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lundi, 03 septembre 2012

Svanhild

 

Svanhild est l'un des textes du recueil La dame à la louve, de Renée Vivien, que quelqu'un a généreusement mis à la disposition de tous, par ici...

Nous la proposons à la lecture, cette pièce étrange, aérienne, d'une écrivain qui fit sienne la langue française et à qui nous devons beaucoup, car son style a tous les charmes de notre langue, sans jamais en avoir la pensanteur qui lui est propre - car chaque langue à ses sentiers battus, trop battus...

Svanhild

un acte en prose

Svanhild, Renée Vivien

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

 

La scène représente une rive du Nord-Fjord. Dans le fond, des montagnes. Des jeunes filles, en costume de paysannes, forment un groupe mouvant. Elles foulent aux pieds les clochettes bleues, le thym et les gentianes. Immobile sur un rocher, Svanhild regarde au loin.

 

Thorunn

Que regardes-tu de tes yeux fixes, Svanhild ? Et que viens-tu chaque jour attendre en silence ?

 

Svanhild

J’attends le retour des cygnes sauvages.

 

Gudrid

Tu sais bien qu’ils ne sont point revenus dans la contrée depuis le jour de ta naissance. Ils s’arrêtèrent et se reposèrent longtemps sur le toit qui t’abritait. Tant que persista la clarté, ils s’attardèrent sur le toit de mousse aux fleurs bleues et dorées, et, au crépuscule, ils s’enfuirent dans un grand battement d’ailes.

 

Svanhild

Ils reviendront.

 

Bergthora

Il y a vingt ans qu’ils se sont envolés vers le Nord, et, depuis ce jour, aucune d’entre nous ne les a vus passer.

 

Svanhild

Je sais qu’ils reviendront.

 

Bergthora

Pourquoi restes-tu debout sur le rocher, immobile et contemplative pendant des journées entières ?

 

Svanhild

J’attends le retour des cygnes sauvages.

 


Des chants de fête s’élèvent. Des barques passent sur le fjord, chargées de femmes aux costumes étincelants.

 

Des paysannes, chantant

Ne t’approche point du glacier,
Car le froid brûle comme la flamme.
Ne t’approche point de la neige,
Car la neige aveugle comme le soleil.
S’éloignant.

Ne demeure point longtemps sur les sommets,
Car l’azur entraîne comme le vertige.
Ne contemple point l’abîme,
Car l’abîme attire comme l’eau.
Hildigunn

Entends ces musiques lointaines. Les barques glissent sur le fjord avec un bercement tranquille. Les paysannes rament en chantant : elles sont heureuses.

 

Svanhild

Leur bonheur serait pour moi la pire angoisse, et mon bonheur serait pour elles le plus morne supplice.

 

Gudrid

N’aimes-tu donc rien sur la terre ?

Svanhild

J’aime la blancheur.

 

Thorunn

Quel don espères-tu de la vie dans son printemps ?

 

Svanhild

La blancheur.

 

Ermentrude

Si le destin exauce miraculeusement ton espoir, si les cygnes sauvages reviennent, que feras-tu ?

 

Svanhild

Je les suivrai.

 

Bergthora

Jusqu’où les suivras-tu ?

 

Svanhild

Jusqu’aux limites du couchant.

 

Hildigunn

Quel est le but de ton rêve ?

 

Svanhild

Plus de blancheur.

Svanhild, Renée Vivien

 

SCÈNE II

 

Une Passante entre, les mains pleines de fleurs, tête nue, les cheveux mêlés de thym et de brins d’herbe.

 

La passante

Les routes sont magnifiquement larges. Je suis ivre de la poussière du chemin. J’ai dormi sur la bruyère, et, à travers mon rêve, j’aspirais le parfum des cimes. Les baies rouges et violettes ont apaisé ma faim, et la neige fondue m’a désaltérée. J’ai cueilli les roses des montagnes. J’ai dansé, nue dans le soleil. Existe-t-il sous l’azur du printemps quelque chose de plus beau que les lézards des rochers, les chardons bleus et mauves, l’étincellement entrevu des poissons et les nuances du soir ?

Svanhild

Il est quelque chose de plus beau.

 

La passante

Que peut-il exister de plus beau sur la terre ?

 

Svanhild

Les nuages, la neige, la fumée, l’écume.

 

La passante

 

Ne veux-tu point suivre, à mes côtés, la route libre comme l’horizon et vaste comme l’aurore ?

 

Svanhild

Non.

 

La passante

Pourquoi ?

 

Svanhild

J’attends le retour des cygnes sauvages.

 

 

La passante s’enfuit joyeusement.

Svanhild, Renée Vivien

SCÈNE III

 

 

Le soleil baisse. Le couchant illumine le ciel.
Le soir est gris et pâle.



Bergthora

Voici le soir. Combien les montagnes sont mystérieuses !

 

Gudrid

Que le silence est étrange !

 

Hildigunn

L’univers semble attendre.

 

Svanhild, à elle-même

Attendre… comme moi.

Thorunn

La Mort guette les égarés qui s’attardent dans les montagnes.

Asgerd

Les chemins sont périlleux lorsque la brume tombe des sommets.

 

Svanhild, dans un grand cri

Les cygnes ! les cygnes ! les cygnes !

 

Toutes, les regards vers le lointain

Nous ne voyons rien.

 

Svanhild

Le vent du Nord souffle dans leurs ailes… Ils ont franchi la mer, car l’écume argente leur plumage. Ils vont vers le large. Leurs ailes sont déployées et frémissantes comme des voiles… Entendez-vous le battement magnanime de leurs ailes ?

Toutes

Nous ne voyons que les blancs nuages qui passent au-dessus du fjord.

Svanhild

Ils sont plus beaux que les nuages. Ils vont vers les lumières boréales. Ils sont plus beaux que la neige. Comme leur vol est puissant et sonore ! Les entendez-vous passer ?

Toutes

Nous n’entendons que la brise du soir sur les fjords.

Svanhild

Je les suivrai ! Je les suivrai jusqu’aux limites du couchant !

 

Asgerd

Svanhild ! Les chemins sont périlleux, lorsque la brume tombe des sommets.

 

Thorunn

La Mort guette les égarés qui s’attardent sur les montagnes.

 

Gudrid

Songe aux brouillards qui voilent les abîmes.

Svanhild

Ô blancheur !

 

Elle s’enfuit au fond de la brume.

Asgerd

Elle se perdra dans le crépuscule.

 

Gudrid

Elle périra dans la nuit. Svanhild !

 

Toutes, appelant

Svanhild !

 

L’écho

Svanhild !

 

On entend un grand cri répercuté par l’écho.

 

Gudrid, avec angoisse

L’abîme…

 

 

 

Renée Vivien
 11 juin 1877 - 18 novembre 1909

Svanhild, Renée Vivien