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Dernier voyage en Amérique

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Mais ce que je vous propose ce soir, c'est de mettre la musique d'Angelo Badalamenti et de partir en voyage dans les photographies de Todd Hido. Parce que la buée de sa voiture rend les routes plus floues, les nuits plus mystérieuses ; parce que l'aube américaine s'y dévoile comme jamais.

todd hido

Parce qu'il photographie la preuve du Grand Crime des banquiers et de l’État : les maison abandonnées par les familles qui ne pouvaient plus payer les traîtresses traites mensuelles. Mais toi, État américain, tu aurais dû imposer, par une loi, que les familles restent dans ces maisons qu'on n'aurait jamais dû leur vendre puisqu'elles n'avaient pas les moyens de les payer. Au lieu de cela tu as aidé les banques et tu as laissé les familles partir sur les routes et tomber dans la misère. Tu es l'un des pays les plus riches du monde et tu es l'un des plus cruels, comme ton épouse ignare et indigne, l'Arabie Saoudite. Vous croulez sous l'argent et vous assassinez vos peuples. Vous rentabilisez tout ce que vous touchez et vous créez de la misère. Familles américaines, on vous avait fait croire à un rêve. Mais ce rêve, la maison, est loin derrière vous. Il a le goût amer des cendres et la douleur des blessures mal recousues.

 

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Quelque part en France, quelqu'un qui lit AlmaSoror, écoute la musique de Badalamenti et rêve devant les photos de Todd Hido. Dans cent ans nous serons morts depuis longtemps. Nous aurons cessé d'imaginer ce que peut-être le rêve américain et d'autres rêveront d'autres rêves, comme s'ils étaient éternels.

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Les sociétés se suivent et se ressemblent toutes. En dépit d'une croyance religieuse en la bonté des hommes, en la sagesse de leurs institutions, nos coeurs sont broyés par l'implacable marteau du pouvoir. Sur nos terres dévastées, dans nos fuites éperdues, quelques rencontres nous réchaufferont, l'espace d'un instant. Un rayon de lumière venue du ciel, une main chaude qui presse notre épaule, quelques instants de rémission avant la reprise d'une vie de bagnard.

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Qu'importe que nos vies soient broyées ? N'est-elle pas mille fois meilleure que la vie des poussins mâles des élevages industriels, déglutis par centaines, par milliers, dans de longs tuyaux de la mort et broyées par d'efficaces machines ?

Qu'importe que nos vies soient broyées si nous avons embrassé un être aimé, pardonné à un ami, prié pour la rédemption de notre âme ? Ceux qui gagnent volent ; ceux qui perdent se sauvent. Et dans sur la longue route du temps, le souvenir de nos existences s'efface.

Dans la route frappée par le vent, la vision de nos corps s'efface.

Sur la route que nous foulions, la trace de nos pas s'efface.

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Edith de CL

J'ai glané sur Internet les photographies de Todd Hido et la musique d'Angelo Badalamenti

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dimanche, 10 février 2013 | Lien permanent

Aranjuez, d'Edith de Cornulier-Lucinière

Edith de CL est la barmaid du zinc d'AlmaSoror.

Il fallait écrire avant le 7 décembre à minuit, un texte comprenant :

oh mon âme
le plus vieil été du monde
c'était si pur
ta mère absente
coco


Aranjuez

« Why play so many notes instead of just choosing the most beautiful ? »
« Pourquoi faire tant de notes au lieu de choisir les plus belles ? »

Miles Davis


 

Une lézarde muait sur la pierre. La moitié de son corps était en plein soleil, l'autre dans l'ombre. Lorsqu'elle eut fini de muer, la reptile s'éloigna de la fenêtre. Elle n'avait pas été vue. À l'intérieur de la maison, tout semblait dormir à cette heure zénithale. C'était une maisonnette de plain-pied, qui comportait deux pièces. En outre, une cuisine y était aménagée à l'une des extrémités, dont la fenêtre donnait sur la rue ; à l'autre extrémité de la maison, une douche et un lavabo encadraient une fenêtre par laquelle, au loin, on apercevait la mer. La rue, presque toujours déserte, portait le nom de Chemin des dunes, comme tant de rues des villes de bord de mer.

