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mardi, 01 octobre 2013

L’Olonnois

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Le capitaine Barbier se rappela le jour d’anniversaire de ses quatre ans : en trois coups de poing, Joe Ragondin, qui n’avait alors que trois ans et demi, l’avait étalé sur les pavés de la cour de récréation. Il avait saigné et la maîtresse avait grondé Joe. Mais cela ne l’avait pas consolé. Il était rentré chez lui avec une grande tristesse au fond du cœur.

Aujourd’hui, le capitaine Barbier avait cinquante-quatre ans. Il regardait la mer scintiller sous un ciel bleu étincelant. Il ne lui restait plus qu’une seule année pour attraper le vieux filou. Après, il serait mis dans les bureaux. A cinquante cinq ans, l’administration estime que vous êtes trop vieux pour faire le zouave avec un flingue et des bottes. Le capitaine Barbier, il est vrai, se sentait fatigué. Mais il ne voulait pas partir à la retraite sans avoir capturé le hors la loi, que les polices du monde entier surnommaient « l’Olonnois ». Le baroudeur qu’aucune police du monde n’avait pu attraper, lui, il l’aurait. Il le fallait. Ce serait sa vengeance. Cinquante ans plus tard, les trois coups de poing qui le faisaient toujours souffrir lui seraient enfin payés.

La mer des Sables d’Olonne était d’huile. Calme et sage, elle roucoulait doucement sous le scintillement bleu qui la traversait. Seules quelques vaguelettes crachouillaient sur le sable. Le Capitaine Barbier s’avança sur la jetée. Ses gars étaient postés un peu partout autour de lui.

La lutte avait été rude. Mais aujourd’hui, il n’y avait plus aucune chance pour que l’ennemi de toutes les polices du monde échappe au piège. Jugez plutôt : quatre sous marins planqués de chaque côté de la rade.

- Capitaine, vous croyez qu’on va vraiment l’avoir, ce Ragondin ?

- Aussi vrai que je m’appelle Barbier et que je suis capitaine de la gendarmerie maritime des Sables d’Olonne, on l’aura.

- Vous êtes un as, capitaine. Vous n’aimez pas les pirates, vous.

- Tu ne crois pas si bien dire.

Si Joe Ragondin avait trois ans et demi quand il avait dégommé le capitaine Barbier dans la cour de l’école, aujourd’hui, il avait donc cinquante-trois ans et demi. Après avoir terrifié les gendarmeries maritimes de toute l’Europe, il allait finir sa carrière au port où il avait grandi. Le capitaine Barbier tourna le regard vers le Nord ; le Palais de Justice faisait face à la mer. Il se demandait dans quelle prison les juges enverraient son pire ennemi. Il y avait des prisons partout en France, et Barbier au fond s’en fichait. Ce qui lui importait, c’était d’être enfin vengé de la plus grande humiliation de sa vie. « La vengeance est un plat qui se mange froid », se répétait-il. Quelle patience il avait fallu pour en arriver là !

Son second s’approcha de lui.

- Où en est-on ? demanda Barbier.

- Capitaine, le voilier de Ragondin est en vue. Les quatre sous marins sont prêts à ouvrir le feu.

Soudain, le voilier du bandit s'offrit à tous les regards. Il s'approchait à bonne vitesse, ses jolies voiles vertes dansaient dans le vent. Aussitôt, surgirent du fond de l'océan quatre énormes cheminées d'acier : c'étaient les sous-marins qui remontaient lentement à la surface, les armes braqués vers le petit bateau du grand braqueur des mers.

Il n'y eut pas de combat. Face aux tanks marins, Joe Ragondin avait hissé le drapeau blanc pour annoncer qu'il se rendait.

- Je ne vais quand même pas vous suicider, les gars, dit-il à ses deux acolytes, deux jeunes garçons de la DDASS que le hors-la-loi avait pris sous son aile. Vous direz que je vous ai menacé de mort et je ne vous contredirai pas. Ainsi, vous ne ferez pas trop de prison et vous aurez une seconde chance.

Les deux gars n'eurent pas le temps de le remercier. Une centaine de gendarmes prenait le voilier d'abordage. Ils faillirent couler tant ils étaient nombreux sur ce léger bateau.

