dimanche, 09 janvier 2022
Laissez sortir ce captif !
Il est toujours intéressant de plonger dans une autre époque, le temps d'une lecture. L'un des bénéfices qu'on en tire, non des moindres, c'est de quitter, momentanément, les pénibles affres du temps présent. Et en ce début d'année lourd d'actualités, quoi de moins actuel qu'un texte de Bossuet, ce prédicateur du temps de Louis XIV ? Et pourtant...
Bossuet livre le portrait de ces moines de Notre-Dame de La Merci, voués à racheter les chrétiens captifs en terre d'Islam, y compris, s'il le fallait, en se livrant à leur place... Un sacrifice incompréhensible ? Une folie ? Ou tout simplement un moyen radical d'aimer son prochain et d'affirmer l'inaliénable dignité de tout être ?
Drapé dans la langue somptueuse et claire de Bossuet, le 22 ème livre de la Maison Malo Quirvane nous emmène loin dans la psyché humaine et dans la sociologie religieuse. Présenté avec intelligence et dextérité par Jean-Baptiste Amadieu, il nous offre une échappée belle, à des années-lumière de l'actualité, pour mieux la remettre à sa juste place, peut-être.
Oui, lorsque, accablés par les coups durs de la vie privée ou politique, nous baissons les bras, il faut se tourner vers un phare allumé. Ce texte de Bossuet, précédé d'une présentation lumineuse et ferme de Jean-Baptiste Amadieu, c'est le phare que la Maison Quirvane propose aux lecteurs fatigués par les conditions de l'individu dans la société française en ce début de l'an 2022. Ce phare, sa lumière est étrange et vivifiante - pourquoi ? Parce qu'elle nous nourrit d'un pain très humain, très proche de nous, dont nous nous étions détournés, aveuglés par les lumières tournoyantes qui n'indiquent aucun chenal où glisser pour se reposer.
Laissez sortir ce captif ! Panégyrique de Saint Pierre Nolasque, par Bossuet
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jeudi, 06 août 2015
Les riches sont-ils tolérés dans l'église du Christ ?
Parmi les voix de la littérature française deux paraissent aussi représentatives de la France qu'elle sont antagonistes, tant sur le style que sur le fond du propos, mais il est vrai que la forme n'est que la surface du fond. Étienne de La Boétie (XVIème siècle) et Bossuet (XVIIème siècle) s'opposent dans leur rapport à l'autorité, à l'individu, à la société, mais une même verve raffinée et polémique les unit dans une plume qui reste un modèle d'expression à nos ouïes ébaubies.
Voici, en tout cas, ci-dessous, un passage représentatif du sermon que l'aigle de Meaux prononça au début de l'année 1659, à l'occasion de l'inauguration des Filles de la Providence, maison destinée à accueillir les jeunes filles nées de la misère, sans ressources ni appuis. Le sermon fut prononcé devant les bienfaitrices de la maison, en présence de Saint Vincent de Paul.
« Dans tous les royaumes, dans tous les empires, il y a des privilégiés, c'est-à-dire des personnes éminentes qui ont des droits extraordinaires ; et la source de ces privilèges, c'est qu'ils touchent de plus près, ou par leur naissance, ou par leurs emplois, à la personne du prince. Cela est de la majesté de l'état et de la grandeur du souverain, que l'éclat qui rejaillit de sa couronne se répande en quelque sorte sur ceux qui l'approchent. Puisque nous apprenons par les saintes lettres que l’Église est un royaume si bien ordonné, ne doutez pas, mes frères, qu'elle n'ait aussi ses privilèges: et d'où se prendront ces privilèges, sinon de la société avec son prince, c'est-à-dire avec Jésus-Christ? Que s'il faut être uni avec le Sauveur, chrétiens, ne cherchons pas dans les riches les privilèges de la sainte Église: la couronne de notre monarque est une couronne d'épines; l'éclat qui en rejaillit, ce sont les afflictions et les souffrances. C'est dans les pauvres, c'est dans ceux qui souffrent, que réside la majesté de ce royaume spirituel: Jésus étant lui-même pauvre et indigent, il était de la bienséance qu'il liât société avec ses semblables, et qu'il répandit ses faveurs sur ses compagnons de fortune.
