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vendredi, 15 avril 2016

La rencontre qui n'a pas lieu

Le 13 avril, à la Société des Gens de Lettres, j'ai participé à un atelier d'écriture animé par Patrick Goujon. Cet atelier s'est déroulé dans le cadre de la résidence de cet écrivain en Région Île de France. Ce fut l'occasion de bénéficier de la maestria de Patrick Goujon, qui parvient à maintenir des équilibres insensés : une organisation structurée et détendue, des contraintes d'écriture stimulantes et ouvertes. Mais aussi une atmosphère généreuse qui met à l'aise, une alliance de la profondeur et du jeu, à mille lieues de toute idée de compétition ou de performance.

Je garderai de cet après-midi d'avril une trace ensoleillée dans ma mémoire et ce petit texte écrit en trois temps (1, 2, 3) d'après deux personnages imposés (Charlie et Marina), un lieu imposé (un avion pour Barcelone à midi), une situation imposée (aller aux toilettes).

C'était intéressant de sortir de la solitude des champs rudes de l'écriture pour se laisser guider par le bout des contraintes suggérées et par la présence des autres.

Voici le lien vers la présentation de la résidence de Patrick Goujon.

Et voilà sa page sur la M.E.L (Maison des écrivains et de la littérature).

 

1

Personne ne m'appellera plus jamais Charlie, je n'ai plus seize ans, et pour la première fois de ma vie le soleil me fait peur.

On ne sent pas le vent ici, le bruit siffle dans mes oreilles, les autres se taisent. Je ne regarde pas leurs visages, il faut que j'ignore qui ils sont, à quoi ils ressemblent. C'est important que je n'aie plus aucun contact avec les autres êtres humains jusqu'à la fin.

Tu sais, papa, le jour où tu es parti, tu as emporté le rire de la maison. Puisque maman et Thierry refusent que j'aie un chien, ils verront ma photo sur l'écran de la télévision. Ils regretteront leur haine, et moi j'aurai atteint le stade suprême du bonheur, mon nom sur le livre des martyrs et ma chair éclatée.

J'étais faite pour marcher sur les routes avec un chien Cane Corso, avec une robe noire, des bottes cloutées et des vagabonds. C'est trop tard maintenant. Le soleil scintille, j'ai peur et je suis très heureuse. Il est midi sur la terre.

 

2

Le soleil dégouline tellement qu'on ne voit plus le bleu du ciel. C'est l'heure. Sans regarder mes voisins je me lève, dans le couloir je titube, les yeux fixés en hauteur, là où l'on ne croise pas d'autres yeux.

J'attends debout en tanguant ; enfin tu sors. Tu demeures un instant devant la porte, tes jolies jambes très longues posées sur de fines chaussures. Ta main gauche porte deux bagues d'argent. Je devine que tu me regardes, que tu me souris.

J'imagine ce que cela doit faire d'être belle comme toi, j'entends là-bas un homme qui t'appelle Marina, tu restes encore une fraction de seconde debout tout près de moi. Si je te voyais tout entière, peut-être que la ligne du temps s'inverserait, mais je te bouscule et je referme la porte des toilettes derrière moi.

 

3

Il n'y a pas de soleil dans les toilettes et je n'ai plus peur. Je respire encore deux ou trois fois. Si je sortais d'ici, j'irais te voir Marina, pour connaître la couleur de tes yeux et le son de ta voix.

Pardonne-moi Marina. Je ne déteste plus personne. J'actionne : il est midi cinq dans le ciel en feu.

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