Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 27 mars 2014

Liberté d'expression et bienséance sociétale

 liberté d'expression, bienséance sociétale, théocratie, fascisme, nazisme, pédophilie, homophobie, racisme, crimes contre l'humanité, lois mémorielles, racisme, libéralisme, prohibition, SOS bonheur, lois liberticides, oligarchie éclairée, chaïm perelman

L'opinion et la loi

En France, en 2014, toute opinion ne peut être exprimée en public.

Quand je parle d'opinions, il ne s'agit pas des insultes nominatives, mais tout simplement d'idées générales (peu importe qu'elles soient vraies ou fausses) sur le monde. Certaines opinions sont interdites par des lois, lois mémorielles, lois interdisant l'apologie de « crimes contre l'humanité », lois contre l'homophobie, le racisme.

Parmi les opinions dont l'expression publique est illégale, certaines sont condamnées comme des contraventions, d'autres, comme des délits (une contravention ne mène pas en prison, contrairement à un délit. Or, l'expression de certaines opinions peut mener en prison).

Nous ne vivons donc pas dans un pays tout à fait libéral à l'égard de la liberté d'expression, bien qu'il ne soit pas non plus entièrement prohibitif.

Contre la liberté d'expression : les durs

Que des gens défendent un régime politique contraignant pour les individus, je peux le comprendre. Un militant fasciste ou théocratique s'opposera de façon cohérente à la liberté d'opinion ainsi qu'à d'autres libertés individuelles. Je ne suis pas de l'avis de ces personnes, je ne partage pas le même désir de société. Toutefois, je suis capable de comprendre en quoi la société qu'ils défendent s'oppose par principe à la liberté d'expression, au nom d'autres principes qui leur paraissent plus élevés et que la liberté d'expression met en danger (tels le primat de la collectivité, le règne intégral de Dieu sur la terre). Ce sont mes ennemis objectifs, mais nous sommes capables d'envisager mutuellement nos positions. Nous sommes au clair avec nos projets de société, qui divergent et même s'opposent.

Mollesse et arguments des mous

Je comprends moins les personnes molles, qui ne veulent surtout pas s'opposer à une liberté, mais sont incapables de la défendre. Ces personnes se disent d'accord avec la liberté d'expression, mais soutiennent les lois qui l'entravent. Malgré de multiples conversations répétées et approfondies, je n'ai jamais pu me faire une idée claire de leur vision d'un régime politique. Elles avancent en général, dans le désordre, ces arguments contre la liberté d'expression :

« Moi, je n'ai rien à cacher ».

Les entraves à la liberté d'expression, selon elles, ne peuvent nuire qu'aux « méchants », c'est à dire aux violeurs, aux pédophiles, aux apprentis-dictateurs, aux personnes mal-intentionnées. Dès lors, la personne qui défend le droit au secret se voit mise implicitement, d'emblée, dans la position d'avoir quelque chose à cacher.

La conversation s'enlise, puisque la première tentative du libéral est de se défendre d'avoir quelque chose à cacher. Pourtant, il faudrait justement raconter en quoi, oui, nous avons tous des choses à cacher. La première raison pour laquelle nous avons des choses à cacher, c'est parce que nous avons une intimité, le sens du secret, une vie intérieure qui ne concerne ni les pouvoirs publics, ni la communauté dans laquelle nous vivons. C'est en vertu de cette intimité que, même dans un bureau de vote qui ne rassemblerait que des partis en accord avec le régime politique en place, l'urne doit rester secrète. Dans un deuxième temps de la conversation, l'on peut arguer que, pour un pouvoir tentaculaire, l'intimité elle-même est l'ennemi de l'ordre, comme le décrit bien la bande dessinée en trois volets, SOS Bonheur. L'intimité préservée est donc le premier et le dernier témoin de ma liberté.

Ainsi donc, toi, mou et paradoxal défenseur de la liberté et des lois liberticides, tu n'as rien à cacher !

Mais tu soutiens ces lois liberticides « contre les pédophiles », « contre les nazis », « contre les fascistes ».

Dans notre société, en effet, le pédophile, le nazi et le fasciste sont les tenants suprême du Mal. Ils en sont les représentants les plus radicaux, les plus haïssables, et tout doit être fait pour les éliminer.