Qu'on ne méprise plus la pauvreté, et qu'on ne la traite plus de roturière. Il est vrai qu'elle était de la lie du peuple; mais le roi de gloire l'ayant épousée, il l'a ennoblie par cette alliance, et ensuite il accorde aux pauvres tous les privilèges de son empire: il promet le royaume aux pauvres, la consolation à ceux qui pleurent, la nourriture à ceux qui ont faim, la joie éternelle à ceux qui souffrent. Si tous les droits, si toutes les grâces, si tous les privilèges de |'Évangile sont aux pauvres de Jésus-Christ, ô riches, que vous reste-t-il, et quelle part aurez-vous dans son royaume? Il ne parle de vous dans son Évangile que pour foudroyer votre orgueil. "Malheur à vous, riches!" Qui ne tremblerait à cette sentence? qui ne serait saisi de frayeur? Contre cette terrible malédiction, voici votre unique espérance. Il est vrai, ces privilèges sont donnés aux pauvres ; mais vous pouvez les obtenir d'eux, et les recevoir de leurs mains: c'est là que le Saint-Esprit vous renvoie pour obtenir les grâces du ciel. Voulez-vous que vos iniquités vous soient pardonnées, "rachetez-les, dit-il, par aumônes". Demandez-vous à Dieu sa miséricorde, cherchez-là dans les mains des pauvres, en l'exerçant envers eux. "Heureux ceux qui sont miséricordieux". Enfin, voulez-vous entrer au royaume, les portes, dit Jésus-Christ, vous seront ouvertes, pourvu que les pauvres vous introduisent: "faites-vous, dit-il, des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels". Ainsi la grâce, la miséricorde, la rémission des péchés, le royaume même est entre leurs mains, et les riches n'y peuvent entrer si les pauvres ne les y reçoivent.
Donc, ô pauvres, que vous êtes riches! mais, ô riches, que vous êtes pauvres! Si vous vous tenez à vos propres biens, vous serez privés pour jamais des biens du nouveau Testament; et il ne vous restera pour votre partage que ce mot terrible de l’Évangile: "Malheur à vous, riches! Car vous avez reçu votre consolation". Ah! Pour détourner ce coup de foudre, pour vous mettre heureusement à couvert de cette malédiction inévitable jetez-vous sous l'aile de la pauvreté; entrez en commerce avec les pauvres; donnez et vous recevrez; donnez les biens temporels, et recueillez les bénédictions spirituelles; prenez part aux misères des affligés, et Dieu vous donnera part à leurs privilèges.
C'est ce que j'avais à vous dire touchant les avantages de la pauvreté et la nécessité de la secourir ; après quoi il ne me reste plus autre chose à faire, sinon de m'écrier avec le prophète: "Heureux celui qui entend sur l'indigent et sur le pauvre". Il ne suffit pas, chrétiens, d'ouvrir sur les pauvres les yeux de la chair ; mais il faut les considérer par les yeux de l'intelligence. Ceux qui les regardent des yeux corporels n'y voient rien que de bas, et ils les méprisent : ceux qui ouvrent sur eux l'œil intérieur, je veux dire l'intelligence guidée par la foi, remarquent en eux Jésus-Christ ; ils y voient les images de sa pauvreté, les citoyens de son royaume, les héritiers de ses promesses, les distributeurs de ses grâces, les enfants véritables de son Église, les premiers membres de son corps mystique ; c'est ce qui les porte à les assister avec un empressement charitable. Mais encore n'est-ce pas assez de les secourir dans leurs besoins. Tel assiste le pauvre, qui n'est pas intelligent sur le pauvre. Celui qui leur distribue quelque aumône, ou contraint par leurs pressantes importunités, ou touché par quelque compassion naturelle, soulage la misère du pauvre; mais néanmoins il est véritable qu'il n'est pas intelligent sur le pauvre. Celui-là entend véritablement le mystère de la charité, qui considère les pauvres comme les premiers enfants de l’Église ; qui, honorant cette qualité, se croit obligé de les servir; qui n'espère de participer aux bénédictions de l’Évangile que par le moyen de la charité et de la communication fraternelle ».
Monseigneur Bossuet, février 1659
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vendredi, 18 avril 2014
Le crime de lèse-majesté
C'est à partir de ce moment que le Crimen magestatis va changer peu à peu de caractère et devenir un des pires fléaux de l'Histoire humaine.
La petite ville de province lézarde au soleil, mais je me suis enfermée dans ce cagibi que n'atteint pas la lumière du jour. Pourquoi donc ? Il faut que je médite cet enfermement imposé, que je trouve la porte de sortie.
