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L’intersigne du berceau, vieille histoire bretonne

anatole le braz, légende bretonne, mort, islande, grande pêche

Cette "histoire vraie" a été recueillie vers la fin du XIX°siècle par Anatole Le Braz, à Paimpol, auprès d'un cantonnier nommé Goanvic.

Anatole Le Braz l'a publiée avec d'autres histoires dans son ouvrage intitulé La légende de la mort en Basse-Bretagne (1893).

(Un banc-tossel est un banc adossé au lit : le premier chasseur est le navire qui va chercher les premiers résultats de la pêche des marins qui passent plusieurs mois dans le Nord.
Les marins du Premier Chasseur rapportent une partie de la pêche, ainsi que des nouvelles fraîches pour la famille qui attend son marin.

 

Marie Gouriou demeurait au village de Min-Guenn (la Pierre-Blanche), près de Paimpol. Son homme était à Islande, où il faisait la pêche.

Ce soir-là, Marie Gouriou s’était couchée, après avoir placé sur le banc-tossel tout contre son lit, le berceau où dormait son petit enfant.

Elle était assoupie depuis quelque temps, lorsque dans son sommeil elle crut entendre l’enfant pleurer. Elle ouvrit les yeux, regarda.

Jésus-ma-Doué ! (Jésus mon Dieu !), la chambre était pleine de lumière, et un homme, penché sur le berceau, berçait doucement le petit, en lui chantant à mi-voix un refrain de matelot. L’homme avait rabattu sur son visage le capuchon de son ciré, en sorte qu’on ne pouvait distinguer ses traits.

— Qui êtes-vous ? s’écria Marie Gouriou, épouvantée.

L’homme leva la tête. La femme Gouriou reconnut son mari.

— Comment ! tu es déjà de retour ?...

Il n’y avait guère plus d’un mois qu’il était parti.

Elle remarqua que ses habits ruisselaient, et cela sentait très fort l’eau de mer.

— Prends donc garde, dit-elle, tu vas mouiller l’enfant... Attends, je vais allumer du feu.

Elle avait déjà les deux jambes hors de son lit et s’apprêtait à passer son jupon. Mais la lumière étrange qui emplissait la maison s’évanouit aussitôt. Marie chercha à tâtons les allumettes, en frotta une, et constata que son mari n’était plus là

Elle ne devait plus le revoir. Le premier chasseur qui revint d’Islande lui apprit que le navire où s’était embarqué son homme s’était perdu corps et biens, la nuit même où Gouriou lui était apparu penché sur le berceau de son fils.

 

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samedi, 12 octobre 2013 | Lien permanent

Un monde invincible

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De ta démarche de pouliche élégante, tu avances sur le chemin qui a croisé le mien. De quelle couleur sont tes yeux ? Je ne le sais toujours pas : mouvant, comme tout ce qui émane de toi, ton regard me trouble à force d'imiter l'eau trouble, calme et brouillé, brouillé d'émotions ou de mystères.

Tu connais désormais la ville que j'ai habitée seule ; tu connais la maison où j'ai grandi ; tu connais la puissance de mes rêves et le rideau noir qui cache une partie de ma mémoire.

Et je te regarde quand tu détournes la tête, je vois alors ton profil scruter un horizon là-bas ; je m'interroge : qui es-tu ?

Question idiote. Je prie, donc tu es.

 

De ta voix, lointaine comme celle d'une inconnue, tu dis des choses fines et pertinentes, et quand ta voix se fait plus faible, la puissance de tes mots se renforce. De quelle couleur est ta voix ? Elle a le timbre des espérances fragiles, des promesses qui ne tiennent qu'à un fil, des trêves qui viennent du fond des vignes de l'enfance.

Je connais désormais la fulgurance de ton style, la forme de l'appartement où tu vis depuis quelques années, le visage de celle qui dort dans la chambre à côté.

Et tu me regardes, quand je détourne la tête pour dissimuler la pensée qui me traverse par effraction ; tu m'interroges : que veux-tu ?

Question superflue. Tu es, donc je veux.

