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jeudi, 29 octobre 2015

La chaleur glacée des souvenirs

Le 23 septembre 2012 à 23h, j'ai commencé mon journal de la Confrérie de Baude Fastoul. Depuis, j'ai quitté ma vie parisienne et « mon » appartement du fond d'une cour du 13, boulevard du Montparnasse, où je recevais à dîner et à lire au coin du feu, toutes les semaines, durant de longues années. Je ne sais si mes compagnons de la Confrérie poursuivent leur journal. Le mien continue d'exister, je dirais presque que je ne pourrais plus vivre sans lui. Il m'aide à respirer, et quand le temps passé m'a pris des gens ou des lieux ou des choses, des caudalies demeurent dans les pages informatiques de ce journal.

Je ne suis donc plus complètement parisienne, même si, ces derniers temps, j'ai amorcé un mi-retour. Mais je n'oublie pas la leçon d'Orphée, je n'oublie pas la leçon de la femme de Loth, je n'oublie pas la leçon de la marquise de La Tour du Pin : il ne faut pas se retourner. Quelquefois, il ne vaut mieux pas revenir. Le passé, lorsqu'il était présent, était un feu de vie. Mais ce qui était est habité par la mort et les ruines divulguent des émanations mortuaires.

Comme la vie est reconstituée par la mémoire ! Comme la vie est reconstituée par les exigences morales et sociales. Se retourner en arrière, c'est mesurer l'écart qui me sépare de ce que je fus ; c'est trouver des preuves d'amour de quelqu'un qui dit ne m'aimer plus ; c'est savourer encore les rires d'une femme qu'on a mis sous la terre depuis plus de trente mois.

Depuis ce matin, j'ai marché dans l'automne des bords du lac et le long de la plage grise, puis j'ai écouté les musiques de Brendan Perry (Crescent) et de Serge Tayssot-Gay (Évasion d'Interzone). Cela me change d'un hier envoûté par Pärt.

La vie en dépit des apparences chronologiques n'est pas un fleuve qui suit son cours continuellement. La lune influence les marées, des courants chauds et froids passent dans les deux sens. Des mares se forment sur les côtés boueux des rives, dont l'eau ne retournera plus à l'eau. Le limon nourrit le fleuve et le fleuve nourrit le limon.

On ne s'évade pas de sa propre vie, même pas par le biais de la folie. Tant que la respiration ventile et que le sang irrigue le corps, il faut bien être quelqu'un quelque part, et ce quelqu'un c'est soi, et quelque part c'est ici. On n'échappe pas à notre propre configuration, et comme l'écrivit Carl Gustav Jung, « ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l'extérieur comme un destin ». Autant se regarder alors dans la glace, quitte à ce que ce soit pour y voir des larmes, un ennemi féroce ou tout simplement un grand point d'interrogation au fond des yeux. Autant s'asseoir tranquillement sur une chaise au bord de la route et regarder passer ce qui vient, des gens, des voitures, des corbeaux ou le vent. Laisser son téléphone portable parler tout seul en mode silencieux sur une table de la cuisine, et attendre qu'enfin rien ne se passe, rien d'autre que la plénitude de la tristesse d'un ciel automnal. Toutes les plénitudes contiennent leur part de joie.

 

lundi, 17 décembre 2012

Carte du Tendre

 
Comme tant d'entre nous je vis noyée dans un chagrin poussiéreux, parsemé de halos de lumière d'aube. Comme tant d'entre vous je suis seule au milieu des ruines de mes amours mortes.
Draps froissés, solitudes, mécompréhensions, dépits, tristesses, ratages, instants de bonheur, exaltations, désespoirs... Tels sont les sentiments que nous portons comme une croix sans honneur, sans grandeur, mais d'une lourdeur qui pèse sur le cœur. Je relate ici toutes les déceptions amoureuses auxquelles mes rencontres avec quelques hommes, femmes et hermaphrodites ont irrémédiablement abouti.
 
