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vendredi, 01 novembre 2013

Etoffes de pierre

Egypte de France.jpg

Je l'avais retrouvée dans la rue d'Aboukir, elle m'avait emmenée manger un sandwich au chèvre, au miel et au pesto, accompagné d'un coca cola et suivi d'un fromage blanc aux marrons. Et puis nous avions erré quelques temps dans un passage des Grands Boulevards, je ne sais plus lequel. J'étais repartie en portant dans mon sac quelques livres achetés dans une librairie d'ouvrages anciens. Il faisait frais ; pas encore froid. On était au début du mois d'octobre. Paris ne me fascinait plus depuis longtemps : trop gris, trop sale, trop brutal. Pourtant, quelque chose de l'atmosphère de ce jour m'est resté - quelque chose de nostalgique.

J'ai attendu un peu avant d'ouvrir l'Art religieux du XII au XVIII°siècle, d’Émile Mâle.

 

En voici un extrait :

"A chaque instant les monuments romans nous émeuvent par d'étranges symboles chargés de siècles. Un tailloir du cloître de Moissac est décoré d'une suite d'aigles à deux têtes ; le même aigle à deux têtes reparaît, sur un montant, au portail de l'église de Civray (Vienne) et sur un chapiteau de l'église Saint-Maurice de Vienne. Nous voici emportés par l'imagination jusqu'au berceau du monde, jusqu'à l'antique Chaldée. C'est qu'en effet un très ancien cylindre chaldéen nous montre, pour la première fois, l'aigle à deux têtes, et on y a vu le blason d'une des villes les plus antiques de la Chaldée, Sirpoula. C'est un grand aigle, une sorte d'oiseau rok des Mille et une nuits, qui pose chacune de ses serres sur le dos d'un lion. Dans l'art du vieil Orient, l'aigle est l'oiseau noble qui accompagne le roi, qui dompte le lion, qui aide l'Hercule chaldéen dans sa lutte contre les monstres. Cette image avait pour les peuples de l'Asie une signification religieuse et une vertu, car nous la retrouvons, bien des siècles après, chez les Hittites. Ce grand peuple des Hittites, que connaît la Bible, à qui Salomon demanda plusieurs de ses femmes, occupa longtemps la Syrie et les plateaux de l'Asie Mineure. Il reçut son art de la vallée du Tigre et de l'Euphrate, et les rudes monuments qu'il a laissés en Cappadoce reportent sans cesse la pensée vers la Chaldée. C'est en Cappadoce, sur les rochers de Ptérium, que l'on voit sculpté l'aigle à deux têtes avec une proie sous chacune de ses serres. L'aigle à deux têtes ne disparut pas de ces régions, car on le voit encore aujourd'hui sur les tours musulmanes de Diarbékir, l'antique Amida. Les Turcs Seldjoucides le sculptèrent sur la porte de Konia, leur capitale, et semblent l'avoir mis de bonne heure sur leurs étendards. - Comment se vieux symbole de l'Orient est-il venu jusqu'à nous ?

Par les tissus, comme d'ordinaire. Une étoffe de Sens (qui n'est plus qu'un lambeau) est ornée d'aigles à deux têtes dessinés en jaune sur un fond de pourpre violette ; c'est une étoffe byzantine du IX° ou du X° siècle, qui reproduit sans aucun doute un ancien modèle sassanide. Un suaire célèbre de Périgueux est décoré de la même manière. La Mésopotamie gardait fidèlement la même image, car, au XIII° siècle, on voit reparaître l'aigle à deux têtes sur une étoffe de Bagdad : là, l'aigle bicéphale est enfermé dans un écusson, et l'on croirait voir le blason des empereurs d'Allemagne. C'est de l'Orient, en effet, on n'en saurait douter, qu'est venu ce blason ; il fut emprunté aux tissus orientaux et peut-être aux étendards musulmans. Chose étonnante, les Turcs purent voir à Lépante, sur les vaisseaux de don Juan d'Autriche, l'aigle à deux têtes qui avait jadis orné leurs drapeau ; mais le vieil aigle de la Chaldée, qui les avait jadis fait vaincre, se tournait maintenant contre eux. On voit quelle part a prise l'antique Chaldée non seulement à la création de l'art décoratif, mais à la création de l'art héraldique du moyen âge...

Il ne saurait être question maintenant de chercher le sens symbolique des lions affrontés, des oiseaux aux cous entrelacés, des aigles à deux têtes, qui ont tant préoccupé nos devanciers. Saint Bernard avait cent fois raison ; il est devenu évident que les monstres des chapiteaux - à quelques exceptions près -, n'ont aucun sens. Ils n'étaient pas destinés à instruire, mais à plaire. Saint Bernard jugeait ces fantaisies puériles et risibles : qu'eut-il dit, s'il eût su, comme nous le savons aujourd'hui, que ces monstres étaient le legs des vieux paganismes de l'Asie, et qu'ils mettaient sous les yeux du chrétien des génies, des démons, des idoles ? Il eût sans doute tonné, comme le prophète, contre les faux dieux.