 

De tes mains qui trahissent une expérience multiple, tu poses des pions qui avancent, qui reculent, qui hésitent. Tes mains s'arrêtent quelques instants : à quoi pensent-elles ? Au trajet qu'elles parcourent, parfois, le long des parois de ma cathédrale ; à la vie qui s'écoule, au temps qui passe, à la douceur qui se précise.

Tu connais désormais la chair qui me trahit. Tu connais le manoir d'où je m'enfuis. Tu connais la puissance des plaisirs, et la faiblesse du regard quand les doigts avides meurent dans le désespoir.

Et je te regarde quand tu dors sur l'asphalte des routes et des déroutes. J'entends alors le souffle qui ne dévoile qu'à peine l'abandon de ton corps ; je m'interroge : que murmures-tu ?

Question chuchotée. Tu dors, donc tu réponds au fond d'un rêve.

 

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mercredi, 23 octobre 2013 | Lien permanent

Songe d'une brume gothique

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 Ils se sont pendus dans la maison où dormaient tranquillement leurs enfants. Ils ont sauté par la fenêtre un jour d'été (au déjeuner il y avait eu une crise de fou rire, puis de la musique pendant un bon café). Ils se sont jetés sous un train une semaine après l'annonce d'une bonne nouvelle. Ils ont avalé cent pilules dans une salle de bains éclairée aux néons. Ils ont décroché le fusil de chasse du vieux mur et l'ont tournés sur eux par une nuit étoilée. Il ont sauté du Pont-Neuf ou du pont du Gard, ils ont roulé à 280  kilomètres heures vers un platane.

Des gens les aimaient. Des enfants les attendaient. Des chiens les veillaient. Des parents les pleurent encore.

Ne cherche pas d'indices dans leur vie, dans leurs rapports avec les gens qui les entourent, dans leurs hauts et bas ; c'est leur âme qui appartient à la mort. Nul culpabilité ; mais un engrenage, un cercle infernal au sein duquel ils sont prisonniers, comme dans des sables mouvants.

Ne te fouette pas, ne t'ensevelis pas sous des seaux de culpabilité inadéquats. C'est leur âme qui appartient à la mort, comme la tienne appartient à la vie. Vos chemins se sont croisés sans que tu n'aies rien pu faire. Tu les as aimés tous les jours de ta vie sans que cela les retienne.

Ils étaient détestés, charmants, enviés, adorés, tolérés, beaux, laids, forts, fragiles, intelligents, médiocres, tendres, violents, fidèles, instables, rigides, détendus, amoureux, solitaires, fêtards, religieux, bon vivants, végétaliens, chasseurs, surfeurs, poètes, comptables, souriants, boudeurs. Vous vous ressembliez comme deux gouttes d'eau peut-être. Tu te demandes pourquoi tu te lèves encore lorsqu'ils ont quitté cette vie par effraction. C'est leur âme qui appartenait à la mort et qu'aucun contre-sortilège n'a su charmer.

 Edith

(Sur AlmaSoror : les yeux, les tombeaux, l'esclave)

 

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dimanche, 15 décembre 2013 | Lien permanent

Sir Jerry, de Mad H. Giraud

Mad H Giraud, Sir Jerry, Manon Iessel, résistance, antisémitisme

Nous recopions pour vous l'ouverture des étranges vacances de Sir Jerry, et une page du milieu du livre La périlleuse mission du Capitaine Jerry.

Très bien écrits, ces romans ont traîné dans beaucoup d'étagères adolescentes des années 50, 60, 70, avant de se dissoudre dans le silence. Mais le style littéraire, beau et original, la manière scénaristique de raconter qui procède d'un ton constamment elliptique, la succession d'atmosphère peintes avec une grande finesse, les illustrations de Manon Iessel restent au fond des mémoires comme des souvenirs qui imprègnent et reviennent sans prévenir au détour d'une phrase, d'une odeur, d'un paysage.

Certains passages paraissent, idéologiquement, si vieillis et si contraires à ce que nous chérissons que la lecture en devient presque audacieuse, entre la transgression et la trahison.