Je m'excuse auprès de mes ex-amants de les classer ici par ordre chronologique de leur arrivée dans ma vie.
N'ayant pas une claire conscience des frontières mystérieuses entre l'amour et l'amitié, j'indique entre parenthèse s'il s 'est agi d'amours charnelles, aux morsures brûlantes, ou platoniques (morsures glaciales). La surconsommation de substances, parmi lesquels le traitre alcool de salamandres, à certaines périodes de ma vie, rendant la mémoire défaillante et le souvenir tangent, j'indique "incertitude" lorsque j'ignore si la morsure fut brûlante ou glaciale, autrement dit si la rencontre amoureuse fut charnelle ou platonique.

(N.B. Au bas de ce billet, j'ajoute une description synthétique de mes amants, grâce à une question de Tieri).

Alix Durand-Boucher (amours charnelles)
Rencontrée en 2005
Création d'un groupe de musique beith. Passion, gloire et déchirements. Lendemains qui pituitent, comme l'a si bien dit Katharina. Alix me quitte brutalement pour convoler avec Gangs of the world. Je pouvais tout pardonner ; tout, sauf cela. Je tombe en dépression nerveuse.
 
Étienne Destranges (amours charnelles)
Au fond du gouffre, je rencontre Etienne, qui venait de quitter les Stonehengers et qui, sous la direction d'un professeur assassiné depuis, rédigeait une thèse sur l'apocalypse qui vient. Il me sauve. Je manque de le faire sombrer. Nous remontons la pense. Dégoûtée par la musique beith et son milieu, je me lance dans le dark rock. Etienne et moi nous nous séparons finalement, lassés par la tourmente innombrable des choses quotidiennes qui reviennent cogner nos cerveaux quand nous voudrions planer bien au-dessus du monde matériel et des mots banals.
 
Miles Yufitran (amours charnelles)
J'ai partagé la vie de Miles pendant trois ans. Qui mieux que moi peut savoir ce qu'il a souffert ? Souffrances  et mémoires de sa mère Aïda, prostituée, douleurs de la séparation d'avec sa sœur Joan. Un soir je suis rentrée chez moi - chez nous - et je l'ai retrouvé. J'ai appelé les policiers et je les ai attendus en pleurant, assise entre Miles et sa trompette veuve, désormais. Quand je pense à lui, je me souviens de ce texte qu'il avait écrit un soir de brume, une brume qui évoquait pour lui ses deux pays, l'Irlande et la Berbérie : « Ma trompette fait la gueule. Alors je la laisse tomber et je bois. C’est dur d’être un musicien. On est des poètes du sable, à la moindre vague notre œuvre est détruite, effacée à jamais. On balance du vent dans les oreilles des gens et ils nous remercient en ne comprenant pas le fond de notre âme. On zone, on boit, on crève jusqu’à l’aube, et on se réveille avec une mélodie qui pince le cœur. Alors on attrape la trompette, on souffle nos douleurs dedans et ya un voisin qui crie : «Ta gueule ! »
Mais on continue quand même.
La rue est belle, les poubelles aussi sont belles, tout peut être beau quand on a les yeux remplis de ciel. Ma musique, mon amour, tu m’entraînes loin des hommes, alors parfois je te hais. Puis je me souviens que si tu m’entraînes si loin des hommes, c’est pour m’emmener plus près des étoiles ».
Miles, ton absence est bleue comme une étrange note de jazz perdue dans une mélodie classique...
 
Siobhan Hollow (incertitude)
Siobhan, tu nies que nous sommes amoureuses à jeun. Mais lorsque tu as bu tes bras m'enserrent et je sais que tu m'aimes. Tu es furieuse que j'écrive cela. Peu importe. Je ne l'effacerai pas. Pas avant que tu m'aies dit quelque chose de gentil, à jeun.
 
Axel Randers (amours platoniques)
Axel, amants des après-midi d'hiver interminables, des longues soirées dans des bars mal chauffés à parler en fumant, ou plutôt, à fumer en parlant. Toi, à la bière, moi à la tisane. Esther avec nous, quelque fois. Puis la mort t'a ravi à nos amours platoniques. Le baiser de la mort n'est jamais platonique. La mort y va franco. La mort consomme. Que ce soir dans un lit ou dans une voiture, à n'importe quelle saison, à n'importe quel moment, la mort nous baisera tous.
 
