samedi, 18 mai 2013
La ballade des enfants de la nuit
Voici la scène V de l'acte I, celle de la fameuse ballade des enfants de la nuit, de l'opéra de Daniel-Esprit Auber Les Diamants de la couronne, sur un livret saisissant du cher Eugène Scribe et de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges.
Vous admirerez La crédibilité des personnages, vous succomberez à la délicatesse de l'intrigue, vous serez pénétré par la vérité profonde de la manière dont est dépeint le coeur humain, et saisi de l'extrême modernité du thème et du style.
Et la prochaine fois que vous prendrez le RER à Auber ou que vous arpenterez la rue Scribe, vous chantonnerez : Pan pan pan pan ! Tin tin tin tin ! Une chef de brigands qui veut du chocolat !
(On peut écouter cette ballade et lire l'article percutant de David Le Marrec sur Carnets sur sol. C'est amusant d'écouter en lisant le texte ci-dessous...)
Acte I - Scène V
Catarina, Don Henrique, Muñoz, Barbarigo, tous les faux-monnayeurs, sortant du souterrain à droite.
Les faux monnayeurs
Amis, dans ce manoir
Noir,
Narguant les Alguazils
Vils ;
Et jamais fatigués,
Gais ;
Frappons, d'un même effort
Fort !
Pan ! pan ! pan ! pan !
Oui, notre bras, et sans crainte et sans terme,
S'il faut frapper ou boire, est toujours ferme !
(On a dressé autour du souterrain des tables, où ils sont tous assis ; ils boivent et trinquent).
Catarina, les regardant
J'aime leurs cris joyeux, ce bruit et cet éclat !
Rebolledo s'approchant d'elle avec respect
La Señora veut-elle à cette table
Qu'on lui serve son chocolat ?
Catarina
Pas maintenant ; plus tard !
Don Henrique, riant, à part
C'est admirable !
Une chef de bandit qui prend du chocolat !...
Les faux monnayeurs
La nuit, et dans l'ombre,
Toujours travaillant,
Sous la voûte sombre,
Nous allons frappant :
Pan pan pan pan pan !
Pour moi, je préfère
Au bruit des marteaux
Le doux choc du verre,
Signal du repos !
Mugnoz, à table, buvant et élevant la voix
Je demande, en l'honneur d'un retour qui m'enchante,
Que la Catarina nous chante
Notre air...
Catarina
Lequel ?
Mugnoz
Celui des Enfants de la nuit !
Tous
C'est dit !
Catarina
Ronde
Premier couplet
Le beau Pédrille, amoureux, pauvre et tendre,
Dans la forêt, un soir, allait se pendre !
Sans fortune ici-bas,
Il cherchait le trépas.
Quand il croit tout à coup entendre sous ses pas...
Les faux monnayeurs, à voix basse
Voici, minuit, voici minuit !
Dans l'ombre de la nuit,
Travaillons, frère !
L'or qui brille et qui luit,
Seul, nous éclaire.
Catarina
Brave, et sans être ému,
Pédrille s'élance...
Téméraire, où vas-tu ?...
Sous la voûte immense,
Franchis avec crainte
Cette sombre enceinte,
C'est là le terrible réduit
Des enfants de la nuit.
Deuxième couplet
Que fit Pédrille et quel fut le mystère
Qui le retint dans le sein de la terre ?
Chacun l'ignore, hélas !
Mais il ne mourut pas !
Et le soir, on l'entend qui chante aussi tout bas :
Les faux monnayeurs
Voici minuit !
Dans l'ombre de la nuit,
Travaillons, frère !
L'or qui brille et qui luit,
Seul, nous éclaire.
Catarina
Mais dès le lendemain,
Ô surprise extrême !
De sa maîtresse,
Riche, il obtint la main.
Et discret et sage,
Dans son doux ménage,
À chaque instant, son coeur bénit
Les enfants de la nuit !
Tous
Brava ! Brava !
La Catarina !...
Barbarigo apporte une petite cassette, qu'il pose sur la table. Rebolledo tire de sa poche la clef qu'il présente à Catarina, qui la prend, ouvre la cassette, et examine avec attention ce qu'elle contient.
Don Henrique, les observant
Eh quoi ! Le même lien rassemble
Ces traits si doux, ces coeurs de fer !
D'honneur, on croirait voir ensemble
Et le paradis et l'enfer !...
Rebolledo, à Catarina, qui examine ce que contient la cassette.
Êtes-vous satisfaite ?
Catarina
C'est bien, très bien !
À Rebolledo
D'une telle conquête,
À toi l'honneur !
Don Henrique, qui jette un regard sur la cassette, à part.
Oh ! les beaux diamants !
Quel immense trésor ! D'où vient-il ? Je comprends !
Volé par ces bandits que sa voix encourage.
Ah ! Quelle horreur !
(Regardant Catarina)
Ah ! Quel dommage !
Les faux monnayeurs, à table, et trinquant.
La nuit et dans l'ombre,
Toujours travaillant
Sous la voûte sombre,
Nous allons frappant :
Pan pan pan pan pan !
Pour moi, je préfère
Au bruit des marteaux
Le doux choc du verre,
Signal du repos !
Tin tin tin tin tin !
Repos et bon vin,
Voilà notre refrain !
Rebolledo, passant au milieu du théâtre
Ecoutez, maintenant, écoutez, mes amis !
De la Catarina, voici l'avis suprême :
Les ordres sont donnés... vous êtes poursuivis ;
Dans quelques jours... Demain, peut-être aujourd'hui même,
Ces lieux seront cernés par de nombreux soldats.
Il faut mettre à l'abri vos trésors et vos têtes,
Chercher un autre ciel et de lointains climats
Où vous puissiez, en paix, couler des jours honnêtes ;
Pour cela, compagnons, il faut fuir !
Mugnoz
Mais comment ?
Rebolledo, montrant Catarina
Préparé par ses soins, un vaisseau vous attend.
Tous
Viva Catarina ! ...
Barbarigo
Mais jusqu'à la frontière,
Et pour gagner le port, comment pourrons-nous faire ?
Rebolledo
Ne craignez rien pour nous, nos trésors et nos gens,
Le ministre nous donne un sauf-conduit.
Don Henrique
J'entends !
C'est le mien !
Catarina, le leur donnant
Le voilà !
Tous
Viva Catarina !
Rebolledo
Et de peur d'accidents, partons, à tout hasard,
Dès aujourd'hui... Disposez le départ !
Tous
Préparons-nous pour le départ !
Allons, allons !
Don Henrique, à part
Ah ! C'est grand dommage !
Quoi ! pour des brigands
Ce joli visage,
Ces accents charmants !
Pour moi, je préfère
Aux traits les plus beaux
Son allure fière,
Son air de héros !
Les faux monnayeurs
Pour nous, plus d'ouvrage :
Que d'heureux instants !
Quand, après l'orage,
Brille le beau temps,
Gaiement, je préfère
Au bruit des marteaux
Le doux choc du verre,
Plaisir et repos !
Catarina et Rebolledo
Ah, quel noble ouvrage,
Changer des brigands
En d'honnêtes gens !
Pour eux, plus d'orage,
Chacun d'eux préfère
Au bruit des marteaux,
N'avoir rien à faire
Et vivre en repos.
Tous les faux Monnayeurs sortent.
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