Les opinions discordent toutefois. Certains disent : « moi, je suis bien sûr contre les pédophiles mais je considère que le révisionnisme, attitude intellectuelle sans conséquence directe sur la vie et l'intégrité des gens, devrait être autorisé ». D'autres, affirment : « je conchie le nazisme et souhaite qu'il soit interdit mais je ne vois pas pourquoi l'ordre moral interdirait aux enfants d'avoir une vie sexuelle (opinion fort répandue dans les années « libérées » 1970-80, et défendue par de nombreux intellectuels, artistes, hommes politiques devenus depuis ministres, officiers dans l'Ordre de la Légion d'Honneur, comme en témoigne la pétition Apprenons l'amour à nos enfants, publiée en novembre 1978 dans le journal Libération, ainsi que celle publiée dans le journal Le Monde du 26 janvier 1977).

Néanmoins, il demeure essentiel de discerner si l'attitude incriminée relève de la pure expression intellectuelle, de la spéculation, ou bien de l'acte. La profération des propos nazis ou pédophiles ne doit pas être confondue avec la pratique d'actions nazies ou pédophiles, car, comme le rappelle Chaïm Perelman « Notre conception humaniste du droit empêche de punir les hommes d’une façon préventive, avant qu’ils aient commis un méfait : la liberté qu’on leur accorde interdit de les assimiler à un animal nuisible, à un serpent venimeux ou à un chien atteint de rage. »

Punir à la source, c'est priver d'emblée l'individu de ses choix intérieurs ; c'est orienter par la contrainte la société dans une direction intellectuelle choisie par les législateurs.

« Les gens diraient n'importe quoi si on les laissait parler sans contrôle ».

Qu'à cela ne tienne. S'ils ne sont pas capables de parler juste, et qu'il faut dès lors leur interdire certaines paroles, ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Ôtons leur également le droit de vote (car ils votent mal, comme le déplorent si souvent les journalistes), le choix de leur conjoint (car ils se choisissent des hommes violents, des femmes alcooliques), la possibilité incontrôlée d'avoir des enfants (car ils les brisent physiquement et psychologiquement).

Si l'on part du principe qu'on doit contrôler la parole des gens, alors il est inutile de continuer à défendre un régime qui donne un quelconque pouvoir à l'expression populaire, une quelconque importance aux libertés individuelles. Établissons immédiatement une oligarchie éclairée qui fera le bien de tous. Cessons d'être mous, reconnaissons que la surveillance doit prédominer sur la liberté, et assumons notre volonté d'un pouvoir autoritaire.

La norme et la foule

La spéculation n'est pas l'action. Le fantasme n'est pas le réel. La différence entre une volonté de coup d'Etat et un coup d'Etat, c'est que dans le second cas, il y a révolution et changement de régime. Dans le premier cas, rien ne change.

La différence entre un désir sexuel interdit et un viol, c'est que dans le second cas, l'intégrité d'une personne est brisée. Dans le premier cas, aucune vie n'est brisée.

Sur le plan des actes que l'on veut réprimer, l'interdiction sert de norme pour le plus grand nombre. En deça de cette norme, je m'expose à la répression, à l'emprisonnement. Tout le monde le sait, et seul celui qui veut réellement agir en contradiction avec la loi prend ses risques et en assume les conséquences.

Mais sur le plan des paroles, c'est la société toute entière qui est concernée par loi, qui n'est plus seulement une norme, une frontière, mais devient une contrainte intellectuelle qui pèse sur les individus en permanence. Car, qu'il s'agisse de désirs politiques ou de pulsions crapuleuses, beaucoup parlent, peu agissent. La criminalisation de la pensée concerne presque tout le monde, et, en quelque sorte, demande à chacun de se situer par rapport à l'interdiction en vigueur qui plane au-dessus de nos têtes. C'est pourquoi l'interdiction de penser, au lieu de guider les gens vers la pensée idéale voulue par le pouvoir, créée un appel d'air à la transgression.

A qui profite la loi liberticide ?

Ce type de lois liberticides, qui bâillonnent un peuple entier pour nuire à deux ou trois terroristes, pédophiles ou apprentis-dictateurs, se révèle particulièrement efficace pour semer la terreur et la suspicion générale dans toute la société, mais particulièrement inefficace pour lutter contre les fameux criminels. Eux, en effet, n'attendent pas d'être autorisés par la loi pour fomenter leurs actes crapuleux. (Du moins les criminels hors-la-loi - mais les crimes adoubés par la loi ne nous intéressent pas dans cet article, puisque nous parlons des lois liberticides).