Esther Mar (amours platoniques)
Tu vis dans une maison au bord de la Marne et j'ai le droit de venir te voir quelquefois. Tu ne veux jamais parler de ton hermaphrodisme. Je te promets que je t'aimerais toujours autant si tu te dévoilais. Je te le promets, tu souris et tu remets à plus tard. Encore plus tard. Toujours plus tard. Il faudra pourtant que s'accomplissent un jour, une nuit, nos noces faméliques.
 
Réponse à une question de Tieri
 
 
Tieri : Tu crois qu'on va mourir ?
A quoi ressemblent tes amoureux Édith ?
 
Édith :
"Mes amoureux ressemblent à des frères d'ailleurs. Ils ont des longues jambes, des longs bras, des voix graves et des visages qu'on ne distingue pas très bien. Seuls leurs yeux brillent. Ils ne mangent pas, ils ne dorment pas, ils marchent sous la pluie. Ils ne lisent plus rien car ils ont appris tous les livres par cœur, comme dans Fahrenheit. Ils m'entourent, marchent autour de moi, armée d'amants qui me protègent du monde réel et des coups bas. Ils n'ont pas de maisons, mais des vaisseaux spatiaux. Ils surfent dans le ciel. Ils aiment mes écritures et mes danses. Ils ressemblent à des Peter Pan d'un autre monde, d'un autre temps, un temps qui vient lentement, lentement, ils ont un temps d'avance.
Ils sont géographes, astrophysiciens et chevaliers. Ils viennent de nulle part, ou plutôt, de si loin que l'on ne sait plus le nom de leur pays d'origine et ils savent parler aux poissons. Ils aiment les sonorités du monde, les bulles d'eau, les ballons que les enfants envoient dans le ciel après la fête. Ils me donnent leurs desserts.
Ils sont plus fidèles que la fidélité, plus aventureux que l'aventure. Je soupçonnent certains d'entre eux d'être des femmes déguisées. Je m'en fiche".
 
(Edith avait déjà répondu à une question de Tieri à cet endroit...)

lundi, 26 novembre 2012

...où les ténèbres se font, là...

Crescent, Brendan Perry, Maître Eckhart

"Tout ce que l'entendement peut comprendre, tout ce que nos désirs peuvent désirer, ce n'est pas Dieu. Mais là où finissent l'entendement et les désirs, où les ténèbres se font, là commence la lumière de Dieu."

Maître Eckhart

 

jeudi, 08 novembre 2012

Soleil d'hiver

Par Hanno Buddenbrook

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"Un grand soleil d'hiver éclaire la colline

Que la nature est belle et que le coeur me fend"

Louis Aragon

 

Mais tu parlais. Et je ne t'écoutais plus. J'étais parti. Je voguais en pensée sur la lame du couteau. Un matin, las de rêver d'ailleurs insaisissables, j'ai mis dans un sac quelques objets d'importance médiocre et j'ai pris la route. Le scooter ne tomba pas en panne, complice mystérieux de mon amour blessé.

Je roulai, des heures, sur l'autoroute du soleil gercé par les froidures d'hiver. J'écoutais mon coeur craquer ses chaines et retrouver sa libre respiration, loin de tes mépris du matin. Mon blouson laissait passer des flots de vent qui me délivraient. Envoloppée dans une joie nouvelle, je sentais aux yeux des larmes perler comme des présents d'une enfance depuis lontemps perdue.

J'arrivai dans un motel au bar paumé comme il y en a sur cette côte de France. Je savais que j'étais redevenu libre. Je savais que je n'avais plus rien.

Errances, vagabondages, rencontres, tentatives, déceptions, rires partagés : ce qui suivit n'a pas sa place ici.

Je me demande parfois ce que tu as pensé ce matin-là, si tu as crié. Je me demande où tu es, à quoi tu penses. Est-ce qu'un autre homme-esclave souffre à tes côtés, à ma place ?

Le jour où j'ai tout quitté, j'ai salué à nouveau l'enfant que j'avais été un jour et qui avait souffert de désamour. Je lui ai dit : "maintenant, ça va aller mieux. On va avoir faim, ou froid, ou mal, mais on va sourire aux étoiles, et on va s'aimer en se regardant dans le miroir du rétroviseur".

Et l'enfant et l'homme roulent ensemble, depuis. Amis. Guéris.

Hanno Buddenbrook

(traduction d'Edith de CL)

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