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lundi, 13 avril 2020

Calculs bilieux

Nous calculerons sans doute un jour que le nombre de morts dû au confinement lui-même (enfermement des gens, chute de l'économie, désespoir des isolés) fut beaucoup plus grand que celui provoqué par le coronavirus. Sans doute les gouverneurs de la cité ne le font-ils pas exprès. La lourdeur contradictoire de l'administration, l'incapacité personnelle des gens en place, les fils à la patte qui les guident et que nous n'apercevons pas expliquent mieux qu'aucun complot l'indigence de notre situation. Les soupçons de conspiration ne sont que la manière populaire de croire encore à l'intelligence du sommet de l’État.

Donc, la France et l'Union européenne organisent un désespoir de grande ampleur, celui des vieilles personnes enfermées dans les Ephad qui se sont vues abandonnées du jour au lendemain et vont mourir d'abandon et de désespoir, dans l'incrédule incompréhension de ce qu'on leur fait subir. Comme des chiens abandonnés qui gémissent leur douleur nue derrières les chenils. Face à la conjuration de la politique économique et sanitaire et de son bras armé, la police, nous assistons médusés à notre propre enfermement et à la torture morale de nos proches sans pouvoir rien faire, car le peuple n'existe pas. Il y a des individus isolés qui souffrent et une classe qui dirige mais le peuple est le mythe qui s'effondre dès qu'il faudrait réagir. Et chaque fois qu'on croit voir le peuple (liesse des matchs de football, défilés militaires acclamés, toutes sortes de scènes collectives), c'est que les gouverneurs souhaitent le voir ainsi constitué en peuple, mais le peuple par lui-même et pour lui-même n'existe pas et n'existera jamais. Les révolutions et renversements ne sont que le moment où la majorité des gouverneurs est passée de l'autre côté. C'est loin d'être le cas en ce moment.

 

Ailleurs :

Un beau texte de Mathieu Yon

 

Pour écrire des lettres à ceux qui demeurent enfermés dans des ephads, sans visites, et à qui des gens déguisés en cosmonautes apportent leurs repas :

Une lettre, un sourire

 

Et puis Ultra Violence

Son ultra-violence est douce comme une pluie de chlore dans des millions de poumons humains.

 

mardi, 30 juin 2009

L'homme des mégalopoles...

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«On habite avec un cœur plein un monde vide, et sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout».
Chateaubriand

 

Mon rêve de liberté commence avec l’espace. J’ouvre les yeux à l’aube et veux me mouvoir : un mur me fait face, mais il comporte une fenêtre. J’ouvre la fenêtre, écarte les volets. Point de ciel : un mur, celui de l’immeuble d’en face. Je descends les escaliers. Je prends une clef, pour remonter. Je prends une carte bleue, pour acheter.
Je marche, et les rangées d’immeubles élèvent un couloir en haut duquel un fin rectangle de ciel brille.
Mon rêve de liberté se fracasse sur l’angoisse de nos jours bétonnés.

 

L’homme des mégalopoles : il marche.
Des panneaux le guident dans les endroits permis, le détournent des sens interdits.
Il marche, pieds emprisonnés dans des chaussures, sur l’asphalte gris où rien de vert ne pousse. Entourés de grillages, un arbre, tous les deux mètres, décore la rue. Avenues, boulevards, rues, impasses, qui a imaginé pareils couloirs ? Sur de grandes rangées filent les voitures. Les humains, sur les trottoirs qui bordent ces rangées, filent moins vite. Savent-ils tous où ils vont ? Cela dépend de leur esprit. Certains ont l’esprit éteint, mais leurs jambes savent, elles, et leurs chaussures et leurs pantalons se déplacent mécaniquement. D’autres ont l’esprit miné par les questions : la porte sera-t-elle ouverte ? Ai-je bien les informations qu’on me demandera ? Vais-je retrouver Derek ?  L’homme à l’esprit rêveur erre. Il n’a ni rendez-vous, ni convocation, ni but, ni ami. Il tourne, suit une avenue, traverse la vaste rangée de voitures qui, au signal d’une lumière rouge, se sont arrêtées. Il avance, recule, tourne, hésite, s’engouffre.
Dans le labyrinthe de la ville, l’homme des mégalopoles se réfugie dans son labyrinthe intérieur.
 