J'ai près de moi ce livre étonnant du mystérieux Alec Mellor. Dédicacé à mon arrière-grand-oncle d'une main leste, il s'intitule La torture, et la thèse de l'auteur est la suivante : dans l'histoire, la pratique de la torture et le crime de lèse-majesté sont concomitants. Bien sûr, le crime de "lèse-majesté" ne porte pas toujours son nom ; en outre, la majesté n'est pas forcément royale. Inventé par les Romains, le crimen majestatis signifie crime d'Etat ou crime politique. Alec Mellor démontre assez savamment et judicieusement cette corrélation qu'il retrouve à travers les siècles et même les millénaires.
Voici donc un extrait du livre La torture : Son histoire. Son abolition. Sa réapparition au XX°siècle, d'Alec Mellor, avocat à la Cour de Paris, publié en 1949 par Les Horizons Littéraires.
Chapitre II La torture dans le monde romain
2 La torture de l'homme libre
C Le "Crimen Majestatis". La préfiguration du Totalitarisme moderne.
La langue juridique moderne désigne sous l'expression de "Crimen majestatis imminutae", et par abréviation de "crime majestatis" le Crime d'Etat, ou, si l'on préfère, le crime politique.
Punir l'atteinte contre la sûreté de l'Etat comme un crime n'a rien, en soi, de spécifiquement romain, et ce souci est commun à tous les législateurs.
Cette préoccupation est normale et elle est morale.
Elle ne conduit en rien à pratiquer la Torture, du moins aussi longtemps que l'Etat ne sort pas de son vrai rôle, qui est la sauvegarde commune.
Mais les choses prennent un tout autre tour quand, débordant sa mission primitive, l'Etat entend organiser le bonheur universel par décrets, veut tout envahir, puis tout asservir.
On parle aujourd'hui d'Etats totalitaires.
L'expression est neuve, la chose, ancienne.
Dans son principe, l'Etat totalitaire n'est rien d'autre que celui décrit sous le terme de gouvernement despotique par les anciens philosophes politiques, d'Aristote à Montesquieu, en passant par Polybe et par Bossuet, dans la théorie traditionnelle des trois formes de Gouvernement.
Dans un semblable Etat, la conception du crime politique se modèle sur l'idéal politique même. Elle ne peut être qu'indéfiniment extensible, et la punition sans limites.
Incrimination et Répression deviennent totalitaires comme l'Etat et, dès lors, la Torture a, dans les institutions, une place prédésignée.
Un rapide aperçu historique de ce que fut, à Rome, le Crime politique, illustre bien cette loi.
Un texte fondamental concernant la matière est la très célèbre Lex Julia majestatis (DIG. XVIII,4), attribuée tantôt à César, tantôt à Auguste. Singulier destin que celui de cette loi dont la date demeure mystérieuse, alors qu'elle marque le point où vient d'aboutir toute l'évolution antérieure du droit et celui d'où s'élanceront de formidables développements futurs !…
Sous la République, le concept de Crime politique apparaît comme réparti, si l'on peut dire, sur deux notions bien distinctes : celle de Perduellio et celle de Crimen majestatis.
Perduellio vient du préfixe Per (à tort) et de duellum (guerre).
Le Perduellio est, étymologiquement, le mauvais guerrier, c'est-à-dire l'Ennemi (car le Peuple romain ne fait, par hypothèse, que des guerres justes), non toutefois l'ennemi étranger, l'hostis, mais celui de l'intérieur, le Traître.
La répression du Crime politique ainsi entendu n'est pas autre chose que le droit de tuer l'ennemi.
Denys d'Halicarnasse parle d'une loi légendaire de Romulus sur les traîtres (II, 10,-III, 30).
Les XII Tables punissent de mort quiconque aura excité l'ennemi ou lui aura livré un citoyen (DIG, XLVIII,4,3).
La physionomie du délit est toute militaire. (Dans les lois de la période républicaine, ce caractère est des plus nets ; toutes sont des textes de circonstances, faites contre des généraux vaincus ou prévaricateurs. Telles sont la loi Marmilia (110 av JC) ; votée après la guerre contre Jugurtha, la loi Varia (91 av JC) contre les espions, la loi Appuleia (103 av JC) ; dont il est question dans le fameux scandale de l'or de Toulouse (CIC. De Orat. passim et de nat.deor. III,30,74) et le procès de C. Norbanus en 95 (CIC. De Orat. XXI,89). Nous n'entrerons pas dans la question procédurale des Duoviri perduellionis, qui sont une véritable énigme historique, d'ailleurs sans intérêt pour l'histoire de la Torture).