Ces textes sont, justement, d'autant plus dérangeants pour notre société que l'auteur, en pleine seconde guerre mondiale, écrit des livres vantant la Résistance de Londres et qu'elle loue la haute culture indienne. Ses attaques sur les "singes" indiens, sa description infernale des juifs intelligents et cupides, son implacable sens des distinctions de classes et de castes en paraissent d'autant plus gênantes qu'on ne peut pas la jeter dans la poubelle de "ceux qui ont choisi le mauvais camp".

Ceux-là même, qui se veulent fidèles à "ceux qui ont choisi le mauvais camp" ne lui rendent pas l'hommage de la garder sur les étagères, cette mystérieuse Mad H Giraud, puisque, résistante et antisémite, colonialiste et admiratrice des civilisations asservies, attachée aux principes rigides de la vieille France (et de la vieille Angleterre) et profondément libératrice et responsabilisante à l'égard des enfants, elle trône dans les néants où l'on envoie ceux qu'aucune famille culturelle ne peut récupérer sans mettre en danger son confort intellectuel.

Allons donc ! Laisserions la littérature, et surtout la littérature enfantine, nous faire croire que les bons ont des défauts, que les méchants ont des qualités ? C'est cette pénible idée que l'on trouve dans les aventures de Sir Jerry.

E CL

Mad H Giraud, Sir Jerry, Manon Iessel, résistance, antisémitisme

Les étranges vacances de Sir Jerry

Chapitre Premier

Dans lequel on retrouve quelques amis

L'avion blanc planait dans le ciel bleu. Il se rapprochait peu à peu de la terre, dessinant en l'air d'agréables figures qui montraient assez qu'il était piloté de main de maître.

Sur le sol, à quelque distance, tout un petit monde s'agitait, courant et criant, maintenu hors du champ d'atterrissage par une simple promesse qui valait toutes les barrières.

- Le voici ! Le voici ! C'est à moi ! C'est à moi !

- C'est à nous, tu veux dire, reprit une voix.

- Ce sera : à aucun, déclara une jeune personne. On a dit que les baptêmes de l'air cesseraient à quatre heures et demie. Il est quatre heures et demie.

On entendit quelques protestations, quelques regrets, mais aucun des enfants qui étaient là ne proposa d'essayer de gagner une demi-heure.

Une heure était une heure et une promesse se tenait sans défaillir.

Le pilote et ses deux passagers avaient débarqué : on accourut devant eux.

- Ce sera pour demain ! dit le premier, prévoyant la question des enfants. Et je commencerai par les petits. Maintenant, il faut rentrer. Tante Belle nous attend pour goûter.

- Oncle Dick, ce sera d'abord Nell et moi, n'est-ce pas ? C'est nous qui sommes les plus petits.

- Oui, mais tu es un garçon, Ned. Peut-être voudras-tu, poliment, céder ton tour à Mérouji et Anicette.

Ned fit une grimage. Il n'avait pas très envie d'être si poli que cela !

Ces demoiselles ne le lui demandèrent pas.

- Ned et Nell seraient trop impatients, dit Mérouji. Nous ne voulons pas de politesse ni de tour de faveur.

- Et peut-être pourrons-nous alors rester un peu plus longtemps, conclut Anicette, pratique.

- C'est magnifique ! criaient les deux passagers. On voudrait ne jamais redescendre.

- Ce serait bien agréable de faire un grand voyage, dit pensivement Patrice, l'aîné des garçons.

- Quel dommage que le Voleur-Fidèle ne puisse pas nous prendre tous, oncle Dick !

- Il faudrait un dirigeable, mon vieux, répliqua l'oncle Dick, pour vous prendre tous.

Le goûter était préparé dans le jardin de Belle-Maison. Le vieux maître d'hôtel, Thomas, apportait la grande bouilloire d'argent au moment où l'oncle Dick - Lord Armster - apparaissaient avec ses neveux.

Tante Belle, la charmante jeune tante que tout le monde chérissait, descendait les marches du perron en courant. Elle agitait une lettre entre ses doigts, comme elle aurait brandi un étendard victorieux.

- Sir Jerry arrive ! cria-t-elle. Il sera là demain.

- Papa ! Papa ! cria Mérouji. Quel bonheur !

La petite fille, d'un bond léger, s'en vint sauter au cou de Lady Armster :

- Oh ! tante Belle, quel bonheur ! Être ici auprès de vous tous avec papa !