Entre la maison et la mer, une longue route cabossée, un grand parking qui demeurait vide l'hiver, et que des centaines de voitures recouvraient pendant les saisons touristiques. La dune, là-bas, saccagée par d'atroces maisons construites trop vite, offrait sa lande nue aux crêtes des vagues.

Dans cette modeste maison dont les recoins recelaient des toiles d'araignées, pas un meuble n'était pas d'une haute facture, pas un livre ne provenait pas d'un auteur profondément admiré par les cerveaux les plus érudits. De façon étonnante et heureuse, les meubles anciens et modernes s'épousaient dans le minuscule salon où quatre personnes ensemble se seraient senties étouffer. Un antique clavecin occupait une belle partie de la place. Des statuettes, représentant des danseuses traditionnelles de tous les pays du monde, reposaient sur toutes les surfaces des meubles et sur le renfoncement de l'une des fenêtres. On pouvait croire, à première vue, qu'il s'agissait d'un lieu de villégiature, comme une ancienne maison paysanne rachetée, à la mort des derniers propriétaires, ou lors de leur exil rural, par une riche famille s'amusant à jouer aux marins pêcheurs durant quinze jours d'été. Il n'en était rien. Elle était habitée, à l'année, par une femme qui la louait à la mairie du Château d'Olonne. C'était une très vieille dame qui sortait une fois par semaine faire ses courses, et dont personne ne savait plus rien. Qui était-elle, d'où venait-elle et comment avait-elle atterri dans cette maison où personne ne venait jamais la voir ? On se souvenait peut-être qu'il y avait eu une histoire, un arrangement avec l'ancien maire, des facilités pour qu'elle s'installe en ce lieu, il y avait trente ans de cela.

Elle était arrivée en 1980, s'était installée dans cette maisonnette. Au début, elle recevait des visites et ceux qui la connaissaient depuis cette époque se souvenaient qu'elle se rendait à pied jusqu'à la gare des Sables d'Olonne pour aller chercher des parisiens qui venaient passer une ou deux nuits dans son antre secrète ; mais depuis belle lurette, il n'y avait plus de visiteurs. La vieille dame seule n'intriguait pas grand monde. Les gens du coin, qui ne manquaient pas de cœur ni de sens du devoir, vérifiaient qu'elle allait bien. Si, un mardi, on ne la voyait pas au marché, quelqu'un poussait la promenade jusqu'à frapper à sa fenêtre. Il apprenait qu'elle avait eu un refroidissement, et se faisait une joie de lui faire ses courses. Le mardi suivant, on la retrouvait déambulant parmi les étalages, tâtant les concombres, s'achetant ses éternelles pommes de terre de Noirmoutier, son sel de Guérande et son beurre demi-sel, ses champignons de Paris et quelques boites de sardines. Au moment de Noël et du 14 juillet, elle s'offrait des bouteilles de cidre brut et, tous les 7 avril, le caviste la voyait entrer dans sa boutique :

 - Je voudrais la meilleure bouteille de vin que vous avez pour environ 25 euros ! 30, pas plus !

Depuis de nombreuses années, le caviste lui mettait deux bouteilles au lieu d'une.

 - ça vous prolongera la fête ! Mais c'est du bon vin, que vous prenez, vous savez. Vous n'allez pas manger ça avec de la purée ou du riz, quand même !

- Ne vous inquiétez pas, disait-elle, complice et secrète.

Le 7 avril, c'était son anniversaire.

Le 7 avril dernier, elle avait eu quatre-vingt-onze ans.

C'est le primeur, qui s'était penché vers elle, et d'un air de confidence, lui avait demandé :

- C'est pour votre anniversaire, n'est-ce pas, que tous les ans, vous achetez une bouteille de pinard de la haute chez Robert, là-bas ?

Elle avait souri et cligné de l’œil.

- Et sans indiscrétion, madame, ça vous fait quel âge, maintenant ?

- Oh ! Mon âme se révolte ! S'était-elle exclamée.

Quelques clients et la femme du primeur se récriaient avec elle :

- Malotru !

- Goujat !

- C'est pas possible !

- Qui peut se permettre de demander son âge à une dame comme ça ?

