieux, au fond de la tombe que tant de neiges ont recouvertes, durant tant d'hivers.
Que voudrais-tu lui dire ? N'y a-t-il pas d'autres femmes, d'autres soeurs à aimer dans les froids soirs de novembre, quand le vent claque contre les volets des campagnes de l'Ecosse ? Tu marches en quête d'un fantôme qui n'a plus rien à te dire. Ses oreilles n'existent plus pour écouter tes plaintes et tes rêves. Seule l'écorce des arbres pluriséculaires t'entendent. Ils sont les témoins d'une époque dans laquelle tu ne te promèneras jamais.
Les grilles des châteaux délaissés sont mangées par la rouille, tu y accroches tes mains fébriles. Le feuillage des charmilles est mort depuis longtemps. Partout où tu portes tes pas, le mystère et l'absence t'attendent.
Lucie t'aurait comprise ; Lucie t'aurait aimée ; Lucie t'aurait emportée au pays des coeurs qui ne peuvent se désunir.
Lucie t'aurait peut-être sauvée. Mais la camionnette aux gyrophares roule à travers les routes serpentines du pays des revenants, et si tu ne te jettes pas dans le fleuve qui passe en bas de la vallée, les hommes en blanc t'arracheront à ton dernier voyage.
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jeudi, 24 décembre 2009
La chanson des morts
La chanson des morts, d'Ouraphle (pseudonyme de Jules Laforgue)
Une nuit que le vent pleurait dans les bruyères,
À l'heure où le loup maigre hurle au fond des forêts,
Où la chouette s'en va miaulant dans les gouttières,
Où le crapaud visqueux râle au fond des marais,
Disputant ma pelisse à la bise glaciale,
Par les sentiers perdus je m'en allais rêvant,
Fouetté par l'âpre neige et l'ardente rafale
Le saule échevelé se tordait en pleurant,
L'ombre sur le chemin finissait de s'étendre.
Un chien poussait au loin de plaintifs hurlements,
Derrière moi sans cesse il me semblait entendre
Un pas qui me suivait et des ricanements!...
Tandis que je suivais ces routes isolées,
La chevelure au vent et frissonnant d’effroi,
S'éparpillant au loin en lugubres volées
Minuit sonna bientôt au clocher du beffroi.
Je m'assis sur un tertre où jaunissait le lierre,
Devant moi s'étendait l'immense cimetière...
............................................................................
... Quand je vis tout à coup, légion vagabonde,
Se prendre par la main des squelettes glacés
On commence, et tandis que tournoyait leur ronde
Ils glapissent en chœur l'hymne des trépassés :
I
Tandis qu'à ton front passe
Un nuage orageux,
Lune, voile ta face
Et détourne tes yeux.
Nous allons en cadence
Et que chacun s'élance
Donnons à cette danse
Nos bonds les plus joyeux,
Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.
II
Pauvre sagesse humaine
Dont le monde est si fier,
Tu te disais certaine
D'un ciel et d'un enfer.
Enfer et ciel, chimére!
On vit au cimetière
Sans Dieu ni Lucifer!
Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale,
III
Oui, c'est au cimetière
Qu'on vit après la mort;
Sur l’oreiller de pierre
Le trépassé s'endort.
Mais quand l’ombre s'étale
Il soulève sa dalle
Et de sa tombe il sort.
Ils hurlent en sifflant et l’ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.
IV
Nous narguons de la lune
Les regards pudibonds,
Nous dansons à La brune
Ainsi que Les démons,
Puis La danse passée,
Sur La pierre glacée,
Prés de notre fiancée,
Mieux que vous nous aimons.
Ils hurlent en sifflant et l’ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.
V
Puisqu'ils oublient si vite
Leurs plus proches parents,
Que leur regret habite
En eux si peu de temps,
Crachons-Ieur ce blasphème :
À Leur ciel anathème!
Anathème à Dieu même!
Anathème aux vivants!
Ils hurlent en sifflant et l’ardente rafale
Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.
Et moi pétrifié de ces clameurs funèbres,
De mon gosier en feu sort un cri de terreur;
Et je Les vis soudain dans l’ombre et Les ténèbres
Qui fuyaient en tumulte harcelés par la peur,
Puis tout se tut bientôt. De nouveau le silence
Commençait à régner quand j'ouïs tout à coup
L'un d'entre eux fureter comme un spectre en démence
Et hurler en pleurant : « On m'a volé mon trou ! »
Ouraphle (Jules Laforgue)
février 1878
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