- ça, dit son frère Jerry, ce sera les plus belles vacances de notre vie !

Il parlait posément, mais avec tant de conviction et d'émotion contenue que l'on devinait toute la joie de ce grand garçon de quinze ans.

Mad H Giraud, Sir Jerry, Manon Iessel, résistance, antisémitisme

La périlleuse mission du capitaine Jerry

Chapitre IX La vieille Ketty

(extrait)

Ce fut un jeu pour le capitaine Jerry d'arriver jusqu'à la lucarne de façon à regarder ce qui se passait à l'intérieur de la maison. Il aperçut d'un coup d'oeil rapide la salle unique qui formait toute l'habitation de la vieille Ketty. La vieille Ketty elle-même, la véritable vieille Ketty, était là, dans un coin. Assise devant une table couverte de gâteaux les plus divers, elle prouvait au capitaine Jerry que, contrairement à ce qu'on pensait, elle était corruptible et que sa gourmandise offrait un moyen très sûr d'ouvrir une porte que l'on pouvait penser bien fermée sur une pauvre folle.

Elle mangeait avec lenteur, savourant chaque bouchée d'un air de profonde satisfaction. Son observateur invisible ne s'attarda pas à ce spectacle attristant, mais il eut le temps de constater que la vieille Ketty, par prudence, sans doute, avait été attachée à sa chaise. Ainsi, elle ne pouvait bouger ni rejoindre au dehors, son "double", révélant par sa présence la supercherie qui, jusque là, avait arrêté les prédécesseurs du capitaine Jerry.

Celui-ci, pourtant, cherchait du regard, dans la pièce, des traces du passage de ceux qui devaient avoir une raison toute spéciale pour envahir la maison de la vieille Ketty et s'assurer son involontaire complicité. Et celui qui, empruntant la personnalité de la pauvre folle, veillait à la porte, avait sans doute aussi un motif pour cela.

Et, brusquement, le capitaine Jerry aperçut raison et motif. Dans un angle de la pièce, le lit de la vieille Ketty, sordide grabat, avait été déplacé, et l'on pouvait, de la lucarne, voir que ce lit, en temps habituel, dissimulait une trappe en ce moment découverte.

Quelle quantité impressionnante de gâteaux et de bonbons avait-il fallu à la vieille Ketty pour qu'elle laissât travailler chez elle ceux que poursuivait le capitaine Jerry !

Pauvre folle qui ne savait rien de ce que l'on tramait chez elle, contre son pays, et se laissait acheter, inconsciente, cette complicité ignorante.

Légèrement, le capitaine Jerry se laissa retomber à terre et secoua sa vareuse un peu salie par le contact du mur.

Et, délibérément, il revint à la porte de la maison et entra.

La vieille Ketty poussa une sorte de grognement, mais le capitaine Jerry avait tiré de sa poche un petit flacon de whisky. Il en versa un doigt dans le verre vide qui se trouvait sur la table et le tendit à la vieille femme qui s'en empara avec avidité.

Tandis qu'elle buvait, le capitaine Jerry se dirigea vers la trappe qui avait été un peu rabattue de façon à couvrir à moitié l'ouverture par laquelle il allait poursuivre ses ennemis.

 

Mad H Giraud

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vendredi, 06 juillet 2012 | Lien permanent

Culpabilité et béatitude

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Le soleil d'hiver baigne la ville froide. Les papiers administratifs sont faits. Une certaine somme s'est abattue sur le compte en banque, suite au rachat d'un livre par une maison d'édition étrangère.

Depuis une semaine, alors que la ville grouille et que ses habitants turbinent, s'activent, travaillent..., elle, elle se lève vers 9 heures du matin, prend une douche et un grand petit déjeuner, puis se recouche.

Au lit, elle lit, durant deux ou trois heures, quelquefois des encyclopédies, ou des auteurs grecs ou latins, quelquefois la bibliothèque  de son enfance : les bandes dessinées (Black & Mortimer, Victor Sackville, Tintin), les romans de la bibliothèque de l'amitié, des livres d'aventure du début du siècle.