"Le mot Majestas, écrit Mommsen, a également une étymologie transparente. Il désigne une situation élevée, cette prééminence dont l'inférieur doit tenir compte, non pas un pouvoir supérieur mais un prestige plus grand. - Cette seconde acceptation technique du mot apparaît de la manière la plus nette, à propos des pactes internationaux, conclus entre Rome et les Etats souverains en droit, mais subordonnés en fait, dans la formule : "Majestatem Populi romani comité colunto" : ils doivent "rendre avec courtoisie à la haute dignité du Peuple romain les honneurs qui lui sont dus".
Le terme est entré dans la langue pénale par suite, semble-t-il, du statut juridique des tribuns de la Plèbe. Cette dernière est, on le sait, à l'origine, en dehors du Populus romans. Ses chefs ne sont pas magistrats. Le plébiscite n'est pas lex publica (Il en sera ainsi jusqu'à la loi Hortensia - 286 av JC). Comment, d!s lors, les entourer d'une protection juridique ?
La notion de perduellio était propre à la Cité patricienne, donc inutilisable (L'expression de majestas n'est d'ailleurs pas restreinte à la majesté des tribuns ; c'est ainsi que les lois Varia et Appuleia sont qualifiées de majestatis, mais la majesté qu'elles protègent est celle du peuple romain).
La solution fut trouvée dans le droit religieux, le FAS, lequel était commun aux Ordres, et permit de reconnaître au Tribunat une légitimité de secours : la sacrosancta potestas. Un passage du Pro Tullio de Cicéron le montre : "Legem antiquam de legibus sacratis, quad jubeat impune iccidi eum qui tribunum Plebis pulsaverit".
On put, dès lors, poursuivre et punir le crime "amoindrissement de la majesté tribunitienne" (Crimen imminutae majestatis tribunicae).
Au Ier siècle av. J.C., l'antique Lutte des Ordres n'est plus qu'un souvenir et cette dualité de notion devenue un anachronisme. La perduellio et le crimen majestatis étaient destinés à confluer.
Une ébauche d'unification fut tentée par Sylla, dictateur "legibus scribundis", qui promulgua une lex Cornelia majestatis sans lendemain.
Il était réservé à la Loi Julia majestatis de fusionner en un délit unique les infractions du vieux droit militaire, et toutes les formes de majestas imminuta. Le Crimen majestatis devint le genre, la perduellio, l'espèce, et l'espèce la plus grave.
Une magistrature nouvelle, celle de l'empereur, n'avait pas encore absorbé l'Etat en sa personne, mais déjà Auguste réalise le nouvel ordre en cumulant sur sa tête toutes les magistratures, fondant ainsi la légitimité du Principat à la fois sur la conservation des vieilles magistratures d'origine patricienne et sur la sainteté du tribunat, dont les bases lui assurent la protection des sacratae leges.
C'est à partir de ce moment que le Crimen magestatis va changer peu à peu de caractère et devenir un des pires fléaux de l'Histoire humaine.
La législation criminelle des peuples est le plus fidèle reflet de l'évolution de leurs maximes politiques et constitutionnelles. C'est pourquoi le Crimen majestatis, tel qu'il devait faire trembler le monde, est inexplicable si on ne le replace pas dans son cadre historique.
Citons ici - non sans émotion à la pensée de notre admirable maître, enlevé prématurément à la Science - l'opuscule lucide d'Ernest Perrot : "La vraie cause de la ruine du monde antique : l'étatisme" (ces lignes étonnantes sont de… 1929) :
"Comment se fait-il qu'ait disparu, au V°siècle, le plus célèbre et le plus solide des empires, l'Empire romain, consommant la ruine du monde antique ? Pourquoi cet écroulement qui a laissé un si grand vide et de tels souvenirs ?
On se l'est demandé souvent. Il semble même qu'on se le demande depuis quelques années, avec plus d'anxiété que jamais. Comme ces malades avides de connaître des cas pathologiques analogues au leur propre, nous scrutons le passé, d'instinct, pour savoir si les maux dont nous souffrons n'ont pas été endurés déjà par d'autres que nous, et s'ils ne sont pas mortels.