Lorsque Joe Ragondin mit le pied sur la terre, il était entouré d'une volée de gendarmes qui l'avaient menotté aux poignets et aux chevilles et qui devaient maintenant le soutenir pour le faire avancer.

Le capitaine Barbier souriait de bonheur et de fierté. Sa poitrine se gonflait d'orgueil. Il avait atteint l'apothéose de sa carrière de justicier. Il s'avança lentement vers son ennemi.

- Tu as fini de rire, Ragondin ! S'écria-t-il afin que les journalistes puissent l'entendre.

Mais Joe Ragondin, qui l'avait regardé s'approcher, lui répondit à voix basse :

- Crapule ! Tu m’as eu… Allez… Tu es content, hein… Tu n’as jamais oublié la honte de tes quatre ans, pas vrai ?

Barbier baissa les yeux. Soudain, il eut honte de cette histoire. Vrai, il avait couru derrière le plus grand pirate du monde pour une baston d’enfance ?

Ragondin cracha, puis il sourit.

- Tu veux savoir pourquoi je t’ai asséné ces coups, ce jour là ? C’était, il y a, attends… Je calcule les années qui nous séparent.

- Cinquante ans, prononça Gilles Barbier dans un murmure.

Ragondin siffla d’étonnement.

- Cinquante, déjà. On se fait moins jeunes, dis.

Barbier osait à peine le regarder.

- Tiens, je te le dis. Je t’avais donné ces coups de poing parce que je t’aimais bien. C’est comme ça que je faisais pour me faire remarquer. Parce que je ne savais pas faire autrement. On m’avait appris ça, chez moi. Allez, excuse-moi, vieux. Excuse ces coups.

Barbier avait la tête baissée, toujours. Tout d’un coup, il était écrasé par les années qui avaient passé, par l’amitié qui n’était jamais venue, par la fragilité du grand filou menotté.

- Pardon, je te traite comme un vieil ami. Mais tu es le capitaine Barbier. Pardonnez-moi, Capitaine. Je vous ai tutoyé.

Les gars le tirèrent et le firent monter dans le fourgon. Barbier entendit les sirènes.

- Vous venez, Capitaine ? Lui dit un des gars, lui montrant du doigt la deuxième voiture, prête à partir.

- Un instant, murmura Barbier.

Il voulut regarder la mer un instant. Elle était belle, comme elle avait toujours été et comme elle serait toujours. Et lui, il se sentait le cœur lourd. Cinquante ans pour se rendre compte que la vengeance a un goût de cendre.

- Capitaine ! appelaient ses gars.

Alors le capitaine Barbier inspira un grand coup d’air, se détourna de la mer palpitante et suivit ses gars.

 

 Edith de CL

 

dimanche, 02 mai 2010

La démesure des interstices

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Plus personne ne m'aimait. Je n'avais pas vraiment trahi, tout venait d'une immense incompréhension au départ, d'un désaccord originel, tu. Entre les gens et moi un gouffre et je hantais des espaces fermés les uns aux autres. Quand ceux du Nord me virent accoquiné à ceux du Sud et que ceux du Sud comprirent que j'avais connu ceux du Nord, ceux du Sud et ceux du Nord ne me parlèrent plus.

Insidieusement je vis que les portes se fermaient à mon nez sans violence, que les invitations aux dîners et aux fêtes étaient mortes, que mon appartement des toits de Paris où tant de gens avaient bu et mangé restait vide. J'aurais dû, peut-être, prévenir que j'étais un errant, de ceux qui passent partout et ne s'asseoient nulle part. J'aurais dû, peut-être, demander l'autorisation d'être double. Quelque chose de tacite, qui a lieu entre les gens, n'avait pas été respecté et reconnu par mon attitude et je le paye aujourd'hui. Le prix ? Incalculable : la solitude.
Et pourtant je n'ai pas menti. Je n'ai pas trahi. Par naissance ou par caractère, j'étais double, de là bas et d'ici, du Nord et du Sud, de la révolte et de l'autorité, de la ville et des plaines vides, de la haine et de l'amour. Plus personne ne m'aime. Je souris à vos visages dans les albums photos, sur Internet, en buvant du vin blanc comme toujours.

José Vengeance Dos Guerreros