Puis l'appel du ventre la mène à la cuisine, où, avec plaisir, sans hâte, elle cuisine un déjeuner original et soigné, qu'elle déjeune au coin d'un feu. Elle attend ensuite dans la douce chaleur que le feu s'éteigne en buvant un café et en réfléchissant à des événements passés.

Quand la cheminée a fini de crépiter, elle retourne à sa chambre et se remet au lit. Enfin elle écrit. Vers six heures, quand l'inspiration sera tarie, elle fera une longue promenade dans la ville. Il fera nuit quand elle rentrera. Ainsi passe l'hiver.

Observatoire de la culpabilité

Fond des lectures

Lors d'une lecture de Zozime, la culpabilité est basse. Lors d'une lecture de Tintin ou de la Comtesse de Ségur, la culpabilité est très élevée. Trouve-t-elle que les auteurs classiques sont plus brillants, plus intelligents, plus culturels que Hergé ou la Comtesse de Ségur ? Non ! La culpabilité n'est donc pas due à un jugement interne sur les lectures acceptables, mais sur l'échelle de valeur qu'elle croit objective.

Positions

L'indice de culpabilité monte avec la position couchée et chute avec la position assise ou debout. Lire ou écrire assise sur un fauteuil donne moins de culpabilité que lire ou écrire assise dans son lit. Or, lit-elle mieux dans un fauteuil que dans un lit ? Non. La culpabilité ne monte pas en fonction de la réalité de sa concentration, mais en fonction de l'échelle de valeur qu'elle croit objective.

 

Sommes-nous faits pour la béatitude ou pour la culpabilité ? La souffrance est-elle mesure de la vertu ? A-t-on le droit moral de vivre dans la douceur et la béatitude ?

 

Edith

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dimanche, 09 janvier 2011 | Lien permanent

Etat civil sans regard

Le regard et les morts d'un homme

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“Au fond, quel merveilleux phénomène que l'oeil de l'homme, ce joyau entre toutes les formations organiques, lorsqu'il s'ajuste pour concentrer son éclat humide sur une autre forme humaine ! Précieuse gélatine composée d'une substance aussi commune que le reste de la création, il montre, tout comme les gemmes précieuses, que les diverses matières n'importent point en soi et que tout est dans leur assemblage ingénieux et heureux. Mucilage enchâssé dans une caverne osseuse, une fois privé de l'âme il est destiné à pourrir quelque jour dans la tombe, à se dissoudre de nouveau en boue liquide ; mais aussi longtemps que subsiste en lui l'étincelle de vie, il sait jeter d'admirables ponts éthérés par dessus tous les gouffres de l'extranéité qui se peuvent interposer entre un humain et un autre".

Thomas Mann
Photos de Sara

 

C’était tes yeux qui disaient tout. Tes lèvres ne murmuraient jamais. Il y avait les souvenirs chauds de l’Espagne et le froid blanc de Finlande. Les traces des doigts sur les vitres, la maison de bois dans laquelle on n’allait jamais. Croyait-on alors que nous vivrions pour toujours ? Le mystère de ma jeunesse m’est fermé. Je n’ai plus la clef. Je ne comprends plus qui j’étais.

Je me souviens de quelqu’un dont j’oublie le visage et le nom de famille, avec qui je vivais et que je pensais accompagner toute ma vie.

Il ne me reste que ce regard qui me connaissait et qui ne se doutait pas de ce que je serai devenu, quarante ans et des poussières plus tard.

Ce regard d’une femme qui vit peut-être encore, quelque part.

Comment se peut-il que le temps passe autant ? Que les êtres s’oublient ? Que les hommes changent au point que je ne suis plus celui qui vivait alors, au fond de la Scandinavie ?

Nous mourrons mille fois ; seul notre Etat Civil nous reconnaît au delà de ces morts. C’est parce que notre Etat Civil est un marquage dénué de réalité humaine.

 

David Nathanaël Steene

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vendredi, 04 décembre 2009 | Lien permanent

La naissance des ours

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Veille - Nuit - Premier matin

Veille

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Les pères, les mères et les amis attendent tout le jour la naissance des oursons.
Dès l'aube, ceux-ci ont fait savoir que ce serait pour aujourd'hui. Mais le jour se lève et s'écoule sans que rien d'autre n'ait lieu que l'attente. L’attente de tous et la douleur de celle qui enfante.