Pour nous qui savons mieux l'histoire, nous ne jugeons pas risibles, comme le grand docteur, les monstres de nos chapiteaux. Ils nous paraissent, au contraire, merveilleusement poétiques, chargés, comme ils le sont, des rêves de quatre ou cinq peuples qui se les transmirent les uns aux autres pendant des milliers d'années. Ils introduisent dans l'église romane la Chaldée et l'Assyrie, la Perse des Achéménides et la Perse des Sassanides, l'Orient grec et l'Orient arabe. Toute l'Asie apporte ses présents au christianisme, comme jadis les Mages à l'Enfant".

Extrait de l'Art religieux du XII° au XVIII° siècle, d’Émile Mâle

Sur la lecture des arts religieux, AlmaSoror avait publié ce beau commentaire d'Albert Pomme de Mirimonde, sur une vanité...

mercredi, 01 août 2012

La Résurrection des villes mortes : Ur ! Raffinement des sacrifices humains

Marcel Brion, Ur, Sumer, Basrah, Taylor, 1853, Nabonide, Chaldée, Campbell Thompson, Leonard Woolley,Shubad, sacrifices humains, rites funéraires, psychopompe, royaume des ombres

Voici un extrait tiré de La résurrection des villes mortes, de Marcel Brion.

Où les serviteurs des rois descendent vaillamment dans la tombe aux côté de la dépouille de leur maître, une fiole de poison à la main.

"Les ruines d'Ur se trouvent dans une plaine à douze milles environ au sud de l'Euphrate, qui, jadis, coulait juste sous les murailles de la ville. À cette époque, la plaine était d'une remarquable fertilité et, à l'endroit où nous apercevons aujourd'hui le désert, s'étendaient les cultures qui faisaient la richesse d'Ur. Dès 1853, Taylor, consul d'Angleterre à Basrah, commença des fouilles dans l'immense masse de débris qui révélaient la présence d'une cité importante, mais comme les ruines d'Ur n'avaient pas donné ce qu'on cherchait à cette époque, c'est-à-dire des oeuvres d'art, surtout des sculptures, on abandonna bientôt cette masse de briques dont on ne reconnaissait pas l'importance. Taylor y avait découvert pourtant des documents précieux, car ils permirent d'identifier le site avec l'antique Ur des Chaldéens, les cylindres dits de Nabonide.

En 1920, une expédition de reconnaissance, dirigée par le docteur Campbell Thompson, vint examiner le tell et, sur le rapport qu'elle fit, le docteur H.R. Hall entreprit les fouilles que continua activement, à partir de 1922, sir Leonard Woolley, pour le compte du British Museum et de l'Université de Pennsylvania.

On ne pouvait souhaiter un directeur de travaux plus compétent et plus consciencieux que sir Léonard Woolley ; à peine l'éminent archéologue eut-il reconnu, en effet, la richesse du site qu'il arrêta les travaux, craignant d'endommager des ruines précieuses en les faisant fouiller par des ouvriers indigènes mal préparés à ce travail. C'est grâce à cette précaution que l'excavation des tombes put être conduite plus tard avec le soin, la précision et la minutie auxquels nous sommes redevables des trésors artistiques et des inappréciables renseignements historiques fournis par les ruines d'Ur.

(...)

La tombe adjacente était celle de sa femme, la reine Shubad.

Il semble que celle-ci ait voulu emmener toute sa cour avec elle dans l'au-delà, car dix dames d'honneur l'accompagnaient, avec cinq soldats, et les conducteurs qui dirigeaient le traîneau conduit par deux ânes sauvages. Les objets enterrés avec Shubad sont d'une richesse et d'une beauté que l'on ne peut imaginer, même d'après les descriptions les plus enthousiastes ; il faut voir à Londres, à Philadelphie et à Bagdad, ce mobilier funéraire pour comprendre quel haut degré d'art, de culture et de civilisation avaient atteint les Sumériens au III°millénaire. La cruauté des sacrifices humains ne contredit pas, en effet, le goût exquis qui préside à la fabrication de ces harpes, de ces chars, de ces lampes, de ces vases dont la richesse matérielle n'est rien comparée à l'art prodigieux des orfèvres et des joailliers. La coiffure de Shubad, qui a été si souvent reproduite, est une merveille de fantaisie et de délicatesse.

Et d'autres tombes encore apparurent, celle d'un souverain non identifié, qui était entouré, lui, par des cadavres de six hommes et de soixante-huit femmes, dont l'une n'avait pas encore eu le temps de mettre son diadème d'argent que l'on trouva dans une poche de sa robe.

On se demande comment tous ces serviteurs et ces soldats sont morts, car les cadavres sont disposés dans un ordre parfait au fond du puits et qu'aucun ne porte trace de mort violente. Sit Leonard Woolley tire argument de ce que chacun de ces mort tient un petit gobelet de cuivre pour supposer que ce gobelet contenait un poison. On imagine alors le cortège funèbre descendant dans la tombe, derrière le corps du roi, se plaçant selon un protocole autour de la dépouille sacrée, puis buvant le poison qui permettra d'escorter le maître dans le royaume des ombres".

 

Marcel Brion, Ur, Sumer, Basrah, Taylor, 1853, Nabonide, Chaldée, Campbell Thompson, Leonard Woolley,Shubad, sacrifices humains, rites funéraires, psychopompe, royaume des ombres