Or, le criminel déterminé est l'allié d'un pouvoir faible et harcelé, car, semant la peur sur la ville et dans les campagnes, il interdit toute expression intelligente populaire. Chacun se retranche chez soi et se protège du danger. L’État qui punit les opinons déviantes est l'allié du criminel crapuleux car il traite de criminel en puissance chaque individu et atténue ainsi la frontière entre le citoyen qui pense (mal) et le citoyen objectivement récalcitrant aux normes fondatrices de la société. Chacun se retranche dans son intériorité et se compose un visage qui ne trahit aucune opinion déviante. Main dans la main, la racaille et l’État, vampires de l'ombre et Monstre officiel, se repaissent chaque jour des droits et des libertés des individus qui forment le peuple.

Le contrôle législatif des opinions trahit la faiblesse du pouvoir et multiplie le crime dans la société. Sous prétexte de défendre le faible, la loi pose le soupçon sur chacun et consolide le chaos et la peur. 

Comme en témoigne l'histoire de la prohibition de l'alcool aux États-Unis, ou encore le long rapport entre l’Église catholique et la sexualité, l'interdiction légale, c'est-à-dire la création d'un ordre sociétal parfait en apparence, ne fait que reléguer les problèmes réels dans l'inframonde de l'illégalité.

 

 (Sur AlmaSoror et le même sujet, on peut lire Aime-moi (baise-moi ?) matelot : le seul roman de gare entièrement lu devant une cour suprême très sérieuse.)

 

"Fais de chaque barricade un pays".
Mahmoud Darwich

jeudi, 13 août 2009

La liberté mentale en Europe

 

 

Roll1_Edith-35.jpg

 

 

« Notre conception humaniste du droit empêche de punir les hommes d’une façon préventive, avant qu’ils aient commis un méfait : la liberté qu’on leur accorde interdit de les assimiler à un animal nuisible, à un serpent venimeux ou à un chien atteint de rage. »
Chaïm Perelman

Les pays de civilisation occidentale développent à la fois une solidarité sociétale élaborée et les libertés civiles. Ils sont partagés entre deux tentatives : prescrire la vie de chacun selon des normes correspondant au meilleur du développement ; ou favoriser l’expression d’expériences variées, de talents créateurs.
Les questions de santé mentale se situent là où la liberté individuelle et la surveillance sociale s’opposent le plus. La psychologie et les sciences de la santé mentale cherchent à distinguer l’attitude juste de celle qui outrepasse la norme de bienséance. La surveillance de la santé mentale est entrée dans les écoles, dans les entreprises, dans les Cours de justice, et s’immisce, par ces biais, dans de nombreuses vies.

Ordre et civilisation

Comment gérer efficacement des millions d’individus, libres dans l’expression de leurs désirs et divers dans leurs choix de vie ? Il est naturel à un système administrant et sécuritaire de chercher à normaliser les gens, afin de traiter efficacement la multitude de cas individuels. Cette grande organisation ne manque pas de bienfaits. Elle assure à chacun un traitement égal, conçu d’après des besoins mesurés à l’aune du plus grand nombre.
Pourtant, quand la mesure du plus grand nombre s’impose avec force, inéluctablement un certain nombre d’individus souffrent sans recours de ce « bien » écrasant, étranger à leur être, qu’on veut leur imposer. Lorsqu’il s’agit de santé mentale, ces personnes sont touchées au plus profond de leur intimité : la pensée, la relation à son corps, le rêve, les croyances sur l’univers.

Administration et organisation sont toujours normatives, et de ce fait, malgré leurs avantages, toujours liberticides. Pourtant, la pensée radicale et le rêve forment des composantes essentielles de la civilisation, de la liberté. Nos héros des temps passés, rêveurs, créateurs, novateurs, n’auraient pas échappé, dès l’école primaire, aux diagnostics destructeurs des personnes chargées de la santé mentale. L’intrusion à l’excès de la société chez l’individu ne reflète pas un niveau élevé de civilisation, mais d’ordre.

Déviances et contextes

Il est facile d’être déviant : il suffit que la voie soit très étroite. Quand l’ordre social est serré, les personnes qui s’en écartent sont vues comme pathologiques. Dans une société qui exige peu de conformisme, les gens peuvent plus aisément développer des comportements variés.
La norme psychologique d’une époque est témoin de sa nullité autant que de sa beauté. La norme change avec la société. Le malade d’une époque peut-être un héros ou un bon citoyen à une autre. Devons-nous « soigner » tous ceux qui ne sont pas de leur époque mentale ?

Quand les éducateurs ont besoin de bras, ils mésestiment les enfants réfléchis et calmes. S’ils ont besoin de calme, ils conspuent la vivacité et l’énergie. L’hyperactivité est une maladie enfantine nouvelle qui consiste à crier, pleurer, taper, à ne laisser aucun répit aux adultes. En d’autres époques, cette vitalité aurait été appréciée, parce qu’elle aurait été utile. Mais quand l’école consiste à demeurer assis de longues heures entrecoupées de récréations dans de petites cours bétonnées, quand les appartements citadins ne permettent pas de liberté de mouvement, comment l’enfant énergique et libre ne paraîtrait-il pas déséquilibré ?