Alors Spiegel im Spiegel, la berceuse d'Arvo Part qui multiplie les images dans les miroirs, joue tout le jour dans la fraîcheur froide tandis que des cierges se consument dans les maisons du Sud et les églises d'Île de France.

Même dans les pages des livres d'enfants, tout se tait ; tout s’immobilise ; les personnages attendent. Animaux et humains, ils savent que quelque chose va avoir lieu.
Et dans les cuisines on ne sait pas quoi faire en attendant.  Les heures s’écoulent dans l’étonnement du silence.

 

Nuit

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Kiko, par Sara

La nuit tombe et l’ourson frappe à la porte. Tout prend un air de crèche. C’est la fête émerveillée.

L'ourson, à peine éclos, prend place dans la fratrie totémique : un frère-Dieu, deux sœurs-fleuves et un frère-fleuve, qui l'entraîneront sur les routes puissantes du rêve éveillé.
Loin du Sud, à Paris, au fond d’une cour de Montparnasse, quelqu’un songe : quel est cet enfant assez étrange pour naître lors de la trêve des confiseurs ?

 

Premier matin

Révolution, Sara

Le soleil d’hiver s’est levé sur le premier matin d’Orso sur la terre. Il a entrevu le ciel à travers le rideau. Il a tété sa mère, sucé son pouce. Il a voulu que son premier soir d’homme soit un réveillon de nouvel an, parce que la vie qu’il commence est une révolution.

 

Bienvenue dans ce monde ! Et pour t'accompagner, une phrase de philosophe :

"Quel vin est aussi pétillant, savoureux, enivrant, que l'infini des possibles!"
Søren Kierkegaard

AlmaSoror, Edith de Cornulier-Lucinière, Sara, blason

Edith de Cornulier-Lucinière, pour Orso B, né le 30 décembre 2011 au bout d'une longue journée.

 

 

 

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samedi, 31 décembre 2011 | Lien permanent | Commentaires (7)

Le vide dominical

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C'est dans la douleur dominicale, isolée dans un square du boulevard Richard Lenoir, que j'ai découvert ce poème-miroir. Ecrit au XIXème siècle par Georges Rodenbach, il m'a transmis l'écho de mon propre vide, de ma déréliction de femme du XXIème siècle horrifiée par son propre fantôme, qui peut-être n'était que mon corps. 

Dimanche : un pâle ennui d'âme, un désœuvrement
De doigts inoccupés tapotant sourdement
Les vitres, comme pour savoir leur peine occulte ;
- Ah ! Ce gémissement du verre qu'on ausculte ! -

Dimanche : l'air à soi-même dans la maison
D'un veuf qui ne veut pas aider sa guérison
Quand les bruits du dehors se ouatent de silence.
Dimanche : impression d'être en exil ce jour,

Long jour que le chagrin des cloches influence,
Et sans cesse ce long dimanche est de retour !
Ah ! Le triste bouquet des heures du dimanche ;
C'est un triste bouquet de fleurs qui lentement

Meurt dans un verre d'eau sur une nappe blanche...
M'en sauver, le pourrai-je ? Et l'éviter, comment ?
Ce jour de demi-deuil aux couleurs trop calmées
Où mon coeur otieux s'en va dans les fumées.

J'en ai l'obsession, j'en ai peur, j'en ai froid
Du spleen hebdomadaire où ce jour me ramène :
Tandis que je me leurre au long de la semaine,
Flux et reflux de jours qui s'accroît et décroît,

Dont l'écume est un peu de vanité qui chante,
Voici que le repos dominical me hante
Et déjà m'apparaît comme un repos amer,

Repos nu d'une grève au départ de la mer,
Grève morte du long dimanche infinissable
Qui coagule au loin ses silences de sable...

Georges Rodenbach

(1855-1898)

Georges Rodenbach détestait tellement les dimanches qu'il a pondu un autre poème, dominical encore, intitulé Dimanches.

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lundi, 19 juin 2017 | Lien permanent

Nostalgie

 

Nostalgie de ce que l'on va perdre... mélancolie qui flotte au fond d'une petite joie. Amour de toi, amour du monde, malgré parfois le manque de foi.