L'homme rougissait et bégaya quelques excuses, quelques justifications. Depuis presque vingt ans qu'il avait repris la place de son père, il la servait avec empressement et délicatesse.

Aussi, le lendemain, elle attendit d'être seule face à lui, se pencha vers lui et murmura :

- 91 ans !

- Oh bon sang ! Ça vous rajeunit pas !

Elle sourit et poursuivit ses courses.

En cette fête de l'ascension, elle se mordait les lèvres. Le jour où elle avait dit son âge au primeur, elle avait commis l'épouvantable bêtise qui chavirait son destin.

91 ans ! S'était-il répété toute la journée. Il l'avait répété à sa femme, puis à sa mère, qui vivait avec eux. Puis à ses filles, puis à ses voisins, et à tous il soupirait, plein de commisération :

- Si c'est pas malheureux ! Toute seule, comme ça, à 91 ans ! Et si elle se cognait ?

Les jours qui suivirent, il les passa, avec la participation active de son entourage, et de tout le voisinage, à énumérer la multitude d'accidents domestiques et de drames qui risquaient d'arriver à tout moment à cette malheureuse pauvre vieille femme. La chaleur, un dérapage sur une pierre, une mauvaise chute, un caillot de sang, une fracture, un agresseur, une amnésie, une rupture d'anévrisme, une crise cardiaque, un étouffement en avalant une bouchée, une embolie pulmonaire, un mauvais coup, un mauvais geste, une fluxion, une glissade, une crise de sénilité. Comment se faisait-il que des gens qui payaient leurs impôts, travaillaient dignement, élevaient leurs enfants et entretenaient correctement leurs maisons pouvaient, égoïstement, renfermés sur leur bonheur mesquin, vivre à deux pas d'une malheureuse sans lui porter secours ? Il n'était plus possible de laisser cette situation courir. Une personne en danger avait besoin du soutien de toute la population. Des volontaires se réunirent pour évaluer la situation et concocter une solution. Bien sûr, il ne faudrait pas lui faire peur. Il était inutile d'effrayer cette dame – comment s'appelait-elle déjà ? On n'en savait rien -, d'ajouter à sa détresse en lui parlant trop vite de projets incertains. Les réunions des bonnes âmes avaient donc eu lieu dans la discrétion. On s'était mis d'accord pour entamer des démarches dans le respect scrupuleux de la dignité de cette dame, de ne faire que ce qui était absolument nécessaire pour son bien-être.

C'est ainsi que la veille, elle avait reçu une visite des services sociaux du département. Une rapide visite de la maison (la salle de bains n'était pas séparée par une cloison ; l'évier de la cuisine était trop haut pour une femme de cet âge) et du jardinet qui l'entourait (un escalier aux pierres déboîtées faisait craindre une chute mortelle), quelques questions posées par le médecin et l'assistant social (sa dernière visite médicale remontait à plus de six ans, elle n'avait ni enfant, ni neveu ou nièce pour la visiter), menèrent à la conclusion éminemment responsable qu'une maison de retraite était indispensable.

Souriants, charmants, presque tendres, et toujours soucieux, à chaque parole prononcée, de respecter sa dignité et son intimité, ils avaient annoncé une nouvelle visite pour le lendemain, à fin de l'emmener visiter la maison dans laquelle elle serait désormais heureuse, au Centre de gérontologie et de bien-être des aînés, dans la banlieue de la ville de La Roche Sur Yon.

Alexia Bellétoile était restée longtemps debout, à la porte de sa maison, la bouche entrouverte, les yeux perdus dans le vide.

Et puis elle était rentrée dans sa maisonnette et s'était préparé un dîner, comme d'habitude. La deuxième bouteille de vin de l'année, celle que le caviste lui avait offert le mois précédent, dormait sous l'évier. Elle l'ouvrit. Cela lui ferait du bien de boire, ce soir. Après ce bon dîner et quelques verres, elle était sortie dans on jardinet pour regarder les étoiles, assise sur la haute marche de l'escalier en pierre que les services avaient critiqué. Elle repéra la grande ourse et la petite ourse, et l'étoile de Vénus. C'était si pur.