Mon rêve de liberté se poursuit dans la rue quand l’aube fait place au jour et que les boutiques s’ouvrent.
Je déambule dans un grand magasin. Des photographies prises dans le monde entier dominent mon être. Pyramides, Macchu Picchu, et les étalages de merveilles ressemblent aux jardins de Babylone.
A la porte du magasin, un panneau d’affichage porte deux affiches. Un vaisseau spatial, une femme nue qui appelle le passant dérangé. Au pied du panneau dort un clochard. Ni les affiches, ni le clochard n’appellent mon cœur.
Mon rêve de liberté se fracasse sur la béance du regard blasé.

 

L’homme des mégalopoles marche sans cesse. Quand la fatigue le saoule, après des milliers de pas, monte en lui une vision agraire de la ville.
Alors les champs de bars s’étendent à perte de vue… Et, le long des sillons de la ville, défilent des tracteurs de pollution. Le temps des semences est éternel.
Le tournoiement obsessionnel, fulgurant, magnifique, scintillant des phares et des réverbères de la mégalopole entrecoupe les rêves d’angoisse, noie la pensée réaliste, mais fait aussi jaillir la réflexion.
Quand on marche longtemps, la fatigue harasse le cerveau de nouvelles idées : juger de la valeur des êtres en fonction de leur espèce est aussi idiot que de les juger, au sein d’une espèce, en fonction de leur race : ne sommes nous pas tous chair perdue dans le béton froid des constructions ou dans la sauvagerie brûlante de la nature ?
Cet humain lambda, qui déambule dans une mégalopole moderne, longe les boucheries où pendent des cadavres, traverse des rayons où des bouts d’êtres sont à vendre dans des emballages de plastic. Il accélère son pas pour oublier les pensées « ridicules » de fraternité pour les animaux : sa solitude, le balancement entre, d’un côté, la normalité et son confort, et de l’autre, son cœur. Et le voilà qui trébuche contre un frère humain, errant allongé dans sa misère sur le macadam. L’alternance entre les émanations grouillantes de la ville et sa pensée lancinante, devient presque obsession.
 

Pour celui qui veut s’exprimer, pour celui qui veut agir, quelle est la voie la plus fluide ?
L’angoisse de la technique, c’est la difficulté des outils qui fait barrage à mon envie de réalisation.
L’angoisse de l’administratif, c’est la peur de ces droits qu’on me donne et qui se traduisent par des processus administratifs, des passes, des puces, des chiffres et des mots secs.
Je refuse mon nom, je refuse mon sexe, je refuse ma nation, parce que ce ne sont pas les miens : on me les a scellés sur mon passeport.
Mon rêve de liberté se fracasse sur l’identité dans laquelle on m’a enfermée.

 

Il marche. Il observe. Il entoure. Tout le suffoque. Il marche. Dans le labyrinthe de la mégalopole, l’homme marche.
Il s’enfonce à chaque pas plus profondément dans le labyrinthe, et cherche à entendre les choses qui parlent. Mais la nature n’est plus, et les objets sont raides et vides, muets. Odeurs, sirènes, klaxons, scintillements, font bourdonner sa tête mais n’effacent pas le questionnement qui monte comme une chanson obsédante.
Loin du ciel et loin de la terre, au milieu des voitures, des lumières, du béton et des ondes, l’homme des mégalopoles ferme les yeux. Il rêve.
L’homme des mégalopoles n’a pas couru depuis longtemps sur une étendue vide.
L’homme des mégalopoles n’a pas contemplé depuis longtemps un horizon total.
Dans le labyrinthe de la ville, l’homme des mégalopoles se réfugie, se noie, se perd dans son labyrinthe intérieur.
L’homme des mégalopoles est un aventurier ?
Qu’est l’aventure ?
C’est un chemin intérieur de découverte. Découverte de la beauté et de la douleur du monde.
Que l’on voyage à travers le monde ou que l’on reste chez soi, enfermé, ne change rien.
Comme le rêve de la rencontre idéale, le rêve de liberté mène à la réalité du rêve fracassé.
 

L’espace est mental ; l’espace est psychique ; l’espace est visuel ; l’espace est physique ; l’espace est intérieur et extérieur : l’espace est vital.
Après la nuit qui m’a lavée de la connaissance du jour, j’ouvre les yeux à l’aube et je veux me mouvoir. Mon rêve de liberté commence avec l’espace.

 

Edith de Cornulier-Lucinière

Décembre 2006