L'étatisme, le socialisme d'Etat, vers lequel nous glissons et dont nous commençons à sentir l'étreinte asphyxiante, est-ce une nouveauté ? D'autres sociétés ne l'ont-elles pas connu ? N'est-ce point une maladie mortelle ? Et, au fait, ne serait-ce pas de cela qu'est mort le monde antique, résumé dans l'empire romain ?"
Tout serait à citer de ce petit chef d'oeuvre, qui montre comment au Bas-Empire, le monde était devenu un bagne. "L'Etat est une Providence ; le Prince est dieu sur terre" écrit E. Perrot, définissant l'étatisme lui-même d'une formule lapidaire. C'est dans cette atmosphère d'absorption de toutes les activités - le terme exact serait de vampirisme universel - par l'Etat que le Crimen majestatis devait se mettre à sa mesure.
L'étatisation de l'économie s'associait d'ailleurs à une lâtrie empruntée aux monarchies asiatiques : le culte du Numen imperatoris, et jamais l'expression d'Etat-providence, dont on désigne les sociétés étatisées, ne put être pris plus à la lettre.
À vrai dire, ce dernier mal couvait depuis la fin même de la République et la conquête de l'Orient ; le mérite d'un J. Carcopino est, de nos jours, d'avoir souligné l'attrait exercé sur l'esprit de César lui-même par ces royautés hellénistiques aux origines desquelles on découvre - bien au-delà des Diadoques - non l'hellénisme classique, mais le Grand Roi médoc-perse, nimbé du "Hvarêno". Le prototype de l'empereur du III°siècle n'est même pas le Lagide ni le Séleucide ayant communiqué à Rome ses vices ; c'est le Xercès dépeint par Hérodote et mis en scène dans Les Perses d'Eschyle.
Mais il est permis de penser, cependant, que jamais les successeurs d'Auguste et de Trajan n'en seraient venus là sans le passage sur le trône d'authentiques Orientaux, de ces empereurs syriens dont Ulpien - lui-même né à Tyr - formula le despotisme en adages connus : "Quicquid Principi placuit, legs habit vigorem" - "Quid libet, licet".
Dans une telle société, le développement du Crimen majestatis ne pouvait connaître de bornes ni de délimitations juridiques, surtout dans un droit ne connaissant pas l'interprétation restrictive des textes pénaux. (Modestin (DIG. XLVIII,4,7,3) définit le délit "quod bel ex scriptura legis descendit, bel as exemplum legis vindicandum est".) L'offense la plus indirecte, la plus éloignée y exposait son auteur. Alexandre Sévère en vint (Code Just. IX,8,1) à se voir contraint de repousser une demande tendant à faire condamner pour Crimen majestatis un magistrat qui avait prononcé une sentence contrairement à une constitution impériale !
L'accusation de lèse-majesté devint même "subsidiaire" et susceptible d'être jointe à toute autre qualification pénale (Tacite, Ann II, 38 : … addito (à l'action de repetundae) majestatis criminel quod gum omnium accusationum complementum erat).
On comprend dès lors, en cette matière, la possibilité d'appliquer la torture même à des citoyens romains, même à ces "Clarissimes" et à ces "Perfectissimes" qui étaient exemptés par ailleurs. L'immunité civique était un anachronisme dans une société où il n'y avait plus de citoyens et où la liberté différait peu de la servitude. De plus, le gigantesque appareil du Pouvoir postulait des organes répressifs toujours plus redoutables.
Enfin, la divinité de l'Etat imprimait au crime politique un caractère sacrilège incompatible avec les garanties d'une procédure normale.
En un mot, toutes les raisons pour lesquelles la Torture était autrefois bannie des prétoires avait disparu. Dès le Haut-Empire, on soumet à la torture les criminels de lèse-majesté, même de naissance libre. Au Bas-Empire, la Torture sera étendue, telle une tache sanglante, et on les y soumet quel que soit le délit. Les romanistes du Moyen Âge ne ressusciteront pas le pur "Crimen Majestatis" impérial, car les royautés médiévales sont loin du césarisme, mais ils exhumeront la question des lois romaines retrouvées, avec tout l'appareil inquisitoire.
IN Alec MELLOR
La Torture - Son histoire. Son abolition. Sa réapparition au XX°ème siècle.
Préface de REMY.
Editions des Horizons Littéraires
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