Vénus... C'était ainsi que l'avait appelée, un soir, Babakar Mamboussoniongo, lors de leur furtive amourette. Voyons... Quelle année ? C'était en 1950. L'homme d'état africain lui avait fait envoyer un bouquet mélangé de fleurs et de diamants, dans sa loge. Elle l'avait rejoint, le soir, dans un des plus beaux hôtels de Moscou. Ils s'étaient revus en Grèce, ensuite, et puis... Plus rien. Il y avait eu le coup d'état, là-bas, et elle ne savait pas ce qu'il était devenu. Elle sourit à la nuit. Le souvenir de Babakar appelait d'autres images, d'autres visages. Elle rêva quelques temps à sa jeunesse, à son passé. La jeunesse n'est-elle pas le plus vieil été du monde ?

Soudain, elle frissonna. Le froid tombait d'un coup. Elle se releva péniblement et marcha le long de sa maison, pour apercevoir la mer. Dans les ténèbres, elle ne la reconnut au loin que par une brillance, un scintillement nocturne. Tout se confondait dans le noir.

Ce n'est que lorsqu'elle fut installée au fond de son lit, que ses larmes coulèrent, abondamment. Son souffle et sa voix formaient de petits sanglots qu'on aurait pu prendre pour des couinements d'un petit mammifère dans la nuit.

Elle pleurait de la honte qu'on lui avait fait, de la violence qu'elle ressentait. On allait la priver de tout : sa maison, ses plantes, ses promenades, ses courses, ses livres, sa si belle solitude et tout ce qu'elle aimait le plus chèrement au monde. On ne l'écouterait pas, comme on ne l'avait pas écoutée hier.

Elle allait finir sa vie dans une cage, entourée d'autres vieillards, à qui l'on donnait des médicaments en les appelant « ma vieille », « mon coco », leur parlant comme à des bébés ou à des bêtes.

Souvenir... Comme tu reviens ! Comme tu reviens quand tout s'endort. Comme tu reviens quand tout s'enfuit. Comme tu reviens, quand le malheur enfonce la porte et s'introduit comme un voleur. Souvenir d'un homme, un autre homme, le seul vraiment qui ait compté. Le seul pour qui le cœur d'Alexia vibrait encore, cinq décennies plus tard. L'homme pour qui bascula son destin. Un jour de novembre, un jour fade du mois des morts : le vent soufflait comme un fou dans les rues de la grande ville de Londres. Il soufflait tellement fort que la pluie, emportée dans ses tornades, n'arrivaient pas jusqu'au sol. Il faisait froid. Le soir, elle danserait sur la scène du Royal Opera House. L'homme l'avait appelée le matin même à son hôtel et elle avait reconnu sa voix avec chaleur. Elle lui avait donné rendez-vous ; il était venu la chercher au bas de son hôtel dans une Cadillac « Coupé de ville » grise, dans laquelle elle s'était glissée avec un délicieux frisson. Elle portait des gants blancs qu'il frôlait de temps en temps, comme s'il ne faisait pas exprès. Ce fut leur première rencontre, un délice qui n'annonçait pas les larmes qui suivirent. Mais dans la nuit, une chouette ulula trois fois. Alexia n'était pas superstitieuse, elle avait toujours méprisé tant les adeptes de l'horoscope du jour, qui ne manquaient jamais de regarder chaque matin si leur signe astrologique indiquait qu'ils rencontreraient l'amour de leur vie ou feraient face à un grand malheur avant le coucher du soleil ; elle ne croyait ni à Dieu, ni à Diable ; elle marchait sous les échelles et les échafaudages – du moins à l'époque où elle marchait encore assez pour en croiser sur son chemin -, les chats noirs ne lui faisaient pas plus peur que les chats gris ou blancs, briser du verre était un acte anodin. On ne pouvait pas dire qu'Alexia donnait dans les peurs populaires et les croyances des bonnes gens sans discernement. Elle était donc d'autant plus troublée lorsqu'un signe réel, une annonce incontestable, lui indiquait la présence d'un drame imminent. Or, cette nuit-là, alors qu'elle se remémorait sa rencontre avec l'avocat franco-espagnol José Mathurin Zamora. Le cœur déjà fragile d'Alexia Bellétoile se déchira d'un coup. Les cloches du glas emplissaient son cerveau d'une musique funèbre. Elle se releva, dans un effort suprême ; à moitié assise sur son lit, portée par un bras trop maigre, la robe de nuit blanche recroquevillée sur son corps, elle aperçut, par les fentes des persiennes, une lueur blafarde qui traversa la nuit. L'horreur l'étreignit ; ce ululement suivait l'irruption des visiteurs drapés de leur bienveillance funeste ; l'omniprésence de la sagesse animale soulignait l'accomplissement de la déréliction humaine. Bien qu'elle voulut se le cacher quelques temps, elle ne put s'empêcher de laisser remonter à sa mémoire la découverte macabre du matin même : un mulot mort à quelques pas de sa maison, près de l'escalier aux pierres déchaussées. Elle l'avait ramassé sans y prendre garde, mais maintenant que les hommes et les femmes des services sociaux étaient venus avec leur bonté menaçante et leur bonne volonté assassine, maintenant que la chouette avait sinistrement ululé trois fois, il n'était plus possible d'enfouir la réalité du danger dans les zones sourdes et brouillassées de son inconscient. Elle crut que son cœur lâchait, elle n'entendait plus sa propre respiration et dans le noir de la nuit elle ne distinguait plus les formes opaques ; un scintillement pénible aveuglait ses yeux, qui n'était pas celui du rayon de lune. La mort à tâtons se frayait un chemin jusqu'à elle.