La mort me fait à moitié peur ce soir, d'autres soirs, elle me terrifie. Je prie l'angélus, trois fois par jour, mais je suis seule : les cloches ne sonnent plus, les paysans, les commerçants ne s'arrêtent plus s'agenouillant dans le champ, dans la boutique...

Je mène une vie déconsidérée par vous, mes frères, une vie de péché, une vie en discordance, et pourtant le Rosaire m'accompagne, je l'effeuille au fil des jours. Il est écrit : Désordre, sur la porte de ma maison. Mais il est écrit : Amour, sur la porte de mon cœur. Il est écrit Péché sur ma carte d'identité, mais il est écrit : Pardon sur la partie cachée de mon front.

Certains matins, la vie me fait si peur que je voudrais me blottir à nouveau au fond du ventre de ma mère, dont j'ai je crois des souvenirs. M'y blottir à neuf mois, puis à huit, puis à sept, et remonter le temps jusqu'à la petite graine, qui rapetisse, devient goutte de néant dans le Néant.

Hélas, la vie ne se donne pas à l'envers. Elle se déroule et se dévide dans le sens des aiguilles d'une montre. Je suis le fil du temps, comme un cheval dans un manège, je cours sans savoir pourquoi, ou bien je m'arrête et personne n'est content de moi.

Nostalgie de ce que l'on va perdre. Car la nuit recouvre ce qui a été. Mélancolie qui flotte au fond d'une petite joie. Car la paix n'est jamais complète ici-bas. Amour de toi, amour du monde, malgré tes défauts qui m’obsèdent, malgré les combats perdus et les chemins renoncés. Au fond de moi encore un peu de foi.

 

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jeudi, 25 mai 2017 | Lien permanent

L'homme et la brique

Un père pontier à l'usine à Flins, une mère serveuse à L'oie d'Or, et moi j'ai créé une briqueterie artisanale. Cuite ou crue, peinte ou nue, ocre ou grise, ma brique est terre et elle rendra douce ou mystérieuse l'ambiance où vous ferez grandir vos petits. Murs et murets, tables et bar intérieur de cuisine, voyez tout ce que vous pouvez aménager grâce à notre métier, si ancien, si bien ancré dans notre présent.

Au commencement était l'argile. L'eau de kaolin vient s'y mêler. Le pétrissage, puis le séchage, distillent leurs odeurs et leur poussière, qui hanteront les rêves de mes fils Hugues, Kévin et Bastien quand ils seront grands – quand ils seront vieux. J'ose espérer que l'un d'eux reprendra la maison Pontguillaume. J'ose espérer qu'ils s'entendront toujours aussi bien qu'hier soir, lorsqu'ils jouaient au ballon au coucher du soleil.

Il faut disposer les briques dans le four, et j'aime à voir mes apprentis, au début gauches et hésitants, devenir, avec les mois qui passent, les rois de la cuisson. Ils apprennent à aimer la vision infernale du rougeoiement pendant que les rectangles de terre chauffent, chauffent, chauffent...

Des tuiles ? Quelquefois. Quand les commandes de briques s'effondrent, que la demande en tuiles demeure, oui, nous créons de belles tuiles pour une clientèle amatrice de toits rouges et oranges. Mais la brique reste notre plume de paon.

Nous vivons au bord du fleuve. C'est le signe d'un contact avec l'eau, qui irrigue la terre et la rend ferme et molle et friable. C'est le signe d'un contact avec la lune, qui dirige les élans des eaux de la planète, la Terre.

Je ne parlerai pas des soucis qui rongent mon être. Il suffit de dire que tout n'est pas rose. Les femmes savent faire souffrir, les hommes oublient les services rendus. Mais les enfants qui jouent le soir, le regard aimant du chien, l'odeur des briques, le souvenir du père et de la mère partie trop tôt, tout cela fait de moi un homme qui vous dit : merci.

Micka Pontguillaume

 

Sur AlmaSoror, on peut lire aussi le témoignage de Calélira sur sa ville d'enfance, Equihen.

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vendredi, 18 juillet 2014 | Lien permanent

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