Dans un village de cultivateurs au Mexique, un villageois, à cause de son impotence pour la vie des champs, était vu comme un demi idiot par les villageois ; il passait cependant ses journées à compiler par écrit leur culture nahuatl millénaire.

Au regard de la pensée amérindienne, les hôpitaux psychiatriques ne peuvent être que le reflet monstrueux d’un monde totalitaire où l’esprit et le corps sont enchaînés ; ou l’on appelle les chamanes des schizophrènes.

Il n’y a pas de certitude psychiatrique. Plutôt que de tenter à tout prix de réaliser un monde parfait, cherchons à laisser le maximum de gens imparfaits vivre à leur guise.
« Ce qui aurait dû mourir avec le communisme, c'est la croyance que les sociétés modernes peuvent être gouvernées selon un seul principe, qu'il s'agisse de planification collective ou de libre jeu de marché, » note le philosophe canadien Charles Taylor, et l’on pourrait élargir sa pensée à la gestion psychologique de la société.

Troubles mentaux ou troubles sociétaux

Certes, on ne va pas laisser des fous faire n’importe quoi sous prétexte que tout est relatif. La santé mentale pose la question de la responsabilité. Celle de l’individu face à la société ; celle de la société face à l’individu. Mais, de même qu’il n’est pas difficile d’avoir l’air coupable face à un juge, il n’est pas difficile de paraître malade face à un docteur… Le diagnostic médical, comme le jugement, disqualifie la parole de la personne en observation.

Les valeurs peuvent être différentes sans être criminelles. Interdire l’inceste, saine résolution, n’implique pas d’imposer des modes de relations familiales. Les psychologues prônent aujourd’hui sévèrement que les parents ne dorment pas avec leurs enfants. C’est pourtant chose fort répandue dans toutes les sociétés du monde où la maison familiale ne possède qu’une couche, et ce l’était également dans les fermes d’Europe il y a peu.
A force d’organiser une gestion humaine parfaite, qui prend en compte tous les aspects de la vie, nous planifions l’annihilation totale de la liberté individuelle et de conscience. Définir précisément ce qu’est l’humanité, la société, l’individu, la santé mentale, revient à imposer une idéologie, une vision du monde qui périme toutes les autres.

Lorsque nous nous protégeons de qui met en danger la vie d’autrui, et aidons les gens malheureux à mieux respirer dans notre monde, demandons nous à quel point nos rues doivent être normales, à quel point nos vies doivent être lisses. La présence des gens « fous » dans notre sphère de vie quotidienne est vitale pour eux, mais aussi pour toute la société, parce qu’ils étirent l’espace de vision, de pensée et d’attitude. Nos exclus, nos parias, nos fous représentent nos plus grandes peurs. Être en quête obsessionnelle d’équilibre, n’est-ce pas être encombré en permanence de pensées qu’une personne « équilibrée » n’aurait jamais ? On emploie l’expression de « personnes atteintes de troubles mentaux. » Mais vivre, n’est-ce pas, justement, être atteint de graves troubles mentaux qui ne guériront que dans la mort ?

Psychiatrie et Incertitudes

Au sein d’une famille, d’un Etat, les anormaux et les déviants ne sont pas rentables. L’acceptation ouverte de ces gens, dès lors qu’ils ne posent pas de danger grave, représente la garantie que nous avons d’autres valeurs que le contrôle total et la rentabilité, d’autres aspirations que le fonctionnement optimal des choses, d’autres envergures intellectuelles que la certitude de ce qui est et de ce qui n’est pas comme il faut.


Selon l’Organisation mondiale de la santé, « Good health is a state of complete physical, mental and social well-being, not merely the absence of desease and infirmity ». C’est très vrai ; mais c’est si flou qu’il faudrait décider de renoncer à jamais à établir des normes européennes pour la santé mentale.
Qui peut ôter à autrui la liberté d’être soi ? Aux égarements individuels, ne répondons pas par la folie du contrôle total.
Ne croyons pas que nous progressons parce que nous quittons une erreur pour entrer dans une autre. Il n’y a sans doute pas de progrès. Il n’y a sans doute pas de régression. Il n’y a peut-être que la vie, ce grouillement impulsif, et la prison mentale des humains, dont la forme des barreaux change au gré des générations.


Edith de Cornulier-Lucinière, Paris