- Tu peux venir, la mort, prononça-t-elle d'un voix que l'angoisse et l'obscurité rendaient caverneuse. Je n'ai plus peur de toi.

C'était vrai. Depuis que les gendarmes, les pompiers, le médecin et l'assistante sociale étaient venus inspecter sa maison et lui dire cette chose pénible qu'elle ne pouvait pas vivre ici, dans son antre chérie dans laquelle elle était si bien, la peur de la mort, présente tous les jours au fur et à mesure que ses membres s'ankylosaient, que son souffle se raccourcissait, que son système digestif rouillait, s'était évanouie dans la peur de la méchanceté des hommes souriants et des femmes rassurantes.

Désormais la Mort, ennemie d'hier, semblait sa seule amie. La seule qui lui pourrait permettre de vivre jusqu'au bout dans cette maison posée entre les ruelles qui menaient au bourg et les dunes qui descendaient vers la mer.

La mort ne répondit pas. Assise droite et raide sur le lit bancal à cause d'un pied cassé, Alexia l'attendit vaillamment. Les heures de la nuit s'écoulèrent ; la chouette ne ulula plus. Un moment, un bruit furtif, un renard peut-être, égaré jusqu'aux dunes comme il arrivait parfois, ou un chat errant, lui fit croire que le moment suprême était arrivé. Mais la mort était occupée ailleurs. Alexia sombra dans le sommeil sans s'en rendre compte.

L'aube trouva Alexia inconsciente, renversée au travers de son lit, la tête pendant dans le vide. La lumière pâle du jour se frayait un chemin par les rainures des volets, et dansaient sur son corps d'une grande vieillesse, si maigre qu'il ne paraissait plus irrigué. Sa bouche ouverte donnait l'impression d'un rire figé et les draps chiffonnés sculptaient une mer de soie blanche dans laquelle elle se serait noyée.

Dans la maisonnette si humble, posée à égale distance entre le parking des dunes et le bourg du Château d'Olonne, une femme très âgée ouvrait les yeux avec surprise.

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samedi, 07 décembre 2013 | Lien permanent | Commentaires (2)

Ta demeure

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Sourires dans l'air du vestibule, flottent comme des poissons. Dialogues sur les lèvres.

 

- À cette jeune femme qu'il appréciait, il avait fait boire le calice de sa propre colère jusqu'à la lie.

- Où est le lieutenant Drogo ?

- La violence des femmes : morale stupide, passivité coupable, inifinie complaisance pour elles-mêmes et pour leur lâcheté insondable.

- Les maisons médiévales sont presque toutes détruites. Il en reste dans le quartier de Ciudad.

- Là-bas les percolateurs fonctionnent mieux, malgré le manque d'électricité.

- Tu viendras, tu verras.

- Non. Je ne l'ai jamais revu.

- Mais qui était Atlantica ?

 

Complexité des cœurs qui ne saisissent la beauté de ce qu'ils possèdent qu'une fois qu'ils l'ont perdu... Charme des distances qui enveloppent d'une douce fumée tous les détails qui enlaidissent la vie de tous les jours. Vos tandems sont indéfectibles !

Merci à Olympe Davidson pour son luth et ses murmures au début du printemps.

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samedi, 23 mars 2013 | Lien permanent

Je suis solitaire

 

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Je suis solitaire, Toi seul es l'ami qui connais mon pas.

Mes yeux sont aveugles, Tu mets la lumière dans ma maison.

Nous sommes ton Peuple, pitié, nous crions vers toi !

 

Mon coeur n'est que cendres, Ton coeur est le feu du buisson ardent.

Mon corps n'est que lèpre, Tes mains sont la source qui me guérit.

Je vais dans le doute, Tu viens me rejoindre sur mes chemins.

 

Tu vois ma tristesse, L'Esprit me console en parlant de toi.

La nuit vient me prendre, ma nuit devient jour quand tu prends le pain.

La mort veut me perdre, Ta mort me fait vivre à ta vie de Dieu.

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Je me souviens de la mélodie, lente, retenue, triste et belle de ce chant dont je ne trouve plus la trace.

 

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jeudi, 14 février 2013 | Lien permanent | Commentaires (1)

Le craquèlement des sarments

C'était dans la souffrance d'une matinée de soleil. Les vignes immobiles recueillaient la lumière dans leurs feuilles ouvertes. Un sarment quelquefois craquelait dans la chaleur. Le ciel bleu et blanc s'étirait de vallon en vallon, caressant les parcelles inéquitablement. Le silence régnait sur ces terres. Même les oiseaux se taisaient.

Je fermai les yeux pour convoquer la mémoire de la ville, de ses bourdonnements, de ses cris, de son agitation perpétuelle. Je n'y parvins pas. Comme ses habitants, même ceux dont j'avais été le plus proche, la ville s'était presque effacée de mes souvenirs. Je n'avais plus de biographie. Mon corps seul vivait, au milieu de ce monde lent de la campagne profonde, en désaccord avec lui-même comme avec le paysage.

Combien d'années me restait-il encore à exister ? Cette question se mêlait aux senteurs des deux tilleuls qui bruissaient à midi devant la maison.

 

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samedi, 06 août 2016 | Lien permanent

Cantique de ce soir

 

Ce soir, je n'ai ni l'humeur à rire, ni l'humeur à pleurer. Hier, pas d'église. Juste un cimetière, l'ombre tutélaire de Joachim du Bellay sur les cèdres angevins. Une amie dont les larmes coulent, des messieurs possédant des maisons en Bretagne qui posent des questions fatigantes. Des questions qui rappellent que l'on n'a pas suivi la voie droite. Et le train, ses pannes, sa lenteur. Et le retour au bercail maritime.

Ce soir, une balade au bout du lac crépusculaire. Un cantique murmuré face aux deux étendues d'eaux, dans les lumières de la nuit. « Savoir reconnaître Ton pas ».

Savoir que l'athéisme est un horizon inaccessible à mon cœur. Je marche vers lui, mais sur cette route, n'est-ce pas Toi qui me guide ?

Quand par la purification, j'aurai nettoyé toutes les scories de mon cœur, alors, peut-être que je resterai assise, le soir, sur le pas d'une porte, à sourire aux gens qui passent, comme un soleil parmi d'autres. « Devenir Veilleur ».

À chacun son quart de veille. Un jour, ce sera mon tour. Je serai prête.

 

 

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mardi, 23 août 2016 | Lien permanent

Ta lettre

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Ta lettre est arrivée cet après-midi, salie par son long voyage. Elle disait tes efforts en Argentine et ton désir de retour. Je savais bien que tu partais sans penser à demain, je ne comprenais pas que tu puisses m'oublier aussi bien.

Encore quelques années, deux, trois peut-être, et puis tu reprendras l'avion définitif du retour. Je serai installée à Montréal (Bourgogne), dans cette maison à retaper qui a été mise en vente il y a longtemps déjà. Tu retrouveras Paris, puis tu viendras là-bas.

Nous n'aurons plus l'âge des coups de poignard au détour des conversations. Nous n'aurons plus la force des combats et des trahisons.

Nous cuisinerons des salades françaises mâtinées de recettes andines et les enfants des autres viendront goûter chez nous.

Ta liberté n'est qu'une image, un feu follet qui te fait courir sans amour.

Katharina tu me reviendras toujours, toujours.

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mardi, 26 avril 2016 | Lien permanent | Commentaires (2)

Attaque

Le cancer de l'ennui a assailli mon corps de ses pinces de crabe et mes cellules de dépit et de langueur se multiplient à l'envi tandis que ma voix intérieure, rendue muette comme une limace, se souvient de sa splendeur en pleurant des larmes de vide.

Qui me donnera une hache pour frapper sur les planches de la maison des douceurs tristes ? Mon cœur, délivré de sa gangue, exhalera des émotions à des kilomètres à la ronde. J'étais faite pour l'argent, pour la joie, pour la fête, pour la force implacable du réel sonnant et trébuchant, j'étais faite pour les voitures en ville, hors ville, pour les contrats bien ficelés. J'étais faite pour une normalité fière et heureuse, qui ne se pose aucune question, surtout pas des questions sans queue ni tête.
Au lieu de quoi, par mode, par erreur, par facilité d'accès, je me retrouve prisonnière d'une vie où la conscience, l'inspiration, les idées se développent comme d'immondes espaces qui me dégoûtent.

Je hais amèrement l'amour, je hais la tendresse molle, je hais ces répétitions quotidiennes de la construction intellectuelle, artistique, affective et spirituelle.

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samedi, 25 mai 2019 | Lien permanent

Duo pour ouvrir un exode

Il n'y a qu'Haendel pour vous aider à dire adieu aux maisons qu'il faut vendre, malgré la poussière intime des souvenirs qui nous ont constitué. Je ne le savais pas encore il y a cinq ou six ans, lorsqu'il fallait accomplir le deuil du lieu de vie. J'entrai dans l'ère des lieux de survie, où le cœur n'accroche pas aux particules de l'air. Who calls my parting soul from death ?

Cette question à double voix de ténor et de soprane transporte les fluides spirituels intangibles et permet aux organes vitaux de fonctionner à travers les dérélictions.

Ce duo habile comporte les trois strates de la majesté du passé accumulé, de la trahison frémissante du présent et de l'éveil ressuscité des horizons du lendemain. Si les antibiotiques écrasent sans soigner, si les plantes ne drainent plus, si les prières ne sont qu'appels sans réponse et que l'alcool tourne au vinaigre, le duo d'Haendel, comme un veilleur, marche avec son rythme baroque et sa lanterne de son dans les couloirs du désespoir pour guider l'être en exode.

 

Ici, ailleurs :

Quitter les lieux

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jeudi, 11 octobre 2018 | Lien permanent

Un bon mix

Expérience étrange et enivrante, j'ai relu La nuit des éphémères, de Thomas Boudie... en écoutant, en boucle, quelques chansons de Keali'i Reichel, dont E ala e, celle qui baignait mes années estudiantines.
La province du Sud-Ouest, ses notables baroques, ses immigrés dérangeants, l'étouffant soleil sur la ville d'Agen...
Et l'océan magique de la langue hawaiienne, la langue-eau, la langue-vague, la langue tuée par le béton capitaliste américain.
Ces deux poésies se sont mariées, pendant la demi-heure que dure la lecture de La nuit des éphémères, face à la très légère pluie d'avril à Paris.
He pua ke aloha, e kawowo a'e ana mai ka 'ano'ano mai o loko lilo...


« elle fait le tour des pièces du haut,se penchant lentement contre la pierre blanche et tirant les volets pâles dans un grincement. De tous ces gestes, elle espère un relâchement qui ne vient pas, elle supplie le monde de n'être que soleil et mariage en soirée
»

La nuit des éphémères, Thomas Boudie, Maison Malo Quirvane, 2019

 

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mercredi, 24 avril 2019 | Lien permanent

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